S’exprimer pour s’émanciper

Par Perrine BASSET et Lena PLUMER-CHABOT

Photo : Lena PLUMER-CHABOT/EPJT

Au Maroc, les femmes issues de milieux ruraux sont défavorisées par rapport aux citadines, notamment pour l’éducation et la formation professionnelle. Afin de leur donner la parole, la webradio Kech Radio parcourt le pays à la rencontre de ces oubliées du micro.

À première vue, c’est un minibus bardé de lettres rouges et noires. Mais à l’intérieur, on est face à un véritable studio radiophonique : quatre micros, autant de casques et des banquettes face à face, le tout flambant neuf. Ce matériel, Kech Radio l’a acquis grâce aux subventions de l’Agence française de développement médias (CFI) et l’aide du Forum marocain des alternatives du sud (FMAS).

Azzeddine Aabbar, chargé de projet à l’Association initiatives citoyennes (AIC). Photo : Lena Plumer-Chabot/EPJT

La webradio est animée par Azeddine Aabbar, chargé de ce projet, et Cheimaa El, chargée de communication de l’Association initiatives citoyennes (AIC). Il existe aujourd’hui près d’une quinzaine de radios associatives au Maroc. Mais pour celles qui se créent il est difficile d’obtenir une place sur la bande FM. C’est pour cela que les enregistrements de Kech Radio sont diffusés sur Internet.

Pour le moment pas de chiffres ni de statistiques d’audience, mais ce n’est pas un souci pour Azeddine Aabbar : « On s’en fiche des chiffres, on n’est pas là pour ça. On touche quand même un public. On ne veut pas courir derrière l’audience, ça viendra. On sait très bien qu’on n’aura pas les chiffres de Cyril Hanouna. Ce n’est pas commercial ! Un contenu de divertissement, ça fait plus d’audience qu’un contenu politique ou intellectuel, on le sait. Les jeunes, encore moins au Maroc, ne vont pas écouter une émission politique d’une heure, surtout sur Internet. »

Pendant un an, à bord de leur studio itinérant, ils vont faire le tour des huit provinces de la région de Marrakech-Safi. Le but ? Rencontrer des jeunes filles de 18 à 35 ans issues du monde rural.

Le studio de Kech Radio tient dans un van aménagé de sept places. Photo : Lena Plumer-Chabot/EPJT

Avec elles, ils aborderont trois thèmes, particulièrement importants pour ce public : l’abandon scolaire, le mariage des mineures et la formation-insertion professionnelle. « Nous voulions réellement nous concentrer sur ces trois axes » explique Azzedine Aabbar. « Si l’abandon scolaire est problématique dans tout le Maroc, c’est encore pire dans les villages, idem pour le mariage des mineures. »

Dans les villages, les ateliers se déroulent sur trois temps : un débat collectif (enregistré) d’une heure environ avec une dizaine de filles, une émission dans le studio mobile avec deux ou trois filles et un portrait d’une jeune femme qui a mené une initiative à laquelle Kech Radio souhaite donner de l’importance.

La première étape du périple de Kech Radio commence à l’intérieur de la maison Dar Moustaqbel, un internat pour jeunes filles issues du milieu rural. Un lieu qui leur permet de suivre leurs études dans de bonnes conditions.

Dar Moustaqbel a été fondé par une Néerlandaise. Elle voulait permettre aux jeunes filles issues de milieux ruraux de finir leurs études. Photo : Perrine Basset/EPJT

De la place Jamaa El Fna, le foyer Dar Moustaqbel est introuvable. Les souks forment un véritable labyrinthe qui protège ce joyau architectural. Acheté en 2016 par Hanneke Ouwehand-Van Hooff, la fondatrice de l’association Dar Moustaqbel, ce riad a été entièrement rénové. Les murs sont ornés de mosaïques et les plafonds sont couverts de marqueterie.

Les chambres accueillent trois, quatre ou six jeunes filles, selon leur superficie. Le règlement leur impose les tâches ménagères et culinaires, en échange de l’utilisation du hammam. Et ce pour 2 000 dirhams l’année (près de 184 euros).

