Voyance en France

Le dessous des cartes

Photo : Amira Mahfoudi/EPJT

Les arts divinatoires ont constitué au fil du temps un secteur professionnel nébuleux en France. Échappant à la régulation des autorités publiques, la voyance en France laisse le champ libre à des instances comme l’Inad. Ce dernier veut poser et imposer les règles du jeu.

Par Amandine Ollier, Amira Mahfoudi, Florian Wozniak

France, automne 2016. Le monde de la voyance est ébranlé par l’affaire Cosmospace. Des dizaines de clients mécontents ont porté plainte contre cette société de voyance en ligne pour arnaque et démarchage abusif.

À l’époque, Nice-Matin rapportait le témoignage d’une ancienne salariée de la plateforme : « C’était un milieu de commerciaux. Il y avait des écrans qui affichaient en direct le nombre de consultations réalisées, de minutes passées et le chiffre d’affaires. […] Ils avaient un code psychologique pour ‘‘verrouiller’’ une cliente. Tout était bon pour faire du chiffre. Pas besoin d’avoir un don particulier. »

Sources : IFOP sauf pour l’information de Youcef Sissaoui.
Infographie :
Florian Wozniak/EPJT

Certains clients se sont sentis abusés par ces voyants et leurs pratiques. Ils ont alors fait appel à Me Panon pour porter plainte. Au parquet de Grasse, chargé de l’affaire, 36 procédures Cosmospace ont été enregistrées. Mais l’infraction n’aurait pas été suffisamment caractérisée et toutes les plaintes ont été classées sans suite. Toute sauf une : une plainte avec constitution de partie civile. 

Pour agréger un grand nombre de plaintes facilement, une plateforme en ligne a été créée : Action Voyance. À l’origine de cette initiative, une association avec laquelle Me Stanislas Panon est en relation : l’Institut national des arts divinatoires (Inad). Pour en savoir plus sur cette organisation, nous avons visité son site. Fondée en 1987, l’Inad dit lutter contre les manœuvres frauduleuses de certains professionnels. Il est née de la volonté de cinq hommes : Youcef Sissaoui, ancien voyant praticien, Francis Clément et Jacques Bonnaud, deux hommes d’affaires et enfin deux avocats : Mes Alain Stutz et Michel Dughet. 

« Des gens honorables »

Youssef Sissaoui est l’actuel président de l’association. Avant lui, trois personnes se sont succédé à la tête de l’Inad. Leur identité n’a pas été dévoilée. « Ils s’agissaient de gens honorables », s’est contenté de dire le quatrième président. Qui s’est montré tout aussi discret quand nous avons demandé à le rencontrer. Il a refusé de nous donner rendez-vous dans ses locaux et n’a accepté qu’un échange au téléphone. Téléphone auquel il est d’ailleurs le seul à répondre quand on tente de joindre l’Inad. 

L’institut prétend être un organe médiateur capable de résoudre les litiges entre voyants et clients. « En dehors de l’Inad, aucune association ne sort du lot. Nous tirons notre force de la connaissance du terrain et de l’ensemble des mancies divinatoires que nous maîtrisons », explique Youcef Sissaoui. Son souhait : « Redorer le blason de la voyance en instaurant des règles et des devoirs à la profession ».

Le président de l’institut est invité dans les médias chaque fois que ceux-ci s’intéressent aux arts divinatoires. De RTL à France 3, en passant par Le Dauphiné, il joue les porte-paroles de la profession. Ses interventions s’enchaînent sur les plateaux et dans les journaux depuis dix ans. 

Sources : IFOP sauf pour l’information de Youcef Sissaoui.
Infographie : 
Florian Wozniak/EPJT


Si Youcef Sissaoui est autant sollicité, c’est qu’avec Internet, l’offre de voyance s’est démultipliée. Les plateformes de voyance en ligne ont vu le jour : Spiriteo, Malingo, Avigora, etc. Des profils de voyants apparaissent même sur les réseaux sociaux comme Instagram ou Tik Tok. Plus besoin de se rendre dans un cabinet de voyance pour en savoir plus sur son avenir, un simple appel, ou une connexion sur un site, et le tour est joué. Si l’accessibilité a été facilitée, les doutes autour de la voyance perdurent. 

