Souvent jugée kitsch ou désuète, la taxidermie est d’emblée associée à l’univers de la chasse. Pourtant, elle n’a eu de cesse d’évoluer. Ce savoir-faire s’émancipe de son image caricaturale et brouille les frontières entre science et art. Des taxidermistes qui se mettent à l’art aux artistes qui se mettent à la taxidermie, revue d’une pratique qui fait peau neuve. Le temps des animaux empaillés est révolu.
Par Henry Girard et Ambre Philouze-Rousseau
Photos : Henry Girard/EPJT
Tentez d’évoquer la taxidermie lors d’une soirée entre amis et vous récolterez soit quelques râles de dégoût soit quelques exclamations telles que : « Ah oui ! comme dans la maison de mes grands-parents. » Dans l’esprit de chacun, une image bien précise. Celle d’une tête de sanglier, vissée sur un socle en bois orné d’une plaque gravée de la date d’abattage de l’animal. La taxidermie est d’emblée associée à l’univers de la chasse.
Mais, avec un peu de chance, la soirée compterait un adepte d’Internet. Depuis quelques années, les pires taxidermies sont devenues les marronniers de sites internet comme Demotivateur ou Topito. Aux États-Unis, le site internet Crappy taxidermy, est entièrement consacré à ces taxidermies loufoques. Postures improbables, sourires artificiels et mises en scène abracadabrantesques, les ratés de la taxidermie prêtent à rire. Une fois encore, l’image qu’il s’en ferait serait grotesque. Car, désormais, le temps des animaux empaillés est révolu.
Pourtant, ce savoir-faire réussit à s’émanciper de cette image caricaturale et à brouiller les frontières entre science et art. Dans un atelier d’Indre-et-Loire, une bécasse est naturalisée par un artisan qui manie aussi bien la sculpture que la peinture.
Au muséum national d’histoire naturelle de Paris, artistes et taxidermistes travaillent de concert à la réalisation d’un dauphin plus vrai que nature. Dans les réserves du même musée, une apprentie réalise un costume pour le théâtre à partir d’une peau de chat. A Rouen, un artiste met en scène des renards naturalisés pour faire avancer la cause animale. Quatre animaux, dans quatre lieux, pour une seule et vaste pratique. Adieu veau, vache, cochon, la taxidermie fait peau neuve.
La bécasse de l’artisan
Sorigny, en Indre-et-Loire. Deux mille habitants et un taxidermiste : Étienne Jouzeau. Blouse blanche de laborantin et lunettes sur le bout du nez, il attend la fin du programme court de sa machine à laver. A l’intérieur, la bécasse dépouillée d’un chasseur local. Ce petit volatile des forêts au bec long et fin est en cours de naturalisation. Dix heures de travail sont nécessaires pour lui donner l’illusion de la vie.
Une fois lavé en machine, Étienne Jouzeau sèche son plumage. Ailes étirées et plumes à l’air libre, la bécasse semble vouloir s’évader. Cette attitude naturelle, Étienne Jouzeau désire la reproduire.
« Une belle taxidermie, maintenant c’est tout un art »
Etienne Jouzeau
Pour cela, il doit convoquer des compétences artistiques : le dessin pour figurer le résultat final, la sculpture pour réaliser la structure métallique qui remplacera le squelette, la sculpture encore pour créer un volume en polyuréthane (sorte de polystyrène) qui remplira le corps, la peinture pour les finitions, bec, pattes et contour des yeux.
Ces techniques artistiques sont essentielles au réalisme.« Avant, nous jugions une naturalisation à la qualité des poils et des plumes, aujourd’hui c’est la posture et les attitudes de l’animal qui comptent, affirme le taxidermiste. Une belle taxidermie, maintenant c’est tout un art. »
Le temps du séchage, la bécasse côtoie les têtes de cerfs, les lièvres campés sur leurs pattes arrière, les canards en vol et les faisans toutes plumes au vent de son atelier. Cette faune sauvage, Étienne Jouzeau la connaît sur le bout des doigts. Voilà quarante ans qu’il naturalise les animaux de sa région. Pourtant, il considère que sa technique est encore perfectible. « Il faudrait une vie pour apprendre à maîtriser tous les gestes, et une autre pour en profiter », constate le sexagénaire.
