Arbitres battus par KO

Les équipes de foot amateur ont repris le chemin des stades au début du mois. C’est aussi la reprise pour les arbitres. Ceux-ci sont trop souvent la cible de violences sur le terrain. Des mesures sont mises en place depuis dix ans pour les endiguer. Mais le phénomène dure et les arbitres encaissent.

Par Victoria Geffard, Chloé Giraud, Yoann Lefebvre

AAprès avoir sanctionné un joueur d’une exclusion, il a pété un câble. Lorsque j’ai sorti mes cartons, il a frappé ma main. » Le récit de Quentin Gaudisson, arbitre depuis près de dix ans dans le Loir-et-Cher, peut paraître dérisoire. Mais son histoire s’ajoute à celle de dizaines d’arbitres agressés qui font souvent le choix de se taire.

Passer sous silence les insultes, les intimidations, les contestations violentes des supporters, des entraîneurs et des joueurs. Et puis il y a les coups. Comme si la violence envers ces sportifs était devenue la norme. Certains ont rendu leur sifflet, comme Pierre-Nicolas Gallo qui a préféré mettre fin à vingt-quatre ans d’arbitrage après le coup de boule d’un joueur. D’autres ont continué, malgré tout.

Le constat reste le même : les agressions se banalisent dimanche après dimanche. Lors de l’Assemblée fédérale du 8 décembre 2018, Noël Le Graët, président de la Fédération française de football (FFF) révélait « une dérive et une escalade dans les mots et quelques gestes inadmissibles » concernant l’arbitrage. « C’est presque la seule chose qui reste à améliorer dans notre football », a-t-il ajouté. Arbitrer des matchs de football amateur n’est pas toujours une partie de plaisir. Les arbitres subissent de nombreuses agressions.

En terrain miné

L’arbitre fait face à quelques contestations lors du match opposant l’AS Fondettes à l’AS Villedomier. Photo : Victoria Geffard/EPJT

L’homme en noir est souvent vu comme « l’étranger », celui qui arrive seul au stade indépendant des deux équipes. Il en devient une proie facile. Entre 2000 et 2012, environ 5 000 violences envers les arbitres ont été constatées dont 500 concernent des agressions physiques. Ces chiffres, délivrés en 2013 par Bernard Saules, ancien président de l’Union nationale des arbitres de football (Unaf), restent stables. En douze ans, l’association a observé une hausse de 0,4 % des incidents.

Et dans la moitié des cas, les victimes sont les arbitres. Une cible toute désignée par les joueurs qui s’indignent, parfois violemment, des erreurs d’arbitrage ou simplement d’un score qui tourne en leur défaveur. Abdé Nettah, arbitre depuis trois ans et demi dans le district des Pyrénées-Orientales, en est le parfait exemple. Ce n’était, certes, pas la première fois qu’il essuyait des insultes lors d’un match.

Mais le 24 février 2018 a marqué pour lui un tournant. Ce jour-là, il est envoyé sur une rencontre de niveau départemental 2. Pendant vingt longues minutes, il se fait traiter de tous les noms : « sale pédé », « sale homosexuel ». Jusqu’à ce qu’il perde pied et décide d’arrêter le match pour sa sécurité. « Le président du club me disait qu’il fallait que j’appelle la gendarmerie pour pouvoir sortir du terrain. Sinon, je n’allais pas en revenir vivant. Il m’a comparé à un clandestin », se souvient-il encore touché plus d’un an après.

« Le sentiment de honte est caractéristique des arbitres agressés, ils culpabilisent d’être affectés par ce qui leur arrive »

Esther Deaubisse

Au fil des discussions, il n’est pas rare que les arbitres racontent le même type d’histoire. « C’est de la violence gratuite. C’est arrivé à l’un de mes collègues, rapporte Abdé Nettah, il avait reçu un coup de pied au cours d’un match qu’il arbitrait. Puis, on l’a suivi jusqu’à chez lui. Le lendemain, il a retrouvé les vitres de sa voiture cassées. »

Les blessures de Morgan Dufils dues à une tentative de strangulation.

