Cosmétiques

L’effet placebio

Les cosmétiques biologiques sont de plus en plus présents dans les rayons des grandes surfaces.

De plus en plus de Français changent leurs habitudes en matière de beauté et se tournent vers des produits plus respectueux de l’environnement. Les industriels suivent le pas, les produits cosmétiques bio se propagent sur le marché. Mais les garanties d’obtenir un vrai produit naturel et bio sont minces.

Par Manon Bernard, Bastien David et Marie-Elisabeth Desmaisons (photos)
Illustrations : Adèle Martin/Académie Brassart-Delcourt.

auver la planète commence par des gestes simples. Vous le savez, on vous l’a déjà assez répété. C’est pourquoi vous mangez bio dans la mesure du possible, vous faites du vélo, vous vous démaquillez avec des cotons réutilisables… et vous utilisez des produits cosmétiques bio. Le matin, dans votre douche, vous avez un savon et un shampoing biologiques, le packaging est vert et ils sont labellisés. Pas de doute.

Devant votre miroir, vous vous maquillez à l’aide d’une crème de jour, d’un fond de teint ou d’un mascara où sont dessinées de petites fleurs fraîches, coiffées de l’en-tête « biologique ». Le soir, vous vous démaquillez, la conscience tranquille, à l’aide d’un démaquillant respectueux de la nature, emballé dans un plastique recyclable (c’est écrit dessus).

Mais attention, ne retournez JAMAIS ces produits. Vous vous rendriez alors compte que votre savon et votre shampoing ne contiennent que 20 % de produits bios, que votre crème de jour et votre fond de teint n’en contiennent que 30 %, et que votre démaquillant ne respecte pas autant la nature qu’il le proclame innocemment.

Malgré les labels en tout genre et les packagings vertueux, la cosmétique bio a encore du chemin à faire. Des laboratoires où naissent chaque jour de nouveaux produits aux étals des supermarchés, retour sur un processus de labellisation qui n’est pas aussi vert qu’il en a l’air.

Le processus de fabrication de Labo-hème est essentiellement manuel, jusqu’à l’étiquetage des produits.

Ouvert en 1994 et implanté à Vierzon depuis 2006, Labo-hème produit des savons biologiques et différents produits de beauté. Son directeur, Michel Pobeda, a obtenu la mention de l’association Nature et Progrès. Ses produits répondent à un cahier des charges élaboré par cette association.

Cette dernière impose au minimum 95 % de matières premières issues de l’agriculture biologique dans la substance totale. Pour Michel Pobeda, il n’est pas question de faire certifier ses cosmétiques par d’autres organismes. Il pointe du doigt les « normes paradoxales » qu’imposent les labels.

Ces labels, des structures privées, ont toute autorité pour décider qui sera estampillé « bio ». Ils sont même créés par les entreprises du secteur qui mettent en place leur cahier des charges, avec plus ou moins de bonne volonté. Exemple : le label Cosmébio a mis au point le sien en 2002. 

Michel Pobeda est le gérant de l’entreprise Labo-hème. Cette savonnerie de Vierzon est estampillée Nature & Progrès et fournit plusieurs sociétés. L’entreprise possède sa propre marque, Codina, ainsi qu’une boutique dans le XVe arrondissement parisien.

À la lecture du document, on découvre que seulement 20 % d’ingrédients issus de l’agriculture biologique sont requis pour qu’un produit soit labellisé par Cosmébio. Marine Pentecôte, chargée de communication du label se justifie : « Un shampoing, par exemple, contient au moins 80 % d’eau et c’est un ingrédient qui ne peut pas être biologique. » 

Sarah Goléo, chimiste de formation, a lancée en janvier 2020 sa gamme de cosmétiques, Odaloire. Elle dément que l’eau soit un problème. « Elle peut être remplacée par des hydrolats, c’est-à-dire de l’eau distillée et chargée de principes végétaux. Cette eau est certifiée biologique, mais elle coûte beaucoup plus cher. »

Ce qui est le plus inquiétant, c’est la création de ce type de labels par des entreprises privées.

Marine Pentecôte est chargée de la communication de Cosmébio au moment de l’enquête. Le label Cosmébio a été fondé en 2002, sous forme d’association, par des entreprises de la cosmétologie.​

C’est ce qu’explique Laurence Coiffard, experte en cosmétologie à l’université de Nantes : « Ce n’est forcément pas des considérations scientifiques qui ont présidé à placer les curseurs lors de l’élaboration du cahier des charges. Ce ne sont pas des scientifiques qui sont à l’origine de ces labels, ce sont des personnes issues du marketing. »

Ainsi, au conseil d’administration de Cosmébio, on retrouve – entre autres – Romain Ruth, directeur général de la marque Florame, ou Valérie Demars-Marcadet, vice-présidente et directrice du laboratoire Léa Nature. Celui-ci est l’un des plus puissants dans la filière du bio en France.

