Tinder, Once, Happn, Fruitz… Les applications de rencontre connaissent un boom spectaculaire du nombre de leurs utilisateurs. Phénomène qui s’est amplifié avec le confinement. L’intelligence artificielle va de plus en plus loin dans l’assistance amoureuse. Mais les individus sont-ils prêts à soumettre leur libre arbitre et leurs sentiments aux mathématiques et à la science en échange d’une relation durable ?
Par Louise Grange, Théo Hesnard et Lydia Reynaud
Bande dessinée : Inès Allahverdian/Académie Brassart-Delcourt
ous, voudriez-vous savoir quand vous tombez amoureux ? Selon une étude du groupe Havas sortie en juillet 2019, 25 % des gens souhaiteraient qu’une application leur dise lorsqu’ils le sont. Malgré la croissance du nombre de divorces dans le monde occidental, le fantasme de l’amour éternel persiste. La pression est énorme. Tout nous pousse à y croire. Et les écrans ne sont pas en reste. Il existe près de 1 500 sites et applications dédiés à la vie amoureuse dans le monde. Mais jusqu’où vont-ils ?
Jean – appelons-le Jean – cherche l’amour depuis sa séparation, il y a trois ans. Il a d’abord testé les applications post-rupture, celles qui sont capables de faire gagner du temps et de vite retomber sur ses pieds.
C’est en tout cas ce que promet Mend, une application américaine. Son slogan : « Nos experts vous aideront à vous sentir mieux 58 % plus vite. » Développée dans 195 pays, ce concept de coaching offre un soutien personnalisé à ses utilisateurs. Messages audio d’un coach (en réalité le résultat d’un algorithme car c’est un robot et non un expert qui vous conseille), réunions, témoignages sont censés aider à guérir un chagrin d’amour le plus rapidement possible
Mend donne ainsi des conseils aux personnes fraîchement célibataires afin de leur donner l’élan pour repartir à la recherche d’une nouvelle relation sans se morfondre pendant des mois. Selon elle, il suffirait de vingt-huit jours pour se remettre d’une relation.
Cette promesse est une pression supplémentaire. Il faut être productif tout le temps, même dans ce type de relation et ne pas perdre du temps, jamais.
L’ADN, futur allié des applis
Véronique Kohn, psychothérapeute spécialiste des relations amoureuses, nuance les dangers de ces applications : « Normalement, nous avons besoin de cette période de deuil. Mais ce n’est pas une vérité absolue. Ils peuvent toujours essayer de redécouvrir les avantages de la vie de célibataire grâce aux applications, mais cela ne suffira pas. Il faudra affronter un jour cette rupture. » Jean ne fait pas partie de ces sceptiques. Les questions sur l’intimité, la sécurité ou la pression sociale que ces applications posent, rien ne l’effraie.
Suite à sa rupture et à son expérience sur Mend, Jean ne tarde pas à s’inscrire sur des sites de rencontre. Les chances de trouver quelqu’un sont infinies grâce aux 57 millions d’utilisateurs de Tinder ou aux 60 millions d’utilisateurs d’Happn. Mais ces intermédiaires ne lui font vivre que des histoires éphémères.
Mais finalement, lassé par toutes ces formules pour trouver la femme de sa vie, il cherche quelque chose de plus radical et de définitif. Il ne supporte plus l’aléatoire des rencontres et l’angoisse d’une possible séparation.
Jean découvre alors l’entreprise américaine Pheramor qui, grâce à une analyse d’ADN, lui promet de trouver l’âme sœur. Pour une trentaine d’euros, il obtient un kit de prélèvement d’ADN et le contact de la personne compatible : l’élue de son cœur à n’en pas douter.
L’entreprise texane s’appuie sur onze gènes liés aux phéromones puis analyse les réseaux sociaux de l’utilisateur. Jean a-t-il trouvé le recours ultime à sa détresse amoureuse ?
Il n’est pas le seul à être séduit par cette fusion de l’amour et de la science. Un rapport de l’agence de communication BETC, L’Amour à l’ère du digital, examine les tendances amoureuses dans 37 pays différents. Ils ont interrogé ce qu’ils appellent des prosumers, des utilisateurs précurseurs qui définissent les tendances dans les
six à dix-huit mois à venir. Cette étude indique que 34 % d’entre eux aimeraient que les applications de rencontre comprennent des analyses ADN.