Les pages Facebook des antennes départementales de l’Unaf dénoncent ces agressions à longueur de publications. La saison dernière, celle de Haute-Saône a tenu à dénoncer, le jour-même, l’agression dont a été victime Morgan Dufils, arbitre depuis quatre ans.

Tout s’emballe à la vingt-neuvième minute d’un match de départementale 3. Il expulse un joueur après contestation d’un premier carton jaune. Exaspéré, celui-ci se jette sur Morgan Dufils et le serre à la gorge. Avant d’être arrêté par les autres joueurs. Très choqué, le jeune homme prend cependant sur lui et, les semaines suivantes, retourne arbitrer.

En cas de pareille violence, l’Unaf propose un suivi psychologique. Morgan Dufils a refusé l’offre. Ce que regrette Esther Deaubisse,

psychoclinicienne bénévole de l’association. Car, lors de ses séances, elle détecte de nombreux problèmes psychologiques chez les arbitres agressés :  troubles de l’attention, du sommeil, dépressifs, alimentaires ou encore cognitifs.

Elle insiste sur un autre facteur, essentiel à ses yeux : « Le sentiment de honte est caractéristique des arbitres agressés, ils culpabilisent d’être affectés par ce qui leur arrive. » Même quand l’agression paraît minime comme celle vécue par Quentin Gaudisson.

Si des arbitres n’ont pas de séquelles physiques après les bagarres, les insultes et les coups de pression les affectent tout de même. Dans son livre, L’Épreuve du terrain, publié en 2011 aux Presses universitaires de Rennes, le sociologue Williams Nuytens, de l’université d’Artois, a étudié ces arbitres « au cœur du football du dimanche ».

« On envoie bien souvent les moins expérimentés arbitrer les niveaux départementaux, alors que les incidents y sont plus fréquents »

Williams Nuytens

Après dix ans d’enquête, il conclut que plus on descend dans la hiérarchie du football et l’on s’éloigne du football spectacle des professionnels, plus on observe des faits de violence. Dans les divisions départementales, où le niveau est plus bas, l’arbitre en est la première victime.

C’est la règle du meilleur arbitre aux meilleures équipes qui s’applique. « On envoie bien souvent les moins expérimentés arbitrer les niveaux départementaux alors que les incidents y sont plus fréquents », fait remarquer le sociologue.

Lucie Le Tiec est, elle, sociologue du sport à l’université de Lille. Elle affirme que la moitié des arbitres abandonne après seulement trois ans de pratique. Plusieurs critères expliquent ces abandons : la violence, le manque de formation, l’évaluation permanente, l’incertitude ou encore le manque de financement.

Côté chiffres, entre 2004 et 2013, 3 000 arbitres ont arrêté sur les 30 000 en activité, soit une perte de 10 % des effectifs. Au delà de ces chiffres, il faut bien reconnaître que la crise de la fidélisation n’est pas illusoire : les districts et les ligues ont du mal à recruter car l’arbitrage souffre de son image.

Avant de devenir coach en 2008, Jean-Louis Bonin était arbitre. Il croit fermement que « le mal-être de la société » remonte jusque sur les terrains de football.

Le chiffre noir des violences

Les joueurs de l’équipe de Contres (D2) ne cachent pas leur mécontentement contre l’arbitrage de Quentin Gaudisson. Photo : Victoria Geffard/EPJT

En 2006, les pouvoirs publics réagissent et votent la loi Lamour, qui comble un vide juridique. Depuis son adoption, les arbitres sont considérés comme dépositaires d’une mission de service public, comme un gardien de la paix par exemple. S’en prendre à eux constitue une circonstance aggravante.

Pour Jean-Louis Bonin, cette loi est suffisamment dissuasive : « En plus d’être adhérent à l’Unaf, je savais qu’un joueur ou une autre personne risquait la prison – même du sursis – s’il s’en prenait à moi. C’était plutôt rassurant. » Mais rares sont les victimes qui portent plainte en leur nom propre et vont jusqu’au pénal avertit Me Thomé, avocate au barreau de Tours.

