Presse quotidienne régionale,

un podcast à tout prix

Photo : Lorane Berna/EPJT

La presse quotidienne régionale s’est mise, il y a deux ans, à produire des podcasts. Le but ? Élargir son offre numérique et rajeunir son audience. Mais les investissements des journaux de PQR ne sont pas toujours à la hauteur de leurs ambitions.

Par Lorane Berna

J​e pense qu’il y a un petit effet de mode. Avant, la forme éditoriale que tout le monde voulait faire, c’était le webdocumentaire. » Maintenant, c’est le podcast. Pour [simple_tooltip content=’Début 2019, quand de nombreux journaux de PQR se lancent dans l’aventure du podcast, elle dresse un état des lieux de la situation et des enjeux.’]Maëlle Fouquenet[/simple_tooltip], journaliste et ex-responsable des formations numériques à l’école de journalisme l’ESJ Pro, le « buzz » autour des podcasts explique, en grande partie, qu’autant de titres de presse quotidienne régionale (PQR) se soient lancés dans l’aventure ces deux dernières années .

« Nous ne voulions pas laisser le train partir sans nous, reconnaît Benjamin Brehon, journaliste et chef du pôle audio-vidéo du Télégramme. Un journal comme le nôtre, de référence sur la pointe de Bretagne, ne peut pas être complètement absent sur ce genre de produit. »

Les journaux de PQR sont également encouragés à franchir le pas grâce aux « belles réussites de la presse nationale, notamment de la presse étrangère, explique Maëlle Fouquenet. Car en effet, cela a l’air tout simple et facile à faire : on met des gens autour d’une table, on ouvre un micro et c’est parti. » De quoi rassurer et inciter la presse écrite à se tourner vers ce média audio, jusque-là encore plutôt inconnu pour elle.

Les titres régionaux se lancent donc dans le podcast. Le plus souvent sous l’impulsion d’un journaliste prêt à se lancer. À L’Yonne Républicaine, par exemple, c’est Grégoire Molle qui a proposé ce format à sa rédaction en chef : « J’avais envie de faire du podcast parce que c’est un format qui m’intéresse. » Tout simplement.

Mais produire des podcasts, cela permet aussi d’étendre le champ de compétences et d’activités de cette presse. « La stratégie globale du groupe Sud Ouest est de se tourner de plus en plus vers les supports multimédias pour contrecarrer la chute des ventes papier. L’accent est donc davantage mis, au fil des années, sur le développement de l’offre multimédias, de notre production et des supports numériques », explique Marine Ditta, journaliste chargée de l’audio et de la vidéo à Sud Ouest.

Pour elle, c’était une évidence : après le web et la vidéo, le son. La production audiovisuelle intègre une stratégie numérique à part entière dont l’objectif est d’élargir le public. Aussi bien en termes de nombre que de cible.

Le podcast est un format principalement écouté par les jeunes. Avec leur production, la PQR espère rajeunir son public : « Avoir un podcast peut nous permettre de toucher une audience plus jeune », confirme Grégoire Molle. Ce qui devient urgent : 44 % du lectorat de PQR a plus de 60 ans (Source Alliance pour les chiffres de la presse et des médias, 2017).

« Test and learn »

« Tous ces éléments cumulés ont fait que les titres de PQR ont tous plus ou moins essayés, de manières très différentes. Certains en y investissant vraiment, d’autres pas trop », constate Maëlle Fouquenet. Aujourd’hui encore, la plupart des journalistes qui se sont mis au podcast pratiquent une stratégie de « test and learn ». Celle-ci consiste à tester plusieurs choses différentes et voir ce qui fonctionne, ou pas.

Elle s’applique même aux grands groupes de presse comme Ouest-France. « Nous n’allions pas du tout vers quelque chose de complètement arrêté. En fait, nous ne savions pas du tout où nous allions. Pour nous, il fallait tester et voir s’il y avait de l’appétit d’écoute. Si cela n’avait pas marché, s’il n’y avait eu aucun auditeur, nous aurions arrêté au bout de trois mois. Mais cela n’a pas été le cas », commente Édouard Reis-Carona, rédacteur en chef délégué en charge du numérique et de l’innovation du groupe.

Certains, comme Delphine Noyon, directrice départementale adjointe de La Nouvelle République et Centre-Presse Vienne, se renseignent quand même sur le marché : « J’ai fait un benchmark : j’ai regardé ce que tous les journaux de PQR faisaient en podcast. Honnêtement, en décembre 2018, il ne se passait pas grand-chose. Cela m’a pris quelques heures. Aujourd’hui, cela me prendrait beaucoup plus de temps je pense. Ce qui était intéressant de voir, c’est que ça tâtonnait pas mal. »

Peu d’investissement pour peu de risques

Aucun investissement de grande ampleur n’a été effectué pour toutes ces expérimentations. D’ailleurs, beaucoup de journaux se lancent dans le podcast parce que ça ne coûte rien ou presque. Souvent, les rédactions utilisent le matériel vidéo (micros) déjà disponible et des logiciels gratuits de montage pour produire leurs sujets.

