Hicham Mansouri, plume en exil

La dernière investigation d’Hicham Mansouri a révélé l’import de 2 500 tonnes de déchets toxiques d’Italie sur le sol marocain. Photo : Margaux Deulay/EPJT

Journaliste marocain exilé, Hicham Mansouri est ­accueilli par la Maison des ­journalistes. Dans les classes où il ­intervient pour sensibliser à la liberté de la presse, il ­encourage les élèves à s’emparer du récit pour s’exprimer.

Par Margaux Deulay

Enfant, Hicham Mansouri ne se trouvait pas à la hauteur. ­Littéralement. Il était, d’après ses adjectifs, un garçon ­minuscule, trop court. Alors, pour forcer le respect « des plus grands et des plus forts que [lui] », Hicham s’est mis à écrire et à dessiner des scènes du quotidien dans son propre journal. Celui-ci circulait entre les mains de ses camarades qui, de crainte d’être ridiculisés par l’un de ses écrits, sont devenus ses plus fidèles alliés.

Aujourd’hui, Hicham a 35 ans et une ­silhouette qui ne s’est pas tellement ­étoffée avec le temps. Journaliste marocain ­originaire de Ouarzazate, sa vie professionnelle est, dès le départ, jonchée d’obstacles. « Lorsqu’on est loin de l’axe Rabat-Casablanca, les deux villes principales du Maroc, il est très difficile de se faire un nom », expose-t-il de sa voix feutrée. Après une licence en ­journalisme et un master en management des médias, ­Hicham engloutit ses économies dans les trajets de bus pour Rabat, là où se ­réunissent les principaux acteurs du journalisme. De rencontre en allées et ­venues, il se constitue un réseau et décroche son premier poste au journal Machahid.

Ayant toujours considéré le récit comme un outil de défense, Hicham se consacre ­naturellement à l’investigation. En 2003, il fonde l’Association marocaine pour le journalisme d’investigation (Amji) en collaboration avec quelques confrères.

Au Maroc, les journalistes d’investigation font, selon lui, face à un choix : « Se ­contenter d’écrire sur des sujets peu utiles à la société ou tenter de faire bouger les lignes, quitte à être critique envers le régime. » Hicham n’a pas longtemps hésité avant d’opter pour la seconde option. En revanche, ce qu’il est loin d’avoir ­choisi, ce sont les risques de répression qu’elle ­implique. « La liberté d’expression n’est pas homogène sur le territoire. Un récit ­banal, une critique légère d’un préfet ou d’un responsable de police peut vous coûter très cher. »

Résister contre la censure

En 2008, alors que tous les citoyens ­marocains doivent changer leur carte ­d’identité ­nationale pour un passeport biométrique, le journaliste décide d’ouvrir une enquête. « Le délai octroyé par le gouvernement était extrêmement court. Toutes les ­administrations étaient engorgées et tous ceux qui ne ­parvenaient pas à effectuer le changement étaient passibles d’une amende », ­détaille-t-il.

Alors qu’il passe ses journées dans les interminables files ­d’attente, il découvre qu’un service de nuit est réservé aux classes ­aisées. De la corruption au harcèlement contre les femmes, Hicham filme toutes les scènes ­auxquelles il assiste et en fait un récit. « Ce n’était pas une grande enquête ni même un grand secret. Mais sur le plan ­local, elle a fait scandale », précise-t-il.

Pourtant, peu après la publication, il reçoit d’innombrables menaces au téléphone, se fait agresser par des hommes déguisés en pickpocket lors d’un trajet de bus, voit les bureaux de sa rédactions cambriolés. Pour couronner le tout, le site internet du journal se fait hacker et affiche des pages pornographiques. Si ces attaques morales et physiques le marquent, Hicham n’envisage à aucun moment de capituler. « La résistance contre la censure, estime-t-il, est un combat sans relâche. » Une lutte qui, selon lui, doit être menée de front avec le peuple marocain.