Par ailleurs, les arbitres adhérents à l’Unaf peuvent bénéficier d’un soutien dans leurs démarches ainsi que d’une aide financière. En cela, l’association constitue une véritable assurance pour les arbitres en cas de pépin. « Lorsqu’une procédure judiciaire est engagée, l’Unaf suit la victime jusqu’au bout du processus », explique Damien Groiselle, président de l’Unaf Île-de-France.

« Si tous les centres – districts et ligues – participaient correctement, le chiffre serait plus proche des 3,5 % »

Matthieu Robert

Abdé Nettah a bénéficié de ce soutien : « Je ne regrette pas d’avoir adhéré à l’Unaf car cela m’a permis d’être protégé et accompagné durant toute la procédure. » Après son agression, l’association s’est chargée du dépôt de plainte et a pris en charge ses frais d’avocat. L’Unaf se porte aussi régulièrement partie civile au tribunal.

Si le passage par la case justice pénale dépend du bon vouloir des arbitres, les agresseurs sont toujours sanctionnés, a minima par les instances du sport, de manière significative mais juste. L’agresseur qui avait étranglé Morgan Dufils a été renvoyé sur le champ de son club et suspendu dix ans de toute activité footballistique.

Afin de quantifier les incidents qui se déroulent sur les terrains, la FFF a mis en place en 2006 l’Observatoire des comportements. Cet organisme a pour objectif d’évaluer et de qualifier les différents types de violences qui se produisent lors des rencontres de football amateur. Les districts et les ligues sont équipés d’un outil de recensement qui leur permet de faire remonter les incidents à l’Observatoire.

Cependant, ce décompte n’est pas exhaustif « puisqu’il dépend de la bonne participation des ligues et des districts », comme le précise le rapport annuel de 2017. Sur la saison 2016-2017, 10 309 matchs entachés d’au moins un incident ont été comptabilisés par l’Observatoire des comportements de la FFF. Soit 1,6 % des matchs sur l’année.

« Si tous les centres – les districts et les ligues – participaient correctement, le chiffre serait plus proche des 3,5 % », concède Matthieu Robert, chef de projet à l’Observatoire des comportements de la FFF. Quentin Gaudisson abonde en son sens. « La violence est monnaie courante sur les terrains. Chaque week-end, au moins un arbitre est agressé physiquement. »

Le dispositif démontre en effet de nombreuses failles. La première difficulté concerne la présence ou non d’un arbitre officiel. Ceux-ci n’étant pas assez nombreux pour couvrir toutes les rencontres, certaines sont arbitrées par des arbitres auxiliaires, autrement dit des licenciés qui ne sont autorisés qu’à arbitrer leur propre club.

« Quand il n’y a pas d’arbitre officiel, les équipes peuvent s’arranger entre elles sans que rien ne soit réglé », commente Matthieu Robert. De nombreux incidents échappent ainsi à l’Observatoire. C’est également le cas lorsqu’ils ne vont pas jusqu’à la violence physique. Il est par exemple fréquent que les arbitres s’abstiennent d’écrire un rapport quand ils sont victimes d’insultes. Ils n’y a alors aucune trace de l’accrochage.

Tous les districts ne sont pas non plus équipés de l’outil de recensement, notamment les départements et régions d’outre-mer. D’autres l’ont mais ne l’utilisent pas. Toutes les informations ne remontent donc pas. Résultat, 38 270 matchs ont été omis par l’Observatoire sur la saison 2016-2017. Le chiffre qu’il avance ne peut donc qu’être sous-évalué.

Matthieu Robert espère tout de même réussir à atteindre les 100 % de participation pour la saison en cours. Parmi les bons élèves, le district de l’Allier présidé par Guy Poitevin. « J’ai de très bons rapports avec le responsable de l’Observatoire. J’essaie de communiquer au mieux sur les incidents. »

« Une vaste hypocrisie »

L’arbitre de touche peut apporter ses observations à l’arbitre central en cas de situation litigieuse. Photo : Victoria Geffard/EPJT

Les districts et les ligues, en première ligne dans la lutte contre ces violences, tentent de les réduire grâce à différents dispositifs. Certaines ligues ont pris l’initiative de mettre en place une licence à points comme celle du Centre. A l’image du permis de conduire, elle fonctionne sur le principe d’une perte de points à chaque « infraction », autrement dit à chaque carton ou exclusion.

