Le mal de maires

Le conseil municipal, l’heure des tracas du quotidien d’une commune, comme ici à Gabriac, dans l’Aveyron. Photo : Lorenza Pensa/EPJT

Oubliés, sans budget, sans pouvoir de décision, écrasés par les collectivités territoriales, passant leur temps à régler des conflits de voisinage…, les maires sont de plus en plus nombreux à démissionner. Dans les petites communes, l’écharpe semble lourde à porter. Au point que certains se demandent si la fonction a encore un avenir.

Par Clément ARGOUD, Clément BUZALKA et Lorenza PENSA

Le 13 septembre 2018, les familles de Terssac, dans le Tarn, reçoivent, dans leur boîte aux lettres, un long courrier de trois pages. Leur maire y annonce sa démission et en explique les raisons : diminution de 63 % de la dotation globale de fonctionnement, « effet ciseaux » de la part de la communauté d’agglomérations, absorption des moyens financiers et humains par Albi et Toulouse, désengagement de l’État et, en prime, des conflits au sein de l’équipe municipale…

« Pour moi, c’est la fin de la fonction de maire telle qu’on l’a connue. Quand on s’est présentés en 2014, on avait un projet, on pensait le développer. Là, on se retrouve dans une situation où on n’a plus de compétences, on est démunis », confie-t-il. Pourtant, c’est peu dire que Robert Azaïs, 67 ans, est inséré dans la vie sociale. Retraité de la mutuelle sociale agricole, il est également président de la Fédération française de randonnée pédestre. Mais pour lui, la coupe est pleine, il jette l’éponge. Il envoie donc sa démission à la préfecture, après quatre ans de mandat.  

Photo : Clément Buzalka/EPJT

Robert Azaïs n’est pas seul dans ce cas : ils sont 1 021 maires français à avoir rendu leur écharpe tricolore entre 2014 et 2018. Et comme la majorité d’entre eux, il était maire d’une commune de moins de 2 000 habitants et a connu les mêmes difficultés.

Deux cents kilomètres plus loin, à Péret (34), près de Montpellier, Christian Bilhac dresse peu ou prou le même constat. « Les maires sont las, parfois révoltés, mais toujours fatigués. Parce qu’ils passent dans des broyeurs successifs. » Et d’énumérer ces broyeurs : celui de l’intercommunalité dans laquelle ils se retrouvent paradoxalement isolés ; celui de la population qui devient très exigeante ; celui des moyens financiers qui ne permettent pas de répondre aux besoins des habitants.

Photo : Clément Buzalka/EPJT ; Montage : Clément Argoud/EPJT avec Canva

Pourtant, cette fonction de maire peut être passionnante. Robert Azaïs ne le nie pas. Lui, ce qu’il trouvait de plus intéressant, c’était les projets conduits et les investissements. Mais avec la baisse des dotations, il s’est senti piégé. « Quand on est élu, au début, on se base sur des prévisions pour conduire des actions. Mais avec une diminution comme celle que nous avons subie, nous avons dû revoir tous nos projets », explique-t-il.

Ce sentiment est confirmé par l’enquête du Cevipof de décembre 2018, réalisée par le sociologue Luc Rouban : 49 % des maires

interrogés réduisent en priorité leurs investissements à la suite de la contraction des transferts financiers de l’État. À cause de la transformation de la taxe d’habitation en dotation, les maires des petites communes perdent leur autonomie fiscale. « Ils dénoncent le fait que le montant de ces dotations ne soit pas garanti », précise Luc Rouban.

Les maires manquent aussi de personnel compétent. C’est la première chose qui a surpris Martial Fairier, maire de Saint-Judoce (22), quand il a débuté son mandat : « Il y a un manque de professionnels pour assurer. La secrétaire devrait avoir des connaissances en finances, en droit, en urbanisme… ce n’est pas le cas. Et ce n’est pas de sa faute », constate-t-il.

Transfert ou disparition de compétences

D’une manière générale, les maires des petites communes perçoivent mal les réformes institutionnelles récentes. La majorité des élus pensent que l’État souhaite reprendre la main sur les actions menées au sein des municipalités. En cause notamment, la loi NOTRe, promulguée en 2015. Elle réorganise le territoire, confie de nouvelles compétences aux régions et modifie les périmètres des intercommunalités.