Selon un sondage réalisé par l’Ifop en 2020, un quart des Français ont déjà consulté un spécialiste des arts divinatoires au moins une fois dans leur vie. Parmi eux, 14 % ont eu recours à la voyance. Plus de la moitié des personnes ayant consulté un professionnel des arts divinatoires (57 %) disent n’avoir que partiellement cru ses prédictions. Mais pour Marc-Antoine Berthod, sociologue auprès de la Haute école de travail social et de la santé de Lausanne (HETSL), le recours à la voyance attire de plus en plus : « Ce qui séduit, c’est l’idée d’avoir à tout prix accès à tout et notamment à l’avenir ».

Cependant, aucun rapport ne permet aujourd’hui d’évaluer le nombre de professionnels dans l’Hexagone.
« Ils ne sont pas isolés spécifiquement dans la nomenclature d’activité française, ce qui explique que nous n’ayons pas de données à ce sujet », explique-t-on à l’Insee. Les médiums sont donc répertoriés dans les autres services divers, au même titre que les agences matrimoniales, les tatoueurs, les bagagistes et sept autres sous-catégories. 

Même interrogation autour du chiffre d’affaires du marché de la voyance. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) n’apporte aucune réponse à ce sujet. L’autorité affirme simplement que « ce domaine est surveillé de près, mais aucune enquête spécifique n’a été réalisée par nos services ».

La cristallomancie, un art qui permet de lire l’avenir dans une boule de cristal.
Photo : Amira Mahfoudi/EPJT

Les parasciences comme la voyance semblent donc évoluer en-dehors des radars des autorités. On peut d’ailleurs le comprendre en partie lorsqu’on s’intéresse à la large offre proposée aux clients intéressés par ce marché.  « Les voyants proposent des conseils en échange d’une rémunération. Le service vendu c’est de l’espoir, de l’écoute ou encore de l’attention », explique le sociologue Serge Dufoulon. Les praticiens proposent différentes spécialités : chiromancie, cartomancie, astrologie, numérologie, cristallomancie (deviner à l’aide d’une boule de cristal) ou encore tasséomancie (interpréter le fond d’une tasse de café ou de thé).

Youcef Sissaoui lui-même brosse le portrait d’une véritable galaxie : de 100 000 à 150 000 voyants, pour 4 à 5 millions de consommateurs. Quand on lui demande d’où viennent ces chiffres, il répond : « Vous savez, avec trente ans d’expérience sur le terrain, l’Inad est capable d’évaluer ce genre de choses. » Une estimation aussi rigoureuse qu’un présage dans une boule de cristal. 

D’autant que Youcef Sissaoui cite ces mêmes chiffres depuis plusieurs années. Ainsi, en 2010, Le Dauphiné annonçait déjà : « Quinze millions de consultations seraient réalisées chaque année en France par 100 000 personnes (cartomancien, astrologue, voyant). »

« Aujourd’hui, n’importe qui peut se dire voyant », se désespère Youcef Sissaoui. En effet, pour compliquer les choses, les voyants ont la possibilité de s’établir sous différents statuts, de l’association à la
micro-entreprise. Une voyante, qui préfère rester anonyme, témoigne : «
Je suis auto-entrepreneuse, j’ai indiqué mon activité à l’Urssaf sans pour autant préciser les mots voyant ou médium. » Rien n’empêche ces professionnels de se déclarer en tant que formateurs, consultants ou conseillers, les contrôles se faisant rares. Marc-Antoine Berthod parle d’ « une activité faiblement structurée et peu régulée ». 

Infographie : Florian Wozniak/EPJT

Le statut d’association est également très prisé. À la fin de l’année 2021, 346 associations inscrites au Journal officiel mentionnaient la voyance dans leurs statuts. Nous avons alors analysé 86 d’entre elles (soit un quart). Seules 25 témoignent d’une présence numérique, avec des comptes sur les réseaux sociaux, ou des sites web. Parmi ces 86 structures, 35 % sont établies dans le bassin méditerranéen.