Ancienne ingénieure, chimiste de formation, Sarah Goléo a décidé de créer sa marque de cosmétiques biologiques. Odaloire, une gamme de crèmes fabriquées à partir d’ingrédients naturels et locaux, a ainsi vu le jour début 2020.

La présence d’un label bio sur un produit cosmétique ne garantit pas qu’il le soit effectivement.

A la question « peut-il y avoir des soucis de collusion ? », Marine Pentecôte botte en touche : « Nous sommes salariés de l’association, nous n’avons pas de lien avec les marques. » Et lorsqu’on insiste pour s’entretenir avec les gérants des marques en question, on se heurte à des portes sont closes.

Pour les petits producteurs, la question de la labellisation est un vrai dilemme. Certes, la visibilité qu’elle apporte n’est pas négligeable, mais cela implique aussi d’être associé à un cahier des charges plutôt léger. Le système est de plus assez verrouillé : il est très difficile pour eux d’obtenir une certification puis une labellisation. Une des raisons à cela, outre l’éthique : le prix.

Sarah Goléo s’est confrontée à ce processus. « La labellisation coûte 1 000 euros par produit chez Cosmébio. Tandis que chez Nature et Progrès, c’est environ 300 euros par laboratoire. Je n’ai pas envie de participer à ce genre de business. » Même son de cloche chez Flore Milliotte qui a créé la marque de savons bio Arbaurea à Saint-Amé, dans les Vosges. « Je n’ai pas poussé très loin au niveau de la procédure de labellisation. Le coût était trop important pour moi. »

Formée en tant qu’ingénieure en sciences et technologies de l’eau, Flore Milliotte a crée sa marque de cosmétique en 2013, Arbaurea. Elle souhaite produire des savons naturels et biologiques.

Ces mêmes petits producteurs vont jusqu’à boycotter ces labels, les accusant d’un certain entre-soi et de ne pas être assez contraignants dans leurs cahiers des charges. Aurélie Gasnier est productrice de cosmétiques naturels et bios à Tuffé, dans la Sarthe. Elle confie : « Le lobbying du bio est très présent, il ne faut pas l’oublier. Les grands industriels arrivent avec un chèque sur la table. Forcément, ils ont plus de pouvoir. Donc ils vont autoriser certains ingrédients ou des produits qui sont en opposition totale avec le bio et le naturel. En tant que petite productrice, je ne suis pas d’accord. Je préfère boycotter. »

Elle continue : « Il y a des grands labels qui ne collent pas à mon état d’esprit, par exemple Ecocert. Le cahier des charges est trop laxiste. Donc cela veut dire que je vais être sur le même label que quelqu’un qui sera à 20 %, alors que je veux être à 100 % de bio. Ça nous décrédibilise. »

De fait, la réglementation autour des produits cosmétiques biologiques est pour le moins poreuse. En Europe, il existe la norme ISO 16-128. Approuvée en 2017, elle fait des mécontents dans les milieux de la cosmétique.

Elle ne fait que déterminer un mode de calcul des doses d’ingrédients biologiques dans les produits, sans réellement fixer un seuil d’utilisation de certaines substances éventuellement nocives. De plus, elle ne dresse aucune liste de produits dangereux ou interdits. En France, il n’existe pas de législation pour encadrer la production de cosmétiques biologiques.

Seul le fait de mentionner le mot « bio » sur un produit commercialisé est régulé par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Celle-ci  propose deux solutions. Soit le produit en question soit 100 % bio (ce qui en cosmétique est presque impossible). Soit il se revendique d’un organisme certificateur ou d’un cahier des charges au moins aussi contraignant.

Or la plupart des organismes certificateurs, sont, comme Cosmébio, peu regardants sur la composition des produits. Ainsi, beaucoup de producteurs peu scrupuleux utilisent cette faille pour pouvoir vendre leur produits avec un packaging « bio ».

Aurélie Gasnier a créé sa savonnerie artisanale en 2014, à Truffé. Elle crée sa marque La Nature de Lilie et s’installe dans le sous-sol de sa maison. Elle a choisi de produire des savon 100 % naturels et de privilégier les produits locaux. Elle refuse de se faire labelliser « bio » par de gros organismes.​

Michel Vialay, député LR des Yvelines, fait le même constat . Il a récemment présidé une mission d’enquête commune à l’Assemblée nationale sur les perturbateurs endocriniens dans les contenants plastiques, notamment ceux des cosmétiques. « L’étiquette “bio” est maintenant utilisée dans tous les sens. C’est devenu un argument de marketing. Est-ce qu’un produit avec 20 % de produits bio est bio ? Est-ce qu’il est sain d’avoir 20 %, 50 % ou 80 % de bio dans le produit ? De plus, la notion de “bio”, peut être remise en question quand vous avez des producteurs qui viennent d’un peu partout. »,  explique le député.