L’IA à l’assaut de l’amour
Intéressé, Jean découvre les nouvelles méthodes et outils technologiques existant à l’étranger. Les usages et les cultures font que les applications de rencontre et leur aspect parfois scientifique ne sont pas appréhendés de la même manière. Certaines se fondent sur des applications déjà existantes afin de garantir la compatibilité sur le long terme des utilisateurs.
En Chine, par exemple, l’application de notation citoyenne Sésame Credit, qui donne une note au comportement civique de l’utilisateur (en fonction de ses habitudes de consommation, de ses fréquentations), collabore depuis 2015 avec une des plus grosses plateformes de rencontre du pays, baihe.com. Cela permet aux usagers de joindre leur score à leur profil. Si l’algorithme utilise les préférences et les données apportées par l’utilisateur, il s’appuie également sur le score social pour mettre en relation des personnes du « même niveau ».
Cette omniprésence et l’influence croissante des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle sur les relations amoureuses ont été étudiées par le rapport L’Amour à l’ère du digital. Celui-ci détermine quatre typologies autour de quatre critères : la passion, l’utilitarisme, le libre arbitre et l’assistanat. Ces catégories permettent de classer la culture de certains pays et de déterminer vers quels systèmes peuvent tendre ces populations et s’ils sont plus ou moins sensibles à la technologie.
Ainsi, il existe les traditionalistes, les passionnés, les performants et les amoureux des nouvelles technologies (iLovers). Ils comparent les goûts et les pratiques amoureuses entre ces typologies. Par exemple, alors que 40 % des prosumers du Vietnam (iLover) souhaiteraient avoir un coach digital afin d’améliorer leur jeu relationnel, le chiffre ne sera que de 8 % en Allemagne (performant).
Si Jean a choisi volontairement la démarche de recherche ADN, ce n’est pas très bien vu autour de lui. En effet, la France est l’un des pays les plus réfractaires à cette soumission aux technologies amoureuses. Elle tient à son libre arbitre et n’est pas encore prête à laisser le contrôle de ses relations à des algorithmes.
D’après l’étude L’Amour à l’ère du digital, le hasard et la passion prennent chez nous le dessus sur le pragmatisme. Si les applications de rencontre ont du succès dans l’Hexagone, elles sont, pour la plupart de ses utilisateurs, de simples médiatrices pour rencontrer de nouvelles personnes. La quête d’un partenaire pour fonder une famille n’est pas le but premier du jeu.
Pour 70 % des Français, l’amour est une aventure et ne se conçoit pas comme un but en soi.
Fidéliser les célibataires
Avant de s’en lasser, Jean a passé de nombreuses heures sur ces applications. Il est resté quelques années, le regard rivé sur son écran à regarder des profils, à swiper left ou right (faire glisser son doigt pour valider ou non une personne), à discuter, rencontrer, puis à ghoster (disparaître sans rien dire) .
Il a mis du temps à se lasser. Et pour cause, les applications de rencontre ont pour but de conserver le plus longtemps possible leurs clients. C’est pour cela que de plus en plus d’utilisateurs se retrouvent piégés et ne parviennent pas à les quitter.
Comment ces applications tiennent-elles captives alors qu’elles ne devraient être qu’un moyen et non une fin ? Sébastien Pigati, co-créateur de l’application Waiter.love avec Yves Nevchehirlian, regrette les méthodes d’aujourd’hui : « Il faut rencontrer du monde sans arrêt, cela devient du zapping social. » C’est une forme d’addiction créée et recherchée par les créateurs d’application afin de fidéliser les usagers.
L’amour serait-il une consommation comme une autre ? Sur Tinder, l’utilisateur cumule un score à son insu. C’est ce qu’a découvert la journaliste Judith Duportail dans son enquête racontée dans L’Amour sous algorithme, ce score serait le résultat d’une formule mathématiques calculant notre taux d’attractivité (le pourcentage de succès sur l’application).
Pression et multitude de choix
L’interface nous propose ainsi des profils de personnes ayant un score équivalent au nôtre.
Mais là où l’application joue sur nos sentiments et notre ego, c’est lorsque, de temps en temps, elle nous propose des profils avec un score un peu plus élevé, boostant alors notre ego et notre besoin de reconnaissance.
Certains adeptes d’application de rencontre ne se contentent plus d’un réseau. Ils s’inscrivent sur plusieurs plateformes afin de maximiser leur chance de réussite et de voir un maximum de profils.
Jean a donc eu le sentiment qu’il était toujours possible de rencontrer quelqu’un de mieux. Il souhaite désormais être certain de son prochain choix. C’est pour cela qu’il s’est tourné vers la recherche ADN.
