Le sport amorce sa transition

Franchir la haie de l’intégration.

Le sport loisir est, pour beaucoup, synonyme d’inclusion et de vivre ensemble. Mais pour les personnes transgenres, qui sortent des cases imaginées par les règlements, le constat est différent. Dans les clubs, qui dépendent des décisions prises au niveau fédéral, leur intégration s’apparente à une course d’obstacles. 

Par Laure d’Almeida, Alexis Gaucher et Jeanne Groscolas
Illustrations : Nicolas d’Almeida

« Personne ne savait que j’étais transgenre. » En arrivant dans son club de handball,  Mathilde Delacroix, ne s’est pas tout de suite confiée à ses coéquipiers sur sa transidentité. Elle s’y est inscrite deux ans après sa transition de genre commencée à 18 ans. La jeune handballeuse s’est sentie « un peu obligée » de faire son coming-out.

Après avoir esquivé les douches de fin d’entraînement pendant un temps, elle s’était finalement décidée à se laver avec son équipe mais en sous-vêtements. « Elles ont repéré une petite bosse au niveau de ma culotte… » Deux des handballeuses se sont alors posé des questions. Si « l’accueil a été plutôt bienveillant », Mathilde aurait préféré ne rien dire.

Cette histoire pointe du doigt un problème plus général. Douches, toilettes et vestiaires sont le premier obstacle auquel font face les transgenres dans les clubs de sport. Ils renforcent le côté sexué du sport en reproduisant une séparation genrée, ce qui crée inévitablement des situations de malaise. Et cela atteste d’une vraie méconnaissance des LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres) dans le milieu sportif.

Malaises aux vestiaires.

« Je n’ai pu commencer les matchs qu’une fois que j’ai eu les papiers d’identité avec la mention “sexe féminin”. » C’est le second obstacle rencontré par Mathilde Delacroix. Il montre la difficulté de sortir du cadre imaginé par les fédérations sportives, même pour des compétitions amateurs.

« Le sport moderne est organisé principalement de manière binaire et dans une optique de compétition. La première discrimination à laquelle est confrontée une personne transgenre est le déni de son existence », résume  Pascale Reinteau, coprésidente de la Fédération inclusion pour un environnement respectueux (Fier).

Elena de Lapparent, 23 ans, pratique la gymnastique artistique dans son club, La Persévérante de Marseille, depuis ses 6 ans. sa transition, elle la vit dans ce club qu’elle considère comme sa famille. Son état civil n’a pas été modifié mais, contrairement à Mathilde Delacroix, elle ne souhaite pas changer de catégorie.

« Je fais de la gymnastique masculine depuis quinze ans. J’ai envie de continuer, même en tant que femme. Passer en féminine reviendrait à changer de sport. » Pour elle, pouvoir rester dans sa catégorie dépend de l’indulgence des juges de compétition qui la connaissent bien dans la région.

« C’est compliqué pour les [simple_tooltip content=’Personne dont le genre ressenti correspond à celui assigné à la naissance’]cisgenres[/simple_tooltip] de se dire que ce n’est pas à eux de choisir pour les trans où ils doivent être classés », explique Eric Arassus, président intérimaire de la Fédération sportive gay lesbienne (FSGL).

Au cours des Gay Games 2018, l’association organisatrice, Paris 2018, a décidé de laisser les participants libres de choisir leur catégorie. Une formule qui a eu du succès pendant la compétition. Les organisateurs ont donc recommandé aux fédérations sportives de faire de même. Mais celles-ci n’ont pas suivi ce conseil.

« Nous craignons qu’il faille faire preuve de beaucoup de pédagogie. Les personnes transgenres manquent d’espaces sécurisés pour la pratique sportive. Les clubs ne sont pas sensibilisés à leur accueil », explique Pascale Reinteau.

Celles et ceux qui décident d’entamer une transition connaissent des difficultés de reconnaissance et d’intégration dans les structures classiques. La plupart préfèrent alors se tourner vers des clubs LGBT.

« Je n’ai pu commencer les matchs qu’une fois que j’ai eu les papiers d’identité avec la mention ‘‘sexe féminin’’ », regrette Mathilde Delacroix.

Créés il y a une trentaine d’années pour éviter l’homophobie ambiante dans la société, ces clubs militants accueillent tout le monde sans distinction. Par exemple, le club de football Paris Arc-en-ciel permet de sortir du modèle binaire en participant à des compétitions mixtes.

Ces compétitions sont mises en place par la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), ce que refuse la Fédération française de football. Il existe plus de 60 clubs LGBT en France.

Alors que la situation des licenciés de tous les clubs dépend des décisions prises par les fédérations, la majorité des acteurs du sport français ne semble pas préoccupée par l’intégration des personnes transgenres. Manon Cottrel, chargée de communication à la Fédération d’escrime, n’a qu’un « vague souvenir d’un tweet à ce sujet » et ne parle pas de situation problématique.

