Hypnose

le phénomène qui divise

À la télévision, sur Internet, dans des spectacles qui font salle comble et désormais dans la rue, l’hypnose est omniprésente. Elle s’immisce même dans les hôpitaux et les salles de thérapie.

Par Anne-Laure de Chalup, Alexia Prunier, Rodolphe Schmitt
Photos : Anne-Laure de Chalup – Alexia Prunier/EPJT

Le 4 décembre 2015, une adolescente s’écroule sur la voie publique à Corbie, dans la Somme. Lors de son transport aux urgences d’Amiens-sud, ni les pompiers ni le Samu ne parviennent pas à la réveiller. Après une batterie de tests médicaux, on apprendra qu’elle a été hypnotisée par l’un de ses camarades de classe.

Comme toujours, l’hypnose inquiète autant qu’elle fascine. Le grand public se pose de nombreuses questions : comment ça marche ? Est-ce que je suis réceptif ? Est-ce que je dors pendant l’expérience ? À quoi ça sert ? Est-ce dangereux ? Pour rassurer, un jeune adepte de l’hypnose de rue a décrypté le phénomène sur Youtube. A priori, rien de dangereux.

Vidéo : Hypnose à Caen

Sous le feu des projecteurs

Depuis son origine au XVIIIe siècle, l’hypnose n’a rien perdu de son aura quasi magique. Le boom des émissions spéciales de télévision en atteste. Certaines chaînes utilisent le filon pour divertir ses téléspectateurs. C’est le cas de M6 avec son émission « Hypnose, le grand jeu » ou encore de TF1 et son show « Stars sous hypnose » co-animée par Arthur et le célèbre hypnotiseur Messmer. Les quatre premiers numéros ont tous été des succès d’audience avec plus de 5 millions de téléspectateurs en moyenne à chaque fois.

Même constat pour D8. L’émission « Touche pas à mon poste, spécial hypnose » a réuni près de 2,4 millions de téléspectateurs soit près de 6,7 % des parts d’audience. Mais a eu des effets divers sur ses animateurs. Ce jeudi soir-là, Cyril Hanouna anime son show au côté de l’hypnotiseur Cyrille Arnaud. Avant la prise d’antenne, celui-ci a « programmé » trois des chroniqueurs de l’émission pour qu’ils réagissent à un mot déclencheur. C’est ainsi que Bertrand Chameroy présente sa chronique avec un accent chinois tandis que Camille Combal se retrouve incapable de bouger durant la sienne.

« Certains préfèrent théâtraliser l’expérience plutôt que d’arrêter le processus »

Antoine Bioy, hypnothérapeute

Des suggestions bon enfant qui ont tout de même un effet inattendu sur Gilles Verdez. Dans un état second, le chroniqueur croit voir Fatou, sa compagne, entrer sur le plateau. Une hallucination qui déclenche des larmes. En l’espace d’une heure, l’état du chroniqueur ne cesse de passer d’un extrême à l’autre : euphorie puis sommeil profond ou regard fixe dans le vide, mais également des phases de détresse. Une situation embarrassante qui pousse Cyril Hanouna à rappeler plus d’une fois que l’expérience n’est absolument pas dangereuse. La gêne est malgré tout palpable en plateau comme chez les téléspectateurs.

L’incident a été expliqué par le fait que le chroniqueur aurait eu un trop plein d’émotion avant et pendant cette mésaventure. Un paramètre que l’hypnotiseur aurait dû identifier afin de ne pas aller trop loin dans ses suggestions. Au lieu de sortir Gilles Verdez de cet état de subconscient, Cyrille Arnaud a préféré jouer la carte du Show must go on (le spectacle doit continuer).

« Le Fascinateur » fait salle comble

Ce n’est pas la première fois que ce manque de professionnalisme entraîne des effets troublants sur le sujet. Suite à un spectacle, il est déjà arrivé que des personnes se sentent amorphes ou perdues car l’hypnotiseur avait oublié une étape primordiale : la phase de réveil. Celle-ci doit prendre entre cinq et dix minutes et permettre de s’assurer que la personne a pleinement repris conscience. Lorsque cette phase n’est pas bien effectuée, voire pas du tout, le sujet peut se retrouver en danger. Il y a quelques années, près de Bordeaux, un spectateur aurait même perdu le contrôle de son véhicule après avoir assisté à un show d’hypnose, comme s’il était sous l’influence de drogues.

