Le petit écran en manque de variété

Zoom sur le groupe public : france.tv

Photo : Gilles Scarella/France Télévisions

Vingt ans que l’on discute du manque de diversité à la télévision et que France Télévisions participe au débat. Malgré des avancées notables, il est encore difficile d’affirmer que toute la société est représentée sur nos écrans. Un manque qui en dit long sur la représentation médiatique et sociale de la France.

Par Marie Lebrun

L​a diversité sera le fil rouge de mon mandat », affirmait Delphine Ernotte devant les membres du jury du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le 21 juillet 2020, lors de l’audition pour sa réélection. Quelques jours plus tard, la présidente de France Télévisions est réélue pour un deuxième mandat de cinq ans. « Je pense qu’elle s’est sentie obligée de le dire car le CSA l’a mise face à ses manquements. Mais je ne pense pas que la représentation de la diversité soit le souci n° 1 du groupe public », réagit Marie-France Malonga, sociologue des médias et experte des questions liées à la diversité.

Cela fait plus de vingt ans qu’un appel à la diversité a été lancé dans les médias et plus particulièrement à la télévision. Vingt ans que France Télévisions dit travailler sur le sujet afin que les contenus d’informations, comme ceux qui les fabriquent, soient plus représentatifs de la société française. 

« La présidente Delphine Ernotte, comme tous les présidents avant, dit promouvoir la diversité. Maintenant, dans les faits, ce n’est toujours pas ça »

Olivier Harland, France Télévisions

Une jolie promesse, mais qui sonne comme un énième effet d’annonce. « La présidente Delphine Ernotte, comme tous les présidents avant, dit promouvoir la diversité. Maintenant, dans les faits, ce n’est toujours pas ça », constate Olivier Harland, directeur du projet Mission différence au sein des rédactions de France Télévisions. Celui que l’on appelle « M. Différence » se bat depuis quarante ans dans la maison pour plus d’inclusivité à l’écran. Au quotidien, il travaille avec des associations de terrain pour rendre compte de leurs actions auprès des rédactions.

« Je ne jette pas complètement la pierre à France Télévisions. Ils ont des initiatives intéressantes, admet Marie-France Malonga. En vingt ans, la télévision s’est colorée, c’est indéniable. » En interne, des postes dédiés à la promotion et à la représentation de la diversité, comme celui d’Olivier Harland, se sont créés. Seulement, le changement est difficile à constater sur les écrans. En attendant, les Français délaissent la télévision, estimant qu’elle est un miroir déformant de la société.

Des chiffres qui n’évoluent pas

A la suite de la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, en 2005, les images des émeutes dans les quartiers de Clichy-sous-bois tournent en boucle dans les journaux télévisés. Les médias audiovisuels se retrouvent face à leurs carences : le traitement médiatique réservé aux quartiers populaires est réducteur et uniquement anglé sur la violence.

L’année suivante, Jacques Chirac, alors président de la République, fait voter une loi qui impose au CSA « un contrôle des programmes ». Leur mission : refléter la société française. Le premier baromètre de la diversité est lancé en 2009. La dernière étude est sortie en septembre 2020 et porte sur l’année 2019.

Douze ans après, les chiffres ont à peine évolué. « Certains résultats sont décevants, voire inacceptables en 2020 », s’insurgeait Carole Bienaimé-Besse, membre du CSA en charge de la diversité, lors de la présentation du baromètre. Devant elle, les directeurs des groupes télévisuels, dont Delphine Ernotte.

« À quand une personne en situation de handicap présentant le 20-heures ? », interpelle de son côté Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes en situation de handicap, lors de la même présentation. « Les rédactions n’ont pas l’habitude. Le handicap est invisibilisé depuis tant d’années que ça n’est pas naturel pour elles, donc elles pensent que ça ne le serait pas pour les téléspectateurs », tente d’expliquer Olivier Harland.

Depuis son arrivée, les lignes ont bougé. Il ne le nie pas. « Dans les années quatre-vingt, nous étions obligés d’avoir un magazine dédié à ces sujets. On ne parlait pas de la différence dans les journaux télévisés par exemple. » Cependant, si cela arrive davantage aujourd’hui, ce n’est toujours pas suffisant. « Chaque année, une cinquantaine de dates, faisant référence aux journées internationales, sont transmises aux rédactions. Le problème, c’est qu’en dehors de ces dates, elles ont encore du mal à parler de la diversité », explique-t-il.