Lui qui a été le premier apprenti de France en 1982 affirme désormais prendre davantage de plaisir. « Le bénéfice de la bouteille », clame-t-il. Pour la bécasse, il est l’heure du brushing. Pour redonner du volume à ses plumes, Étienne Jouzeau pulvérise à haute pression de l’air dans le sens inverse de son plumage.
De ses quatre décennies de bouteille, il a gardé des archives. Dans des dizaines de tiroirs en plastique, il a consigné les évolutions du métier. Alors que les yeux proposés par les sociétés spécialisées ressemblaient à de vulgaires billes il y a plus de quinze ans, aujourd’hui chaque espèce possède les siens. « Nous avons atteint la perfection au niveau réalisme, analyse le taxidermiste, il n’y aura plus d’évolution à ce niveau. »
Les squelettes, comme les yeux, se sont améliorés. À ses débuts, Étienne Jouzeau devait entièrement construire la structure interne de l’animal. Aujourd’hui, des moulages en polyuréthane sont disponibles pour toutes les espèces. « Le travail est mâché », résume-t-il, résigné. Et si ces progrès techniques sont proches de leur paroxysme, la taxidermie ne cessera pas pour autant d’évoluer sur d’autres terrains.
De plus en plus, le sexagénaire met son savoir-faire au service d’artistes qui utilisent des animaux naturalisés dans leurs œuvres. Sa clientèle traditionnelle se raréfiant, cette nouvelle porte de sortie pour la taxidermie est la bienvenue. Cependant, il l’affirme, il ne « pourrait pas vivre uniquement des œuvres d’art ». Ses clients les plus réguliers restent les musées.
Le temps de séchage est une étape importante de la naturalisation
Alors qu’il attaque la structure de la bécasse et enfile un bout de fer dans chacune de ses pattes, il se souvient d’une commande en particulier. Avec deux de ses collègues, il a participé à la restauration des 5 000 pièces du musée d’histoire naturelle de Blois. Un chantier qui aura pris presque trois ans. « Plus de dix ans après une naturalisation, nous pouvons encore changer la posture de l’animal », explique Étienne Jouzeau.
Le changement de posture recouvre l’une des plus importantes évolutions de la taxidermie. Pendant des siècles, le choix de l’attitude était guidé par une vision anthropomorphique des animaux. Le gorille était régulièrement affublé d’une allure agressive, redressé à la verticale sur ses pattes arrières. Cette position lui est pourtant impossible.
Les animaux jugés dangereux et sauvages avaient toutes leurs canines à l’air, tandis que ceux considérés comme « les amis de l’homme » présentaient un comportement inoffensif. Le travail de restauration des collections comporte le renouvellement de ces postures. Ces dernières doivent représenter une action que l’animal réalise dans la nature. Ainsi, le gorille retrouve sa position assise favorite pour se nourrir et les lionnes allaitent leurs lionceaux.
Tête penchée, bec fermé, ailes légèrement dépliées, la bécasse se tient désormais sur ses deux pattes. Même si elle n’ira pas grossir la collection d’un musée mais les étagères à trophées d’un chasseur, sa posture laisse envisager qu’elle puisse prendre son envol.
Irréalisables cétacés
Photo : Nicolas Faye/Mnhn
La bécasse, dans les mains d’Étienne Jouzeau, a retrouvé son allure des beaux jours et conserve à s’y méprendre une impression de vitalité. Mais la taxidermie n’opère pas toujours cette alchimie heureuse. Nombres d’animaux n’auront pas droit à leur résurrection.
Au sein de la bibliothèque centrale du muséum d’Histoire naturelle de Paris, la conceptrice des expositions, Sophie Grisolia, le déplore. Face au dauphin, le chouchou incontesté du jeune public du musée, l’échec est sans appel : « La peau des dauphins est tellement grasse que, naturalisée, elle ressemble à un papier sur lequel on aurait laissé fondre du beurre. » Tragédie. Alors, au sein des expositions et des collections, artistes et taxidermistes travaillent désormais de concert pour pallier les limites de la taxidermie.