Ce type de spectacle rencontre malgré tout un franc succès. Le plus connu de tous reste bien évidemment celui de l’hypnotiseur québécois Messmer. Avec près de 250 représentations par an dans toute la France, celui que l’on surnomme « Le Fascinateur » fait salle comble à chacune de ses représentations. Loin de la mise en scène ouverte au possible critiques de trucages et , son spectacle est avant tout une véritable interaction avec le public. Durant près de deux heures, Messmer fait participer au hasard les personnes les plus réceptives présentes dans la salle. Entre chaque numéro : explications, conseils, mises en place de règles à respecter et réactions des sujets hypnotisés. De quoi balayer les inquiétudes et les doutes des plus sceptiques.

Et au coin de la rue

Sous hypnose, il est possible de se mettre dans la peau de Superman.

Plus ces émissions et spectacles se développent et plus l’intérêt des individus s’accroît. Curieux d’en comprendre les mécanismes, voire fascinés par cette technique, certains ont cherché à développer leurs compétences dans le domaine. En lisant des livres mais aussi en partageant leurs découvertes et leurs techniques. Grâce à la somme colossale de connaissances disponibles, et à la multiplication des forums et des tutoriels, Internet à permis de rendre cette technique accessible à tous. Sur Youtube, de nombreux hypnotiseurs publient les vidéos de leurs exploits ou de séances qu’ils ont réalisées. Le site contient des milliers de vidéos consacrées à l’hypnose.

Exemple de page Youtube proposant des tutoriels pour se former à l’hypnose.

On y retrouve celles de Jean-Emmanuel Combe. Jeune homme plutôt sceptique au départ, il découvre avec l’hypnotiseur anglais Derren Brown qu’il n’y a pas de trucs mais bien une réelle maîtrise de techniques mentales. Jean-Emmanuel n’a alors plus qu’une seule chose en tête, comprendre ce fonctionnement de l’inconscient. Il puise dans les techniques de l’hypnose traditionnelle pour développer une méthode simple et accessible à tous les curieux. Dans son désir de transmission, il la rend accessible à tous gratuitement par le biais d’un PDF téléchargeable sur son blog « streethypnose ». C’est le nom qu’il a donné à son concept d’hypnose de rue.

Précurseur en France, il arrive à regrouper toute une communauté d’hypnotiseurs pratiquant ensemble leur passion sur les grandes places des villes de France. Assez critique à l’égard des émissions et des spectacles, Jean-Emmanuel Combe reconnaît que l’hypnose de rue relève aussi du divertissement. Mais il nuance et tient au respect d’un cadre éthique. Les hypnotiseurs de rue ne cherchent pas à faire rire le public aux dépens du sujet. L’expérience doit se dérouler selon deux principes piliers : « Respect et sécurité. »

20 000 potentiels hypnotiseurs

Face au succès de son PDF, le jeune Toulousain a décidé d’en faire un livre appelé La Voix de l’inconscient (éditions Afnil). Ecoulé selon son auteur à plus de 20 000 exemplaires, il a à son tour contribué à l’essor de l’hypnose en France. Il y aurait donc vingt mille potentiels hypnotiseurs, ce qui soulève l’épineuse question de l’éthique. Comment encadrer tous ces apprentis sorciers ?

En découvrant les images de la jeune fille écroulée sur la voie publique de Corbie, on peut effectivement se poser la question. Hypnotisée par un de ses camarades de lycée qui s’essayait à l’hypnose, elle n’arrivait pas à se réveiller. L’expérience a failli tourner au cauchemar. Au point que la gendarmerie de la Somme s’est fendue d’un communiqué sur sa page Facebook pour prévenir du potentiel danger d’une pratique hors contrôle.

Exemple de page Youtube proposant des tutoriels pour se former à l’hypnose.

