Arnaques en pyramide

Photo : Lucas Chopin, Barbara Gabel, Louise G./EPJT

Ils ont cent ans et continuent de faire des émules. Les systèmes pyramidaux font florès dans les firmes peu regardantes sur les moyens de développer leur business. Enquête au sein de WorldVentures, club de voyages américain, roi de l’arnaque.

Par Lucas Chopin, Barbara Gabel et Louise G.

(article mis à jour le 19 novembre 2020)

C’est l’effervescence parmi les membres de la communauté de voyageurs de WorldVentures. Réunis au Centre de congrès de Lyon, ils sont 1 500 à attendre impatiemment l’arrivée de l’Américain Josh Pain sur la scène de l’amphithéâtre. C’est la toute première fois que le P-DG de l’entreprise WorldVentures foule officiellement le sol français. Une gigantesque mascarade, qui s’est tenue en janvier et à laquelle nous avons pu assister sous une fausse identité.

Le credo de cette compagnie américaine : être payé pour voyager. Qui refuserait ce job de rêve ? La promesse de Josh Pain attire de plus en plus d’adeptes à travers le monde. Ici, à Lyon, Eric, 31 ans ou encore Martin, la petite vingtaine, s’émerveillent en écoutant les discours de celles et ceux qui seraient devenus millionnaires grâce à leur activité au sein de l’entreprise.

Évidemment, tout cela est trop beau pour être vrai. Bienvenue dans l’arnaque du XXIe siècle. Chez WorldVentures, comme chez de nombreuses autres sociétés, on ne se fait pas d’argent sur la vente de voyages mais sur le recrutement de nouveaux membres, une pratique illégale. Autorisé dans de plus en plus de pays, le marketing de réseau est toujours strictement encadré. Hélas, de nombreuses firmes parviennent à contourner la loi et profitent, pour certaines, de flous juridiques existants, comme en France.

Pour des novices en la matière, ce type de vente directe s’apparenterait à des sortes de réunion Tupperware. À la différence près que les boîtes en plastique ont été remplacées par des voyages de luxe à prix réduits. Ces entreprises , telles que WorldVentures, font du profit à travers des commissions sur le recrutement de nouveaux membres. Ici, la vente sert à masquer le versement de frais d’entrée qui permettent l’enrichissement des personnes situées aux étages supérieurs de la pyramide.

Un mode de rémunération pourtant sanctionné par l’article L121-15 du Code de la consommation. Il en va de même pour les gains financiers promis en fonction du nombre de personnes recrutées. Hélas, le rêve n’est que de courte durée. Il s’effondre lorsque les personnes situées en bas de la pyramide perdent de l’argent faute de nouvelles recrues.

Le rêve prend forme

Photo : Pixabay

Melody Rismann ou Johnny Wimbrey, ces noms ne vous disent rien. Pourtant, c’est pour eux que des centaines de  [simple_tooltip content=’membres de WorldVentures’]dreamtrippers[/simple_tooltip] se sont déplacés des quatre coins de France et d’Europe.

À seulement 26 ans, Melody Rismann est présentée comme la première multimillionnaire française grâce à WorldVentures. Elle gagnerait aujourd’hui plus de 45 000 euros par mois. Johnny Wimbrey, lui, c’est la star américaine. Il est venu à Lyon pour partager ses conseils de coach en développement personnel.

À coup de musiques hyper-entraînantes, de récits vendeurs et de performances de communication, le monde pailleté de WorldVentures vend du rêve à des personnes crédules.

Quand le voile de l’arnaque se déchire

À l’instar des personnes réunies à Lyon, Charlotte pensait se faire de l’argent facile. En septembre 2017, la Montpelliéraine de 25 ans rejoint les rangs de WorldVentures espérant mettre suffisamment d’argent de côté pour voyager. Elle quittera l’aventure au bout de six mois sans profiter des réductions sur les voyages promis par la compagnie, ni même rentabiliser les 300 euros qu’elle a déboursés pour rejoindre le réseau.

Le rêve est en effet de courte durée. Il s’effondre lorsque les personnes situées en bas de la pyramide, comme Charlotte, n’arrivent pas à recruter de nouvelles victimes et, du coup, perdent de l’argent.