Car l’espoir de toujours trouver mieux rend à la fois la suppression de l’application presque impossible mais également l’engagement dans une relation durable plus compliqué. Comment décrocher ?
Ce sont les applications elles-même qui ont pris l’initiative de calmer cette frénésie. Elles font le pari de proposer moins de profils. C’est le cas de Once et de Waiter.love qui limitent le nombre de matchs par jour.
« Nous nous sommes aperçus qu’il y avait beaucoup de déviances parmi les applications de rencontre. Elles subsistent grâce à la fidélisation des utilisateurs. Une application ne devrait pas s’utiliser sur la durée », pointe Sébastien Pigati.
On limite la surconsommation des rencontres afin de s’assurer le succès sur le long terme.
Les applications permettant de trouver l’amour sont prépondérantes dans les sociétés actuelles. Mais l’amour ne se rationalise pas. Plus de pression et trop de choix, les utilisateurs, comme Jean, finissent par se perdre au milieu de toutes ces aides et ces outils qui sont censés rendre les rencontres plus faciles.
Pour les aider à s’y retrouver, un nouveau marché s’est ouvert, celui d’assistant pour les applications. L’entreprise Net Dating Assistant, créée par Vincent Fabre en 2011, accompagne l’utilisateur afin de maximiser ses chances de succès. Pour des tarifs allant de 200 à 600 euros, de la création de son profil aux premiers messages, ces assistants draguent à votre place.
Traduction du schéma issu du rapport de l’agence de communication BETC, L’Amour à l’ère du digital (2019) relatif à la pression ressentie par des individus au fur et à mesure des relations
Ces nouveaux entremetteurs jouent de notre besoin de toujours trouver mieux et plus largement d’être dans le progrès constant. Selon Valentin Lefèvre, l’un des auteurs de l’étude L’Amour à l’ère du digital, les technologies du numérique ont, certes, rendu le contact plus instantané, mais elles n’ont pas rendu les relations plus simples.
Au contraire, cela a brouillé les pistes : « Maintenant, il faut faire de nombreux matchs, parler aux gens, être divertissant. La quête s’est transformée. La pression est présente tout le temps, avant, pendant et après. » Et de préciser : « L’amour est devenu une sorte de parcours d’achat pour trouver sa voiture, tout devient plus compliqué. On pense notre relation amoureuse comme une recherche commerciale . »
Malgré le confinement dû à la Covid-19, qui a modifié les relations aux autres, les applications de rencontre n’ont pas été délaissées. Elles se sont même adaptées notamment grâce aux rencontres par visio pour pallier l’absence de contact réel. Dimanche 29 mars 2020, l’application Tinder a enregistré son record mondial de swipes, avec un total de 3 milliards dans la journée. Lors du confinement, il y a eu 23 % de conversations sur Tinder en plus dans l’Hexagone, pour une durée moyenne également en hausse de 23 %.
La plateforme a d’ailleurs rendu gratuite une de ses fonctionnalités pendant cette période particulière : découvrir des profils d’autres villes que la sienne. L’utilisation des nouvelles technologies dans les relations a largement été intégrée en France.
Certes, l’intelligence artificielle comme entremetteuse n’est pas encore admise dans notre société.
Néanmoins cette utilisation massive des réseaux de rencontres et les répercussions que l’épidémie aura sur les rapports humains pourraient pousser les « passionnés » à délaisser leur libre arbitre. Ils risquent de vouloir, comme Jean, mettre fin à ces rencontres éphémères et s’assurer un partenaire. Qui aura le dernier mot ?
La bande dessinée a été réalisée dans le cadre d’un partenariat entre l’École publique de journalisme de Tours et l’Académie Brassart-Delcourt.
Louise Grange
@grange92
23 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
Passionnée de cinéma, de sujets de société et de nouvelles technologies.
Passée par L’Éléphant et Ouest-France. Se destine au journalisme audiovisuel.
Théo Hesnard
@theo_hesnard
23 ans.
Étudiant en journalisme à l’EPJT.
Passionné par la politique et les nouvelles formes d’écriture.
Passé par « Télématin » à France 2 et Le Parisien.
Aimerait plus tard faire de la télévision.
Lydia Reynaud
@LydiaReynaud
27 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
Passionnée par la culture, les sujets de société et la politique.
Passée par Sud Ouest et Dordogne Libre.
Se destine à la presse écrite ou à la radio.