Il semble que le problème vienne, là encore, d’une phase de réveil mal maîtrisée. C’est en tout cas l’explication de Jean-Emmanuel Combe. La pression exercée par le personnel médical pour la sortir de l’état hypnotique aurait eu l’effet inverse que celui escompté : « Quand on juge que notre vie est compliquée, l’état hypnotique peut être addictif. On peut souhaiter que ce monde du rêve, ce refuge devienne la réalité et ne jamais vouloir en sortir. La jeune fille avait donc sûrement trouvé son échappatoire. Elle n’avait pas envie de revenir, ou du moins pas aussi brutalement. Il fallait juste la rassurer pour reprendre le contrôle de cette phase de réveil. »

Antoine Bioy, hypnothérapeute, psychologue clinicien et enseignant-chercheur en psychologie à l’université de Dijon, confirme cette thèse. « La lycéenne a sûrement eu un trop plein d’émotions intérieures. Le jeune hypnotiseur n’a pas su gérer une situation si délicate car il n’y était pas assez préparé », assure-t-il. Finalement, après avoir passé la nuit en observation, l’adolescente a pu regagner son domicile sans aucune séquelle. Les examens médicaux n’ont rien révélé de particulier. Mais un accident aurait pu arriver.

À ce jour, la loi française n’encadre pas la pratique de l’hypnose de rue. Aucune poursuite n’a donc été engagée à l’encontre du jeune hypnotiseur. Le chargé de communication du rectorat évoque quant à lui « un cas isolé ». Aussi isolé qu’il soit, le fait-divers a suscité des réactions chez les professionnels de l’hypnose. Beaucoup voient d’un mauvais œil cette mauvaise publicité.

Débat dans le milieu médical

Photo : isere-hypnose.fr

Certains médecins comme Yves Halfon, psychologue clinicien et responsable de formation à l’Association francophone d’hypnose médicale et dentaire, s’opposent frontalement à l’hypnose flash telle qu’elle est pratiquée dans la rue.

Cette dernière se caractérise en effet par son côté ultrarapide, mais aussi très directif. Ainsi, la suggestion, l’effet attendu sera précis et quasi immédiat. Sans le savoir, chacun de nous se plonge dans cet état au quotidien. Une utilisation prolongée d’internet ou un long bain peuvent en effet nous mener à cet état second où la pensée s’évade, l’imaginaire prend le dessus et les gestes deviennent automatiques. Maîtrisée, elle peut permettre à chacun de se détendre et de s’évader pendant un instant. Facile dès lors d’imaginer son utilisation pour gérer le stress ou mieux affronter le quotidien. Sa rapidité pourrait être un atout pour la médecine.

Jusqu’à présent, en médecine, seule la méthode de l’hypnose ericksonienne est préconisée. Elle prend plus de temps et suggère des choses moins précises aux patients. On parle alors de « suggestions permissives ». Le patient accède indirectement à l’état hypnotique. C’est-à-dire qu’il s’imagine lui-même quelque chose d’agréable, l’hypnotiseur ne lui impose rien. Une fois le patient endormi, les médecins peuvent procéder à des opérations chirurgicales. L’hypnose flash ferait gagner un temps certain ce qui n’est pas négligeable dans un secteur hospitalier où les économies sont de mise.

« L’hypnose n’est pas un sommeil, c’est un état de conscience modifiée »

Jean-Emmanuel Combe, hypnotiseur de rue

Yves Halfon pointe néanmoins les dangers de l’hypnose flash pratiquée sans connaissances en psychologie. Pour lui, cette pratique fonctionne selon le principe de la surprise, de la sidération. L’ordre donné étonne et crée de la confusion. Ce qui est anodin chez la plupart des individus peut se révéler dangereux chez des sujets souffrant de troubles psychologiques. Dans la rue, rien n’empêche une personne souffrant de schizophrénie de tenter l’expérience ce qui peut avoir de lourdes conséquences. La personne pourrait rencontrer de grandes difficultés à revenir à un état dit normal, sachant que sa perception de la normalité est altérée. Le même problème pourrait très bien se poser si l’hypnose était utilisée lors des consultations médicales. Actuellement, nul examen préalable n’est prévu avant un rendez-vous dentaire ou médical. Ce serait donc tout un système à repenser.

L’hypnose au bloc opératoire peut être un complément à l’anesthésie chimique.

