Dans les coulisses

de Wanted TV

Photos Louis Claveau/EPJT

Depuis 2005, Wanted TV permet à des jeunes issus de quartiers populaires de réaliser des reportages sur le thème de leur choix. Ils apprennent de leurs erreurs et changent leurs visions sur le monde du journalisme.

Par Louis Claveau, Pierre-Emmanuel Erard, Noémie Le Page Dronval
Photos Louis Claveau/EPJT

Ecole publique de journalisme de Tours, février 2018, 18 heures. La nuit est déjà tombée et les derniers étudiants rentrent chez eux. Alors que tous descendent les escaliers pour rejoindre l’arrêt de bus, un groupe monte. Une quinzaine de jeunes, la vingtaine en moyenne, arrive au quatrième étage pour s’installer dans une salle informatique. C’est la première fois qu’ils se voient. Souriants mais timides, ils sont venus assister à la réunion de présentation de Wanted TV, une émission faite par et pour les jeunes de quartier.

Le programme, mis en œuvre depuis 2005 en collaboration avec TV Tours Val-de-Loire, consiste à faire réaliser à ces jeunes des reportages télévisés sur le sujet de leur choix, avec pour thématique le vivre ensemble dans la diversité. Ils seront encadrés de deux réalisateurs, Élodie Hervé, journaliste en résidence à l’EPJT et Pépiang Toufdy. Accompagnés de Nicolas Sourisce, directeur de l’EPJT, les deux présentent le programme. Puis ils discutent avec le groupe des sujets à traiter, forment les équipes et organisent les enquêtes. À la fin de la séance, tout le monde a trouvé son sujet.

Un groupe à géométrie variable

Petite leçon de prise de vue avant d’aller sur le terrain.

Le groupe est très hétérogène, les profils et les origines sont très variés. Une diversité qui fait la force de ce groupe qui déborde d’idées. Le but de l’émission est avant tout de déconstruire les stéréotypes et les clichés sur les quartiers. Une stigmatisation dont la population souffre, mais qu’elle entretient aussi. « Ils ont beaucoup d’idées préconçues dans leurs têtes. Ils se stigmatisent eux-mêmes », déplore Pépiang Toufdy. L’idée est de redorer l’image de ces quartiers par l’action de leurs habitants. C’est aussi un moyen d’éduquer ces jeunes aux médias, leur faire découvrir le métier. Mais Wanted TV est avant tout pour eux un moyen de s’exprimer sur des thèmes qui leur tiennent à cœur.

Dans les faits, tous ne sont pas issus de quartiers populaires. Certains viennent même de communes plutôt aisées, comme Mathieu qui vit à Saint-Avertin, dans la banlieue de Tours. La participation est basée sur le volontariat. Pépiang Toufdy a présenté le projet aux maisons de quartier et aux missions locales. Le bouche-à-oreille a ensuite fait son effet et les candidats sont arrivés spontanément.

Hélas, le groupe s’est disloqué aussi vite qu’il s’est formé. Créer un reportage de sept minutes exige du temps et de l’investissement. « Nous sommes passés de quinze à six personnes, regrette Émiliano, 20 ans, une fois le montage terminé. Certains n’avaient pas assez de motivation, d’autres ont trouvé du travail entre temps. » Horline, pétillante recrue de 22 ans, s’est retrouvée seule pour monter son sujet. Les autres membres de son groupe ont abandonné en cours de route. Un problème récurrent dans ce type de projet, il est impossible d’avoir la garantie de l’implication et de la motivation de ces jeunes qui peuvent disparaître du jour au lendemain. Heureusement, un noyau dur restera fidèle jusqu’à la fin.

Des sujets tirés de leur vie

Emiliano et Mathieu en plein tournage

Alors comment les motiver ? « Ils doivent parler positivement de leur vécu », explique Pépiang Toufdy. Chacun vient avec un parcours de vie différent sur lequel il se repose pour trouver un sujet à réaliser.

De nature plutôt joviale, Horline a choisi de parler d’un sujet qui la touche particulièrement. « Je suis perdue dans ma vie. » Elle aurait pu faire de cette phrase une fatalité, mais elle a décidé d’en faire une enquête pour mieux rebondir. « J’avais beaucoup de mal à parler avec les gens avant. J’étais presque asociale », confie-t-elle.

A 22 ans, Horline veut surmonter sa peur de la vie et de l’avenir.