En 2011, alors que le pays vit au rythme des révoltes du Printemps arabe, ­Hicham ­développe, en collaboration avec The ­Guardian, l’application Story Maker. Grâce à cet outil de montage de son et de vidéos, l’usager peut ­sauvegarder son travail sans risque que celui-ci soit intercepté par le gouvernement. « Comme les informations restaient en circuit fermé, les gens ressentaient le besoin de les relayer ­eux-mêmes. » ­­

Lui-même promeut cette application pendant un an dans des workshops et des formations. Mais un matin, tout s’arrête. « Nous nous sommes présentés à l’hôtel où ­devait se ­tenir une conférence et c’était fini. Notre activité était interdire par le ­gouvernement. Sans aucune justification légale. Sans ­expertise. Rien n’était écrit. Il n’y avait ­aucune trace. »

Poursuivre la lutte

Le 17 mars 2015, Hicham est condamné à dix mois de prison pour ­atteinte à la ­sécurité interne de l’État et pour tenue d’un ­local de prostitution. « Accoler une accusation de droit commun aux journalistes pour les ­réprimer est une pratique très courante du gouvernement, explique-t-il. L’intérêt étant de laisser entendre aux citoyens que cette profession est exercée par une majorité de malfrats. »

Alors qu’il purge sa peine, il fait ­l’objet de nouvelles accusations. « À chaque procès, il faut contacter les ONG pour assurer sa défense, réunir des preuves, répondre aux articles de diffamation. C’était invivable. J’étais épuisé, souffle-t-il. L’idée a donc été de me taire et de quitter le pays pour faire reporter le procès. »

Dès le lendemain de sa sortie de prison, ­Hicham quitte le Maroc pour la France où il demande l’asile. En attendant ­d’obtenir le statut de réfugié, il reprend des études de ­sociologie à l’université ­Paris VIII. « J’ai ­voulu prendre le temps de ­découvrir le ­paysage ­médiatique ­français tout en ­continuant à ­soutenir comme je le pouvais les mouvements pacifiques au ­Maroc », ­souligne-t-il.

À la fin du mois d’août 2016, son dossier est retenu par la Maison des journalistes (MDJ), ­l’association d’accueil de journalistes exilés. « Quand on y arrive, c’est un peu comme en prison. Les autres ­journalistes te demandent “ alors, c’est quoi ton affaire à toi ? ” glisse-t-il dans un rire. Mais entre e­xilés, nos échanges sont d’un grand ­réconfort ­psychologique. »

Petits journalistes citoyens

À la demande de la MDJ, Hicham ­intervient régulièrement dans des établissements ­scolaires pour sensibiliser à la cause de la liberté d’expression. « Témoigner est très important pour moi et je suis heureux que les écoles s’ouvrent à cela, affirme-t-il. À la fin d’une séance, si les élèves ­parviennent à saisir la complexité de la situation d’un pays qu’ils voyaient en noir et blanc, ­j’estime que j’ai réussi mon pari. »

Dans cette optique, chacune de ses ­interventions repose sur le récit et l’échange. Si les élèves émettent de bonnes remarques, des préjugés émergent parfois. Mais pour ­Hicham, « tout est bon à prendre. L’idée n’est pas de leur ­inculquer ni de moraliser quoi que ce soit ».

Et parce que l’école ressemble à une ­petite ­société démocratique, Hicham ­souhaite ­qu’­elle soit le premier lieu où on débat et où on s’exprime librement. Tout comme il en a pris ­l’habitude à leur âge, Hicham espère que ces élèves, à leur tour, s’emparent du récit pour exprimer les problèmes qu’ils vivent à leur échelle. « Des soucis liés au ­transport, à la cantine ou aux cours de maths, tout ­mérite d’être écrit. Si on mettait en place cette culture de l’expression de soi, je suis ­persuadé que les élèves cesseraient de faire des tags dans les toilettes de l’école et ­d’insulter les ­professeurs. Pour s’insurger, ils auraient un ­journal. »

La Maison des ­journalistes est une ­association qui a ­développé son propre ­programme de ­journalisme en ­résidence. Son ­projet ­« ­Renvoyé spécial », créé en 2006, poursuit une ­mission d’accueil de ­journalistes ­exilés venus du monde ­entier. Très sollicités depu­is ­l’attentat de ­Charlie Hebdo, les renvoyés spéciaux vont à la ­rencontre des élèves dans les ­établissements ­

scolaires pour sensibiliser à la cause de la liberté de la presse, en ­passant par le récit de leur propre expérience.

Alberic de Gouville, vice-président de l’association et ­rédacteur en chef de France 24 en est persuadé : « Pour déconstruire les préjugés et éviter la ­défiance, il n’y a pas de meilleure méthode que d’aller ­témoigner dans les classes. De plus, le discours d’un journaliste réfugié n’a pas le même ­impact que celui d’un journaliste ­parisien. »