0,7 % d’handicapés seulement sur nos écrans

Une fois de plus, les chiffres du CSA correspondent aux constats rendus en interne. D’après le dernier baromètre, les personnes en situation de handicap sont représentées à 0,7 % sur les écrans français. Ils sont douze millions en France. « Malgré nos propositions, nous n’avons pas beaucoup de résultats à l’écran. J’ai parfois l’impression que l’on ne m’écoute pas vraiment », constate amèrement Olivier Harland.

Le CSA rend également un rapport pour chaque chaîne, mais celui-ci est confidentiel. « Il ne s’agit pas de pointer du doigt qui est le mauvais élève mais d’accompagner les chaînes dans leur travail en interne », justifie Fadila Hamouni, chargée de mission au bureau de la diversité du CSA.

Outre la représentativité, c’est la représentation qui pose problème. La manière dont on parle de ces diversités oriente la perception du téléspectateur.

Malgré un désintérêt grandissant, la télévision continue de tenir une grande place dans le quotidien des Français puisque ces derniers passent environ quatre heures devant leur écran. Cependant, l’image que donne à voir le petit écran est loin de parler à tout le monde. « La télévision et les représentations médiatiques au sens large ont un impact assez important sur comment on se représente en tant que société française » analyse Marie-France Malonga.

La sociologue travaille sur la question de la représentation des diversités à l’écran. « Non seulement, il n’y a pas d’outils mais surtout il n’y a pas de volonté. On en fait un petit peu pour dire « on prône la diversité » mais en fait ça n’intéresse pas », pense-t-elle.

 Pas visibles, pas intégrés

Résultat, depuis des décennies, les rédactions naviguent à vue, sans aucune statistique ethnique, ces dernières étant interdites en France. Cependant, pour la sociologue, cela n’empêche pas de mettre en place des objectifs chiffrés : « C’est moins restrictif que des quotas et je trouve que ça permet de se projeter sur du long terme. »

Pour ceux qui ne se sentent pas représentés à la télévision, les conséquences sont lourdes. « Invisibiliser c’est négliger la variété de notre société au risque d’installer durablement un sentiment de rupture, voire de rejet chez ceux qui par leur genre, leur origine, leur handicap, leur classe sociale etc, se sentent oubliés », expliquait Carole Bienaimé-Besse lors de la publication du baromètre sur la diversité annuel.

« S’ils ne sont pas visibles dans le paysage audiovisuel alors ils ne sont pas intégrés à la société française, c’est le message que les chaînes vont passer », poursuit sur la même idée Marie-France Malonga.

Autre problème soulevé par la sociologue, la manière dont les médias évoquent la diversité dans l’actualité. « Il faut banaliser la diversité à l’écran et ne plus la cantonner à un certain type de sujet selon le public. En faisant cet effort, on change petit à petit les représentations. »

Un souci qu’a également remarqué Olivier Harland dans son travail auprès des rédactions de France Télévisions : « Hélas, on va toujours vers les mêmes personnes dans les reportages. On donne la parole aux mêmes, sans cesse, pour des sujets dits lambda, qui ne concernent pas seulement l’homme blanc urbain. »

Et cela peut s’expliquer par l’identité et la personnalité des journalistes. Malgré une méthode de travail objective, cela change la manière dont on traite un sujet. Depuis longtemps, ce qui est donné à voir à l’écran n’est que la reproduction d’une dynamique interne.

« C’est assez uniforme dans les équipes de la rédaction, que ce soit chez les journalistes comme aux postes de chefferie. Ça a forcément un impact sur les sujets qui constituent un journal ou un magazine », constate Olivier Harland. Finalement, le manque de diversité dans les contenus d’informations ne reflètent-ils pas l’uniformisation des rédactions ?

Les services des ressources humaines de France Télévisions ainsi que les directeurs de l’information ont été contactés afin de discuter de cette problématique. La demande est restée sans réponse. Marie-France Malonga l’affirme : « Les changements en interne font forcément changer la manière dont on traite les sujets. Ce n’est pas une question ethnique, c’est une question d’expérience. »

En plus de perdre en crédibilité auprès des citoyens, les journalistes ne remplissent plus leur rôle : celui d’informer toute la société. « C’est un gros problème que les Français ne regardent plus la télévision car ils ne se sentent pas représentés, surtout par le groupe public. Il est financé par une partie de leur redevance », déplore Marie-France Malonga.