« Depuis l’exposition du Zizi sexuel de Zep à la Cité des sciences, les musées se dérident »
Sophie Grisolia
Dans son bureau un peu moite et au parquet grinçant, Sophie Grisolia est chargé des partenariats. Elle a été le témoin privilégiée de l’arrivée des artefacts. Avec des matériaux artificiels, taxidermistes, scientifiques et artistes travaillent main dans la main à la réalisation de faux animaux de taille réelle. Lors de l’exposition « Incroyables cétacés ! » au Muséum en 2009, la grande majorité des cétacés étaient des artefacts. Un artiste sculpteur a travaillé aux côtés des taxidermistes et des scientifiques du musée pour réaliser les têtes grandeur nature des mammifères marins.
Ce mélange des genres propose un nouvel outil pédagogique à destination du grand public. Alors que les animaux naturalisés ne supportent pas d’être tripotés, les artefacts permettent aux visiteurs d’avoir les mains baladeuses. « C’est également un moyen de rendre accessibles nos expositions aux malvoyants », ajoute Sophie Grisolia.
Les mondes scientifique et artistique œuvrent à ce que la texture de la peau soit la plus réaliste possible. « La peau du dauphin a la texture d’une botte en caoutchouc mouillée, décrit la muséologue, le sculpteur a donc travaillé pendant plusieurs jours pour imiter au mieux la réalité. »
L’arrivée des artefacts témoigne d’évolutions plus globales qui touchent les musées depuis une quinzaine d’années. « Depuis l’exposition du Zizi sexuel de Zep à la Cité des sciences, les musées se dérident, affirme-t-elle. L’art est en train de gagner sa place dans ces muséums à visée scientifique. » Ainsi de nombreux artefacts sont confectionnés afin d’émouvoir le public.
« Le dino, c’est notre Picasso »
Sophie Grisolia
Le souci scientifique n’est pas mis de côté mais laisse place à un discours de sensibilisation que l’œil artistique est capable d’aborder autrement. La pièce naturalisée devient alors une œuvre d’art à part entière et peut même devenir l’objet phare d’une exposition.
C’était le cas d’un projet de Sophie Grisolia qui ponctuait une rétrospective sur les ravages de la pollution. Une sculpture d’otarie blanche au centre d’une pièce concentrait les regards grâce à une posture particulière, celle d’un animal en détresse. L’émotion prime, les lignes du relief sont plus esthétiques qu’au naturel mais le propos renforce celui du muséum. Un impact fort au service de la science.
Mais les limites sont nombreuses et les muséologues doivent veiller à ce que les collections ne tombent pas dans le ridicule par excès d’artifice. Ainsi les artefacts permettent de proposer des expositions de dinosaures ou de dragons. « Le dino c’est notre Picasso, il attire les foules. Mais articuler un dinosaure uniquement pour le rendre spectaculaire, ce n’est pas l’objectif d’un muséum comme le nôtre. »
En 2014, le Parc des expositions de Paris avait notamment présenté un dinosaure robotisé caricatural. Le souvenir de cette machine à la gestuelle frénétique et aux rugissements de mauvaise qualité fait encore rire la muséologue. « Une exposition sans intérêt pédagogique ni scientifique. »
Le chat pour costume
’Dans la galerie de l’évolution, sous l’immense squelette de rorqual qui domine l’entrée du bâtiment, se trouve une porte sécurisée par badge. Christophe Gottini, aux allures d’Indiana Jones du siècle dernier, fait partie des rares à y avoir accès. Il est le responsable de la plateforme taxidermie et restauration du muséum.
Une fois dans les réserves, on découvre un immense bestiaire, statique, qui meuble les étagères, les tables et le sol. Souris, aigles, hiboux, bouquetins, ours… tous vous dévisagent sans cligner des yeux, retenant un souffle qui plus jamais ne sera expiré. Redonner vie à Flipper le dauphin en compagnie d’artistes n’est pas la seule raison de sa vision en ces lieux. Depuis une quinzaine d’années, il se consacre à la formation et à la transmission. Tous les ans, il s’attelle à former deux apprentis aux techniques de la taxidermie.
Il a vécu la transition du métier de l’intérieur, de l’amateurisme à la technique encadrée, entre ce qu’il décrit comme « l’affrontement des Anciens et des Modernes ». « Avec le CAP, le niveau a explosé. Cela a dépoussiéré ce milieu des vieilles traditions et la mainmise des anciens a progressivement disparu », témoigne-t-il. Libéré de ces carcans, Christophe Gottini ouvre les portes de son atelier. Alors que le métier propose de moins en moins de débouchés, il accepte de former des jeunes apprentis qui ne souhaitent pas exercer la taxidermie de manière professionnelle.
