Établie en France depuis 1974, la communauté Hare Krishna a connu plusieurs scandales, qualifiés de dérives sectaires. Aujourd’hui, le mouvement tente de se rebâtir, mais les problèmes persistent et entraînent des conflits
Par Walaa Bourbala, Saskia Juigner Doubinsky et Axel Monnier
Fondé en 1966 à New York par Bhaktivedanta Swami Prabhupada, un moine hindou indien, ce mouvement propose un mode de vie communautaire, basé sur quatre piliers : régime végétarien, mode de vie austère, abstinence sexuelle hors mariage et interdiction de consommer de la drogue. Une simplicité qui a séduit certains hippies et conforté leur rejet du matérialisme. En quelques années seulement, Prabhupada et ses premiers disciples réussissent à établir des centres Hare Krishna dans plusieurs grandes villes américaines.
En 1970, le mouvement gagne l’Europe, notamment le Royaume-Uni où il bénéficie du soutien du Beatles George Harrison. En France, plusieurs temples existent, mais le plus célèbre se situe, depuis 1974, au cœur de l’Indre, à mi-chemin entre Tours et Châteauroux, à Luçay-le-Mâle, dans le domaine d’Oublaise. Son nom : La Nouvelle Mayapur.
Au cours des années quatre-vingt-dix, des voix s’élèvent contre les Krishna du domaine d’Oublaise. Elles dénoncent un embrigadement psychologique, des pratiques financières douteuses et un isolement social des membres. Les tensions vont tellement loin qu’en 2010, une dévote de la communauté décide de s’immoler devant le château en signe de protestation. « Elle était trop âgée et malade pour accomplir ses services (ses tâches quotidiennes, NDLR). Le président du temple de l’époque a décrété qu’elle n’avait plus rien à faire là et qu’elle devait partir. Cette pression était trop forte. Elle a décidé de mettre fin à ses jours », raconte Géraldine Esquivillon, ancienne membre de La Nouvelle Mayapur.
Cet épisode marque le début des tensions au sein de la communauté. « Les dirigeants ne suivent pas les principes recommandés par le fondateur. Sous couvert de religion, on demande une abnégation qui fait beaucoup souffrir », dénonce Hubert Goudet, ancien membre des Krishna à La Nouvelle République en 2014. Le mouvement Hare Krishna nie ces accusations et affirme que ses pratiques sont basées sur la spiritualité volontaire et non coercitive.
Le domaine de l’Oublaise, ce sont 80 hectares nichés au cœur du Berry. Des forêts et des champs encerclent un château du XIXᵉ siècle. Construit grâce aux pierres extraites d’une carrière du domaine, l’édifice, style Renaissance, attire le regard.
Tous les dimanches, les portes du temple s’ouvrent au public. Lors de ces week-ends, quand il faut beau, on peut apercevoir, dans les jardins du château, quelques personnes qui entretiennent les plantes. Elles sont ce qu’on appelle des woofers. Ces hommes et ces femmes travaillent bénévolement en échange de l’hospitalité.
Parmi eux, deux types de profil se distinguent. Certains sont déjà adeptes et membres de communautés Hare Krishna. D’autres sont soucieux de l’environnement et attirés par l’aspect spirituel du lieu qui se présente comme un écovillage autosuffisant.