Pour Robert Azaïs, sa commune a perdu la main sur son tissu économique. « C’est une des raisons de ma démission, commente-t-il. Il ne me restait comme compétences que l’école primaire, une partie de la petite enfance – la crèche – et ce que tout le monde adore, ce qu’on appelle “la police des maires”. »

À Saint-Judoce, il n’y a déjà plus d’école, plus de commerce, plus de café ni de boulangerie. Aujourd’hui, tous les habitants se rendent à Évran, 4 kilomètres plus loin. Martial Fairier a donc souhaité fusionner les deux communes. « Ça été très dur. Il y a eu une réunion publique où l’opposition est venue en force. Il n’a pas pu y avoir de discussion », raconte le maire.

Face à ces tensions, il décide d’organiser une consultation de la population. Résultat : une majorité de refus. « Certains m’ont dit qu’ils ne voulaient pas perdre leur identité. Mais d’où ? Il n’y a rien à Saint-Judoce ! Tout se passe à Évran.

Photo : Lorenza Pensa/EPJT ; Montage : Clément Argoud/EPJT avec Canva

Avec une nouvelle commune de 6 000 habitants, on aurait eu des budgets. On aurait pu travailler plus sereinement. »

Si les habitants refusent des projets, leur implication dans la vie de la commune semble disparaître peu à peu. Ce qui ne les empêche pas d’être exigeants. C’est une relation complexe qui se noue entre eux et leurs édiles. On ne voit pas souvent l’élu comme le porteur d’un projet commun, mais plus comme le serviteur de ses administrés. Il est alors sollicité pour tout et n’importe quoi.

« Les maires des petites communes sont pris dans cette tension entre le désengagement de l’État et la non-implication citoyenne des habitants », relève Luc Rouban.

« C’est ce qu’on constate aujourd’hui avec les gilets jaunes, dénonce l’ancien maire de Terssac. Avant on était une collectivité. Les gens étaient riches, pauvres, mais ils se côtoyaient. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout ça. On a des catégories, des segments, des bulles et la partie commune devient de plus en plus étroite. Je pense que nous vivons dans un individualisme complet. Comment peut-on vivre ensemble si on ne se parle pas ? »

Robert Azaïs n’est pas le seul à dénoncer un individualisme qui imprègnerait toute notre société. Christian Avenet, maire de Saint-Genouph, commune de 1 076 habitants d’Indre-et-Loire, y a été confronté récemment. Sa commune connaît une lente érosion des effectifs de l’école communale et les fermetures des classes. Il se décide alors à lancer un regroupement pédagogique avec l’école du village voisin, Berthenay, qui connaît le même destin. L’objectif est de rassembler tous les élèves dans l’école de Berthenay, située à 5 kilomètres.

Mais lors d’une réunion publique, il essuie un refus catégorique des parents. « Les parents de Saint-Genouph n’ont pas pris conscience que dans trois ou quatre ans, c’est inévitable, on regroupera les deux écoles à Berthenay. Mais bon, c’est l’individualisme. Dans trois ou quatre ans, il ne s’agira plus leurs enfants mais ceux des autres. C’est très difficile la solidarité entre communes. Les gens ne veulent pas partager », se désole l’édile.

Les élus démissionnaires sont une minorité, un peu plus d’un millier par rapport aux 35 357 maires français. Mais ils sont révélateurs d’une vague de résignation. Aujourd’hui, un élu sur deux ne souhaite pas se présenter pour un nouveau mandat, si on en croit l’enquête du Cevipof. Ce sont en majorité des élus de petites communes.

En attendant la fin de leur mandat, en mars 2020, ils persévèrent, se transforment parfois en « couteaux-suisses » et tentent d’innover pour répondre, à leur manière, aux besoins des administrés.

Photo : Clément Buzalka/EPJT

À Gabriac, commune de 503 habitants en Aveyron, la journée du maire commence à la bergerie. Au petit matin, à peine debout, Nicolas Bessière se rend dans sa ferme où l’attendent ses 300 brebis et agneaux. Il les nourrit, trait les brebis, les tond parfois. Le soleil ne s’est toujours pas levé, mais Nicolas Bessière est déjà au boulot.