Lorsqu’un joueur ne possède plus aucun point sur sa licence, il doit effectuer un stage payant pour les récupérer (60 euros en Indre-et-Loire). Avec ce système, les instances du football cherchent à inciter les joueurs à surveiller leur comportement sur les terrains. Et cela serait plutôt efficace.

« La violence engendre des cartons jaunes, des cartons rouges, des suspensions. Donc des recettes pour les districts »

Jean-Michel Larqué

Autre outil : le carton blanc. Il permet de sanctionner un joueur pour une contestation ou une attitude excessive sans que cela n’ait de répercussion financière ou disciplinaire après le match. Le joueur fautif est expulsé dix minutes après quoi il peut rentrer sur le terrain. Un moyen de tempérer les comportements antisportifs et de ne pas passer directement aux véritables sanctions.

Lors d’une formation pour arbitres, les candidats apprennent à utiliser le carton blanc. Photo : Victoria Geffard/EPJT

Certains clubs prennent aussi des initiatives. L’Entente sportive du Layon (Maine-et-Loire) a décidé de faire payer une partie des cartons aux joueurs. « Ils sont tenus de payer leur carton 5 euros, pour leur montrer que ce n’est pas normal. Cela permet de faire une cagnotte qui profite au collectif », explique Jean-Louis Bonin, entraîneur du club. Cela a permis d’améliorer significativement le comportement des joueurs. Sur les deux dernières années, un seul carton blanc leur a été attribué.

Si des actions préventives sont mises en place sur et en dehors 

des terrains, les arbitres restent mal préparés à l’éventualité d’une agression. Lors de leur période de formation, la question de la violence dont ils peuvent potentiellement être victimes est quasiment ignorée. Aucun module sur la gestion des comportements violents n’est officiellement prévu.

Quentin Gaudisson regrette aussi que les joueurs ne soient pas plus sensibilisés à ces questions. « Au lieu de rester chez lui à ne rien faire, le joueur suspendu pourrait arbitrer des plus jeunes pour comprendre les difficultés auxquelles sont confrontés les arbitres. »

Si certains districts s’efforcent de mettre un terme à ces agressions, d’autres sont plus réticents. Car les sanctions qui découlent des incidents représentent de l’argent précieux pour les districts. « La violence engendre des cartons jaunes, des cartons rouges, des suspensions. Donc des recettes pour les districts. Les recettes des incivilités et des violences peuvent constituer une part considérable du budget », explique Jean-Michel Larqué, ancien joueur professionnel et commentateur sportif qui a dirigé le district des Pyrénées-Atlantiques entre 2006 et 2017.

Dans la Ligue du Centre, par exemple, un coup entraînant une Interruption totale de travail (ITT) de moins de huit jours sur un officiel coûte 170 euros au club de l’agresseur. Une somme qui atterrit directement dans les caisses de son district. Patrick Bastgen a décidé de renoncer à ce type de financement. « Avant la mise en place d’actions de prévention, les amendes représentaient entre 30 et 35 % de nos recettes. Aujourd’hui elles ne s’élèvent plus qu’à 10 %. »

Pour combler ces pertes, il faut dénicher de nouveaux partenaires. Dans les ligues où ceux-ci sont plus durs à trouver, la tentation est donc grande de ne pas freiner les violences. Pour Jean-Michel Larqué, la lutte contre les violences dans le football est mensongère : « C’est une vaste hypocrisie. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’on encourage la violence mais on ne la combat pas. »

Les arbitres, eux, n’ont pas d’autre choix que de la combattre et de se relever après chaque chute. Souvent, la passion est suffisamment forte pour surmonter la peur de retourner sur le terrain. « Si je me fais casser le nez par exemple, je pense que j’arrêterais l’arbitrage », avoue Quentin Gaudisson. Pour le moment, il continue. Jusqu’au coup de trop.