Gare à
l’assiette miracleLa diététique ayurvédique et la macrobiotique viennent d’Orient mais exigent d’être adaptées au mode de vie occidental. Photo : Valentin Jamin/ EPJT
Végétarisme, véganisme, crudivorisme… Ils sont de plus en plus nombreux à se lancer dans des modes alimentaires alternatifs. Parmi les plus étonnants, on trouve l’ayurvéda, la macrobiotique voire le respirianisme. Mais ces pratiques, parfois dévoyées, comportent des risques.
Par Louise Baliguet, Tiffany Fillon, Valentin Jamin
Les influenceurs deviennent végétariens à tout va. Le problème, c’est qu’ils incitent à faire n’importe quoi. » Dhara Vyas « baigne, depuis toute petite, dans l’ayurvéda », une médecine traditionnelle indienne basée sur l’alimentation. Pour elle, de plus en plus de personnes adoptent un régime végétarien pour suivre la tendance. Mais la plupart d’entre eux ne feraient pas assez attention à leur équilibre alimentaire et développeraient facilement des carences.
L’ayurvéda, voilà l’alternative qu’elle propose. Ce mode de vie connaît lui aussi un effet de mode, tout comme la macrobiotique. Chouchous des influenceurs sur les réseaux sociaux, ces deux types d’alimentation alternatifs, venues d’Orient, ont été popularisés par des célébrités américaines comme Madonna ou Gwyneth Paltrow, adeptes de la macrobiotique.
Il y aussi ces acteurs et actrices français, comme Fabrice Luchini, Marion Cotillard ou Isabelle Adjani qui fréquentent régulièrement Guenmaï, l’un des derniers restaurants macrobiotiques de Paris. Estelle Lefébure, ancien mannequin vedette devenu accro au yoga, anime régulièrement des émissions sur cette discipline et sur l’ayurvéda avec Yogi Cameron, un ancien top model lui aussi, reconverti en guérisseur. Ces régimes excentriques deviennent parfois de véritables méthodes minceur. Dans les magazines féminins, on peut ainsi lire que Jessica Alba aurait perdu ses kilos de grossesse grâce à la macrobiotique.
La diète pour se remettre sur pied
Sophie Daniac est la gérante et la fondatrice de Guenmaï. Photo : Tiffany Fillon/EPJT
À l’origine, la macrobiotique et l’ayurvéda n’ont pourtant rien à voir avec la perte de poids. Leur but est surtout d’atteindre une harmonie entre le corps et l’esprit. Remise au goût du jour par Georges Ohsawa dans les années trente, la macrobiotique vise à prolonger l’existence grâce à une alimentation fondée sur l’équilibre entre le yin et le yang.
Les théoriciens de la macrobiotique conseillent de privilégier le plus possible les produits ni trop yin ni trop yang, comme les céréales, les légumineuses et quelques légumes. En théorie, aucun aliment n’est proscrit.
La macrobiotique implique aussi de manger en fonction de l’endroit où l’on se trouve puisqu’elle repose sur la « compréhension des énergies qui nous entourent », comme l’explique Sébastien Lièvre, naturopathe. Sophie Daniac, gérante du restaurant Guenmaï, dit par exemple « manger des produits de saison » et « éviter les fruits exotiques ».
Celle-ci reconnaît que l’alimentation conseillée par l’ayurvéda « ressemble beaucoup à ce [qu’elle] propose ». L’ayurvéda est issue de textes sacrés indiens, vieux de cinq mille ans. La thérapie passe par des massages, des plantes médicinales, la pratique du yoga mais surtout par l’alimentation. Pour atteindre un équilibre entre le corps et l’esprit, la nourriture consommée doit s’opposer à la personnalité de l’individu : les aliments qui renforcent le caractère, appelé dosha, sont proscrits. Par exemple, une personne très énergique doit limiter sa consommation d’épices pour éviter d’être trop agitée.