Michel Vialay est député LR de la 8e circonscription des Yvelines depuis juin 2017. Il a présidé une mission d’enquête commune à l’Assemblée nationale sur les perturbateurs endocriniens dans les contenants plastiques, notamment ceux des cosmétiques.​

Les produits bios se révèlent souvent moins efficaces que les autres et parfois même plus dangereux.

Mais le problème va encore plus loin : la certification des grandes marques pourraient être assimilée à de la publicité mensongère. L’efficacité chimique des produits est remise en question par Laurence Coiffard.

Pour elle, « les produits bios sont globalement pires que les autres. Il y a plus de risques d’avoir des allergies. Ils font partie des pires produits du marché. C’est pour cela qu’un dermatologue ne conseillera jamais un produit cosmétique bio. » Pour la chercheuse, les marques s’appuient sur un « marketing de la peur », qui pousse à mettre en avant des produits estampillés « sans » (parabène…), jusqu’à en faire disparaître les principaux agents chimiques actifs. 

Pis, comme l’a montré une étude d’UFC que choisir de juillet 2019, les crèmes solaires bios se révèlent peu efficaces contre les UVA, ce qui peut s’avérer dangereux pour la peau.

Laurence Coiffard est maîtresse de conférences en pharmacie à l’université de Nantes. Elle dirige notamment des recherches en dermocosmétologie. Spécialiste de la cosmétologie, elle a également créé le blog Regard sur les cosmétiques avec Céline Couteau.

Face à ce système, beaucoup de ces producteurs ont préféré se tourner vers Nature et Progrès, Natrue ou Slow Cosmétique. Nature et Progrès est une structure qui délivre des mentions et non des labellisations. Sa présidente, Eliane Anglaret, explique que la démarche est fondamentalement différente.

« Nous pratiquons un système participatif de garantie, si bien que nous fonctionnons avec un duo consommateur-producteur. Nous avons un cahier des charges. Nous avons aussi une charte qui draine une vision plus large de l’écologie et prend en compte le transport, la gestion des déchets, l’origine des semences et tous ces aspects plus larges. C’est toujours délicat de codifier ces choses, c’est un idéal vers lequel on tend. »

Nature et Progrès fait partie de l’IFOAM – Organics International, un organe de promotion de l’agriculture biologique. Lui aussi a mis en place un cahier des charges assez strict. Pour beaucoup de petits producteurs, ces mentions revendiquent un vrai « lien avec la terre », elles sont plus proches de leurs préoccupations.

Pour l’instant, cela reste complexe de produire quelque chose de totalement bio. « Dans beaucoup de domaines de la cosmétique, le 100 % bio est pour l’heure impossible, concède Eliane Anglaret. Par exemple le savon demande obligatoirement du soufre et de la potasse. Mais nous cherchons à expérimenter pour atteindre notre objectif. »

Eliane Anglaret est présidente de l’association Nature & Progrès. Celle-ci, née en 1964, prône une agriculture biologique et unn changement des modes de production. Elle appose une mention aux entreprises cosmétiques qui le demandent et qui respectent son cahier des charges.

Sur le marché des cosmétiques « bio », c’est deux salles deux ambiances. Comme l’exprime Michel Pobeda, directeur de Labo-hème : « Tant que les grands nous laissent une porte d’entrée pour vivre de nos produits et mener nos expérimentations, cela nous convient. Je ne veux juste pas être assimilé à eux. »

Les coulisses de l’enquête en BD

Marie-Elisabeth et Bastien au laboratoire Labo-hème

Manon et Bastien lors d’une interview avec le label Cosmébio

Micro trottoir d’Adèle et de Bastien sur la consommation de cosmétiques bios

La bande dessinée a été réalisée dans le cadre d’un partenariat entre l’Ecole publique de journalisme de Tours et l’Académie Brassart-Delcourt

Manon Bernard

@manon_bernard_
23 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
Passionnée par les sujets de société notamment les mouvements sociaux, les questions de genre, d’égalité femmes-hommes et de santé.
Passée par Le Dauphiné Libéré, Lyon Capitale, L’Humanité et Ouest-France.
Se destine au journalisme web ou à la presse écrite.

Bastien David 

@BASTIENDavid17
23 ans.
Etudiant en journalisme à l’EPJT.
Passionné par l’histoire et la politique.
Passé par Sun Radio et Ouest-France.
Se destine à la presse écrite et web.

Marie-Elisabeth Desmaisons

@DesmaisonsMe
23 ans.
Etudiante en journalisme à l’EPJT.
Passionnée par la littérature, la culture moyen-orientale
et la sauvegarde du patrimoine.
Passée par Sud-Ouest, Ouest-France et RCF Touraine.
Se destine à la presse magazine et la radio.