Bien souvent, ces volontaires ne pensent passer que quelques semaines sur place mais finissent par y rester des mois voire des années. C’est le cas de Jonathan*, un ancien rugbyman, qui vient d’emménager près de La Nouvelle Mayapur après avoir passé deux ans ici en tant que bénévole. « Je suis arrivé pendant le deuxième confinement. Je ne devais pas rester très longtemps mais j’ai rencontré ma femme. »
Amateur de soirées alcoolisées et consommateur de stupéfiants, le jeune homme avait besoin de se ressourcer dans un endroit loin de son lieu de vie habituel. « Cet endroit m’a fait changer. Je me suis rendu compte que je pouvais ressentir les mêmes effets en dansant et en chantant les mantras qu’en buvant et qu’en me droguant. »
Sur la façade du château, de grandes banderoles colorées indiquent : « Welcome to New Mayapur ». En entrant dans le bâtiment, après avoir pris soin d’enlever leurs chaussures, les visiteurs pénètrent chez les dévots. C’est le nom que portent les moines du mouvement Hare Krishna. À l’intérieur, après le hall, on entre dans la salle du temple. D’un côté, l’autel dédié au dieu. Plusieurs statues colorées sont exposées derrière une grille. Des femmes arrivent pour changer la nourriture offerte à la divinité. De l’autre côté, une statue d’un réalisme déconcertant représente le fondateur de l’Iskcon.
Dans la pièce, deux dévots prient : ils récitent le mantra en manipulant leur chapelet, le regard vide. Comme tous les autres, ils ont un mode de vie particulier. « Au quotidien, on se lève très tôt puisque la première prière est à 4 h 30. On chante pendant deux heures les mantras puis on enchaîne avec la prière pour le gourou. Après, il y a les classes de philosophie », détaille Indulekha, membre de la communauté depuis dix-neuf ans.
Elle a découvert l’Iskcon dans des festivals en Pologne et dit avoir trouvé sa voie : « Toute ma vie, j’ai cherché la vérité et la vie spirituelle. La première fois que j’ai écouté un mantra, je suis devenue complètement folle. Je pourrais passer ma vie à ne faire que manger, dormir et écouter les prières. »
De nombreuses théories du complot
Elle et Jonathan, décrivent un état second au moment des services et des prières : « Dans la communauté, je me suis longtemps occupée des guirlandes et de la nourriture. Quand je faisais ces services, j’étais dans une sorte de transe. »
Les dévots et les volontaires sont confrontés quotidiennement à de nombreuses théories du complot. Notamment dans leurs lectures. La vie vient de la vie, par exemple, est un livre écrit par le fondateur de l’Iskcon. Il regroupe un ensemble de théories complotistes sur la naissance du monde et la création de l’univers. « Beaucoup de savants propagent de nos jours l’idée que la vie vient de la matière et que l’être humain n’est qu’un composé de molécules inconscientes. Ils sont toutefois incapables d’en fournir la preuve », peut-on y lire.
L’ouvrage dénonce la théorie de l’évolution comme une imposture et les scientifiques les plus réputés sont remis en question, sans fondement scientifique. « Je ne me rappelle pas l’avoir lu. Et je ne sais pas s’il y a quelque chose de particuliers dedans. Mais au même titre que les autres religions, quand on croit en dieu on ne peut pas croire dans le big bang et la théorie de l’évolution », explique Anne-Laure Loison, présidente de la communauté de La Nouvelle Mayapur.
Pourtant, comme leur livre sacré La Bhagavad Gita, ces ouvrages sont offerts à tous les nouveaux adeptes Hare Krishna et vendus lors de leurs déambulations.
Les différentes communautés de l’Iskcon, comme La Nouvelle Mayapur, sont des entités indépendantes aussi bien financièrement que juridiquement. Pour autant, elles sont régies spirituellement par la commission du conseil d’administration de l’association internationale pour la conscience de Krishna.
Les personnes importantes dans la hiérarchie d’un temple sont nommées par l’Iskcon. Pour pouvoir espérer être placé à un poste de gourou ou de président de temple, il faut donc avoir des connexions internationales.
Ces deux postes sont d’ailleurs très différents. Le gourou s’occupe de l’aspect spirituel dans la communauté. Il peut avoir plusieurs temples sous sa responsabilité et passer de l’un à l’autre régulièrement.
Le président ou la présidente, de son côté, s’engage à s’occuper du côté administratif d’une communauté. Souvent issu directement de la communauté en question, il pilote, à l’aide du conseil d’administration de l’association locale, les affaires financières du temple.
