L’effet Brexit

International School of Paris

Depuis les résultats du référendum sur le Brexit, différents acteurs s’activent dans les pays européens. Alors que le gouvernement Français se mobilise pour attirer les entreprises à Paris, les écoles internationales se préparent à accueillir un certain nombre d’enfants d’expatriés susceptibles de poser leurs valises dans l’Hexagone.

Par Celina Ehrlich, Emmanuel Haddek et Mathilde Warda

En passant dans la très tranquille rue Cortambert, dans le 16e arrondissement de Paris, on ne la remarque presque pas. La moitié du bâtiment accolé à l’ambassade d’Indonésie est cachée derrière le portail métallique. Pourtant, l’International School of Paris (ISP) se veut synonyme d’ouverture.

L’établissement accueille chaque année des élèves de soixante nationalités différentes. C’est le troisième établissement ouvert par  l’ISP dans cet arrondissement de l’ouest parisien. Il a été inauguré en septembre 2018. Au moment de notre visite, les locaux ne sont pas tout à fait terminés. Au milieu des couloirs et des bureaux flambants neufs, des ouvriers s’affairent encore. Dans les salles de classes, pas un élève. « Le matin, tout le monde a cours de sport », nous rassure Stephine Scorso, la coordinatrice américaine.

Depuis sa création, l’école a un objectif : « Répondre aux besoins des expatriés qui ne trouvent pas toujours un enseignement adapté à leurs enfants. » Et pour cause, les enfants d’expatriés représentent deux tiers des effectifs. Ils sont fils ou fille de diplomates, de cadres d’ONG, de banquiers…

Un autre établissement international a, lui aussi, ouvert ses portes en région parisienne. À quelques kilomètres de l’Arche de la Défense, symbole de la puissance économique de la capitale, s’étend la commune de Courbevoie. La plupart des enfants de la ville fréquentent le lycée Lucie-Aubrac.

Une fois les portes passées, on est assailli par une odeur de neuf. Le grand plafond de verre laisse passer la lumière. La sonnerie de fin de cours retentit et déclenche quelques sourires. Chaque jour, la mélodie est différente. Aujourd’hui, un air japonais retentit dans les couloirs. Lycée international oblige. Les musiques sont choisies par le proviseur adjoint, Cédric Zumerle, au gré des événements : « Parfois, l’actualité prime, parfois c’est l’histoire. »

Que ce soit dans le 16e  ou à Courbevoie, les deux écoles sont confrontées à un même défi : le Brexit. Celui-ci sera effectif le 29 mars 2019. De grandes entreprises, telles que Bank of America, HSBC ou JP Morgan ont déjà annoncé des transferts de postes de Londres à Paris. Et depuis le référendum de juin 2016, le gouvernement français fait tout pour attirer ces entreprises qui souhaitent se délocaliser ou quitter le Royaume-Uni.

Mais il n’est pas le seul. Francfort, Dublin, Amsterdam déroulent également le tapis rouge. Dans cette course à l’attractivité, Paris semblait loin d’être favori il y a deux ans. Le travail conjoint d’acteurs publics et privés a permis à la capitale de s’imposer comme une ville de choix pour certaines banques et compagnies d’assurance. Le déménagement de l’Autorité bancaire européenne à Paris en mars en témoigne.

Rester ou pas, c’est la question que se posent beaucoup de travailleurs au Royaume-Uni. Et bien souvent, elle concerne des familles entières. Les entreprises, elles aussi, voient flou devant les aléas des négociations. En novembre dernier, tout le monde pensait que l’accord signé entre Theresa May et les vingt-sept de l’Union européenne allait aboutir au règlement du dossier du Brexit.

Mais poussée par le parlement, la Première ministre a décidé de recommencer des négociations. Depuis, la situation est incertaine. La perspective d’une sortie de l’Europe sans accord est de plus en plus plausible alors que le Royaume-Uni a demandé un report du Brexit jusqu’au 30 juin. 

En tout cas, les écoles internationales et les entreprises ont, elles, entamé le dialogue. L’ISP est en contact avec toutes les grandes banques. À l’automne dernier, les responsables de l’école se sont déplacés à Londres pour y rencontrer des dirigeants d’entreprises et présenter leurs formations.