Au Télégramme, Benjamin Brehon défend une stratégie bien particulière : « Je suis un fervent partisan de l’outil unique et, pour moi, l’outil unique, c’est le téléphone portable. » Le format largement privilégié est celui du plateau, du talk, qui demande peu de matériel et de compétences. Des journalistes-spécialistes et des invités-experts se réunissent autour d’une table et d’un micro pour discuter d’un sujet bien spécifique.

À Sud Ouest, le podcast « Les quatre saisons du vin » est produit sur ce modèle.  Les journalistes Mathieu Hervé et César Compadre, responsables de la rubrique vin, discutent pendant quinze minutes de questions viticoles dans le Bordelais. L’enregistrement se fait au sein de la rédaction de Bordeaux. « C’est vraiment du bricolage pour l’instant, explique Marine Ditta. Le journal a récupéré des micros de la chaîne de télévision du groupe TV7. Après, on a simplement acheté un Zoom H6 pour brancher le tout et avoir une carte son. Et on enregistre comme ça, dans une salle qui ressemble plus à une bulle pour se mettre à l’écart et téléphoner qu’à un vrai studio podcast. »

Le vin, le rugby, le cyclisme et les Girondins de Bordeaux sont des sujets qui rencontrent un public important dans la région et sur lesquels Sud Ouest peut compter. Photo Lorane Berna/EPJT

Mais ce format audio, s’il ne demande pas beaucoup de moyens matériels, est plus exigeant pour ce qui est des moyens humains. Notamment concernant le temps de travail. Aussi bien pour préparer, enregistrer que monter le podcast.

Ce temps est bien souvent sous-estimé par les rédactions. Les podcasts ne parviennent à se faire que grâce à la motivation des journalistes. « Le montage prend beaucoup de temps et c’est quand même encore pas mal de travail personnel. Nos responsables nous libèrent quand même du temps, surtout pour réaliser les interviews », souligne Grégoire Molle.

Un format peu rentable

Si les rédactions semblent peu enclines à investir dans ce nouveau format c’est aussi parce que, aujourd’hui, il ne rapporte rien. Aucun titre (ou presque) de PQR n’a mis en place de monétisation de ses podcasts. Principalement parce qu’ils sont encore presque tous dans une phase de test. Ils réfléchissent néanmoins aux différentes façons de gagner de l’argent avec – ou du moins de financer – leurs podcasts.

Le partenariat (sponsoring en anglais) semble être la solution privilégiée. « Nous cherchons des annonceurs qui correspondent au programme et nous leur demandons de devenir partenaire. C’est ce que nous avons fait pour le 75e anniversaire du débarquement. Nous avions le Mémorial de Caen comme partenaire, raccord avec la thématique », explique Édouard Reis-Carona. Une stratégie également défendue par Maëlle Fouquenet : « La PQR faisant assez peu d’audience, il faut la qualifier au maximum et la vendre en sponsoring. »

 

Un modèle préféré à celui du « pré-roll », c’est-à-dire l’annonce d’un message publicitaire en début de podcast  – qui prévaut généralement dans les studios indépendants – pas adapté aux réalités du marché en PQR. « Contrairement aux gros acteurs de podcasts, pour le pré-roll classique, on n’a pas du tout les audiences pour pouvoir prétendre à ce type de modèle économique », souligne Marine Ditta.

Ce travail de partenariat doit se faire en étroite collaboration avec la régie publicitaire. Une chose à laquelle les journalistes sont peu habitués mais qui peut les aider à améliorer leur travail : « Les partenaires pourront financer une partie de la production et nous permettront éventuellement, si ce modèle fonctionne bien, de pouvoir améliorer notre offre d’un point de vue qualitatif. Détacher des journalistes, faire des choses un peu plus concrètes », note Marine Ditta.

À la recherche de la plus-value

Produire un podcast de qualité, c’est évidemment ce que tous espèrent en se lançant. « Nous avions un peu regardé ce qui se faisait, surtout dans une idée de ne pas tomber dans le piège de “on va faire du podcast pour faire du podcast” », insiste Marine Ditta. Et, en la matière, les podcasts réalisés par Grégoire Molle  à L’Yonne Républicaine sont souvent cités en exemple.

Ils ont notamment été source d’inspiration pour Delphine Noyon à La Nouvelle République. « Il avait vraiment fait des super projets. Cela ressemblait vraiment à ce que j’avais envie d’entendre en PQR. C’est-à-dire du reportage et du rédactionnel. » La presse quotidienne régionale est à la recherche de la plus-value. Ce qui vaut le coup de lancer un podcast.