Âgée de 22 ans, cette jeune Guyanaise, si énergique aujourd’hui, a souffert d’être introvertie. Aborder des inconnus représente un véritable défi pour elle. Pourtant, son vœu le plus cher est de devenir conseillère d’orientation. Elle propose donc un sujet sur l’échec dans la vie. Un sujet qui renvoie aux problèmes auxquels elle est elle-même confrontée. Elle explique que beaucoup de jeunes de son âge ont peur de l’avenir, peur de l’échec et peur des choix qu’ils ont à faire.

Le profil de Radwan est complètement différent. Soudanais originaire du Darfour, il fait partie de ces milliers de personnes qui ont traversé la Méditerranée pour trouver refuge en Europe. Après avoir demandé l’asile, il a obtenu un titre de séjour valable dix ans. Il n’a que 24 ans mais affirme avoir travaillé comme journaliste au Soudan.

Radwan, 24 ans, veut devenir journaliste.

Polyglotte – il parle anglais, arabe et four, la langue de sa région natale – il améliore en ce moment son français pour devenir journaliste. Chaque jour, depuis le mois de septembre, il prend des cours de français à la faculté des Tanneurs. C’est ainsi que lui est venue l’idée d’un sujet sur la langue comme facteur d’intégration.

Son idée a beaucoup plu. Bon nombre de ses camarades connaissent des personnes dans leurs entourages confrontées à la barrière de la langue et à ses conséquences au quotidien. « Il y a beaucoup de communautés un peu partout, affirme de son côté Horline. C’est bien que les gens prennent conscience qu’il y a d’autres langues que le français en France. »

Emiliano a, lui, décidé de traiter le handicap dans le sport. Après avoir fait des études dans la restauration, il a décidé de se reconvertir dans le social. Franco-mexicain, il vit avec son père à La Riche, une commune qui jouxte Tours. Emiliano vient d’effectuer un stage lors duquel il a travaillé avec des personnes à mobilité réduite. C’est donc tout naturellement qu’il a proposé ce sujet à Pépiang Toufdy et à Élodie Hervé.

Déconstruire les idées reçues

Élodie Hervé revient sur les techniques de base de l’interview.

Cette expérience aura peut-être changé leur regard sur la profession de journaliste. À la fin du projet, Emiliano revient sur ses impressions. Avant, « je pensais que les journalistes n’étaient pas très impliqués dans ce qu’ils faisaient, qu’ils venaient poser deux ou trois questions et qu’ils repartaient ». Un sentiment partagé par Horline, la jeune Guyanaise : « Ils traitent un sujet uniquement pour se faire de l’argent, pour boucler leurs fins de mois. »

Des a priori encore tenaces chez les jeunes issus de quartiers ou d’ailleurs. Le phénomène n’a pas échappé à Leïla Khouiel, rédactrice en chef adjointe du Bondy Blog, un webjournal qui tente de mettre fin aux clichés sur les quartiers populaires. Il recueille notamment sur son site des articles écrits par des jeunes issus de ces milieux. La journaliste explique que, dans l’imaginaire collectif, en particulier dans les cités, les professionnels de la presse sont tous riches et pas très intéressés par les sujets qu’ils ont à traiter.

Le montage des reportages, réalisé à l’EPJT, n’a pas toujours été une partie de plaisir pour les jeunes.

Les participants de Wanted TV ont bien compris que ces représentations ne sont pas vraiment justifiées. En réalisant leur reportage, ils ont été confrontés aux plaisirs du métier mais aussi à ses difficultés. Rédiger le synopsis de leur enquête, prendre contact, faire le montage n’a pas toujours été une partie de plaisir. Emiliano ne mâche pas ses mots. « C’était horrible à monter. J’ai failli péter l’ordinateur plusieurs fois », reconnaît-il.

Radwan, lui, a apprécié le montage. C’est même ce qu’il a préféré. Lui qui rêve de devenir journaliste, s’est beaucoup investi dans son reportage sur la barrière des langues. Il est très heureux d’avoir pu vivre cette expérience. Il ne partage pas du tout l’avis de ses camarades sur la presse française. « Pour moi, les journalistes français sont les meilleurs du monde », déclare-t-il en comparant la liberté de la presse en France avec celle inexistante au Soudan. Aujourd’hui, tous attendent avec impatience la diffusion de leurs reportages.