Il n’a jamais quitté son village, à part pour ses études de commerce. Depuis presque vingt ans, cet homme d’un peu moins de 40 ans siège au conseil municipal de sa commune. Et, depuis 2008, il en est le maire. Ancien employé dans l’assurance, il a choisi, il y a quelques années, de tout quitter pour reprendre l’exploitation agricole de ses parents, dans le village de Ceyrac, un lieu-dit de la commune.

Il n’est pas encore 9 heures. Nicolas Bessière remonte chez lui. Premier café de la journée et première douche. « Maire et agriculteur, ce n’est pas très écolo, sourit-il. Je peux prendre jusqu’à trois ou quatre douches par jour pour évacuer l’odeur des brebis. Ma femme me le reproche souvent. »

Puis il profite de sa famille. C’est un des rares moments où il peut le faire. Ses trois filles, il ne les voit parfois que le matin, quand il les conduit à l’école. Nicolas Bessière est un papa très occupé, à son exploitation agricole comme à la mairie.

 

Photo : Clément Buzalka/EPJT ; Montage : Clément Argoud/EPJT avec Canva

Mais il n’a pas le choix. Pour lui, comme pour la plupart des petits maires, conjuguer boulot et mandat est une nécessité. Question de revenus : l’indemnité des élus est calculée proportionnellement à la population municipale. Pour les plus petites communes, elle ne dépasse pas quelques centaines d’euros. Dans son cas, Gabriac comptant tout juste 500 habitants, l’indemnité atteint à peine le millier d’euros. Impossible de vivre avec si peu.

Maire et mère, une association rare et périlleuse

Aujourd’hui, 13,8 % des maires sont des femmes. Dans les petites communes, s’il est ardu d’exercer une profession et la fonction de maire, ça l’est encore plus pour les femmes. Lorsqu’elles ont des enfants en bas âge, il leur est très difficile de dégager du temps pour cette fonction chronophage. « Un homme peut plus facilement s’investir en matière publique même s’il a des enfants en bas âge. Pour une femme, c’est beaucoup plus compliqué car c’est encore souvent les femmes qui s’occupent des enfants et de la maison, note Victor Marneur, docteur en sciences politiques à Sciences Po Bordeaux qui a consacré sa thèse à l’accès des femmes aux mandats locaux en Gironde. Ce sont des logiques sociales qui créent des freins pour les femmes pour s’investir dans la sphère publique. »

Pour celles qui tentent quand même l’expérience, cela se solde parfois par une démission. Victor Marneur relève qu’on observe un pic de démissions parmi celles qui ont entre 60 et 70 ans : « Beaucoup de femmes maires à la retraite justifient leur démission par des raisons familiales. Souvent, c’est pour s’occuper de leurs petits-enfants et aussi de leurs parents dépendants. C’est quelque chose que l’on n’observe pas chez les hommes. » À l’heure actuelle, la majorité des femmes qui occupent la fonction de maire ont attendu le départ de leurs enfants pour s’investir dans la vie de leur commune.

Cela demande une organisation au millimètre. À la manière d’un ministre ou d’une mère de famille qui travaille à temps plein. Une fois retirée la combinaison de travail, Nicolas Bessière rejoint la mairie. Sa deuxième journée de travail commence. « Il est très présent, c’est un très bon maire, très impliqué », confirme sa première adjointe, Sylvette Berthier-Cudeville. Un investissement important qu’il assure également à la « com-com », la communauté de communes.

Premier commercial de la commune

Son activité professionnelle l’oblige à organiser ses journées en fonction de ses bêtes. Il peut donc être amené à quitter son bureau comme cette fois où il a dû partir en milieu de matinée pour vendre des agneaux à un acheteur lotois de passage. Il est retourné chez lui, a enfilé à nouveau son bleu de travail, a chargé une trentaine d’agneaux dans sa remorque et a rejoint son client et son camion à bétail. Il lui a parlé chiffres comme il le faisait juste avant avec deux de ses conseillers à la mairie. Mais cette fois-ci pour vendre ses bêtes au meilleur prix.

