Les Halles ont changé de visage à plusieurs reprises. Gif : Emilie Chesné/EPJT
Le projet de rénovation des Halles de Tours a été remis sur le tapis au conseil municipal du 29 mars 2021. Lancé en 2017 par la précédente municipalité, il prévoit de changer de façon radicale leur aspect et de recentrer leurs fonctions sur la gastronomie.
Par Laura Alliche, Victoria Beurnez, Lucas Bouguet, Emilie Chesné, Lucie Diat, Louise Grange et Lise Lacombe
Pour comprendre l’avenir des Halles, il faut revenir sur les traces de leur passé. Le voyage dans le temps débute il y a deux cent trente ans.
La Révolution française fait rage dans l’Hexagone. Les églises et autres biens religieux sont nationalisés. En 1791, la municipalité acquiert l’église Saint-Clément. Situé à l’angle de la rue des Halles et de la place Gaston-Paillhou, l’édifice, doté d’une grande nef, devient le premier marché couvert tourangeau.
Cependant, l’espace vient rapidement à manquer et un nouveau projet se dessine : « La ville souhaite alors regrouper tous les marchés spécialisés, céréales, volailles, fruits et légumes, en un seul dès 1820 », explique Jean-Luc Porhel, conservateur en chef des archives municipales de Tours.
Quid du site d’implantation des premières Halles ? « Depuis le XIIe siècle, l’actuel quartier des Halles accueillait les premiers marchés », ajoute-t-il. Espace de rencontre historique, le lieu d’accueil est donc tout trouvé. Désormais, il faut des fonds.
Les années mille huit cent soixante voient éclore le projet : « Une dizaine de maisons sont détruites en 1861 autour de la place Gaston-Paillhou. C’est le plus grand projet urbain de l’époque. » En 1866, les premières halles sortent de terre. « Métal, briques, vitres, intérieur en pavés céramique, elles sont le reflet de l’époque industrielle et appliquent à la lettre les théories hygiénistes avec une construction qui permet de grands courants d’air », décrit Jean-Luc Porhel.
L’inspiration de cette architecture provient tout droit de Paris. Les Halles sont construites sur le modèle des célèbres pavillons Baltard. Tours garde toujours un œil sur la capitale, ce que le spécialiste de l’histoire municipale confirme par ces mots : « Tours est un petit Paris mais sans le copier. »
Les halles futuristes de Jean Royer
Le succès est au rendez-vous. Au point que le bâtiment s’agrandit dès la fin des années mille huit cent quatre-vingt avec la création d’un deuxième pavillon. Près d’un siècle passe. Les halles font partie du paysage turon. « La vente fonctionne à plein régime. Mais, entre les deux guerres, des avancées sont réclamées par les commerçants, indique Nicolas Raduget. Ils dénoncent la vétusté des lieux et leur insalubrité. Ils n’ont pas de glacière pour stocker les produits frais ni d’eau courante. »
Il faut attendre les années soixante-dix pour voir le lancement de travaux de grande envergure. Ministre du Commerce en 1973, « Jean Royer est le maire bâtisseur de Tours : il affiche politiquement ses ambitions avec la construction de la ville nouvelle », souligne Jean-Luc Porhel.
Période d’expansion économique et d’entrée dans la modernité, les années soixante-dix font de Tours l’un des laboratoires français de l’urbanisme contemporain. Au diable les traditions, il faut du neuf, du monumental. Le mot d’ordre de ce chantier : démolition et reconstruction.
« Elles sont le symbole d’une qualité de vie qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Elles ne font pas seulement rayonner le quartier des Halles ou la ville mais toute la Touraine »
Nicolas Raduget, historien
Entre 1976 et 1980, un immense bâtiment à base d’acier, de plexiglas et de verre apparaît dans le centre. Inspiré par l’industrie aéronautique et les courants d’architecture de l’époque, c’est l’architecte tourangeau Jean-Claude Drouin qui signes ces halles nouvelles. Modernes dans la forme, celles-ci le sont aussi par les acteurs qu’elles accueillent. « Il y a une rupture affichée pour faire de ce lieu non pas un espace de vente basique, mais un espace social », assure Jean-Luc Porhel.
La polyvalence est de mise. Les services tertiaires investissent les étages : bureaux, sièges syndicaux, salles de réunion, médias. Quant au rez-de-chaussée, il accueille à la fois l’espace dédié aux marchands et aux producteurs ainsi que des magasins permanents, une particularité tourangelle. En résumé, les halles ont « leur propre galerie marchande ».
Si la gastronomie tourangelle a une vitrine, c’est bien des halles qu’il s’agit. « Elles sont le symbole d’une qualité de vie qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Elles ne font pas seulement rayonner le quartier et la ville, mais toute la Touraine », insiste Nicolas Raduget. La ville est d’ailleurs devenue, en 2010, l’une des quatre cités internationales de la gastronomie avec Rungis, Lyon et Dijon.
Les halles sont donc un espace emblématique « où il faut être initié par les locaux pour en connaître tous les secrets ». Ce qui ne les empêche pas d’être en proie à de grands changements. Il faut les faire entrer dans le XXIe siècle. Mais comment ? « Modifier, supprimer ou détruire l’actuel bâtiment… Rien n’est acté, toutes les cartes sont encore sur la table », répond Jean-Luc Porhel.