La diététique ayurvédique impose aussi de ne manger que des produits frais, riches en prana, qui signifie « l’énergie en toute chose » dans l’ayurvéda. C’est ce que conseille vivement Marika Suares, formatrice en cuisine ayurvédique et thérapeute spécialisée : « Le jour où elle a été cueillie, une salade est belle et brillante. Le lendemain, elle perd beaucoup de fraîcheur et manque cruellement de prana. Il ne faut pas la manger. Ça stresse l’organisme. »
Pour les adeptes de la macrobiotique et de l’ayurvéda, l’alimentation aurait un impact direct sur la santé et pourrait ainsi soigner toutes sortes de maladies. La macrobiotique est inspirée de la médecine traditionnelle chinoise et l’ayurvéda est considéré comme une médecine à part entière en Inde. Là-bas, il existe même un ministère dédié au yoga, à l’ayurvéda et à d’autres pratiques traditionnelles.
Au-delà des massages et de l’utilisation des plantes médicinales, l’alimentation tient une place prépondérante dans le processus de guérison. « En cas de maladie, peu importe laquelle, un médecin ou conseiller en ayurvéda regarde systématiquement l’alimentation », explique Marika Suares. La médecine ayurvédique considère qu’une maladie provient toujours d’un déséquilibre qui peut être rétabli grâce à l’alimentation.
Guenmaï est un restaurant macrobiotique situé au cœur du quartier Saint-Germain-des-Prés à Paris. Photo : Louise Baliguet/ EPJT
La macrobiotique tient moins compte des spécificités des individus. Certains de ses adeptes pensent qu’un simple régime alimentaire à base de céréales peut suffire pour soigner tout type de maladie, du cancer au rhume bénin. Sophie Daniac raconte que la macrobiotique a sauvé la vie de son mari, atteint d’une grave maladie cardiaque : « Il s’est lancé dans un régime très strict. Il n’a mangé presque que des céréales et n’a pas pris un seul médicament pendant trois mois ».
Corinne Dupont est cofondatrice des centres de cure ayurvédiques Tapovan. Falguni Vyas, médecin ayurvédique indienne, travaille pour cette entreprise.
Certains adeptes invitent à la prudence concernant les vertus miracles de ces modes d’alimentation. Ces derniers sont surtout préconisés en cas d’inconfort ou de maladie digestive. C’est ce que souligne Corinne Dupont (à gauche sur la photo), co-fondatrice de Tapovan, le premier centre ayurvédique ayant ouvert en France : « La diététique ayurvédique peut réduire les problèmes digestifs. Elle va simplement soulager la douleur. »
Au salon Marjolaine, à Paris, Rose s’affaire aux fourneaux du stand tenu par les salariés et les bénévoles de Tapovan. Atteinte d’un diabète de type 2, elle a d’abord consulté un nutritionniste. Déçue, elle a préféré se tourner vers l’ayurvéda. « Je mange des produits conseillés par cette médecine quand on est diabétique. J’ai pris aussi de nouvelles habitudes : je ne mange plus le soir et je complète ma thérapie avec des plantes ayurvédiques qui favorisent la réduction de sucre. »
Savoir lire entre les lignes
Les adeptes de l’ayurvéda doivent se documenter pour comprendre ses principes diététiques. Photo : Louise Baliguet/EPJT
Ces modes alimentaires, dont les principes peuvent paraître au premier abord honorables, sont contestés en France. Le monde médical met en garde les adeptes contre ces types d’alimentation très contraignants qui peuvent entraîner des carences.
Les risques de déséquilibre nutritionnel sont encore plus importants pour les enfants, chez qui certains nutriments sont essentiels pour assurer leur bon développement. Sylvain Taillardat, diététicien-nutritionniste, déconseille vivement aux plus jeunes de pratiquer ce type de diètes. Pour lui, il serait dangereux qu’un enfant se prive de viande ou de produits laitiers : « On ne les met pas dans les meilleures conditions pour grandir. Il est possible de vivre avec des carences en fer mais, chez les enfants, celles-ci peuvent engendrer des retards mentaux. »
Quoi qu’il en soit, pour les petits comme pour les grands, le piège serait de suivre ces modes alimentaires à la lettre, d’autant qu’ils ne sont pas adaptés à un mode de vie occidental. « Il faut savoir lire entre les lignes et interpréter ces textes. Surtout ceux de Georges Ohsawa qui sont très radicaux », reconnaît Sophie Daniac. Ohsawa, figure phare de la macrobiotique, préconise par exemple de ne manger que du riz brun en cas de maladie.