Des talents de négociation qu’il devra encore mettre à rude épreuve dans l’après-midi face à des ingénieurs venus proposer la fibre optique. Un dossier que le maire a longuement étudié avec son conseil municipal. Et des problèmes récurrents qui vaudront des échanges quelquefois musclés. Même face à des cadres d’un grand groupe industriel, le maire de la petite commune aveyronnaise ne baisse ni le ton ni les bras. Un comportement mais aussi une passion qui lui permettent de résister aux difficultés du quotidien.

Des difficultés qui peuvent paraître parfois dérisoires : une vache sortie du champ, un chien égaré, une dispute conjugale ou encore un différend avec les impôts, mais qui demandent beaucoup d’énergie. Les appels sur le téléphone personnel de l’élu ne cessent jamais. Être maire, c’est vingt-quatre heures par jour, sept jours par semaine, trois cent soixante-cinq jours par an.

Car leur boulot, c’est aussi de répondre à toute heure du jour comme de la nuit à toutes les demandes de leurs administrés.

Alors oui, le maire peut intervenir pendant des conflits de couple, il peut jouer le rôle de chenil, le temps d’une nuit, pour dépanner… « Il s’agit d’appréhender l’élu comme un médiateur assumant des fonctions variées et répondant à des exigences et à des attentes très diverses », résume Anne-Cécile Douillet, co-autrice de Sociologie politique du pouvoir local et professeure de science politique à l’université de Lille.

Photo : Clément Buzalka/EPJT ; Montage : Clément Argoud/EPJT avec Canva

Il arrive même, parfois, au maire de Saint-Genouph, Christian Avenet, 71 ans, d’assurer la garderie le matin, avant le début des classes, dans l’école. Quand les salariés municipaux, en charge de ce service, sont malades ou absents, il n’a pas d’autre solution. « En décembre, j’ai fait deux matins de suite, de l’ouverture à 7 heures jusqu’à 8 h 30. Le soir, j’ai gardé les mômes de 17 h 30 jusqu’à 19 heures. Ce n’est pas mon rôle. Mais qui voulez-vous mettre ? On ne trouve pas quelqu’un comme ça. »

Le même élu raconte aussi les veillées des décédés de la commune. Dernièrement, il a dû identifier le corps de son jeune voisin mort dans un accident de la route.

Le maire est donc le tout premier interlocuteur de ses concitoyens. Il est aussi le cahier de doléances humain de son village. Toujours en première ligne, on lui dit pourtant rarement merci. Être constamment le bureau des plaintes, pas toujours facile à vivre surtout quand se multiplient les critiques : municipalité inactive, incompétente et inutile… Aujourd’hui, près de trois maires sur quatre se plaignent des exigences toujours plus grandes de la part de leurs administrés.

Ayen est un petit village corrézien de 739 âmes, perdu au milieu des collines, en pleine campagne. La mairie est une des premières grandes bâtisses que l’on rencontre en entrant dans le bourg. Un bâtiment de pierre parmi les autres. Ici, de nombreux projets sont lancés. Mais la plupart passent inaperçus soupire Hélène Lacroix, 53 ans, dentiste du village.

Elle résume la situation de sa commune à une simple équation : « Plus de sollicitations, plus de doléances, moins de moyens et moins de compétences. »

Comme elle, les maires se sentent souvent démunis face à la fuite des compétences. « Il n’y a pas pire pour les agents, les élus, les administrés et le territoire », constate-t-elle.

« On est comme une coquille vide », se plaint Robert Azaïs qui, en plus de gérer son impuissance en tant que maire a dû faire face à de nombreuses rumeurs sur lui et sur son action à la tête de la commune. On lui prêtait notamment la construction d’une mosquée dans le bourg, la fermeture de l’école, mais également l’établissement d’un immense lotissement de 400 maisons. Que du faux. Maintenant qu’il a démissionné, il se sent mieux. « La mairie m’a rendu ma liberté, sourit-il. Je n’ai plus toutes ces contraintes. Je ne suis plus obligé de dire bonjour aux gens qui me font chier. »

Jalousie et concurrence

Mais tous les maires ne parviennent pas facilement à tourner la page. Quand on a été le premier magistrat d’une commune, retomber dans l’anonymat n’est pas chose aisée. Même dans les plus petits villages, où tout le monde se connaît et où le maire n’est ni plus ni moins qu’un habitant comme les autres.

