Une chambre spacieuse, un lit douillet et une sage-femme présente mais discrète : et s’il n’y avait au fond pas besoin de plus pour donner la vie ? C’est en tout cas ce que proposent les maisons de naissance. Gérées uniquement par des sages-femmes, ces structures permettent aux mères d’accoucher de la manière la plus naturelle possible. Elles sont expérimentées depuis le début de l’année en France. Mais entre l’opposition de certains médecins et le blocage des assureurs, le projet connaît des complications.
Par Thibaut Alrivie, Camille Charpentier et Célia Habasque
« Comme à la maison », ou Calm, c’est justement le nom de cet établissement. Il fait partie des onze structures candidates à l’expérimentation des maisons de naissance, un projet instauré par le décret du 1er août 2015 et qui a débuté il y a quelques semaines. Neuf d’entre elles ont finalement été retenues par le gouvernement.
Ce qui change ? Au lieu de préparer leur accouchement en maison de naissance et de se rendre à la maternité au dernier moment, les femmes qui le souhaitent peuvent accoucher dans des locaux similaires à ceux du Calm. Gérées uniquement par des sages-femmes, ces structures proposent aux futures mamans d’accoucher avec le moins de médicalisation possible. Ici, pas de médecin ni d’étriers. Et pas de péridurale. Un choix singulier quand on sait que la France est l’un des pays où cette pratique est la plus répandue. Selon l’enquête nationale périnatale menée par le ministère de la Santé en 2010, 77 % des femmes accouchant par voix basse en auraient fait la demande cette année-là.
Une seule règle : enlever ses chaussures
« L’accouchement est un acte intime avant d’être un acte médical, explique Margaux, une maman. En maison de naissance, la douleur que l’on ressent nous guide pour donner naissance à notre enfant et nous sommes accompagnées par des sages-femmes qui nous connaissent bien. » Pas de panique toutefois : une maman qui en fait la demande peut tout de même bénéficier de la péridurale à tout moment si la douleur est trop forte. Chaque femme a d’ailleurs un rendez-vous avec l’anesthésiste de la maternité attenante avant son accouchement.
Au Calm, les sages-femmes ne portent pas de blouse et la seule règle du lieu est d’enlever ses chaussures. Du hall d’entrée à la cuisine en passant par le salon et les chambres, on est comme dans une petite maison. Depuis la terrasse, les membres de l’association peuvent cependant observer le va-et-vient des blouses blanches de l’hôpital Trousseau. Le bâtiment héberge une maternité de type 1, pouvant accueillir des grossesses avec des pathologies qui ne nécessitent pas d’intervention lourde.
À sa création, le Calm réalisait une trentaine de suivis par an. Aujourd’hui, ce sont plus de 120 mamans qui sont accompagnées chaque année. « Et nous espérons que ce chiffre montera à 200 durant l’expérimentation », ajoute Marjolaine Cordier. Mais toutes les mamans ne peuvent pas accoucher dans ce type de structures. Rocio est enceinte de son deuxième enfant et vient souvent au Calm pour suivre des cours de yoga. « J’aurais aimé accoucher de manière plus naturelle. Mais après une première naissance avec césarienne, je ne pourrai pas », regrette-t-elle.
L’expérimentation des maisons de naissance sera évaluée grâce à un suivi des activités de chaque structure et un rapport annuel transmis à l’Agence régionale de santé et à la Direction générale de l’offre des soins. Les critères d’évaluations seront communs à chaque établissement. L’activité, le nombre de professionnels, le nombre de femmes prises en charge médicalement, la qualité et la sécurité des soins seront notamment évalués. Le contentement des femmes prises en charge sera aussi un critère à part entière.
Preuve de la satisfaction des parents, au Calm, ces derniers continuent à s’impliquer dans la vie du local. Des faire-part et des lettres de remerciement tapissent le mur du couloir qui mène aux chambres. « Tous les couples n’en envoient pas un », nuance Margaux. Mais si les maisons de naissance sont autorisées après l’expérimentation, les murs du Calm pourraient bien, un jour, manquer de place.
Donner naissance hors de l’hôpital ?