Les diététiciens reprochent aussi à ces alimentations de favoriser l’isolement des personnes. Difficile pour elles de partager un repas en famille ou avec des amis, quand elles doivent respecter scrupuleusement une longue liste d’aliments prohibés. La plupart des adeptes admettent alors devoir faire des écarts pour ne pas affecter leur santé ou se couper de toutes relations sociales.
« Je ne devrais pas manger des brocolis parce qu’ils renforcent mon dosha. Mais, comme je suis végétarien, j’en mange pour compenser mes carences en protéines », explique Camille Abgrall (photo ci-contre), gérant de Shankara France, boutique de produits ayurvédiques.
Comme lui, Sophie Daniac déclare faire la part des choses : « Je ne vais pas me priver si j’ai envie de manger une pizza avec mes enfants. Ce n’est pas un problème. » Pour apprendre à adapter ces alimentations au mode de vie occidental, il est possible de s’inscrire à des cours de cuisine spécialisés. Ils sont nombreux, à Paris ou en province, à proposer ce type d’initiation. C’est le cas de Camilla
Camille Abgrall vend des produits ayurvédiques dans la boutique Shankara France. Il est en le cogérant.
Malvestiti, cuisinière qui enseigne les principes de l’ayurvéda dans le 19e arrondissement de Paris.
Pourtant, si on en croit certains partisans de ces mouvements et des sites internet, les principes de l’ayurvéda et de la macrobiotique ne sont pas vraiment flexibles. Si certains sont plus souples dans l’application de leur régime, d’autres érigent des règles strictes à respecter sans sourciller. Le site ayurveda-france.org, référence pour les professionnels de l’ayurvéda, invite à fortement réduire, voire à supprimer, certains types d’aliments.
Dans le 19e arrondissement de Paris, Camilla Malvestiti, cuisinière italienne, montre à ses apprentis comment préparer des plats ayurvédiques. Ce type d’initiation de quelques heures est fréquent dans la capitale. Venu d’Inde, cette médecine accorde une importance de taille à l’alimentation. Elle permettrait d’atteindre un équilibre du corps et de l’esprit.
Pourtant, si on en croit certains partisans de ces mouvements et des sites internet, les principes de l’ayurvéda et de la macrobiotique ne sont pas vraiment flexibles. Si certains sont plus souples dans l’application de leur régime, d’autres érigent des règles strictes à respecter sans sourciller. Le site ayurveda-france.org, référence pour les professionnels de l’ayurvéda, invite à fortement réduire, voire à supprimer, certains types d’aliments.
Des modes de vie déroutants
Sur Internet, les repirianistes affirment que l’homme est capable de vivre sans s’alimenter. Photo : Tiffany Fillon/ EPJT
Toutes ces confusions et ces contradictions désorientent les personnes qui souhaitent se lancer dans l’ayurvéda et la macrobiotique. C’est ce qui, en partie, a poussé les organismes de lutte contre les sectes à s’intéresser de près aux zélateurs de ces mouvements. En effet, les membres des associations qui combattent les dérives sectaires ont constaté que ces pratiques constituent un terreau favorable au développement des manipulations mentales.
Les organismes étatiques surveillent sur le terrain ce qui se passe dans ces milieux et rédigent régulièrement des écrits sur ces questions. Dans un rapport du Sénat du 3 avril 2013, il est indiqué que la médecine ayurvédique n’a « plus grand chose à voir avec [sa] culture d’origine quand elle est enseignée en Europe ». Ce document dénonce des pratiques qui, « pour une part plus ou moins grande [sont] une invention des praticiens qui les mettent en œuvre, ce qui rend particulièrement difficile la connaissance de leur contenu exact et leur évaluation ».