La région Provence-Alpes-Côte d’Azur est la deuxième plus densément peuplée. Loin derrière l’Ile de France qui attire également un grand nombre de professionnels de la voyance. Cependant, lorsque l’on veut visiter leur siège social, il est impossible d’identifier leur présence depuis la rue. Toutes ces structures ont d’ailleurs des activités variées : organisation de salons, promotion des arts divinatoires, formation, etc. Certaines aspirent aussi à regrouper les praticiens. Mais cette forme d’organisation ne fait pas l’unanimité, comme en

témoigne Nathalie Lemercier, voyante qui exerce dans l’Indre-et-Loire : « Je ne fais partie d’aucune association ni de plateforme. J’ai mon éthique et je tiens à la respecter. » 

Youcef Sissaoui décrit donc partout l’Inad comme le gardien du temple de la voyance et le chasseur de charlatan. Mais son action est remise en cause. Des sources font remarquer qu’il y a « trop à faire pour qu’un seul homme s’occupe de la protection des clients et de la lutte contre les charlatans ». Des membres témoignent ne pas observer de grands résultats après leur adhésions. Mais d’autres refusent de répondre comme cette adhérente qui argue qu’il lui faut demander l’aval de son président pour répondre à nos questions.

Youcef Sissaoui se défend en affirmant avoir tout pensé afin d’encadrer la profession. Un annuaire des professionnels reconnus (par l’association) est disponible sur le site de l’Inad. Pour y figurer, les médiums doivent être adhérents de l’association et signer une charte de de déontologie, ce qui les engage à avoir de bonnes conditions d’exercice de la voyance.

En 1995, l’Institut a même tenté de mettre en place une formation à la voyance d’une durée de six mois. Au programme par exemple, des cours sur le droit des arts divinatoires. L’expérience s’est soldée par un échec, notamment à cause de son coût. Et l’Inad propose une protection juridique à ses adhérents. Ce package fait monter le coût de l’adhésion à 300 euros pour l’année.

L’oreille des présidents

Si on en croit son président, l’Inad serait même un interlocuteur privilégié des autorités françaises.
La charte morale disponible sur le site web de l’association serait également reconnue par le ministère de l’Économie et des Finances et la DGCCRF. Contactées, ces instances n’ont pas confirmé les propos du voyant à ce sujet.

Au cours de ses trente-cinq années d’existence, l’Inad aurait eu l’oreille des différents présidents de la République et de plusieurs ministères. Il en veut pour preuve une proposition de loi pour réglementer la pratique de la voyance. Celle-ci aurait été transmise à la commission des lois en 1988, par Alain Stutz, un des avocats fondateurs de l’association. Cette proposition viserait à créer une carte professionnelle reconnue qui serait décernée aux « bons voyants ». Par qui les critères d’obtention de cette certification seraient établis ? L’Inad bien sûr.

Youcef Sissaoui affirme avoir eu des retours de l’administration française concernant ce projet. À l’Assemblée nationale, aucune trace d’un tel texte. Les affirmations de Youcef Sissaoui semblent donc tout aussi douteuses que les pratiques de médiums contre lesquels l’Inad dit lutter.

Amira Mahfoudi

@MahfoudiAmira
22 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT. Passionnée par l’actualité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Passée par l’Agence France-Presse.
Souhaite devenir journaliste agencière.

Amandine Ollier

@Amandine_Ollier
24 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT. Intéressée par les sujets de politique et de société.
Passée par L’Est Républicain et
La Nouvelle République.
Se destine au journalisme d’investigation.

Florian Wozniak

@florian_wozniak
22 ans.
Étudiant en journalisme à l’EPJT. Se passionne pour l’actualité sportive et les sujets de société. Passé par Ouest-France, La Nouvelle République, Radio Campus.
Aspire à devenir journaliste rédacteur-reporter.