Garantie jeunes
Entre espoir et inquiétudesEn France, selon les chiffres du ministère du Travail, 900 000 jeunes peu ou pas diplômés sont sans emploi. Les missions locales sont mobilisées pour leur venir en aide. Et doivent sans cesse composer avec de nouveaux dispositifs. Dernier en date, la Garantie jeunes affirme sa volonté d’inverser la courbe du chômage chez les jeunes. Mais trouve rapidement ses limites.
Par Simon Abraham et Yleanna Robert
Photos : Yleanna Robert
Je suis venu à la mission locale de Blois fin 2015 pour qu’on m’aide dans ma recherche d’emploi », explique Dimitri, 21 ans. Avec le soutien de son conseiller d’insertion professionnelle, Stéphane Thilloux, ce passionné de chaudières a sollicité plusieurs entreprises dans ce domaine. « Il est facile de monter un projet avec un conseiller, poursuit-il. Ce sont des personnes vraiment à l’écoute. Nous pouvons leur parler de tout. » La relation est forte. Elle est en tout cas une vocation essentielle des missions locales, chargées d’accompagner les jeunes en difficulté dans leur démarche professionnelle.
Michèle Faivre, conseillère depuis bientôt dix-huit ans, le confirme : « Nous cherchons à instaurer un rapport de confiance avec eux. » Et ce, dès les premiers rendez-vous. « À son arrivée dans la structure, le jeune est directement accueilli par un conseiller. Celui-là même qui le suivra tout au long de son parcours », explique-t-elle. Cette relation, presque intime, tend à prendre plus d’importance avec un nouveau dispositif, en voie de généralisation partout en France : la Garantie jeunes.
Avenir à garantir
Mission locale de Beaulieu-lès-Loches, petite ville d’Indre-et-Loire. Matthieu, 21 ans, bénéficie de la Garantie jeunes depuis le mois d’octobre 2016. Tout comme à Blois, il est accompagné par un conseiller et participe à divers ateliers sur des thèmes variés comme la confiance en soi. Lui qui n’est plus scolarisé depuis ses 16 ans profite désormais de ce nouveau programme d’accompagnement vers l’emploi.
Celui-ci n’est pas encore très médiatisée. Lancée en novembre 2013, il est actuellement en cours d’expérimentation dans 91 départements et est en voie de généralisation depuis la récente loi Travail. La mission de Blois pourra donc prochainement le mettre en place.
C’est un outil supplémentaire censés aider à inverser la courbe du chômage. La cible du dispositif : les 18-25 ans qui ne sont ni en étude, ni en formation, ni en emploi ou « Neet » (not in education, employment or training, NDLR). Ils sont 900 000 en France, selon Myriam El Khomri, ministre du Travail.
Des métiers qui rendent autonomes
Ce programme d’insertion entraîne le jeune vers l’autonomie sociale et professionnelle. Et lui offre aussi une première expérience dans le monde du travail. Au total, le suivi dure un an. Une période qui démarre par cinq semaines d’ateliers collectifs : apprendre à écrire un CV, simuler des entretiens d’embauche, etc. Puis, quatre-vingt jours de stage.
À la fin, le jeune doit disposer des compétences pour décrocher un emploi dans le domaine qui lui convient. « Certains travaillent chez McDonalds ou comme serveur. Les secteurs sont vraiment divers », explique Laëtitia Turelier, conseillère référente Garantie jeunes à Beaulieu-lès-Loches. Des métiers pas toujours valorisants, mais qui rendent autonome.
L’accompagnement ne se fait pas seulement au niveau l’emploi. Les personnes concernées par la Garantie jeunes « ont souvent des problèmes d’accès à un logement, de santé, de mobilité ou encore de vie sociale, précise Luc*, conseiller d’insertion professionnelle. Nous les accompagnons aussi dans ces domaines là. Pour la santé, par exemple, en collaboration avec des psychologues et des médecins, nous réglons les problèmes d’accès aux soins, de possibles addictions, de prévention contre les maladies sexuellement transmissibles, etc. »
En plus de cet accompagnement, une allocation mensuelle est versée au jeune. Environ 460 euros. C’est l’une des particularités de ce dispositif, qui fait l’objet des premières critiques. « Avec cette somme, on ne peut pas non plus faire des miracles », regrette Jean-Michel Mourouvin, secrétaire général adjoint du Syndicat national des métiers de l’insertion. Certains hommes politiques de droite la considèrent même comme une prime glandouille.
À croire ces derniers, les jeunes en situation de précarité ne rentreraient dans le dispositif que pour toucher de l’argent. Un cliché. Car, même si cette somme n’est pas mirobolante, c’est une aide précieuse. Surtout pour un jeune qui ne demande, en général, qu’à travailler. « On garantit à un jeune un revenu du montant du RSA. Cela lui change la vie. Ce n’est pas la gloire, mais ça permet de ne pas vivre au jour le jour », confirme Jean-Patrick Gille, député socialiste et président de l’Union nationale des missions locales.