WorldVentures n’est pas seule à se positionner sur cette activité en plein boom sur le marché français. C’est aussi le cas d’Herbalife ou de Modere, par exemple, deux spécialistes de la vente de produits amincissants miracles. Avec un même principe fondateur : la promesse d’enrichir ses membres grâce au nombre de personnes recrutées.

Mais cette liberté a un prix : il faut compter entre 200 et 300 euros pour se lancer dans ce genre d’activité. Un tout petit investissement promesse de profits si on en croit ces entreprises.

Aussi présent sur le créneau du voyage, Eric Aubin, représentant de MWR Life Europe, refuse d’être associé à un quelconque système pyramidal : « Il n’y a rien de pyramidal chez nous. Ce n’est pas la position dans la hiérarchie qui va compter, c’est la réalité de votre travail. Si vous y consacrez plus de temps et que vous avez plus de membre que moi qui y consacre moins de temps, même si je vous ai parrainé, alors je ne vais pas pour autant gagner plus que vous. Parce que mon travail aura été inférieur au vôtre. Un système pyramidal commissionne les gens sur les frais d’adhésion au réseau. C’est illégal. Donc, chez nous, les frais d’adhésion c’est 60 dollars, 54 euros, et même si on commissionnait là-dessus ça n’irait pas bien loin, et on ne commissionne rien de tout ça. On ne commissionne que sur les clients qui rentrent. Tout comme un agent commercial va avoir des commission sur ses clients ; la société le commissionnera sur les clients qu’il fait rentrer.

» Autrement dit, recruter toute l’armée chinoise pour distribuer vos produits ne vous fera pas gagner un centime d’euro. Parce que les frais d’adhésion, le montant de la licence – ridicule chez nous – n’est pas commissionnable. Vous pouvez recruter autant de personnes que vous voulez, vous ne toucherez pas une seule commission. Par contre si vous, vous avez développé des membres, vous avez des commission sur les clients que vous avez développé. Vous ne serez commissionné que sur les membres… que sur le chiffre d’affaires qui sera rentré, pas sur l’adhésion des membres. Un directeur commercial n’est pas commissionné sur le salaire de ses vendeurs, mais sur les clients trouvé par ses vendeurs… »

Chez WorldVentures, quand on parle argent, les membres s’arrangent toujours botter en touche. À leurs recrues, ils préfèrent parler de points. Ils présentent le système comme une banque dans laquelle les nouveaux épargnent une somme mensuelle. Celle-ci est ensuite censée leur être redistribuée sous forme de points. Mais ils ne savent jamais exactement ce qu’il advient de leur argent…

« Misez sur le petit dernier de votre équipe : quand il commence, il a une énergie débordante et un réseau encore intact s’offre à lui »

Melody Rismann

Me Nicolas Lecoq-Vallon, avocat au barreau de Paris, est catégorique : « Certaines personnes sont lésées et perdent de l’argent. Dès lors, cela devient une fraude. » L’avocat conseille aux victimes de déposer plainte, peu importe le préjudice, pour que la police et les pouvoirs publics s’y intéressent.

Selon Xavier Bétaucourt, ancien journaliste, les entreprises de marketing de réseau comme WorldVentures « sont clairement des arnaques pyramidales ». C’est aussi le cas de la plupart des entreprises déjà citées . L’entreprise portugaise Herbalife a même déjà été condamnée pour vente pyramidale. Hélas, ces pratiques ne devraient pas cesser de sitôt : « Il y aura toujours des personnes assez naïves pour y croire. »

Des pratiques illégales

Photo : Pixabay

Le secret de WorldVentures réside en fait dans le mode de rémunération de ses membres. L’entreprise prétend être basée sur de la vente multiniveau. Cette technique, aussi appelée multi level marketing, ou MLM, a été popularisée par l’entreprise Tupperware dans les années cinquante.

Elle permet notamment de se passer de frais publicitaires, de recrutement et de formation. Les recrues sont chargées elles-mêmes de recruter de nouvelles personnes grâce au bouche à oreille. Ils touchent un pourcentage sur les ventes de leurs recrues.

« WorldVentures permet de voyager à prix cassés et de gagner de l’argent. Tous les mois, si vous avez un bon réseau, vous êtes commissionnés et vous générez une rente », explique un membre de la firme lors d’une réunion de présentation dans un lieu privé. En effet, l’entreprise propose également de faire de ce rôle de recruteur un réel métier.