Olivier Perrot est psychologue et hypnothérapeute. Il est l’un des rares à prendre position pour un rapprochement entre l’hypnose médicale et l’hypnose de divertissement. Il soutient dans une lettre ouverte publiée sur Internet : « Nous n’avons pas le droit de priver nos patients de possibilités rapides d’amélioration » et donne un exemple : « Ceux qui ressentent la douleur sont certainement demandeurs d’inductions hypnotiques qui ne prennent pas une demi-heure. » Pour lui, certaines thérapies restent trop en surface et pourraient aller beaucoup plus loin. Il les désigne avec le terme volontairement provocateur de « calinothéraphie ».

Pour faire bouger les choses, Olivier Perrot intervient dans divers congrès et formations et affirme que beaucoup de médecins sont présents mais ne le reconnaissent pas. Cette hypocrisie, Jean-Emmanuel Combe l’a également constatée. Il affirme avoir été mis sur la liste noire des institutions faisant autorité dans le milieu de l’hypnose. Pourtant, affirme-t-il, de plus en plus de professionnels de la santé se forment auprès de lui. Il évoque même le fait que certains se forment de manière anonyme à l’hypnose flash avant de délivrer à leur tour des formations perçues comme légitimes car reconnues par les autorités médicales.

La méthode ericksonienne gagne du terrain

L’hypnose semble donc toujours être sujet à débat en France, même si la méthode ericksonienne traditionnelle se développe dans les hôpitaux. Après une étude réalisée entre 2011 et 2015, le centre hospitalier régional universitaire de Tours a validé l’utilisation de l’hypnose ericksonienne pour les opérations d’extraction des tumeurs du cerveau. Elle offre la possibilité d’opérer des patients qui présentent des contre-indications à l’anesthésie.

Diverses utilisations de l’hypnose dans le secteur médical – Réalisation : Anne-Laure de Chalup et Alexia Prunier/EPJT

Le patient peut retrouver plus rapidement sa vigilance habituelle. Ainsi, il est plus facile d’effectuer les tests nécessaires au bon déroulement de l’opération, ce qui permet d’éviter d’endommager certaines zones du cerveau. Dans d’autres cas, elle est utilisée en complément de l’anesthésie, de manière à réduire les doses de sédatifs habituelles.

Antoine Bioy utilise l’hypnose pour traiter le stress, l’anxiété, la dépression, les phobies et les addictions. Les professionnels assimilent l’état d’hypnose à un état de conscience modifiée. Dans cette phase, l’hypnothérapeute dialogue avec le subconscient du patient. Cela permet au sujet de mobiliser des ressources auxquelles il n’a pas accès en temps normal.

Infographie : Anne-Laure de Chalup et Alexia Prunier/EPJT

Mathilde a par exemple suivi des séances d’hypnothérapie pour arrêter de fumer. Elle a accepté d’être le cobaye de sa kinésiologue[*] pour que celle-ci valide une formation et devienne hypnothérapeute. Elle a ainsi compris qu’elle n’était pas accro à la nicotine, mais au geste qu’elle effectue lorsqu’elle fume. Grâce aux séances, Mathilde a réduit considérablement sa consommation de cigarettes. D’une dizaine par jour, elle est passée à une tous les deux jours. Si elle fume occasionnellement, c’est parce que le geste lui manque. Mais maintenant, le goût du tabac l’écœure.

Sceptique au départ, elle trouve maintenant le résultat plutôt concluant. Antoine Bioy note que les personnes qui ne croient pas à l’hypnose seraient, en réalité, les plus réceptives. Il explique ce phénomène ainsi : « Une personne qui refuse de croire en l’existence de la Lune a peur de lever la tête, car elle sait que l’expérience peut la contredire. »

Timeline : Rodolphe Schmitt/EPJT

Profitant d’une médiatisation sans précédent, l’hypnose est plus que jamais sujet à controverse. Que l’on y croit ou non, chacun a son avis sur la question. Le grand public se prend au jeu, en découvre aussi les limites au gré de faits divers insolites. Certains professionnels voient d’un mauvais œil ce foisonnement d’amateurs se revendiquant hypnotiseurs. Si pour l’instant la pratique de l’hypnose de rue est libre, il n’est pas impossible qu’à l’avenir elle soit encadrée par la loi. Elle pourrait également révolutionner certaines pratiques médicales pour peu qu’on l’accepte.

[*] La kinésiologie est une pratique professionnelle destinée à favoriser un état d’équilibre et de bien-être physique, mental, émotionnel et social.