Évidemment, pour que le jeune touche l’intégralité de cette allocation, il doit se soumettre aux règles de vie et d’apprentissage imposées par le dispositif, sous peine de la voir réduite, voire être supprimée pour un mois ou plus. La conséquence est que « la Garantie jeunes nécessite une densité de l’accompagnement plus forte, c’est-à-dire des rendez-vous plus réguliers et un travail sérieux. Le jeune ne doit pas venir les mains dans les poches », souligne Michel Abhervé, professeur en économie sociale et politiques publiques.
Mais combien sont-ils à avoir suivi ce dispositif depuis sa création ? Un peu plus de 70 000, selon les derniers chiffres du gouvernement. Environ 80 % du réseau des missions locales applique aujourd’hui ce dispositif. Ce dernier a fixé le cap de 100 000 jeunes suivis pour la fin de l’année 2016 et espère le double au terme de l’année suivante. Une généralisation nécessaire car, selon une étude menée l’an dernier par Le Figaro, les 15-25 ans sont les plus touchés par le chômage (25,8 % en octobre 2016, selon les derniers chiffres de l’OCDE), particulièrement les peu ou pas diplômés. Un taux qui augmente de façon continue et qui a été multiplié par deux en trente-cinq ans. Ce nouveau dispositif espère inverser la tendance, mais fait face à plusieurs problèmes.
Pressions, désaccords, surcharge de travail
Dans le dossier du jeune se trouvent les documents garantissant qu’il a suivi toutes les étapes du dispositif.
La généralisation de la Garantie jeunes a un coût : près de 250 millions d’euros dépensés en 2016 par l’État et des fonds européens. Une mesure qui a donc pour volonté de lutter contre le chômage des jeunes, avec les « Neet » comme cible principale. Mais les opinions divergent sur cette cible. Sur leur nombre d’abord. Jean-Patrick Gille estime qu’ils sont entre « 400 000 et 600 000 ». Et non pas 900 000, comme annoncé par Myriam El Khomri. Si même les organismes en charge de la Garantie jeunes n’arrivent pas à déterminer le nombre de jeunes concernés, comment être sûr qu’il sera appliqué correctement ?
Tous ne sont pas non plus d’accord sur le concept de « Neet ». « C’est une idée négative qui ne correspond pas à la réalité française », critique Michel Abhervé. « Être ni en emploi, ni en étude, ni en formation ne dit pas qu’on est en difficulté. Avec ce terme, on dit juste une position à un moment donné », affirme François Sarfati, sociologue. Après le souci du nombre, les critiques se tournent donc vers l’appellation en elle-même. Et même si le mot permet uniquement de définir une situation rencontrée par de nombreux jeunes, la cible du dispositif pose problème.
Autre souci, le nombre de personnes concernées. A priori, prendre en charge deux cent mille « Neet » à l’horizon 2017 est une bonne avancée. Mais, « un million et demi de jeunes fréquentent les missions locales. Les bénéficiaires de la Garantie jeunes ne représentent qu’un dixième de ce chiffre », reconnaît Jean-Patrick Gille. Alors, bonne initiative certes, avec une possible et légère réduction du taux de chômage, mais un dispositif qui trouve rapidement ses limites. « Si ce programme doit toucher trois fois plus de personnes, la plus grande partie des missions locales ne seront pas en capacité de les accueillir », prophétise François Sarfati.
Avec pareil dispositif, les missions locales devraient crouler sous les demandes. Pourtant, à Beaulieu-lès-Loches, c’est tout l’inverse. Il leur manque des jeunes ! Laëtitia Turelier a craint longtemps de ne pas pouvoir respecter l’objectif fixé par l’État pour sa mission locale : « Nous devions atteindre le chiffre de quatre-vingt-dix jeunes suivis au sein de la Garantie jeunes avant la fin de l’année. Sinon, nous ne touchions pas toute l’aide accordée par l’État pour la mise en place de cette mesure. Or en novembre, nous n’en avions que soixante-huit. Nous ne pouvions pas imaginer comment en trouver vingt-deux autres avant fin-décembre. »
Cette inquiétude a poussé la direction à prendre des mesures. « Déjà, pour avoir les soixante-huit jeunes, nous avons dû accueillir des mineurs alors que normalement nous n’en avons pas le droit. La Garantie jeunes est réservée aux plus de 18 ans. » Beaulieu-lès-Loches n’est pas la seule mission locale à subir ce problème. « C’est un système pervers voué à se développer », estime Luc, qui fait également face à des difficultés au sein de sa mission locale.