Aucune trace d’un dispositif spécifique pour l’inclusion des personnes transgenres n’est à relever non plus au sein du basket-ball français. Marie Hoël, chargée de la féminisation à la Fédération de basket, souligne tout de même que « cela ne signifie pas que la transphobie n’est pas présente » au sein de son sport. Les règlements existants proviennent du milieu professionnel.

En 2016, de nouvelles normes ont été édictées par le Comité international olympique (CIO) à l’attention des athlètes transgenres. Ces normes, précisées en 2019, imposent aux femmes transgenres de justifier d’un taux de testostérone inférieur à 5 [simple_tooltip content=’Symbole de la nanomole, unité de mesure de matière en chimie’]nmol/L[/simple_tooltip]. En effet, la question de leur supériorité physique face aux femmes cisgenres est au centre des réflexions.

Dans le sillage du CIO, quelques fédérations ont commencé depuis peu à baliser et à encadrer la pratique sportive d’un point de vue hormonal. Chacune peut adopter son propre règlement pour déterminer l’éligibilité des athlètes transgenres à participer à des compétitions se déroulant sous leur propre juridiction.

Si cela semble s’apparenter à une avancée, l’intégration des femmes transgenres est encore compliquée et se fait au cas par cas. La Fédération française de handball (FFHB) est une des premières à s’adapter. En 2018, elle a permis à une joueuse d’évoluer dans sa nouvelle catégorie au niveau professionnel.

De son côté, la vice-présidente de la Fédération de cyclisme, Marie-Françoise Potereau, rappelle l’intégration réussie de deux personnes transgenres. Elle confie néanmoins que la prise en charge de ces sportifs est encore délicate. « Nous avons fait appel au médecin fédéral pour acter le changement de catégorie. Nous sommes un peu dépourvus sur le sujet. »

« Les licences de compétition sont conditionnées par le sexe. Aujourd’hui, c’est devenu une question : “Si je suis transgenre, vais-je concourir chez les femmes ou chez les hommes ?” », explique Eric Meinadier, médecin coordonnateur de la Fédération française de cyclisme (FFC). Les athlètes femmes transgenres qui souhaitent concourir doivent satisfaire à l’avis d’un panel d’experts.

Elles doivent régulièrement réaliser des prises de sang qui peuvent être inopinées. Celles qui n’ont pas été opérées prennent un traitement au quotidien. Dans ce cas, la transition passe alors par des traitements castrateurs chimiques. « Cela concerne les hommes qui deviennent femmes. L’inverse pose moins de problème. Dans le premier cas, les qualités musculaires sont bien plus importantes », décrit Eric Meinadier.

Réélue à la tête de la fédération française de Rugby (FFR) en 2020, l’équipe de Bernard Laporte, ancien secrétaire d’État chargé des Sports, a pris les devants en mettant en place la Commission antidiscrimination et égalité de traitement (Cadet). L’idée première est de permettre à tous de pratiquer le rugby.

Jean-Bernard Moles, à la tête de commission, souligne l’importance de ce travail de sensibilisation qui a fini par payer. En effet, le 17 mai 2021, la FFR a validé « l’inclusion des trans-identitaires de genre » au sein de ses compétitions officielles à partir de la saison prochaine. Cette décision a pour but d’amorcer un « véritable changement pour l’intégration totale et sans condition de la communauté LGBT+ » dans le rugby.

Pourtant, pour participer aux compétitions, les femmes transgenres devront justifier d’un traitement hormonal en cours, depuis à minima douze mois et ne pas dépasser le seuil de 5 nanomole/litre du taux de testostérone conformément à la décision du CIO.

Cette prise d’hormones vise à compenser « l’écart de performance dans le sport de haut niveau, estimé de l’ordre de 10 à 15 % entre les hommes et les femmes », indique Jean-Bernard Moles. La FFR est ainsi devenue la première fédération sportive hexagonale à inclure clairement les athlètes transgenres dans son règlement.

Cette décision française contredit toutefois la position officielle de la [simple_tooltip content=’Instance dirigeante au niveau international’]World Rugby[/simple_tooltip]. Cette dernière déconseille aux fédérations de sélectionner des personnes transgenres dans leurs équipes nationales. Jean-Bernard Moles rappelle que ce n’est pas le cas pour le sport amateur, où la fédération a le dernier mot sur ces décisions.

Évolution de la législation concernant les personnes transgenres dans la société et le sport français.

Du côté de la Fédération française de football (FFF), c’est silence radio. « Ce qui est dommage, c’est que la plus grosse fédération en France est la moins progressiste. Quand on les écoute, c’est toujours hyper conventionnel. Mais quand on leur montre des problèmes, ils disent : “Pas chez nous, chez nous tout va bien.” », constate Eric Arassus, président intérimaire de la FSGL.