De riches donateurs
À La Nouvelle Mayapur, les finances sont un point central qui relit abus et conflits. Dans le passé, cette gestion a posé problème puisqu’en 1986 un ancien dirigeant de la communauté a pris la fuite, laissant derrière lui des dettes colossales. Victime d’un redressement fiscal, La Nouvelle Mayapur avait perdu de nombreux fidèles à cette époque. Pour redresser la situation, le domaine d’Oublaise a été vendu puis racheté par la société civile immobilière (SCI) Printemps créée pour l’occasion en 1988. À sa tête, des dirigeants de la communauté internationale Hare Krishna.
Depuis, La Nouvelle Mayapur fonctionne de manière assez opaque. « Nous avons commencé par vendre des livres à prix libre à l’unité, puis, par collection. Finalement, nous ne pouvions plus les vendre à bas coût comme on le faisait auparavant. Ainsi, cette activité s’est rapidement transformée en business. Les responsables et les gourous s’en mettaient plein les poches. Quand tout s’est effondré, ils ont fui », raconte Jean-Luc Delvallée, un ancien de la communauté.
Au-delà de la vente de ces services, la communauté Hare Krishna se finance via de riches donateurs indiens et britanniques. En plus de ces dons venus de l’étranger, les dirigeants de La Nouvelle Mayapur demandent à leurs adeptes de l’argent. « Rien n’est obligatoire mais tout le monde donne en général. Ce sont des petites sommes qui servent à gérer le temple et les gens qui y habitent. Certaines personnes donnent 30 euros par mois, d’autres 200, tout dépend des moyens de chacun », assure Indulekha.
Malgré un réseau d’associations déjà tentaculaire, la communauté continue de vouloir les multiplier : cours de Yoga, restaurant, traiteurs avec Govinda’s ou encore maison d’édition Bhaktivedanta…
Ces activités sont toutes domiciliées à Luçay-le-Mâle, Écueillé (bourg le plus proche du domaine), ou encore Tours. Les descriptions
En 2014, des membres de l’ultradroite ont tenté de racheter un morceau de terrain de la communauté. Montage : Axel Monnier/EPJT.
des activités des associations se ressemblent toutes et les mots clés sont récurrents : religion, végétarisme, enseigner, Inde, culture, etc.
Enregistrées comme associations, ces entités ne sont pas soumises à la publication régulières d’informations comptables et n’affichent pas clairement leur lien avec La Nouvelle Mayapur.
Contrairement à la majorité des religions, l’apparition de ce mouvement spirituel est relativement récente. Ce détail n’empêche pas l’émergence de tensions en son sein. En réalité, le mouvement a même déjà vécu un schisme, une séparation entre deux branches. D’un côté, l’Iskcon, de l’autre, des personnes qui critiquent et dénoncent les dérives de l’organisation internationale. La Nouvelle Mayapur n’y échappe pas.
A quelques centaines de mètres du domaine d’Oublaise, de l’autre côté de la D109, une ancienne usine, appelée la Fabrique, semble avoir été rénovée : bienvenue à La Nouvelle Shantipura. Ici, Jean-Luc Delvallée tente de bâtir sa propre communauté Hare Krishna.
En poussant la porte en bois de l’usine, l’homme nous invite à l’intérieur. Une longue galerie s’enfonce dans l’obscurité. « À gauche, il y aura un restaurant. À droite, vous avez un salon, un temple, une cuisine et même des chambres à l’étage », indique Jean-Luc Delvallée. Il a longtemps fait partie de la communauté du domaine d’Oublaise mais plusieurs événements l’ont poussé à élever la voix. Ce qui a entraîné, selon lui, son exclusion de la Nouvelle Mayapur.