Camille, 26 ans, est l’une d’entre eux. Depuis plus d’un an, elle est une familière des réserves du muséum. Elle est intermittente du spectacle. Dans ses mains, une peau d’animal a fini de prendre son bain désinfectant. Dans les deux trous où se situaient les yeux, elle plonge ses index afin d’étendre l’épiderme. Petites oreilles triangulaires, pelage noir et gris. Aucun doute, celui qui passe bientôt sous le scalpel est un chat.
Il ne s’agit en rien d’une commande du musée sur les félins qui peuplent le sol français. Encore moins du chagrin domestique qu’un particulier voudrait immortaliser. Depuis quelques années l’apprentissage de la taxidermie change radicalement de public. Il suffit d’interroger Camille pour le comprendre.
« Les apprentis qui viennent des Beaux-arts ou des Arts décoratifs sont l’avenir de la taxidermie, ils perpétuent et font évoluer les pratiques »
Raphaël Abrille
Son CAP de taxidermie fait suite à un projet professionnel mûrement réfléchi et à un diplôme en école d’art. Car la peau de chat n’a d’autre but que de venir orner les costumes des acteurs d’une pièce en devenir. La naturalisation n’est plus une fin en soi. La jeune étudiante témoigne d’une technique en perpétuelle évolution et de notre vision moderne de l’animal. Le taxidermiste devient créateur.
Selon Christophe Gottini, l’intérêt pour la pratique des métiers artistiques est une excellente nouvelle : « ces apprentis qui viennent des Beaux-arts ou des Arts décoratifs sont l’avenir de la taxidermie, ils perpétuent et font évoluer les pratiques. » A la retraite dans quelques mois, il compte d’ailleurs profiter de son temps libre pour proposer des formations aux artistes désireux d’apprendre les techniques de naturalisation qu’il utilisait au muséum.
Car dans ses réserves, Christophe Gottini s’autorise lui aussi quelques créations excentriques, toujours dans le but de susciter la réflexion. Son œuf de mammouth a vu passer des générations de collégiens. Touffes de longs poils hirsutes et disparates, défenses et trompe courbées, son look est drôlement loufoque.
« La taxidermie est un moyen à la fois provocant et critique de réenchanter un cadavre tout en critiquant ceux qui s’attaquent aux animaux »
Raphaël Abrille
Chaque année, Christophe le présente aux classes qui visitent les réserves du musée accompagnées de leurs professeurs. « Le plus marrant c’est que les élèves tiltent tout de suite que les mammouths ne peuvent pas pondre d’œufs tandis que leurs professeurs de sciences ont tendance à douter plus longtemps », raconte-t-il, farceur.
L’œuf de mammouth de Christophe Gottini.
Parfois, les taxidermistes laissent même de côté leur impératif scientifique. « On se débarrasse du poids de la mort en riant », analyse Christophe Gottini. Le résultat a des allures d’art contemporain : une truite est habillée d’une fourrure tandis qu’un rongeur est affublé d’une minuscule trompe d’éléphant. Car il s’agit bien de cela. Le taxidermiste, sûr de sa technique, dépasse la science pour apporter un regard nouveau sur l’animal.
Petit à petit, il se rapproche de l’artiste et ces chimères confectionnées dans le secret des ateliers ne sont qu’un autre aspect de la naturalisation : celui qui permet de créer un imaginaire. Pour Raphaël Abrille, conservateur adjoint du musée de la Chasse et de la Nature à Paris, « la taxidermie est un moyen à la fois provocant et critique de réenchanter un cadavre tout en critiquant ceux qui s’attaquent aux animaux ». Pour ceux qui possèdent les techniques de la taxidermie, les possibilités sont multiples. Des possibilités que des artistes ont su percevoir.
Le renard et son maître
Dans le Vieux-Rouen, quand Sylvain Wavrant vous propose de prendre place dans son appartement, le fauteuil du salon vous est d’emblée interdit. Niché au creux du coussin, un renard dort, paisible. Sur le mur d’en face, on peut se recoiffer dans l’une des oreilles-rétroviseur d’une tête de cerf imposante.
Quand on s’approche de l’armoire à glace, on frissonne devant une rate discrète, postée sur l’une des étagères. La mine est défraîchie. Et pour cause. C’est la première réalisation de Sylvain Wavrant. La défunte Yvette est son premier fait d’arme (ou de scalpel) quand il décide d’apprendre, à l’école des Beaux-Arts de Rennes, les pratiques de la taxidermie.