C’est là que se cache l’entourloupe. Chaque nouveau membre doit verser plusieurs centaines d’euros à WorldVentures au moment de l’adhésion ainsi qu’un abonnement mensuel.

Or l’article L121-15 du code de la consommation interdit de proposer à une personne de collecter des adhésions en exigeant d’elle le versement d’une somme. Il est également interdit de faire espérer à cette personne d’obtenir des gains financiers en fonction du nombre de têtes qu’elle recrute.

WorldVentures promet à ses adhérents de faire du profit grâce à des commissions sur le recrutement de nouveaux membres. Par exemple, quatre personnes recrutées par un membre lui permettent de diminuer le forfait mensuel qu’il doit payer.

Mais WorldVentures va encore plus loin dans l’illégalité. La firme expose fièrement à ses membres sa façon de fonctionner. Un système louche qu’une recrue de WorldVentures nous a expliqué en détail. L’argent investi par un nouveau membre profite en partie à son parrain direct. Une autre partie profite à la personne située deux rangs au-dessus de lui.

Des arnaques pyramidales

En somme, l’entreprise WorldVentures est basée sur une pyramide de Ponzi, un schéma pyramidal et illicite. Les dernières personnes à rejoindre l’entreprise perdent de l’argent tous les mois si elles ne trouvent pas suffisamment de recrues. L’investissement de départ est ainsi très difficile à amortir.

 

Me Nicolas Lecoq-Vallon, avocat au barreau de Paris, est catégorique : « Certaines personnes sont lésées et perdent de l’argent. Dès lors, cela devient une fraude. » L’avocat conseille aux victimes de déposer plainte, peu importe le préjudice, pour que la police et les pouvoirs publics s’y intéressent.

Selon Xavier Bétaucourt, ancien journaliste, les entreprises de marketing de réseau comme WorldVentures « sont clairement des arnaques pyramidales ». C’est aussi le cas de la plupart des entreprises déjà citées . L’entreprise portugaise Herbalife a même déjà été condamnée pour vente pyramidale. Hélas, ces pratiques ne devraient pas cesser de sitôt : « Il y aura toujours des personnes assez naïves pour y croire. »

Une naïveté à toute épreuve

Photo : Louise Gressier/EPJT

Cent ans que le système pyramidal de Ponzi existe, cent ans qu’il arrive à faire de nouvelles victimes en se réinventant continuellement. Il suppose notamment d’imaginer de nouveaux concepts attractifs qu’on propose ensuite à des personnes qui n’y voient que du feu.

Fini les traditionnelles arnaques d’apprentis traders ou de locations collectives d’appartements en bord de mer. Place désormais au job de « touriste professionnel »,  avec un salaire à vie sans lever le petit doigt.

En plus d’accéder à toute une carte de voyages attractifs après inscription sur leur plateforme privée, WorldVentures propose également de faire de cette activité un business en devenant soi-même entrepreneur. Une recette qui semble fonctionner à merveille auprès de cette communauté française de voyageurs.

Une conquête par l’affect

Selon les dires de l’entreprise américaine, ils seraient près de 10 000 membres à avoir rejoint cette étrange aventure depuis novembre 2018. Grand fil rouge de cette arnaque déguisée : jouer sur la crédulité des gens… Dès le départ, les techniques de manipulation sont présentes.

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Des membres de WorldVentures à la sortie du meeting lyonnais.

Louise Gressier/EPJT

Les ambassadeurs du club de voyages se présentent dans un bar lillois place Louise-de-Bettignies, privatisé pour l’occasion afin de recruter de nouveaux membres.

« Si vous êtes ici ce soir, c’est parce que vous êtes très particulier pour la personne qui vous a amené. Elle a tout simplement eu envie de partager une expérience incroyable et inédite avec vous », débute Martin, jeune recrue de 22 ans, sous l’œil attentif de ses parrains, ou plutôt mentors.

Tous les éléments de langage sont ainsi réunis pour nous faire croire que nous sommes quelqu’un d’exceptionnel aux yeux de cette communauté qui nous connaît à peine. Une heure plus tard, l’affaire est dans le sac et les nouvelles victimes sortent déjà leur carte bleue afin de s’inscrire sur cette plateforme en ligne, propre à l’entreprise, et qui ne laisse aucune trace pour les autorités.