Malgré cela, Courtney Knight, directrice des inscriptions, se défend de vouloir tirer profit du Brexit : « Nous sommes une organisation à but non lucratif, l’objectif n’est pas de faire de l’argent. » Si l’école communique avec beaucoup de sociétés, elle ne reçoit, selon elle, aucun fonds de leur part. Le Brexit est néanmoins un moyen pour l’International School of Paris de se faire connaître au-delà des frontières françaises : « Il faut qu’on parle de nous. »

Tout comme à l’ISP le personnel du lycée Lucie-Aubrac effectue tout un travail d’information en lien avec le Brexit : « Dans notre cas, l’idée d’une formation gratuite fait un peu peur, explique Valérie Ficara, la proviseure du lycée. Ces familles ne connaissent pas forcément le système éducatif français, elles pensent que la formation ne sera pas de qualité. Les gens sont dans l’attente. Les demandes anticipées ont néanmoins beaucoup augmenté. »

Visites de l’école, nombreux e-mails… les parents s’intéressent à l’établissement. Et le personnel apporte une attention toute particulière au suivi des ces potentiels rescapés : « Nous accompagnons les familles dès la première prise de contact. Nous essayons de les aider, précise Courtney Knight. Quand elles arriveront en France, elles seront encore  sans doute perdues. Il y a un manque d’information c’est certain. »

Avantage pour l’ISP : depuis sa création en 1964, tous les cours sont dispensés en anglais.  

« Il est difficile pour les entreprises de parler ouvertement des relocalisations, notamment vis-à-vis de leurs employés. »

Carine Delfrayssi

Devant les derniers soubresauts des négociations du Brexit, les familles voient toujours aussi flou. Les responsables des deux écoles ressentent cette tension. « Beaucoup pourraient potentiellement arriver en France, explique Courtney Knight. Nous sentons chez elles une certaine inquiétude. » Même son de cloche au lycée international de Courbevoie. Les dirigeants constatent une demande d’inscriptions en hausse par rapport aux années précédentes. Mais les élèves concernés ne sont pas encore présents au lycée : « Beaucoup de familles vont ou sont en train de déménager », explique Valérie Ficara, la proviseure.

Le Brexit est un processus lent et les effets de celui-ci sur les salariés travaillant en Angleterre sont difficiles à prévoir. Selon Edouard Fernandez-Bollo, secrétaire général de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), une institution intégrée à la Banque de France, une cinquantaine de dossiers de relocalisation sont en cours. Lors d’une conférence organisée par l’ACPR le 23 novembre, il précisait que « les demandes d’agréments se sont accélérées cet été ».

Mais pour beaucoup de sociétés, le sujet est encore tabou. « Il est difficile pour elles de parler ouvertement des relocalisations, notamment vis-à-vis de leurs employés », confirme Carine Delfrayssi, directrice des affaires juridiques et européennes à Paris Europlace. Cette association créée il y a vingt-cinq ans regroupe des entreprises telles que JP Morgan, Total ou Lafarge et vise à valoriser la place financière de Paris. A l’entendre, son activité s’est intensifiée depuis le début du Brexit.

Pour elle, un des avantages de Paris réside dans son écosystème. La ville concentre les principaux acteurs de la finance et de l’économie française, mais aussi la plupart des grandes écoles, des écoles internationales et a une vie culturelle intense. Ce cadre apparaît plus propice à l’intégration des conjoints des expatriés dans la vie active que celui offert par les villes concurrentes.

Les sociétés de gestion implantées à Londres s’intéressent à la présence de personnels qualifiés et à la politique d’immigration du pays, explique en substance Carine Delfrayssi. Elle souligne aussi qu’en France « beaucoup de choses ont été faites. Le taux d’imposition a été réduit par exemple ». La loi de finance de 2018 prévoit un abaissement du taux normal d’imposition des sociétés à 25 %, d’ici 2022, contre 33 % aujourd’hui.

Le gouvernement Français ne se cache donc pas de vouloir utiliser le Brexit comme un tremplin pour renforcer la place de Paris au niveau européen et cela passe aussi par l’éducation. Le discours du Premier ministre prononcé le 7 juillet 2017 à la Monnaie de Paris en témoigne. Il y annonçait des mesures pour renforcer l’attractivité de Paris. L’une d’elles concernait l’ouverture de trois lycées internationaux en Ile-de-France d’ici 2022. Le lycée Lucie-Aubrac en fait partie.