Afin de conseiller les nombreuses autres fédérations sportives n’ayant pas encore franchi le pas, la FSGL et les associations OUTrans et Acceptess-T ont établi la charte Sport et Trans. Manuel Picaud, coprésident de Fier, plaide pour un sport plus inclusif. Il explique que cette charte est connue des pouvoirs publics, bien qu’elle soit peu diffusée dans les fédérations sportives. Il déplore un « très haut degré d’ignorance parmi les dirigeants ».

La signature, en 2011, d’une charte de prévention contre l’homophobie par les fédérations, alerte les institutions. Depuis 2012, un délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme coordonne les politiques publiques en la matière.

Le dispositif a été élargi, en 2016, au sein de la nouvelle Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Elle mène des actions de sensibilisation contre la haine des personnes transgenres.

Cependant, la délégation ne traite pas les dossiers individuels. Avec sa campagne 2020 #TousConcernés, le ministère des Sports a tenté de prévenir la banalisation des comportements contraires aux valeurs du sport. Cette action s’inscrit dans le plan 2020/2023 contre les discriminations LGBT+. « Bien que les ministères veuillent travailler sur ces questions, ils ne le font pas vraiment », déplore Eric Arassus.

Plus récemment, une proposition de loi visant à démocratiser le sport en France a été déposée par la députée LREM Céline Calvez. Lors de sa discussion à l’Assemblée nationale, le député LREM Raphaël Gérard a proposé un sous-amendement pour « consacrer le principe d’égalité sportive des personnes trans dans la pratique sportive ».

Il est adopté, en première lecture, le 17 mars 2021. La proposition de loi, elle, a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 19 mars 2021. La FSGL a dénoncé le manque de mesures efficaces prises pour lutter contre les discriminations à l’égard des personnes LGBT.

La prise en compte de ces questions d’intégration reste très marginale. Elle passera par une acceptation plus globale des personnes transgenres au sein de la société.

« Il n’y a pas de procédure ni de dispositif. C’est du cas par cas. C’est un phénomène nouveau dans les problématiques du milieu sportif. Les questions de transidentité sont très délicates et encore taboues », rappelle Béatrice Barbusse, sociologue du sport et première femme en France à être présidente d’un [simple_tooltip content=’US Ivry’]club sportif[/simple_tooltip] professionnel masculin.

L’ancien président de SOS Homophobie, Yohann Roszéwitch, désormais conseiller en charge de la lutte contre la haine anti-LGBT à la Dilcrah, loue le modèle d’organisation des Gay Games 2018 en matière d’inclusion : « Le coming out trans est très compliqué dans le milieu du sport. Les Gay Games de Paris se sont attachés à inclure les personnes transgenres. Il s’agissait d’une redéfinition des valeurs du sport. »

État des lieux des droits des personnes transgenres à travers le monde.

Un constat appuyé par la championne du monde en canoë biplace 1996, Sandra Forgues, qui a entamé sa transition  au terme de sa carrière sportive. « Malheureusement, le sport loisir baigne, à l’image de la société, dans un système patriarcal où l’on apprend aux petits garçons à être viril, à se battre, à être aventureux et aux petites filles à se protéger. Ces stéréotypes de genre sont très ancrés et provoquent un mal-être. Il faut donc accompagner les structures d’accueil sportives et les fédérations dans cette démarche d’inclusion. »

Car la situation des personnes transgenres dans le sport amateur dépend alors de la société dans laquelle elles vivent.

Comme tous les changements sociétaux, l’intégration des personnes transgenres prend du temps. Mathilde Delacroix, par exemple, a dû attendre deux ans avant d’être pleinement intégrée et de pouvoir participer aux compétitions grâce à une licence correctement genrée. Ce changement est d’autant plus compliqué que le sport a toujours reposé sur la distinction entre hommes et femmes.

Même si certaines fédérations commencent à prendre les devants et que des pas sont faits vers l’intégration, la prise en compte de leur situation n’en est encore qu’à ses balbutiements.

Laure D’Almeida

@laured_almeida
23 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
Passionnée par les sujets sociétaux, l’éducation et le sport.
Passée par Radio Campus Lille et Radio Campus Tours, La Nouvelle République et Ouest-France.
Aspire à parler dans un micro.

Alexis Gaucher

@gaucher_alexis
22 ans.
Étudiant en journalisme à l’EPJT.
Passé par Radio Dijon Campus, L’Yonne républicaine et La République du Centre.
Passionné par le sport, les sujets politiques et sociétaux.
Se destine à la télévision ou la presse écrite.

Jeanne Groscolas

@Jeanne Groscolas-Pinellli
24 ans.
Ancienne étudiante en journalisme à l’EPJT.
Passionnée de nature et de géopolitique.
Passée par RTL, TVI et Radio Campus Paris.
A quitté l’école pour se consacrer à de nouveaux projets.