Chasses en réseau

Photo : Thomas Dupleix/EPJT

Depuis l’arrivée des Smartphones, les applications de jeux de piste se sont multipliées. De nouvelles formes de chasse aux trésor ont ainsi émergé. Elles peuvent dynamiser le tourisme local, permettre la découverte du patrimoine ou participer à la cohésion dans une entreprise.

Par Thomas Dupleix, Adrien Petiteau et Romain Pichon

Au fin fond de l’Indre-et-Loire, quelque part dans une forêt. Trois trentenaires. Deux gars, une fille, Smartphones en main. Les aventuriers du jour jettent un œil à un muret de pierres anciennes recouvertes de mousse. « Elle est là ! » lance Nicolas, le chauve à lunettes. Il lance la petite boîte à Stéphane, la force tranquille du groupe, qui en sort un bout de papier. C’est tout ce qu’il y a dedans. Marine, piercing à l’arcade, y inscrit leurs pseudos pour marquer leur passage. Stephlux22 pour Stéphane. Psycho87 pour Marine. Nutsukow pour Nicolas. Une fois refermé, le tube de plastique est minutieusement replacé où il a été trouvé.

Les trois comparses pratiquent le Géocaching. Dans ce jeu, rien à gagner. « Désormais, le trésor est anecdotique. Le fait de découvrir quelque chose de caché est plus important que le trésor en lui-même », explique le socio-ethnographe Patrick Schmoll, auteur du livre Chasseurs de trésors. Rencontrer les autres, en apprendre sur le patrimoine, c’est la quête qui anime les géocacheurs.

Phénomène de société de l’été 2016, Pokémon Go n’a rien inventé. Virtualiser les chasses aux trésors, se confronter aux joueurs du monde entier, c’est vieux comme le monde du numérique.

Un an avant l’explosion de la traque aux Pokémon, Mathurin Body s’était déjà emparé de la mode de la chasse au trésor virtuelle. Ce développeur, qui réside à Montlouis-sur-Loire, près de Tours (37), a créé l’application Pirates de Loire en 2015. Elle compte aujourd’hui 5 000 apprentis flibustiers. « J’ai toujours aimé apprendre sur les lieux que je visitais », indique l’ingénieur en informatique. Il a donc cherché un moyen de faire découvrir la Touraine de manière ludique. Le principe de l’application est de gagner des produits du terroir après avoir répondu à des questions sur des monuments du patrimoine régional.

L’écran comme carte aux trésors

Avec ce type d’applications, des communautés de joueurs se forment et le virtuel s’ancre alors dans le réel. Patrick Schmoll précise que la chasse aux trésors interactive « permet de créer du lien social. Des gens qui ne s’étaient jamais rencontrés physiquement nouent des liens d’amitié et se rejoignent pour résoudre des énigmes ». D’ailleurs, Marine et Stéphane se sont rencontrés en 2015 sur un événement. Depuis, ils cherchent en couple sous le nom de Psycholux. À la ville comme dans la cache. Et Nicolas les a rejoints en mai dernier.

Mais la pratique de cette activité peut donner lieu à des incompréhensions chez les moldus, surnom inspiré de la saga de Harry Potter donné à ceux qui ne la connaissent pas. Marine raconte qu’elle cherchait une boîte en plastique coincée derrière un panneau de signalisation à Saint-Gilles-Croix-de-Vie (85), quand des gendarmes sont intervenus suspectant un trafic de drogue. Coup de frayeur pour les géocacheurs. Ils ont dû expliquer le principe du jeu aux moldus à képi.

Pourtant, la chasse, c’est du sérieux. Un jeu auquel le monde professionnel a lui aussi recours. « Il y a douze ans, mon boss était guitariste d’un groupe de rock. Il a créé une chasse aux trésors pour draguer sa copine, se souvient Loïc Rivalain, ancien journaliste devenu entrepreneur. Il en a parlé à un pote qui lui a réclamé la même chose pour ses salariés. On a été la première boîte en France à faire ça. » Loïc est maintenant directeur création de Ma langue au chat, une agence qui organise des chasses aux trésors interactives pour des entreprises.

Et ça fait rêver. Aventures à Montmartre, au Louvre, opérations d’espionnage dans de grands hôtels parisiens : il y en a pour tous les goûts. Et pour tous les prix. L’agence propose des événements qui vont de 50 euros par personne à 50 000 euros pour plusieurs centaines de joueurs. Ces chasses aux trésors personnalisées sont en grande majorité des opérations de team building servant à souder les salariés au cours de séminaires.

Photo Ma langue au Chat

« Il faut réengager les personnes dans leur métier par le jeu. La secrétaire se retrouve avec le DRH et l’ingénieur technique. Des gens qui ne s’assoient jamais ensemble à la cantine », analyse Loïc Rivalain. Les collègues travaillent sur une problématique différente de celle du travail.

Créer des liens

Ma langue au chat veut redonner du sens à l’action commune. « Chaque employé apporte ses propres connaissances pour avancer en groupe, témoigne Valérie, secrétaire de direction qui a participé à une chasse au trésor avec son entreprise à la forteresse de Chinon. Et puis on ne va pas se mentir, devenir chasseur de trésor le temps d’une journée, c’est plus sympa que d’aller au bureau. »

Beaucoup d’organismes surfent sur l’engouement suscité par les chasses aux trésors. C’est le cas du FC Nantes. En septembre 2016, le club de football professionnel a mis en place l’opération Pokematch, en référence à Pokémon Go. Avant chaque match à domicile, au stade de la Beaujoire, deux places en tribune présidentielle sont cachées quelque part dans la ville. Sur les réseaux sociaux, le club met en ligne une photo du périmètre de recherche. Lucas Hervouet, community manager du FC Nantes, estime que « c’est un excellent moyen de se rapprocher des supporters et d’interagir avec eux. Et de leur faire découvrir la belle ville de Nantes. »

Mais pourquoi donc découvrir par le jeu ? Pourquoi cet engouement pour le ludique ? Là-dessus, Patrick Schmoll a sa petite idée : « C’est le rapport à l’inconnu, à l’énigmatique, une mise à l’épreuve personnelle. » Car qu’est-ce que la vie sinon un jeu ?