Le dissident a longtemps fait partie de la communauté du domaine d’Oublaise, mais plusieurs événements l’ont poussé à élever la voix, ce qui a entraîné, selon lui, son exclusion de La Nouvelle Mayapur. Jean-Luc Delvallée accuse l’ancien président d’avoir harcelé une dévote pour qu’elle quitte son logement : « C’était un escroc, un dealer de drogue. Il a même dénoncé la communauté à l’Adfi contre de l’argent. »
Indulekha, la dévote rencontrée au chateau, avait confirmé que le président était très peu apprécié. Aujourd’hui, c’est la fille du dirigeant qui a repris les rênes. Une chose positive selon la dévote, mais une mascarade pour Jean-Luc Delvallée. « C’est lui qui l’a placée, il tire les ficelles. » Selon nos informations, l’ancien président vit toujours près du domaine.
Le créateur de la Nouvelle Shantipura attaque également l’actuelle dirigeante du temple. D’après lui, un dévot SDF à Paris se serait rendu à La Nouvelle Mayapur pour y trouver l’hospitalité. « Un refus catégorique de la part de la présidente l’a poussé à arrêter de manger et de boire. Il en est mort », rapporte le dissident.
Ses accusations ont causé des problèmes à Jean-Luc Delvallée. « On est venu me menacer ici, chez moi. » Il aurait alors tenté de mêler la justice à ces histoires. « Le maire me dit qu’il ne peut rien faire mais qu’il comprend. Les gendarmes, eux, parlent d’un problème de voisinage à régler entre nous. » Sollicitée, la préfecture de l’Indre n’a pas souhaité nous répondre sur d’éventuelles poursuites en cours.
« Il y a des dérives sectaires à La Nouvelle Mayapur », résume Jean-Luc Delvallée. C’est aussi ce que dit un rapport parlementaire publié en 1995 qui désigne les Hare Krishna, ainsi que d’autres groupes jugés problématiques, comme mouvement sectaire. C’est la Miviludes qui observe et analyse ces dérives. Cette institution ne peut plus émettre de listes des différents mouvements sectaires présents sur le territoire.
Interviews de Géraldine Esquivillon, ancienne dévote, et Jean-Luc Delvallée à La Nouvelle Shantipur. Réalisation : Walaa Bourbala, Saskia Juigner Doubinsky et Axel Monnier/EPJT
Pour établir ses rapports, la Miviludes s’appuie sur une liste de 10 critères, parmi lesquels le dévouement total aux dirigeants, des situations de rupture familiale, une perte d’esprit critique, une modification du langage et des habitudes alimentaires ou encore des réponses stéréotypées à toutes les interrogations existentielles.
Sur les 11 critères établis, la quasi-totalité s’applique à la communauté du domaine d’Oublaise. Pourrait-on se dire malgré tout que cette communauté ne fait de mal à personne ? Pour Donatien Le Vaillant, « si on considère que la capacité à réfléchir est importante dans une société de citoyens éclairés, on peut considérer qu’à chaque fois qu’il y a une entrave à cela, il y a un préjudice ».

Walaa Bourbala
@BourbalaWalaa
23 ans.
Journaliste en formation à l’EPJT en spécialisation télévision.
Passée par El Iktisadia el Oula, Radio Alger Chaîne 3, El Watan.
Passionnée par la politique et l’économie.
Aimerait travailler sur l’actualité internationale.

Saskia Juigner Doubinsky
@SaskiaJuignerD
22 ans.
Journaliste en formation à l’EPJT en spécialisation télévision.
Apprentie à TV Tours-Val de Loire.
Passée par Le Parisien.
Passionné par les sujets de société, de politique et passionnée par la culture italienne et la photographie.

Axel Monnier
@AxelMonnier6
21 ans.
Journaliste en formation à l’EPJT en spécialisation télévision.
Passé par Paris-Normandie, France 3 Bourgogne et Ouest-France.
Passionné par la géopolitique, les pays de l’Est et l’image.
Aimerait traiter sur l’actualité internationale et les conflits.