L’aide peut varier d’un tiers
Les contraintes ne s’arrêtent pas là. Dans les textes, les missions locales touchent 1 600 euros par an et par jeune suivi. Pour recevoir cette somme, elles doivent logiquement donner des garanties. La prime est « basée sur la réussite », reconnaît Laëtitia Turelier. Mais elle en dénonce les conditions de versement : « La mission locale touche 10 % en moins si la dose importante de papiers administratifs n’est pas parfaitement remplie, 10 % en moins si les quatre mois de stages obligatoires ne sont pas réalisés et encore 10 % en moins si le jeune ne trouve pas d’emploi à la fin. »
L’aide peut donc varier d’un tiers. Une forme de pression à l’insertion qui conduit les missions locales à insérer rapidement chaque nouveau jeune afin d’avoir une « sortie positive » et d’être payées en intégralité. Une méthode qui dénature le travail principal des missions locales.
Difficultés à cadrer la notion de « Neet », pression à l’insertion, manque paradoxal de jeunes… La liste des problèmes est longue. Avec l’arrivée de la Garantie jeunes, le métier de conseiller d’insertion professionnelle, chargé du suivi direct du jeune, se dégrade. L’État souhaite doubler le nombre de personnes, d’ici fin 2017. Mais sans réellement revoir l’augmentation du nombre de conseillers. Du coup, qui dit augmentation du nombre de jeunes, dit augmentation de la charge de travail pour le personnel en place. Sans compter qu’avec la Garantie jeunes, une lourde partie administrative vient déjà s’ajouter au suivi social.
« Nous ne pouvons faire face à cette surcharge administrative qu’au prix d’heures supplémentaires permanentes et bien sûr, pas compensées ni payées », accuse Luc. La mission locale de Beaulieu-lès-Loches est dotée d’une responsable administrative qui prend en charge les nombreux formulaires nécessaires pour l’inscription d’un jeune dans une entreprise ou pour un stage. Cela libère ainsi les conseillers. Une division du travail plutôt rare, comme son poste. À Blois, les conseillers doivent gérer seuls la partie administrative. Une contrainte qui les détourne des jeunes, pourtant au cœur de leur mission.
Difficultés internes perturbantes
L’arrivée de la Garantie jeunes a accentué les problèmes que rencontraient déjà les missions locales.
Les missions locales ont été créées en 1982 après la parution du rapport commandé par le premier ministre de l’époque, Pierre Mauroy, et écrit par Bertrand Schwartz, ingénieur au Corps des mines : L’insertion professionnelle et sociale des jeunes. Aujourd’hui, elles sont confrontées à de nombreux problèmes internes.
« Parfois, nous sommes dans la même précarité d’emploi que les jeunes que nous suivons », ajoute Luc. De fait, nombreux sont ses confrères qui n’ont qu’un CDD. « Les financements de l’Etat peuvent vite s’arrêter. Nous préférons donc embaucher en CDD car cela nous évite de licencier », justifie Thomas Prigent, directeur de la mission locale de Blois. À la précarité des conseillers s’ajoutent des soucis d’inégalités de financement entre les missions locales mais aussi des difficultés à recruter.
« Il y a beaucoup d’attentes politiques mais la réalité du terrain est tout autre », dénonce Luc. Beaucoup d’acteurs locaux remarquent que l’État leur en demande toujours plus alors que leurs subventions baissent. « Les financements publics sont incertains et jamais à la hauteur des enjeux », regrette le conseiller. Pourtant, l’État s’est engagé à verser 15 millions d’euros supplémentaires aux missions locales en 2017, ainsi que 60 millions d’euros de plus pour le développement de la Garantie jeunes. Ce qui rend Jean-Patrick Gille « plus optimiste » pour l’avenir.
Avec leur statut associatif, les missions locales sont financées en majeure partie par l’État (40 %) et les collectivités territoriales (46 %). Avec la décentralisation, selon les départements, l’aide apportée n’est pas la même. Par exemple, dans la Drôme (26), les élus locaux ont réduit l’apport financier de 50 % en 2016. Un coup dur. Il suffit qu’une majorité politique change dans un département pour que les dispositifs en cours soient soutenus, ou non.
Autre souci : le nombre important de dispositifs d’aides à l’insertion déjà existants dans les missions locales. La Garantie jeunes est, en effet, la dernière d’une longue liste. Mais alors, comment faire en sorte qu’elle ne prenne pas le travail des autres programmes ? Réponse simple de Jean-Patrick Gille : « Ce dispositif ne concerne pas la même catégorie de personnes. Les autres mesures qui existent sont à la fois riches et très différentes. » Certes, mais quand même. Une question légitime serait de se demander comment un jeune peut choisir parmi l’offre très diversifiée qui lui est proposée. Là encore, les conseillers sont là pour l’orienter vers la meilleure solution pour sa situation. À condition qu’ils ne soient pas débordés.
Mais, l’insertion est un secteur qui perd de plus en plus de son attractivité. « Nos métiers sont beaucoup moins recherchés qu’auparavant, ce qui complique le bon fonctionnement des missions locales », regrette Jean-Michel Mourouvin. Un souci d’envergure quand on sait qu’avec la généralisation de la Garantie jeunes, des recrutements vont devoir s’effectuer. Et cela sans qu’on sache si le système sera pérennisé après la présidentielle. La question du chômage chez les jeunes est donc loin d’être résolue.
(*) Le nom a été changé