Les nouvelles Halles en débat
Le projet d’Icade pour les halles se voulait moderne et mieux intégré dans son environnement. Capture d’écran youtube
En 2017, le maire de l’époque, Serge Babary, lance un appel à projet. Un an plus tard, le promoteur immobilier Icade présente le nouveau visage des halles centrales, tel qu’il l’a imaginé. Son projet est sélectionné.
Il prévoit la construction de deux nouveaux immeubles d’habitation, au nord et au sud du bâtiment actuel. Ce dernier doit être rénové dans une architecture contemporaine, tout en verre et en bois. Enfin, un nouveau parking souterrain doit être créé au nord et relié à l’actuel.
Pensées comme un temple de la gastronomie, contrairement à l’actuel bâtiment, les nouvelles halles doivent ainsi refléter le patrimoine et le terroir de la Touraine « du produit brut à l’assiette ».
Mais le projet de rénovation ne fait pas l’unanimité. Le 11 septembre 2019, soixante-dix commerçants, artisans et salariés des halles signent une tribune pour s’y opposer. Ils lui reprochent de n’être qu’un « simple projet immobilier imposé par Icade et la seule plus-value immobilière envisagée par la mairie de Tours ».
Le master Management des territoires et urbanisme de l’Université de Tours fait de ce projet un cas pratique. La controverse en fait un parfait sujet pour des étudiants qui doivent s’entraîner à analyser et à argumenter autour d’une proposition d’aménagement du territoire.
Cliquer sur les étudiants pour connaître leurs noms. Faire défiler pour voir les équipes de plus près. Photos : Lucie Diat, Lise Lacombe/EPJT – Infographie : Emilie Chesné/EPJT
Le 13 janvier 2021, ils organisent un jeu de rôle pour recréer le débat public. L’objectif : chaque équipe endosse le rôle des protagonistes du débat. Elles doivent poser des questions et défendre leurs idées devant les autres en s’inspirant des arguments des différentes parties en présence.
Les équipes du master Management des territoires et urbanisme refont le débat. Vidéo : Laura Alliche, Louise Grange/EPJT
Quatre ans après le lancement de l’appel à projet pour la rénovation des halles de Tours, toujours pas de chantier en vue. La mairie a décidé d’abandonner la proposition d’Icade, trop controversée. Malgré les tentatives de l’entreprise pour rassurer les commerçants sur les délais de construction, les travaux envisagés par le groupe immobilier étaient source de trop d’inquiétudes : déménagement dans de nouveaux locaux, perte potentielle de clients et changement de leurs habitudes étaient pour eux inenvisageables.
Le 29 mars 2021, lors d’un conseil municipal, la mairie de Tours a affirmé sa volonté de rencontrer les commerçants propriétaires directement touchés par les éventuelles modifications des halles, avant de prendre de nouvelles décisions.
Pour les trente-huit professionnels installés dans les halles, la priorité reste avant tout le bien-être de leurs clients. Pour certains, un changement radical n’est pas nécessaire.
Guillaume Guibert, président de l’Union des commerçants des halles et gérant de la Criée de la boucherie, confirme qu’une réflexion commune est nécessaire : accès aux usagers, aspect du bâtiment… Photo : Criée de la boucherie
La dirigeante d’une boulangerie bien connue des Halles le confirme : si l’accessibilité des clients aux halles est primordiale pour les commerçants, l’aspect de celles-ci importe également. Photo : Victoria Beurnez/EPJT
En définitive, les différents commerçants et acteurs des Halles sont prêts à coopérer avec la nouvelle mairie pour porter ensemble ce projet.
La nouvelle équipe municipale de Tours souhaite se concentrer sur la Cité de la gastronomie et faire des halles l’un des cœurs névralgiques du projet. Alice Wanneroy, adjointe déléguée à la transition agro-écologique, le confirme : « Depuis l’obtention du label “Cité de la gastronomie”, il y a eu un certain nombre d’initiatives mais sans vraie dynamique de fond. Lorsque nous avons repris ce dossier, nous étions convaincus que les halles et la villa Rabelais devaient être au cœur de ce projet. Nous avons pour but de proposer quelque chose de clair, d’identifiable. »
Pour l’équipe municipale, les halles se sont présentées comme une évidence pour porter ce projet. D’un côté, l’appartenance du bâtiment à la ville ôte quelques contraintes. De l’autre, l’adjointe mentionne « un lieu très identifié, emblématique de la gastronomie, comme dans beaucoup de villes françaises ».
L’adjointe évoque toutefois la nécessité et la volonté de faire un vrai travail de coopération avec les commerçants : « Lorsque nous avons discuté avec eux, nous avons ouvert beaucoup de pistes de réflexion. Ils sont vigilants sur les façons dont cela va impacter leur activité, mais aussi conscients des flux potentiels qui vont être créés. Pour nous, il ne peut pas y avoir de projet dans une logique d’opposition. »
Véritable différence avec le projet de la mairie précédente, l’actuelle ne tient pas à reconstruire entièrement le bâtiment. « Des travaux ont été réalisés jusqu’en 2013, il nous paraît absurde de ne pas valoriser ce qui a déjà été fait. » L’adjointe mentionne toutefois un travail sur la façade qui devra être « plus accueillante et identifiable ».
L’historien Nicolas Raduget en est persuadé : « Surnommée le jardin de France, la Touraine symbolise la cuisine française dans toute sa diversité avec ses traditions viticoles et son hédonisme local. » C’est un véritable atout touristique pour la ville déjà idéalement située sur la route des châteaux de la Loire. Dans ce contexte,nul doute que les Halles devienne un lieu de rendez-vous de la gastronomie française.