Encore une réforme

Cinq ans après leur mise en place, les Espé sont dans le viseur du gouvernement.

Alors que des dysfonctionnements réguliers touchent les Espé depuis cinq ans, le ministère de l’Éducation nationale prépare une réforme en profondeur. Si les étudiants pointent du doigt les problèmes de leur formation, la réforme annoncée ne les rassure pas.

Par Alice BLAIN et Ariel GUEZ (texte et photos)

Les jeunes enseignants souffrent. Il est de plus en plus difficile pour eux de se faire titulariser. Le nombre de licenciements des enseignants-stagiaires a doublé entre 2012 et 2016. Tous sortaient pourtant d’un an de formation, au moins, dans une école supérieure du professorat et de l’éducation (Espé).

Les étudiants soulignent depuis longtemps des dysfonctionnements au sein de ces écoles. Entre leur mise en place en 2013 et aujourd’hui, les Espé d’au moins cinq académies, réparties sur l’ensemble du territoire, ont connu des mouvements de grève. La contestation des étudiants a pris de l’ampleur avec la médiatisation de la grève de l’Espé de Grenoble, en avril 2017.

Parmi leurs principales revendications, la fin de cours jugés inutiles au métier et, surtout, d’avantage de places pour la formation pédagogique. « À l’Espé, nous étions des étudiants, nous étions très encadrés par des formateurs qui nous notaient. Dans les établissements où nous enseignions, au contraire, nous étions en autonomie totale, comme un prof normal. Cela nous obligeait une véritable volte-face hebdomadaire», explique Jean, gréviste en 2017 et aujourd’hui titulaire remplaçant dans le second degré en Essonne.

Du côté des administrations, le son de cloche est différent. Jacques Ginestié, directeur de l’Espé d’Aix-Marseille et président du réseau national des Espé, souligne, dans une interview accordée en 2016 au site d’information sur l’éducation VousNousIls.fr, que, malgré la création très rapide de ces écoles, les retours étaient « tous globalement positifs ».

À Lille, par exemple, le changement récent de direction a permis d’apporter une nouvelle impulsion à la formation des futurs enseignants. Afin d’enrichir et de diversifier les enseignements, de nombreux partenariats internationaux ont été mis en place, notamment avec l’Amérique du Sud.

Une réforme qui fait débat

L’Éducation nationale prépare une réforme en profondeur. La Fédération éducation, culture et recherche de la CGT (CGT-FERC) l’a annoncé le 9 février dernier dans un communiqué présentant ce qu’elle nomme le « projet Blanquer ».

Le projet est dans les tiroirs de la rue de Grenelle depuis plusieurs mois. Si le ministère de l’Education nationale se refusait à tout commentaire au printemps dernier, Jean Michel Blanquer et Frédérique Vidal ont approuvé plusieurs des recommandations de la Cour des comptes qui vont vers une refonte totale des Espé. En juin, M. Blanquer annonçait au magazine Sciences et Avenir qu’il voulait que cette réforme ait un impact dès septembre 2019.

Actuellement, le concours d’admissibilité s’effectue en fin de première année de master (M1). Si la réforme, telle qu’elle est présentée par la CGT, s’applique et si le ministère suit les recommandations du palais Cambon, il serait placé en fin de troisième année de licence. Ainsi, les admis auraient deux années de master en alternance au lieu d’un an actuellement. La titularisation suivrait la validation du master.

Une mesure saluée par Cécile Giron, formatrice à l’Espé de Paris. Selon elle, cela permettrait aux étudiants de se dédier pleinement à leur formation pendant deux ans. Actuellement, les futurs enseignants se consacrent surtout à la préparation du concours, explique-t-elle. Avec cette réforme « ils seront vraiment dans une logique de professionnalisation», dès la première année.

Cette réforme doublerait également le temps de formation rémunérée après le concours. Pour limiter un tel coût, les futurs enseignants-stagiaires auraient un statut proche des contractuels. La CGT redoute des rémunérations au rabais, à hauteur de 450 euros par mois en M1 et de 900 euros en M2.

Franck Loureiro, secrétaire général adjoint de la SGEN-CFDT, s’oppose à ce type de « mauvais contrats». Le syndicat préférerait un statut d’apprenti, qui assurerait selon eux une meilleure rémunération et revaloriserait l’apprentissage, souvent considéré comme voie de garage au sein même de l’Éducation nationale.

« On risque d’envoyer au casse-pipe des gamins de 20 ans »

Le calendrier de la formation changerait lui aussi. Les enseignants-stagiaires assureraient un tiers temps dès la première année, puis en deuxième année un mi-temps au rythme actuel : deux jours et demi à l’Espé puis deux jours et demi en classe devant leurs élèves. Testée actuellement dans cinq académies, la généralisation de cette mesure n’est qu’une « solution acrobatique » pour certains anciens étudiants de l’Espé de Grenoble. On risque « d’envoyer au casse-pipe des gamins de 20 ans» affirme Jean.

Par ailleurs, une diminution du nombre de places au concours s’annonce. Une baisse de 10 % pour les professeurs des écoles et de 20 % pour les professeurs et conseillers principaux d’éducation dans les collèges et lycées. Une mesure qui fera débat si elle est appliquée, de nombreuses académies manquant actuellement d’enseignants.

Le ministère de l’Education nationale a beau avoir démenti auprès de la CFDT les informations révélées par la CGT-FERC, il a confirmé la préparation d’une réforme et les propos de M. Blanquer ces dernières semaines vont dans le sens des révélations de la CGT au début de l’année. Après le nouveau baccalauréat et la mise en place de Parcoursup, qui a fait grincer des dents tout l’été étudiants et parents, les Espé seront donc certainement le prochain gros chantier du côté de la rue de Grenelle.