Une secte déguisée

Une fois l’arnaque montée et les victimes recrutées, reste à fidéliser les membres sur le long terme. C’est là que l’aspect sectaire des entreprises comme WorldVentures saute aux yeux. Les événements pour rassembler la communauté ne manquent pas.

À Lyon, l’autocongratulation de Josh Pain, le P-DG, fait place à un discours beaucoup plus menaçant : « Le mot “essayer” ne sert qu’à justifier l’échec potentiel », met-il en garde.

Ici, tout est un jeu, une incroyable supercherie où les plus riches intiment aux jeunes recrues : « Contentez-vous de jouer sans vous demander où ni quand vous allez réussir. »

L’euphorie du public est palpable. Conquis, il en redemande. « Quand tu assistes aux conférences données par ces orateurs, c’est tellement puissant. Tu bois leurs paroles. J’avais des étoiles plein les yeux ! » confie Aurélie, 24 ans.

Pour Tim, c’est autre chose : « Moi je suis en école d’ingénieurs. Ma mère s’est sacrifiée pour moi et a travaillé toute sa vie à La Redoute mais ne touche aujourd’hui qu’une misère. C’est pour elle que je fais cela. » Des recrues qui semblent toutes plus fragiles financièrement et moralement les unes que les autres.

Charlotte, l’ancienne membre repentie, dévoile comment elle a été manipulée : « On m’a dit que j’avais la possibilité d’aider les autres en changeant la vie des gens qui en ont marre de travailler, d’être dans une routine de 35 heures boulot-métro-dodo. J’avais la sensation d’être utile. »

« WorldVentures c’est génial quand on passe les rangs. Si vous voulez profiter du club à 150 %, restez motivés et passez les rangs ! »

Clément

Les recrues ne perçoivent pas tout de suite qu’il est très difficile de rentabiliser son investissement dans l’entreprise. « Il faudrait vraiment que je m’y mette à fond. Je suis persuadée que si je le voulais je pourrais moi aussi réussir autant que Mélody Rismann », se désespère un peu Constance.

Lorsque le moral retombe, les parrains s’arrangent pour être présents afin de remotiver leurs troupes. « Les amis, il faut aussi être lucides… Ces points c’est cool, mais WorldVentures c’est génial quand on passe les rangs. Si vous voulez profiter du club à 150 %, restez motivés et passez les rangs ! » explique Clément à son petit groupe de filleuls.

À 25 ans, il occupe déjà le rang de directeur, à Lille. Une chose est sûre à l’issue de cette journée de formation collective : pour être ambassadeur de WorldVentures, il faut être coachable. Autrement dit, il faut savoir écouter les conseils de son parrain « sans se poser de question ».

À Lyon, les dreamtrippers sont conquis. Les cadres de WorldVentures ont réussi leur pari : convaincre leurs membres que le rêve est à portée de main.

Charlotte, elle, y a laissé des amitiés. Elle aurait voulu se rendre compte plus rapidement de l’arnaque. « On m’avait pourtant prévenue… Mes amis me disaient : ”Ton truc de voyages ça pue l’arnaque, c’est de la merde”. J’ai mis trois mois à faire entrer six personnes. Ce sont des gens qui étaient proches de moi et qui me faisaient confiance. »

Bien que le système pyramidal soit clairement condamné par la justice, il continue toujours de faire des émules. C’est la fin de la grande conférence. Les projecteurs sont rivés sur les stars, le public acclame et scande en chœur « welcome home » (« bienvenue chez vous »). L’arnaque a fonctionné.

Lucas Chopin

@Chopin_Kalu
23 ans.
Étudiant en journalisme à l’EPJT
Passé par Radio Campus Lille et Le Courrier picard.
Passionné de musique, amateur de rock, de hard rock et de métal.
S’intéresse aux questions de justice.

Barbara Gabel

@Barbara_Gbl
20 ans.
Etudiante en journalisme à l’EPJT
En alternance à France 3 Centre-Val-de-Loire
Passée par Les Dernières Nouvelles d’Alsace et Le Journal de Saône-et-Loire
Intéressée par les sujets de société, d’environnement, et qui concernent les femmes