Les étudiants de la Paris Gaming School en plein cours de montage. Photo : Nathan Filiol/EPJT
Les jeux vidéo sont une passion pour de nombreux jeunes qui souhaitent en faire leur métier. Pour répondre à la demande, les formations post-bac, spécialisées dans l’esport, fleurissent. Les étudiants des premières promotions dressent le bilan entre espoir et désillusion.
Par Noémie Baudouin, Lucie Diat et Nathan Filiol
Bande dessinée : Serena Ramakers et Hugo Sedletzki/Académie Brassart-Delcourt
Salle sombre, écrans lumineux, casques sur les oreilles, regards fixes, main droite sur la souris, main gauche sur le clavier multicolore. Le bruit des cliquetis inonde la salle. La chaleur dégagée par les ordinateurs ferait presque oublier la fraîcheur du mois de novembre. L’ambiance est studieuse. Silencieux, les deux jeunes joueurs en formation enchaînent les parties de tir, concentrés et imperturbables.
À l’étage supérieur de la Paris Gaming School (PGS), cachée dans une impasse de Montreuil, un open-space regroupe le reste de la promotion qui compte une quarantaine d’étudiants.
Parmi eux, Noémie Fleurigeon, 21 ans, passionnée de jeux vidéo et de réseaux sociaux. La jeune femme, timide en apparence, assume avec confiance ses ambitions : « J’aime jouer aux jeux vidéo. Mais ce que je veux vraiment, c’est manager une équipe. »
Noémie et Patrick ont des projets différents mais se retrouvent autour de leur passion pour l’esport. Photo : Nathan Filiol/EPJT
Pendant qu’elle suit un cours de montage vidéo, certains de ses camarades jouent. D’autres travaillent. Des rires s’échappent ici et là. L’atmosphère est détendue. « Ici, s’amuse la jeune femme, c’est une ambiance familiale. »
Si l’emploi du temps n’était pas projeté au tableau, il serait difficile de deviner que l’on se trouve dans une école. La PGS propose une formation post-bac dans l’esport. À partir de septembre et pendant neuf mois, elle forme ses jeunes recrues à des professions liées au sport électronique.
« Le milieu manque considérablement de personnes formées. C’est le moment de se lancer », explique Patrick Moreau. Après avoir traversé la France depuis Nice pour intégrer le cursus parisien, ce jeune étudiant souriant espère bien réussir dans ce domaine qui le passionne.
Mais seuls quatre étudiants sur dix iront au bout de la formation et très peu pourront réellement travailler dans ce milieu convoité.
Un secteur qui fait rêver
Un étudiant s’entraîne sur Fortnite pour devenir joueur professionnel. Photo : Nathan Filiol/EPJT
L’esport désigne à la fois la pratique du jeu vidéo multijoueur, notamment en réseau, et l’ensemble des compétitions dédiées à cette pratique. [simple_tooltip content=’selon une étude SuperData Research‘] Avec 23 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018[/simple_tooltip] , le marché français est un des leaders européens et mondiaux. L’écosystème est cependant toujours en phase de professionnalisation.
Nicolas Besombes est le vice-président de France Esports. Photo : Nathan Filiol/EPJT
« Les compétences qui sont aujourd’hui recherchées dans cette industrie sont de plus en plus élevées », explique Nicolas Besombes, vice-président de l’association France Esports et maître de conférences à l’université Paris-Descartes. Pour lui, « la question de la professionnalisation est indissociable de celle de la formation ».
Fondée en 2016, France Esports a pour but de rassembler tous les acteurs du sport électronique du pays, qu’ils soient joueurs, développeurs et promoteurs, autour du développement structurel de cette pratique. Principale intermédiaire entre le milieu et le gouvernement, l’association garde un œil sur l’évolution de l’offre d’écoles spécialisées qui s’est accélérée depuis 2017.
Et pour cause : l’esport fait aujourd’hui rêver bon nombre d’adolescents. Il a succédé au cinéma, très populaire auprès des jeunes. Ils sont attirés par la perspective de vivre de leur passion. Mais ils étaient et restent trop souvent inconscients du manque de débouchés.
« C’est un secteur de niche, analyse Nicolas Besombes. Il y a peu de structures professionnelles que ce soit chez les équipes, chez les organisateurs d’événements voire chez les éditeurs. Actuellement, il n’y a pas suffisamment de places en France pour tous les étudiants qui sortent des écoles. »
D’autant qu’ils sont de plus en plus nombreux. En tout, il existe une dizaine de formations spécialisées dans l’Hexagone. Tous les ans, de nouvelles écoles ouvrent leurs portes pour répondre à la forte demande d’étudiants qui ont grandi en jouant à League of Legends. La première tentative d’école d’esport, en 2015, était pourtant loin d’être prometteuse…
Le premier centre de formation est fondé à Bouguenais, près de Nantes. The Esport Academy (TEA) propose aux étudiants une formation spécialisée avec un programme généraliste et des interventions de professionnels. Neuf mois de formation en pension complète pour un montant annuel de 5 000 euros.