« J’ai ressenti le besoin de m’attaquer à des problématiques fortes »
Sylvain Wavrant
Cette spécialisation répond à un trajet artistique nourri d’une enfance particulière. Dans la maison familiale de Romorantin trônent un peu partout de nombreux trophées de chasse. « Je suis vraiment né là-dedans et puis, plus tard, adolescent, cela me semblait ringard. J’avais envie d’être entouré d’objets neufs. »
En 2007, quand il commence ses études de stylisme, l’ONG Peta est en pleine campagne contre l’exploitation animale dans le milieu de la couture. Hors de question de travailler la peau à ce moment mais Sylvain ressent le « besoin de s’attaquer à des problématiques fortes ». Le professeur des Beaux-Arts Thierry Dupeux est la rencontre déterminante. Il lui transmet les techniques de naturalisation et le pousse à s’accomplir dans un retour aux origines.
Il se tourne vers la création de costumes dans lesquels il intègre des peaux et des fourrures. Ses bijoux et accessoires naturalisés sont autant de parures qui donnent à celui qui les porte une dimension chimérique comme pour insister sur la bestialité de chacun.
Cette bestialité est perçue immédiatement par le metteur en scène Thomas Jolly. Pour Richard III qu’il compte adapter, il fait appel à l’artiste pour traduire en costumes les mots de Shakespeare : les insultes animalières donnent naissance à des tenues ornées de poils et de plumes.
Au fil du temps et des rencontres, il étoffe sa collection. « Des particuliers me rapportent chaque année une trentaine d’animaux, raconte-t-il fièrement. Et des fois je reçois des messages sur Facebook de gens qui habitent un peu partout en France et qui ont croisé un cadavre sur le bord d’une route. » Un avantage pour celui qui voyage uniquement en transports en commun car il ne souhaite pas passer le permis de conduire. Difficile en effet de demander à un chauffeur de bus ou à un conducteur de train de s’arrêter pour qu’il puisse recueillir les animaux morts croisés sur le chemin.
Avec de plus en plus de spécimens à sa disposition, l’artiste commence à voir plus grand. Tout en continuant à réaliser des accessoires de mode, il se lance dans des installations artistiques. L’occasion d’affirmer le caractère politique de son œuvre.
« Je travaille uniquement avec des espèces non-protégées et des animaux morts accidentellement ou naturellement », détaille-t-il. Parmi ces derniers, il déniche son animal fétiche : le renard. Il sera de toutes ses expositions. A la suite d’un rêve, il met en scène La colline au renards au festival Normandie Impressionniste. Dans une ambiance lunaire, un arbre mort surplombe une dizaine de renards allongés paisiblement sur l’herbe d’une prairie verdoyante. Ces renards endormis détonnent par rapport aux réalisations des taxidermistes classiques. Sylvain Wavrant l’affirme, il veut « dépoussiérer la taxidermie ».
Dans sa nouvelle exposition intitulée ROADKILL, il veut interpeller le public : « Les accidents de la route sont la première cause de mortalité de la faune sauvage », affirme-t-il. Exposées à la Fabrique des savoirs d’Elbeuf, ses installations se veulent percutantes. Les visiteurs sont immédiatement mis au parfum lorsqu’ils découvrent un renard allongé sur l’asphalte, recouvert d’une couverture de survie dorée. Des réalisations plus trash qui dénotent avec son travail des débuts. « Secouer les gens s’avère plus efficace pour les faire réagir », ajoute-t-il.
Sa prochaine cible ? L’industrie de la fourrure : « Des millions d’animaux sont tués pour leur fourrure, on écorche des chiens à vifs pour que leur poil soit plus dru et que la fourrure soit plus dense », s’indigne Sylvain Wavrant. Pour alerter le public, il a déjà son installation en tête : « Je vais recréer une scène habituelle dans l’industrie de la fourrure : un charnier de bêtes dépecées à quelques mètres duquel vivent celles encore vivantes qui viendront rapidement le remplir. »
Quitte à vendre la peau du renard avant de l’avoir naturalisé, il y a fort à parier que l’œuvre de Sylvain Wavrant aura sa place au musée de la Chasse et de la Nature. ●