Pas simpleCertaines structures n’ont pas attendu le décret pour proposer des alternatives assez proches du concept des maisons de naissance. C’est le cas des pôles physiologiques, présents au sein de certaines maternités. Port-Royal, une des plus importantes maternités de Paris, possède son propre pôle. C’est aussi le cas à Chinon, en Indre-et-Loire. L’établissement propose une « salle nature », une chambre où l’accouchement se fait avec le moins de médicalisation possible.
Photo : Thibaut Alrivie/EPJT
Les pôles physiologiques n’échappent cependant pas à toute forme de médicalisation. La salle nature est située au cœur de la maternité dont elle est totalement dépendante. On est loin du cadre réconfortant souhaité par les maisons de naissance. Et après l’accouchement, retour à une hospitalisation classique : la mère et son bébé restent obligatoirement plusieurs jours à la maternité. Et toutes les mères ne peuvent en bénéficier : « En dix mois, nous n’avons comptabilisé que 75 accouchements naturels sur les 399 qui ont eu lieu à l’hôpital », confirme Sabine Fouquet, sage-femme.
Encore plus radical, les femmes peuvent décider d’accoucher chez elles. Une solution qui n’a été choisie que par 2 % des mamans en France en 2010. Il faut dire que seule une soixantaine de sages-femmes libérales pratique ce genre d’accouchement. « Aujourd’hui, un de nos plus gros problèmes reste les tarifs pratiqués par les assureurs, se désole Amélie Battaglia. Un professionnel de santé ne peut pas exercer sans assurance. Mais les prix proposés aux sages-femmes libérales qui pratiquent des accouchements à domicile sont prohibitifs. »
Ils peuvent en effet se monter jusqu’à 30 000 euros annuels. Une somme qui s’explique par leur nombre insuffisant : elles sont peu à cotiser, les prix s’envolent donc pour permettre de couvrir les frais en cas d’accident lors d’une naissance. Une charge impossible à assumer par des professionnelles dont le revenu moyen se situe autour de 29 000 euros par an, selon le ministère de la Santé.
Face à ces difficultés, les maisons de naissance représentent donc une solution pour les mères qui souhaitent accoucher sans la présence d’un environnement médical qu’elles jugent trop envahissant. Ces structures intéresseraient jusqu’à 10 % des femmes enceintes, selon la proposition de loi autorisant leur expérimentation. « Ces chiffres sont malgré tout à relativiser, estime Béatrice Martin, maître de conférences en sociologie et auteure de publications sur la périnatalité. On ne peut pas savoir si la demande suivra vraiment. »
Elle est en tout cas importante à la maison de naissance de Lormont. « Nous sommes même obligés de refuser des candidates, affirme Sophie
Jaeck, sage-femme. Nous nous limitons à douze accouchements par mois. » Depuis sa création en 2010, cette maison de la banlieue bordelaise effectue chaque année autour de 200 accouchements. « Si la demande actuelle est difficile à évaluer, le fait que les maisons de naissance soient attenantes aux maternités pourrait amener d’autres femmes à opter pour cette solution », ajoute Béatrice Martin.
Autre avantage des maisons de naissance aux yeux de certaines mères, « lorsque la naissance s’est bien passée, elles peuvent rentrer chez elles en moins de vingt-quatre heures », explique Amélie Battaglia, membre de l’association des sages-femmes libérales. Elles sont ensuite suivies, à leur domicile, par des sages-femmes qui effectuent quatre visites et par un médecin qui vient vérifier la santé du bébé huit jours après sa naissance.
Cette hospitalisation courte représente un avantage pour les parents concernés, mais aussi une sacrée économie pour l’État. Après un accouchement classique, une femme reste en moyenne trois jours à l’hôpital. Ce séjour coûterait environ 3 000 euros selon l’ordre des sages-femmes. Le montant d’un accouchement en maison de naissance a, lui, été évalué à 600 euros par le Collectif interassiociatif autour de la naissance, un regroupement qui milite en faveur du projet. La somme reste à vérifier lors de l’expérimentation. Pas d’anesthésiste ni d’obstétricien, ce sont autant d’économies réalisées. En 2010, Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, estimait à 7 millions d’euros les économies possibles, chaque année, si 1,5 % seulement des accouchements se déroulaient en maison de naissance.