L’État veut également transformer les établissements français en créant des parcours scolaires plus diversifiés, comme les bacs binationaux ou les sections internationales. Pour l’ISP, la donne ne change pas véritablement : « L’école fonctionne comme elle a toujours fonctionné depuis cinquante-cinq ans », selon Courtney Knight. Pour elle, le Brexit aura plus d’impact sur les établissements publics qui vont devoir renforcer et faire évoluer leur offre internationale.

De nouvelles écoles à venir

Malgré les objectifs clairs du Premier ministre, à Courbevoie, Valérie Ficara se défend de diriger un lycée destiné aux réfugiés du Brexit : « La plupart des élèves sont tout simplement des habitants de la commune. » D’ailleurs, à première vue, les salles de classe ne se distinguent pas de celles d’un lycée public, à l’exception des grands écrans qui remplacent les tableaux à craie ou au marqueur. Le centre de documentation et d’information (CDI) n’est pas encore rempli, mais les ordinateurs dernier cri sautent aux yeux. Juste à côté, une dernière nouveauté technique, le box média, permet aux élèves de réaliser des projets multimédias. Il s’agit d’un petit cube, dans lequel quatre élèves au maximum peuvent s’installer pour travailler.

Quand les élèves sortent des salles, le hall perd de sa démesure et les langues se mélangent : « Ils peuvent être britanniques, français ou avoir vécu plusieurs années à l’étranger », explique la proviseure. L’école apporte une attention toute particulière au niveau d’anglais des élèves. D’ailleurs, pour entrer en section internationale à Lucie-Aubrac, tous sont obligés de passer de rigoureux tests d’admission.

La ville de Courbevoie, déjà dotée d’un lycée international, va voir son offre en matière d’éducation augmentée. À la rentrée 2019, elle accueillera l’École européenne Paris La Défense. Ces établissements donnent la priorité aux enfants des fonctionnaires européens, c’est la deuxième gérée par la Commission européenne en France. Le second degré siègera au lycée Lucie-Aubrac en attendant la construction de nouveaux locaux pour les enfants de la maternelle au lycée, dans quatre ou cinq ans. Mais là encore, tant que le Brexit n’est pas effectif, impossible de savoir si ces écoles internationales auront du succès.

Contrairement à Valérie Ficara, les élus de la région Ile-de-France, veulent faire  de Lucie-Aubrac un lycée haut de gamme et pas vraiment comme les autres. Dans un article sur l’établissement paru dans Le Parisien le lendemain de son ouverture, Valérie Pécresse, présidente (LR) de la région déclarait : « De plus en plus d’entreprises internationales vont s’installer ici, et nous devons faire correspondre offre de formation et offre d’emploi. »

Patrick Devedjian, président du département, lui aussi présent lors de l’inauguration, n’a pas non plus caché ses objectifs : « Ce quartier développe l’économie des Hauts-de-Seine et de la région Île-de-France. Il est indispensable pour nous d’avoir des écoles qui ont pour priorité le bilinguisme de ses élèves. »

Entre les élus et le personnel du lycée, les voix sont donc un peu discordantes. Pour Valérie Ficara, avant d’être international, l’établissement est avant tout « polyvalent et technologique avec des séries générales ainsi que l’ouverture prochaine d’un BTS et d’une classe préparatoire ». Viennent ensuite les sections internationales, avec l’ouverture cette année d’une section anglais britannique. Là, la cheffe d’établissement le reconnaît : « La mise en place de cette section était prévue mais il est vrai que son ouverture a encouragé les demandes d’inscriptions en lien avec le Brexit. »

Celina Janine Ehrlich

@
22 ans.
Étudiante allemande en Erasmus.
En licence European Studies Major, dans laquelle elle étudie la littérature française et les médias.

 

Emmanuel Haddek

@EmmanuelHaddek
19 ans
En deuxième année de journalisme à l’EPJ Tours.
Passé par Ouest-France. Intéressé par les sujets culture, société et politique.
Se destine à la presse écrite ou à la radio.

 

Mathilde Warda

@MathildeWarda
20 ans
En deuxième année de journalisme à l’EPJT
Passée par Sud Ouest.
Intéressée par les questions internationales et passionnée de sports d’extérieurs.
Se destine à la radio.