Une fois de plus, l’argent y joue un grand rôle. Pour Robert Azaïs, l’indemnité des maires et des élus des conseils municipaux, aussi faibles soient-elles, polluent. Elles créent jalousie et concurrence. « On crée de la politique là où il y n’y en a pas, où elle n’est pas forcément nécessaire », ajoute Hélène Lacroix. Les questions financières sont généralement au cœur des débats et des problématiques que rencontrent les maires et élus en exercice.

À Marvejols, en Lozère, c’est l’énorme dette de cette commune de 5 000 habitants qui a poussé son ancien maire, Jean Roujon, au suicide en juin 2015. Son successeur, Jean-François Deloustal, démissionnera quelques mois plus tard après s’être plaint pendant plusieurs mois de la situation financière grave de la commune. Le cas de la capitale du Gévaudan a beaucoup marqué, à l’époque. Avant de retomber dans l’oubli. Pourtant, de nombreuses communes souffrent, leurs élus aussi.

Photo : Clément Buzalka/EPJT

« Le quotidien a tendance à nous accaparer, analyse Nicolas Bessière. C’est important, mais si on n’essaye pas de se poser pour faire le point sur les finances, sur les recherches de subventions et sur la structuration des projets que l’on veut mettre en place, on est très vite bouffé par ce quotidien. On ne progresse pas. »

Ce qui permet aux maires de sortir du quotidien, souvent usant et prenant, ce sont les projets. C’est ce pourquoi les maires se présentent, ce qui les anime et les passionne. Et c’est aussi ce que les habitants voient et retiennent : « Le plus passionnant, c’est d’arriver à construire et à améliorer le quotidien de la commune et des habitants par des investissements », confie Nicolas Bessière.

Assainir avant d’investir

À Gabriac, dès son élection en 2008, lui et son conseil municipal se sont attelés à assainir la situation financière de la commune avant de lancer le moindre projet. En cause, une gestion parfois moins rigoureuse de la part de l’ancienne équipe municipale et la construction d’une deuxième salle des fêtes qui a pesé sur les finances de la commune, dont le budget annuel ne dépasse pas les 400 000 euros. Alors il a fallu se serrer la ceinture : « On a regardé tous les postes de dépenses où l’on pouvait faire des économies : dans les achats, dans la gestion du personnel », détaille Sylvette Berthier-Cudeville. Le maire a même décidé de ne toucher que la moitié de son indemnité de 1 000 euros mensuels. « Le reste va à la commune, annonce-t-il. Les élus, nous sommes là pour servir, pas pour nous servir. »

Après avoir équilibré la situation financière de la commune, la plupart des investissements de la mairie ont été consacrés à l’école, « le poumon du village ». Le gros projet du premier mandat. Année après année, elle a été rénovée de fond en comble. Isolation, chauffage, création d’une salle informatique, achat de jeux extérieurs, aménagement de la cour de récréation : en l’espace de huit ans, la commune a investi plus de 100 000 euros pour son « poumon ».

Les résultats ont très vite suivi. Elle compte aujourd’hui 50 élèves, contre 26 en 2008. L’école a attiré de nouvelles familles qui sont venues s’installer dans le village. Grâce à cela, la population municipale a dépassé les 500 habitants. « L’école, c’est notre fierté, elle a bien redémarré. Je pars du principe que si elle est en perdition ou s’il n’y en a plus, c’est ensuite un village qui meurt. On peut très vite perdre en qualité de vie et en dynamisme. C’est un combat de tous les jours. »

Si Nicolas Bessière est parvenu à investir dans l’école de son village, c’est aussi parce qu’il a su se battre pour aller chercher des financements, des subventions. Aujourd’hui, la fonction se caractérise par beaucoup de relationnel. « Le travail se fait dans la mairie mais aussi à l’extérieur de la commune. Il faut apprendre à connaître les autres élus, en allant à leur rencontre », assure-t-il.