Mais les premières difficultés se font rapidement jour. L’encadrement se délite. Le rêve de devenir joueur professionnel s’estompe. Le budget de l’école se creuse jusqu’à afficher un déficit colossal. « Les directeurs sont partis en décembre 2016, laissant le centre en détresse financière », se remémore Stéphane Marquez, gestionnaire de TEA après le départ des fondateurs.
Une nouvelle direction se met alors en place. D’anciens étudiants sont élevés au rang de membres de staff et maintiennent le centre à flot. Bastien Sourmail voulait devenir joueur professionnel. Arrivé en septembre 2017, il a assisté à l’effondrement de l’école. « Il n’y avait pas de professeur, c’étaient des étudiants qui avaient le même âge que moi. Le projet de la nouvelle direction n’était pas stable. » En juillet 2017, l’école ferme ses portes et est placée en liquidation judiciaire.
Serena Ramakers/Académie Brassart-Delcourt
« L’affaire de Nantes a fait une mauvaise publicité aux formations qui se sont créées par la suite. Dans les salons, les gens nous disaient que le secteur n’était pas sérieux », se souvient Florian Wagner, responsable développement de l’école de commerce XP International esport & gaming school.
Des cursus encore naissants
Les sessions gaming et les cours se mélangent à la XP School de Paris. Photo : Noémie Baudouin/EPJT
Pour les jeunes, choisir une formation est compliqué. Ils ne savent pas vers laquelle se tourner. L’environnement manque d’une structure globale. Il est très difficile pour eux de connaître la valeur réelle des diplômes délivrés.
Malgré l’échec de Nantes et l’argent perdu, Bastien Sourmail n’abandonne pas son rêve. Soutenu par ses parents, il s’inscrit un an plus tard à la XP School de Paris mais avec des ambitions différentes. Il souhaite désormais se tourner vers l’événementiel et la communication dans le domaine de l’esport.
La XP School propose, comme la plupart des écoles de commerce, un bachelor, un diplôme en trois ans non reconnu au niveau national, mais certifié. « Il s’agit d’une formation généraliste avec une spécialisation dans le milieu de l’esport », précise Aurélien Zeilas, étudiant en troisième année. Comme lui, son camarade Erwan Zemarck a conscience que le système est encore loin d’être parfait. « Nous sommes la première promo. Ils essaient des choses sans savoir si ça va marcher. »
En effet, les professeurs sont d’anciens professionnels qui n’ont pas reçu de formation spécifique à l’enseignement. « Il y a parfois un manque de pédagogie mais ils essaient d’apprendre et de s’améliorer », relativise Erwan Zemarck.
Les étudiants de l’XP School se retrouvent régulièrement pour s’affronter en ligne. Photo : Lucie Diat/EPJT
Clément Barthe-Lapeyrigne, lui, se veut réaliste : « On ne travaillera pas tous dans l’esport, en tout cas pas directement après la sortie de l’école. Dans cinq ans peut-être… » À ses yeux, il est indispensable de monter un projet professionnel solide et de le développer en dehors du cadre scolaire. « Je travaille en tant que freelance. Je monte des projets. Je bosse parfois sur des événements ou lors de compétitions parisiennes », ajoute-t-il. Pour réussir dans le milieu, « le diplôme ne suffit pas, il faut être reconnu à travers ses projets, avoir une plus-value » pour se différencier des autres.
Chloé Malaquin a obtenu une licence d’histoire « pour rassurer ses parents ». La jeune femme souhaite désormais commenter des compétitions de jeux vidéo. Pour elle, l’avantage d’une formation dispensée en école de commerce est « qu’elle ne ferme aucune porte ». Le programme de formation de la XP School rassure d’autant plus qu’il est entièrement financé par Ionis, un groupe d’enseignement supérieur privé propriétaire d’une vingtaine d’écoles en France (epitech, e-artsup, ISG, etc.).
Les étudiants de la Paris Gaming School suivent un cours de montage. Photo : Nathan Filiol/EPJT
Ce fonctionnement plus traditionnel attire les étudiants en quête d’un cadre sécurisant. Ce fut notamment le cas de Warren Pelletier, titulaire d’un DUT Métiers du multimédia et de l’Internet. Accepté à la Paris Gaming School, il choisit pourtant d’intégrer la XP School. « Mes parents ont eu peur. Nous n’étions pas sûrs des débouchés », explique-t-il.
Le modèle de fonctionnement de la PGS est en effet semblable à celui de The Esport Academy de Nantes. Les effets provoqués par la fermeture de l’école nantaise et les nombreux témoignages négatifs relayés sur les réseaux sociaux se répercutent sur l’école parisienne.