Les quarante jeunes filles qui vivent à Dar Moustaqbel sont encadrées par Mme Rachida, la directrice, et par trois  surveillantes. Photo : Lena Plumer-Chabot/EPJT

« Ce n’est pas comme dans les autres internats. Ici, elles restent jusqu’au moment où elles ont une situation stable », précise Fatima. La plupart des jeunes filles souhaitent retourner dans leurs villages pour aider les adolescents à continuer leurs études et ainsi leur permettre de s’en sortir.

Amina

Étudiante à la faculté de sciences juridiques et économiques, filière droit français ; résidente à Dar Moustaqbel depuis six mois.

 Pour écouter Amina

Naïma, Fatiha ou encore Amina… Douze jeunes filles de la maison Dar Moustaqbel participent à un atelier proposé par leur professeure, Soubate Soumia, membre de l’association Femmes de Demain.

Au tableau, la professeure a écrit le titre en français : « la déperdition scolaire ». Un thème difficile, mais que Soumia Soubate arrive à aborder avec plus de légèreté. « On traite des causes de la déperdition scolaire dans les milieux ruraux, selon ce que pensent les jeunes filles. Puis on essaye de trouver des solutions pour les contourner. » Quelques mains se lèvent, d’abord timides. Le regard bienveillant de la directrice, Mme Rachida, les incite à participer.

Fatiha

Étudiante de 20 ans à la faculté de sciences économiques, juridiques et sociales, branche économie ; résidente à Dar Moustaqbel depuis deux ans.

Pour écouter Fatiha

La salle de classe, entièrement rénovée en 2017, rend le lieu propice au travail. Des bibliothèques habillent les murs. Sur les étagères, les magazines du National Geographic s’entassent aux côtés des dictionnaires français Le Robert. Au tableau, des gommettes de couleur se mélangent. Chacune représente un niveau scolaire, de l’école primaire à l’université.

Les douze étudiantes citent des exemples pris parmi leur entourage, leurs amis ou leur famille, qui ont été en décrochage scolaire. La professeure leur propose ensuite que l’atelier se poursuive sous forme de théâtre.

Une étudiante se met dans la peau d’une enfant de 10 ans, vivant à la campagne. Ses camarades essayent alors de trouver les raisons pour lesquelles elle ne pourrait plus continuer ses études. Transport, coût, éloignement de la maison…

Plusieurs causes se dessinent. La professeure les partage entre raisons internes, liées au cadre familial, et les raisons externes. Un dernier tour de table et l’atelier se termine. Finalement, une conclusion s’impose d’elle-même : « Si on veut, on peut. »

Fadwa

Étudiante de 18 ans en première année de gestion des entreprises à l’Institut spécialisé de technologie appliquée (Ista) ; résidente à Dar Moustaqbel depuis six mois.

 

Pour écouter Fadwa

Un pays coupé en deux 

Le Cameroun est divisé en deux parties depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Vaincue, l’Allemagne quitte le territoire qui est alors partagé entre la France, pour la partie orientale, et le Royaume-Uni, pour la partie occidentale. Le pays devient indépendant en 1960. Les mouvements séparatistes anglophones débutent après la proclamation de la République unie du Cameroun en 1972. Ces contestations prennent un tournant politique à partir du milieu des années 1990.

Aujourd’hui, ce pays d’Afrique subsaharienne vit une guerre civile qui passe inaperçue. Depuis novembre 2016, la minorité anglophone (20 % de la population du pays) proteste contre sa marginalisation. Les manifestations sont lourdement réprimées par le gouvernement en place.

La situation est alarmante, même si établir un bilan est compliqué. Il y aurait près d’1 millier de morts et 500 000 déplacés. Nées d’une crise socio-politique dans les régions anglophones du pays, ces tensions se sont transformées en conflit armé en 2017 entre les forces gouvernementales d’une part et différents groupes séparatistes d’autre part. La radicalisation de ce mouvement a été amplifiée par le blocage d’Internet dans une partie du pays entre février et avril 2017. Malgré une situation qui ne cesse de se dégrader, le conflit semble ignoré par la plupart des médias et la communauté internationale. Paul Biya, au pouvoir depuis trente-cinq ans, dissimule l’importance du conflit qu’il qualifie de simples « troubles ».