Au sein de la communauté de commune, lors de réunions ou encore lors des vœux, le maire agriculteur rencontre d’autres élus et échange avec eux. Il crée une relation tout en « vendant » sa commune. « C’est un travail de tous les jours. »

Dans les petites communes, la fonction n’a presque rien de politique. Nicolas Bessière, comme Hélène Lacroix ou Robert Azaïs, n’ont pas d’étiquette politique. « Dans ces petites communes, être attaché à un parti politique n’est pas une ressource nécessaire, développe Anne-Cécile Douillet. C’est même plutôt un atout de ne pas être encarté parce que ça serait le gage d’un maire qui s’implique plus dans la gestion locale que dans les affaires partisanes et les débats politiciens. »

Humilité, écoute et vision

Le maire d’une petite commune doit donc être polyvalent. Il est une sorte de couteau-suisse. Il doit savoir communiquer mais aussi gérer, trancher, planifier, penser l’avenir. C’est un gestionnaire, un bâtisseur, un assistant social. La fonction sollicite des compétences qui vont du droit à l’économie en passant par la gestion ou encore l’urbanisme. Anne-Cécile Douillet l’explique : « Il y a une nécessité de maîtriser un certain nombre de compétences techniques et juridiques parce que la gestion locale s’est un peu complexifiée. »

À tout cela doivent s’ajouter un ensemble de qualités personnelles. « Il faut avoir les pieds sur terre, être humble et ne pas avoir des projets démesurés. Qui va doucement va loin », souligne Nicolas Bessière. Il faut aussi avoir une vision pour l’avenir de sa commune et de ses habitants, savoir écouter et dialoguer. « Il ne faut pas s’agacer et ne pas avoir d’idées reçues avec les gens. Quand on reçoit les gens avec du calme et de la sérénité, on avance mieux. »

Il semble également que la passion doive être le moteur de l’élu. C’est ce qui lui permet de s’investir à 100 % au quotidien. Rendre service aux habitants, améliorer leur quotidien, parvenir à régler des problèmes en tout genre sont autant de sources de motivation pour l’édile gabriacois. « La passion l’emporte encore chez moi par rapport à la contrainte. Sinon il faut arrêter », conclut-il.

Retour à Ayen, en Corrèze. Dans ce village que l’adjoint au maire, Jérôme Perdrix, n’hésite pas à qualifier de « village-dortoir », la situation est plus complexe qu’à Gabriac. Le retrait des services, les fermetures de commerces et le vieillissement de la population font perdre, petit à petit, son dynamisme à la commune.

Et puis la commune est éloignée des grands axes de communication et du principal bassin d’emploi du département – il faut compter une demi-heure pour se rendre à Brive-la-Gaillarde. Le conseil municipal pourrait baisser les bras. Il n’en est rien.

Photos : Clément Buzalka/EPJT

Reportages radio : Clément Buzalka/EPJT

  • À gauche : Hélène Lacroix, maire d’Ayen (19)
  • À droite : Edith Pérot, covoitureuse d’Ayen (19)

Au contraire, il ne tarit pas d’idées et d’initiatives pour redonner de la vie au village. Grâce également au tissu associatif encore bien développé. Sous l’impulsion de Jérôme Perdrix, un système de covoiturage participatif à dimension locale, nommé Ecosystem, a vu le jour en 2013.

Les habitants peuvent ainsi proposer un trajet ou faire part de leurs demandes. Le tout est adossé à un système de monnaie locale : les passagers rémunèrent leurs conducteurs en Y’aca, à hauteur de 6 centimes le kilomètre. Sous forme de tickets, ces Y’aca peuvent ensuite être utilisés dans la plupart des commerces de la commune.

La Corrèze dans le cathéter

Le système demeure imparfait : il n’est pas encore connu ni utilisé de tous malgré la communication de la mairie. Et certains n’hésitent pas à covoiturer de manière informelle. Mais Ecosystem a le mérite, à son niveau, de favoriser le partage entre les habitants et de redynamiser le centre du bourg. Chaque année, environ 10 000 kilomètres sont parcourus grâce à cette plateforme. Cela génère plus de 500 euros, dépensés directement dans la commune. Pour cette initiative, Ayen a été primée par RMC dans le cadre de son Grand Prix des maires en novembre 2018.