Patrick Moreau confirme cette mauvaise réputation. Avec ses bras tatoués et ses petites lunettes rondes, il ne correspond pas au cliché du gamer. S’il a intégré la PGS à la rentrée 2019, il admet avoir eu des doutes : « J’avais un peu peur d’une arnaque. Je suis même venu visiter l’école avec un ami. »
Beaucoup d’argent... peu de débouchés
À la Paris Gaming School, les étudiants sont souvent livrés à eux-mêmes. Photo : Nathan Filiol/EPJT
Ilan Meulin est l’un des deux cyberathlètes de l’école. Il envisage de devenir joueur professionnel. Il a justement choisi cette école parce qu’elle n’est pas conventionnelle. Bien que le milieu soit très fermé, le jeune homme n’a aucune appréhension au sujet de son avenir : « Si ça ne fonctionne pas, j’irai travailler ailleurs. »
Il confie pourtant se poser des questions quant au crédit à la consommation qu’il a pris pour entrer à l’école : « Est-ce que je n’ai pas dépensé ces 10 000 euros pour rien ? »
L’argent ne fait pas le bonheur et pourtant, il constitue l’unique porte d’entrée pour se professionnaliser dans l’esport. La dizaine de centres de formation organise leur sélection avec un concours d’entrée. Mais en définitive, seul l’argent permet aux étudiants d’accéder à ces écoles.
Ilan Meulin est l’un des deux étudiants qui se forment pour devenir joueur professionnel. Photo : Nathan Filiol/EPJT
Pour suivre les neuf mois de formation à la PGS, il faut débourser 10 000 euros. Le bachelor en trois ans de la XP School coûte quant à lui 21 000 euros. « Mes économies m’ont permis de me lancer et de financer la formation », explique Patrick Moreau. Mais la plupart des élèves ont eu recours à un prêt étudiant et ce, alors qu’ils n’ont pas l’assurance de trouver un emploi à la suite de leur formation.
Démarrer sa vie professionnelle avec un prêt à rembourser est un risque qu’a choisi de prendre Bastien Sourmail : « Je préfère galérer dans un milieu professionnel que j’aime avec un crédit sur le dos plutôt que d’avoir un métier qui ne me plaît pas. »
« Les cours concernant l’esport ne conviennent pas. Personne n’est aujourd’hui compétent pour former »
Aurélien Zélias, étudiant à la XP School
En tant que premières promotions de ces écoles, les étudiants n’ont aucune visibilité sur leur avenir et se projettent dans un secteur qu’ils ne côtoieront peut-être jamais. Patrick Moreau voit les bons côtés de ce milieu en construction : « C’est plus facile de se faire une place maintenant. »
La question de l’opportunisme des écoles et des centres de formation spécialisés se révèle par l’absence de personnel qualifié. « Les cours concernant l’esport ne conviennent pas. Personne n’est aujourd’hui compétent pour nous former », souligne Aurélien Zeilas, étudiant à la XP School.
Le joueur de Starcraft, Anoss, donne un cours aux étudiants de la XP School de Paris. Photo : Noémie Baudouin/EPJT
Gary Point, directeur de la PGS, accuse les écoles de commerce de « faire du business ». Malgré cela, elles reçoivent toutes des centaines de dossiers d’inscription.
La reconnaissance du diplôme est une autre question sensible. La PGS annonce délivrer un certificat de fin d’étude en voie d’enregistrement auprès de France compétences, le répertoire national des certifications professionnelles. La direction de ce service affirme pourtant qu’aucun dossier au nom de la PGS n’a été déposé.
De son côté, la XP School assure être « une formation reconnue par le ministère du Travail » sans être non plus répertoriée par France compétences. Ce flou n’arrête pas les étudiants qui misent sur le manque de structure du secteur pour se frayer un chemin.
L’esport est encore en construction, les formations aussi et cela se ressent. L’avenir dira si ces écoles ont vu juste. Toutefois, les structures actuelles n’affichent pas le sérieux d’autres formations post-bac tant pour le diplôme que dans l’enseignement. S’orienter dans ces écoles doit donc être un choix réfléchi. La passion et la motivation ne suffiront peut-être pas pour réussir.
Tous les étudiants interrogés sont cependant conscients qu’ils ont fait un pari hasardeux sur leur avenir. Ce que Clément Barthe-Lapeyrigne résume par : « Nous nous sommes lancés dans un coup de poker. Si nous réussissons, nous serons les pionniers du milieu. Si ça ne marche pas, ce sera uniquement à cause de nous. »
La bande dessinée a été réalisée dans le cadre d’un partenariat entre l’Ecole publique de journalisme de Tours et l’Académie Brassart-Delcourt
Noémie Baudouin
@NoemieBaudouin
22 ans
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
S’intéresse à l’histoire et la géopolitique.
Passée par France télévisions, Le Parisien-Aujourd’hui en France et Ouest France.
Se destine à la presse écrite.
Lucie Diat
@L_diat
22 ans
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
S’intéresse à l’histoire, la politique, la culture, au féminisme et au sport.
Passée par La Montagne et Ouest-France.
Se destine à la presse écrite et à la radio.
Nathan Filiol
@nathanfiliol
22 ans
Étudiant en journalisme à l’EPJT.
Passionné de rap US et de cinéma.
S’intéresse à la politique et aux États-Unis.
Passé par Radio Campus, La République du Centre et La Nouvelle République du Centre-Ouest.
Se destine à la presse magazine et au photojournalisme.