Depuis plus d’une dizaine d’années, les services des ressources humaines se sont emparés de cette question. Dans les médias, des personnes dont l’objectif est de promouvoir l’inclusion et la diversité dans le recrutement ont été engagées. À France Télévisions, parmi les dispositifs fondés, le recrutement de candidats boursiers au poste de journaliste pour le réseau France 3 ou encore la mise en place, depuis cinq ans, du Duo-Day dans les rédactions audiovisuelles françaises. Une journée où les présentateurs des chaînes partagent leur quotidien professionnel avec une personne en situation de handicap, intéressée par le métier de journaliste. L’objectif : changer le regard sur le handicap et promouvoir l’inclusion.

 

« Le manque de diversité n’est pas pas seulement un problème médiatique ou d’accès au métier de journaliste. C’est le sujet principal mais c’est aussi une vraie question politique. Ici on s’interroge sur qui est Français ? Comment on évoque la différence dans notre société ? »

Marie-France Malonga, Sociologue

Longtemps, le métier de journaliste a été perçu comme élitiste et inaccessible à une grande partie de la population. L’entre-soi du monde journalistique est une des raisons de ce manque de diversité. Les quatorze écoles de journalisme reconnues par la commission nationale des métiers du Journalisme (CNMJ) recrutent toutes par un concours. Une sélection parfois coûteuse qui a longtemps exclu une bonne partie des étudiants. Afin de favoriser des candidats issus de la diversité, les écoles de journalisme ont signé une charte avec le CSA en 2014.

Seulement, les futurs journalistes qui occupent les rangs des écoles sont, pour la majeure partie, encore perçus comme blanc, issus d’une classe sociale aisée et valide. D’après la dernière étude réalisée sur le sujet, en 2011, 52,7 % des étudiants en journalisme avaient un parent cadre. Dans les écoles de journalisme et dans les rédactions, le travail est enclenché. Mais le monde du journalisme à tendance à reproduire les élites. Résultat, beaucoup d’aspirants journalistes pensent ne pas avoir leur place.

Une fois de plus, pour la sociologue Marie-France Malonga, le problème est plus profond : «  Ce n’est pas seulement un problème médiatique ou d’accès à l’emploi de journaliste. C’est le sujet principal mais c’est aussi une vraie question politique. Ici on s’interroge sur : qui est Français ? Comment évoquer la différence dans notre société ? »


Si certains sont impatients de voir les réels changements apparaître à l’écran, d’autres sont positifs. « Je suis peut-être optimiste mais selon moi, il y a des avancées et des prises de conscience. Delphine Ernotte est extrêmement engagée sur le sujet et on sent une dynamique qui s’installe dans le groupe public », affirme Fadila Hamouni. Selon la jeune femme, la chaîne France O en est l’exemple. Même si sa diffusion s’est arrêtée en septembre 2020 par manque d’audience, l’objectif du groupe public reste de visibiliser les territoires ultra-marins sur toutes les chaînes du groupe.

Mais le petit écran a-t-il réellement le temps ? Chaque année, le médium le plus regardé par les Français est de plus en plus décrié. Surtout chez les jeunes. Les nouvelles générations de téléspectateurs sont beaucoup plus engagées et préfèrent se tourner vers les nouveaux modes d’informations. Les réseaux sociaux en sont les rois. « Avec Francetv Slash, France Télévisions a bien compris le créneau à prendre. Ils font des choses très intéressantes, avec des intervenants divers, qui parlent à tout le monde », estime la sociologue Marie-France Malonga.

Une inclusion encore trop peu visible dans les contenus d’informations plus classiques. Ces manquements ont de graves conséquences sur la manière dont les Français s’informent. Petit à petit, des initiatives se mettent en place et dans quelques années, peut-être, les minorités auront gagner leur qualificatif de « visibles ». En attendant, les mots de la ministre déléguée à la Diversité et à l’égalité des chances, Élisabeth Moreno, semblent encore d’actualité : « La télévision est passée en couleur le 1er octobre 1967 mais plus de cinquante ans après, nous avons l’impression qu’elle est restée un peu bloquée sur le noir et blanc. »

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Marie Lebrun

@marielebrun21
24 ans
Apprentie journaliste à la télévision France 3 Nord-Pas-de-Calais
A appris avec Le Parisien culture, La Nouvelle République Sport et La Presse de la Manche
Passionnée par les sujets sociétaux ou liés aux droits des femmes
Se destine au long-format à la télévision et à l’étranger