Dans un autre registre, le village a été désigné pilote pour mettre en place une maison des services au public (MSAP). Celle-ci regroupe une vingtaine de services publics qui avaient disparus de la commune. Des permanences de La Poste, de la CAF ou d’autres services sont assurées chaque semaine ou chaque mois par des agents venus de Brive-la-Gaillarde.

C’est aussi dans ce lieu de vie, au cœur de la bourgade, que des habitants proposent, de façon bénévole, des cours à une famille syrienne récemment installée sur la commune. Des cours de français ou de mathématiques pour les enfants ou des cours de cuisine pour les adultes.

Gilets jaunes : remettre le maire au milieu du village

Dans le contexte de la crise des gilets jaunes, les maires retrouvent une certaine importance. Les élus les plus proches des citoyens sont plus que jamais appréciés (ou les moins détestés). Ils sont les plus à même de renouer le lien entre les citoyens et les élus. Dans son discours du 10 décembre 2018, alors qu’il s’adresse aux Français et annonce le lancement du grand débat national, Emmanuel Macron montre à quel point il souhaite s’appuyer sur les maires : « Un tel débat n’est pas seulement affaire de représentants institutionnels ; il doit se dérouler aussi partout sur le terrain et il est des interlocuteurs naturels, des citoyens qui doivent en recevoir les demandes et s’en faire les relais : ce sont les maires ; ils portent la République sur le terrain. »

Certains d’entre eux avaient déjà pris l’initiative en ouvrant dans leurs mairies des cahiers de doléances, comme le souligne Cédric Szabo, directeur de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) : « C’est nous qui avons lancé les cahiers de doléances avant que Macron ne lance le grand débat. D’ailleurs, il nous a dit qu’il avait lancé le grand débat parce qu’on avait fait ça. »

Replacés au cœur des échanges dans les grands débats, les maires peuvent nourrir des sentiments contradictoires. Si cela leur permet de revenir au premier plan grâce à leur proximité du terrain et leur cote de popularité, c’est aussi une charge de plus pour des élus qui se sentent maltraités par l’exécutif, notamment depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir.

« Il y a une forme de pression plus ou moins latente imposée par l’État, puisqu’il est effrayé par l’idée qu’il n’y ait pas de débat, relève Cédric Szabo. Il essaie de pousser en jouant de ce rapport de force qui est toujours un peu malsain entre l’État et les communes. » Et il n’est pour le moment pas question de donner plus de moyens…

Édouard Philippe remplaçait Emmanuel Macron au pupitre du 101e congrès des maires, à Paris, le 22 novembre 2018.

Photo : Clément Buzalka/EPJT

François Baroin, président de l’association des maires de France, lors du 101e congrès des maires, à Paris, le 22 novembre 2018.

Photo : Clément Buzalka/EPJT

Si, en novembre dernier, Emmanuel Macron a semblé bouder le 101e congrès des maires et la contestation des baisses de dotation et des emplois aidés par nombre d’entre eux, il revient vers eux pour apaiser la situation, car il a besoin d’eux. « C’est évident que la panique que l’on constate trouve une forme d’issue temporaire dans le fait de pouvoir s’appuyer sur des gens qui ont l’intérêt général chevillé au corps », commente le directeur de l’AMRF.

D’après le dernier baromètre de la confiance politique du Cevipof, paru en janvier 2019, 58 % des Français ont confiance en leur maire. Les autres élus arrivent très loin derrière et, à titre d’exemple, seuls 23 % des Français ont confiance en leur président. « C’est un capital qui est considérable, qui ne nous surprend pas mais sur lequel nous ne pouvons pas nous appuyer éternellement, met en garde Cédric Szabo. Notamment en nous demandant de faire le sale boulot sans rien avoir en contrepartie. »

Alors que la confiance envers tous les élus continue de s’éroder, celle des maires est repartie à la hausse, de trois points, en 2019. Cette légitimité et ce retour au premier plan pourraient les aider. Pourquoi pas en s’appuyant sur le débat national pour mettre en avant leurs revendications.

Clément Argoud

@ClementArgoud
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Clément Buzalka

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