Par Laura BANNIER, à Brantford
Cette ville toute neuve, située au sud de l’Ontario, à une heure de Toronto, est en fait la plus grande réserve indienne du Canada. Les Six Nations de la Grande Rivière est une communauté autochtone composée de six tribus. Elle regroupe 26 000 personnes. La moitié d’entre elles ont fait le choix de vivre dans la réserve. La ville la plus proche, Brantford, est située à vingt-cinq minutes de route.
L’aspect neuf qui déroute le visiteur s’explique par les récents investissements du gouvernement de Justin Trudeau pour les communautés autochtones. Durant sa campagne, en 2015, le Premier ministre a multiplié les promesses à l’égard des premières nations (autre appellation des Autochtones). Parmi celles-ci, un meilleur accès à une éducation de qualité, de nouvelles usines de traitement d’eau et des logements. Les réserves ont alors bénéficié de financements qui leur ont permis de moderniser leurs centres urbains.
Au début du XVIIIe siècle, les Tuscaroras fuient leurs terres en Caroline du Nord colonisées par les Anglais et demandent à rejoindre le groupe. Dès lors, la communauté regroupe les tribus suivantes : Mohawk, Cayuga, Onondaga, Oneida, Seneca et, bien sûr, Tuscarora. En 1784-1785, la communauté entreprend un voyage jusqu’à la Grande Rivière. Elle signe avec les colons le décret « Haldiman Proclamation ». La communauté des Six Nations devient alors propriétaire de 3 844 kilomètres carrés de terre. Aujourd’hui, d’après le conseil, seulement 194 kilomètres carrés sont encore en leur possession.
Des inégalités qui persistent
Dans les écoles de la réserve, les enseignants mettent l’accent sur l’apprentissage de l’histoire. La vraie. Pas celle édulcorée telle qu’enseignée dans les écoles ontariennes. Celle-ci omet trop souvent le génocide culturel dont les populations autochtones se disent avoir été victimes.
De 1820 à 1996, les enfants autochtones sont envoyés dans les écoles résidentielles. Ce système d’éducation publique à destination des Amérindiens avait pour but d’évangéliser et d’assimiler les enfants. Cette pratique de séparation a souvent été décrite comme le fait de vouloir « tuer l’indien dans l’enfant ».
À deux pas du centre-ville, se trouve l’école Polytechnique. Cet établissement regroupe un lycée et une université. Plusieurs programmes sont proposés sur le campus, de l’éducation à l’étude des langues indigènes. L’odeur de la peinture emplit encore le bâtiment. Sur les murs des longs couloirs qui mènent à la bibliothèque, des œuvres d’art indigènes sont affichées.
Une fois passé l’accueil, en longeant le couloir principal, on arrive au Centre pour les connaissances autochtones. Cette pièce dédiée à la culture des Six Nations fait partie intégrante de l’école. Taylor Gibson y est chercheur. Cet homme de 30 ans a passé son enfance dans la réserve des Six Nations. « Grandir ici dans les années quatre-vingt-dix n’a pas été facile. On devait aller dehors pour aller aux toilettes car il n’y avait pas d’eau courante. Les routes étaient vieilles et sales. On devait dormir tous ensemble l’hiver car il faisait trop froid », se souvient-il. Des souvenirs douloureux.
La réalité évoquée par l’universitaire perdure aujourd’hui. Ici, dans certaines maisons, il n’y a toujours pas l’eau courante. Les inégalités n’ont pas disparu. Le gouvernement de Justin Trudeau fait pourtant des efforts pour répondre aux demandes des communautés indigènes. Une Commission de la vérité et de la réconciliation (Truth and Reconciliation Commission) a été créée pour tenter de remédier aux problèmes des Premières Nations. En décembre 2015, elle a publié un document intitulé 94 appels à l’action. On peut y lire des suggestions pour lutter contre les inégalités dans plusieurs domaines : santé, éducation, chômage… Pour Taylor, beaucoup de choses restent à changer. « Les indigènes sont fatigués de vivre comme ça. On veut être sur un pied d’égalité », revendique-t-il.
A quelques rues de Polytechnique, dans un café, un groupe de femmes discute joyeusement. Ici aussi l’art indigène s’affiche fièrement sur les murs. La lumière tamisée crée une atmosphère calme. L’odeur de café fraîchement moulu chatouille les narines. Au fond de la salle, une énorme fresque. Candy Martin, propriétaire des lieux explique : « Dans la réserve, certains hommes ont occupé un terrain pendant plusieurs mois afin de protester contre
. Ce tableau les représente. »Le mouvement a servi aux peuples indigènes à réclamer ce qui leur a été volé pendant la colonisation : leurs terres, leur culture, leurs traditions. Sur Twitter, c’est à travers le hashtag #Resistance150 que les Autochtones ont déballé les problèmes auxquels ils doivent faire face dans les réserves.
« Canada 150e est une baffe au visage de notre peuple. C’est comme célébrer le génocide de tout une culture », assure Taylor Martin, la fille de Candy.
Candy Martin, la propriétaire du café, ne croit pas, elle, à la réconciliation : « Ils ne peuvent pas se réconcilier avec nous s’ils ne nous rendent pas notre terre. Nous sommes des êtres humains, nous habitons ici », s’énerve-t-elle. Sa fille est moins négative. « Je ne pense pas que cela soit possible dans un futur proche. Cela doit commencer par des conversations que certaines personnes ne veulent pas avoir », explique Taylor. Au Centre des connaissances autochtones, le chercheur Taylor Gibson est, lui, plutôt optimiste : « La première étape est la compréhension. Nous devons mieux expliquer notre histoire à l’ensemble des Canadiens », sourit-il.
Pour lui comme pour beaucoup d’autres, une réconciliation est possible mais la route reste encore longue.
@LauraBannier
21 ans
Etudiante en licence professionnelle presse écrite de l’EPJT
en mobilité au Canada.
A fait un tour aux rédactions de Ouest-France, Le Penthièvre,
La Nouvelle République, RCF et TVSud.
Fan de sport, de photo et de voyage.
Se destine à la presse écrite et en ligne,
tout en espérant rester au Canada.