Dans ces rapports, ils citent aussi les respirianistes, un mouvement théorisé par l’Australienne Jasmuheen dans les années quatre-vingt-dix. Elle a inventé le processus de vingt-et-un jours, qui permettrait de cesser de s’alimenter progressivement. Il est déjà responsable de la mort de plusieurs personnes dans le monde.
La méthode de ce groupuscule passe notamment par l’instrumentalisation de certains principes de l’ayurvéda et de la macrobiotique. Ces individus disent se nourrir du prana, cette notion d’énergie en toute chose théorisée dans l’ayurvéda. Ils disent ainsi ne plus avoir besoin de nourriture et pensent que tous les êtres humains sont capables d’adopter cet effrayant mode de vie.
L’ayurvéda et le yoga sont fondés sur les mêmes textes sacrés.
Ces charlatans préconisent la pratique du yoga. Pourtant, les professionnels de cette discipline comme Brigitte Sautereau Tanet (à gauche sur la photo), professeure rattachée à la Fédération nationale des enseignants de yoga (Fney), ne sont pas du tout convaincus par le respirianisme.
« Ces personnes souhaitent accomplir des miracles. Ce courant n’a rien à voir avec le yoga qui repose sur la mesure et qui rejette toute forme d’excès », analyse-t-elle.
Les respirianistes ont parfois d’autres pratiques décriées par la médecine conventionnelle. Comme l’urinothérapie (qui consiste à boire son urine), également préconisée par l’ayurvéda. Isabelle Hercelin, guérisseuse qui « expérimente la nourriture lumière depuis 2009 », écrit sur son site internet que cette pratique est « une des merveilles de l’être humain » et considère que l’urine est « un élixir de vie ».
Pour que ses paroles imprègnent mieux les esprits, Isabelle Hercelin organise des rencontres mensuelles avec de potentiels adeptes. À Nantes, dans un grand salon où se déroule habituellement des cours de yoga pour améliorer la qualité du sommeil, elle raconte son récent voyage. Nous sommes sept à lui avoir donné, en arrivant, 20 euros. Assis en cercle, nous l’écoutons sans broncher donner des conseils sur la vie. Ses prétendus pouvoirs impressionnent l’assistance. Selon elle, « les hommes sont tous des êtres de lumières. Les nutriments dont nous avons besoin se trouvent déjà dans la lumière autour de nous. » La Nantaise au teint hâlé affirme aussi ressentir des « connexions vibratoires » avec les personnes qu’elle rencontre. Même à distance, « par Skype ».
Isabelle Hercelin est respirianiste. Elle prétend que l’homme n’a pas besoin de se nourrir pour vivre. Elle organise régulièrement des réunions à Nantes. Photo : Valentin Jamin/EPJT
Lorsque j’aborde la question de l’eau, Isabelle Hercelin se dit convaincue « que l’organisme a la capacité d’en fabriquer lui-même ». Des propos à l’opposé de ceux qu’elle tenait face à mon confrère qui se présentait comme journaliste quelques heures plus tôt : « Je bois du thé et de l’eau. Il faut boire, c’est très important. » Un décalage de discours qui en dit long.
Les organismes de lutte contre les sectes, comme la Miviludes (Mission intergouvernementale pour la lutte contre les dérives sectaires) se battent pour que ce mouvement dangereux disparaisse définitivement. « En France, il est l’objet d’une surveillance étroite des colloques et des stages », lit-on dans le guide Santé et dérives sectaires dès 2009. Malheureusement, le CCMM (Centre contre les manipulations mentales), l’une des principales associations qui combattent ces mouvements, dit recevoir des appels à propos des respirianistes.
Plus largement, Annie Guibert, sa présidente, reconnaît que les sollicitations en rapport avec des dérives dans l’alimentation sont en hausse : « Il y a une véritable déferlante d’appels. De plus en plus de gens se revendiquent de tout et de rien. »
Concernant l’ayurvéda et la macrobiotique, ce qui l’inquiète, c’est plutôt « leur adaptation à des fins sanitaires ou financières ». Leur instrumentalisation continue donc, malgré les actions des associations, d’attirer les plus fragiles.