Pour Maëlle Fouquenet, le véritable enjeu en PQR « c’est de créer des podcasts de qualité avec une vraie ligne éditoriale ». Et il est nécessaire de toujours garder sa cible en tête.

« Même si on essaye d’avoir une touche, une patte, on est d’abord là pour raconter de l’information, des histoires et faire en sorte que ces contenus correspondent à ce qu’attendent d’abord les gens qui connaissent Ouest-France, à notre public », souligne Édouard Reis-Carona. Une réflexion étonnante quand on sait que l’objectif de Ouest-France, et des autres journaux de PQR, est de rajeunir leur audience.

Faire du podcast en pensant que le format seul suffit à attirer un public plus jeune, « cela me paraît un peu juste, considère Maëlle Fouquenet. Il faut réfléchir à des contenus éditoriaux pertinents par rapport au public qui en est usager. Il n’y a pas un titre, par exemple, qui ait une série sur la sexualité des 15-24 ans sur leur territoire. »

La plupart du temps, les podcasts de PQR se contentent de reproduire le même type de contenu déjà présent dans l’édition papier. « Quand nous avons lancé les podcasts, nous nous sommes dit que nous voulions partager notre expertise et les voix que nous voulions faire entendre en tant que presse PQR mais qui pourraient aussi intéresser au-delà de nos frontières », explique Marine Ditta. La presse régionale, dans son ensemble, capitalise sur des thèmes locaux importants.

Qualité et communication, des enjeux à ne pas négliger

Dès que le confinement a été annoncé par le gouvernement à la mi-mars 2020 suite à la crise de la Covid-19, un grand nombre de journaux de PQR ont lancé un podcast sur le sujet. Pour des raisons sanitaires évidentes, la plupart des interviews ont été enregistrées via un téléphone. « Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire. Mais quel est l’intérêt ? Parce qu’en podcast, il faut quand même qu’il y ait une qualité sonore qui donne envie de rester », s’étonne Maëlle Fouquenet.

Pour son travail à L’Yonne Républicaine, Grégoire Molle a réfléchi à la meilleure façon de travailler le son, avec les moyens qui lui étaient alloués : « Ce que j’ai fait en PQR pour l’instant reste relativement modeste en terme de son. C’était du reportage, donc j’ai réfléchi à comment j’allais récupérer les sons, etc. Mais cela reste des petites touches. » La PQR s’est encore peu penchée sur la production de reportages.

C’est un genre plus élaboré qui demande plus de temps, un matériel de meilleure qualité et des compétences (prise de son, montage, écriture sonore). Une direction que certains, comme Sud Ouest, commencent à prendre. « L’étape suivante ce sera de faire des podcasts de terrain. Mais, aujourd’hui nous n’avons pas les capacités en ressources humaines pour produire ce type de série », regrette Marine Ditta.

Aujourd’hui, l’enjeu pour les rédactions de PQR est de faire connaître leur offre. « La difficulté en podcast c’est la curation, c’est de faire savoir que notre podcast est sorti, qu’il est bien, qu’il est écoutable », constate Édouard Reis-Carona. Les studios de podcasts et les radios nationales apparaissent toujours en premier sur les plateformes de streaming (Apple podcast, Spotify, etc.).

Pour faire face à cela, Ouest-France a capitalisé sur une offre abondante et un public déjà important. Mais Maëlle Fouquenet regrette parfois la qualité de l’offre éditoriale : « Faire un podcast à partir d’une émission de télé, juste en reprenant le son, je ne trouve pas que ce soit très intéressant. »

Une solution envisagée par l’experte, et employée par quelques titres de PQR, serait de faire appel à l’expertise et au réseau des studios de podcasts comme Binge Audio ou Insider Podcasts, par exemple, pour des coproductions.

Mais les groupes régionaux rechignent à faire appel aux studios parisiens car ils souhaitent garder leur couleur locale. « C’est aux titres de PQR de faire un cahier des charges cohérent et en même temps de profiter de l’expertise dans le domaine du podcast, de gens qui le font et pour qui cela marche. Binge a des énormes audiences », explique Maëlle Fouquenet.

Le groupe EBRA prend d’ailleurs cette direction et va lancer une offre de podcasts originaux cette année avec le soutien d’Acast. Acast est un hébergeur de podcasts et possède une régie publicitaire qu’il compte mettre au service du groupe de presse pour développer une stratégie d’élargissement et de monétisation de ses audiences.

Reste à voir si ce pari du podcast sera gagnant, pour EBRA, et pour la PQR d’une manière générale. Il est encore un peu trop tôt pour le dire.

Pour aller plus loin

Lorane Berna

@LoraneBerna
26 ans
Vient de terminer son Master de journalisme à l’EPJT,
spécialité radio.
Passée par France Inter, RCF 41 et Sud Ouest.
Actuellement à La Renaissance du Loir-et-Cher.
Passionnée par les sujets de société, le sport et la cuisine… En podcast, c’est encore mieux !