Une expérimentation
qui suscite déjà des oppositionsÀ Chinon, un couloir seulement sépare la salle nature de la maternité. Photo : Camille Charpentier/EPJT
« Vous êtes des criminels. » Ces mots, Élisa et Romain les ont entendus le jour même où ils ont vu leur bébé pour la première fois, lors d’une échographie. Les futurs parents venaient d’annoncer à leur gynécologue qu’Élisa préparait son accouchement en maison de naissance. « Il nous a reproché de prendre des risques inconsidérés pour le bébé », se rappelle le papa. « Cette pratique n’est pas reconnue comme étant sécurisée, explique Bertrand de Rochambeau, président du Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France (Syngof). L’accouchement est le moment de la vie d’une femme où elle est confrontée le plus à des qui nécessitent des interventions médicales. On ne veut pas revenir un siècle en arrière quand le taux de mortalité des femmes et des bébés était élevé. »
Question sécurité pourtant, le décret fixe des conditions très précises à cette expérimentation. Seules les femmes dont la grossesse ne présente aucune pathologie seront acceptées dans ces maisons, selon des critères précis établis par la Haute Autorité de la Santé. Et, surtout, les maisons de naissance seront accolées à une maternité partenaire afin de permettre un transfert rapide en cas de besoin. « Il ne doit y avoir qu’un couloir à traverser ou un ascenseur à prendre », a indiqué lors de discussions parlementaires Yannick Favennec, député de la Mayenne et rapporteur de la loi autorisant l’expérimentation des maisons de naissance.
La majorité des mères se sentent cependant plus en confiance à l’idée d’accoucher dans une maternité traditionnelle. « Accoucher dans une maternité doté d’un bloc de césarienne me rassure, explique Cathy qui attend son premier enfant. Je me sens bien entourée dans ma clinique, je n’irais pas voir ailleurs. » D’autres estiment que l’hôpital offre une certaine liberté. « J’ai accouché dans un grand hôpital parisien. Pendant le travail, j’ai vraiment pu faire ce que je souhaitais. Marcher, prendre une douche, chanter, se rappelle Nathalie. Mais je ne sais pas si j’ai pu le faire parce que toutes les salles de travail étaient occupées cette nuit-là et que j’étais un peu délaissée par le personnel ou si c’est la norme. »
Mal connu en France, le concept des maisons de naissance fait même parfois un peu peur. « Je suis pour que les femmes aient le choix, mais ce n’est pas fait pour moi, admet une autre mère. C’est comme les gens qui font du saut à l’élastique : je trouve ça sympa mais jamais je ne me jetterai dans le vide. » Une vision qui est le résultat du système mis en place en France, estime Béatrice Martin. « La naissance y est considérée systématiquement comme à risques, explique la sociologue. À partir de 1945, on a assisté à un basculement et à une hospitalisation systématique des accouchements. » Le projet des maisons de naissance a donc mis plus de temps à aboutir que dans certains pays étrangers.
Infographie : Thibaut Alrivie avec Canva
En France, l’expérimentation des maisons de naissance avait déjà était abordée en 1998 par le secrétaire d’État à la Santé, Bernard Kouchner. Puis des groupes de sages-femmes ont commencé réellement à travailler sur le projet. En 2011, l’expérimentation figurait dans le projet de loi de finance de la Sécurité sociale. Mais elle s’est heurtée à l’opposition des députés médecins de l’Assemblée nationale avant d’être rétablie en commission mixte paritaire. Elle a été ensuite censurée par le Conseil constitutionnel. Celui-ci estimait que cette mesure avait « un effet trop indirect sur les dépenses » de l’assurance maladie. Il faudra attendre 2013 pour que le Sénat et l’Assemblée nationale s’entendent sur une proposition de loi. Faute de créneaux pour inscrire le sujet au débat parlementaire, la proposition est restée sans suite. Ce n’est qu’en 2015 que l’État a validé le décret nécessaire à l’application de la loi.
Les assureurs font de la résistance
La résistance des gynécologues n’est pas le seul frein à l’expérimentation. Certains établissements pratiquant déjà l’accouchement naturel, comme la maison Arc-en-Ciel de Lormont, refusent de prendre part à l’expérimentation. « Le fait que les patientes ne soient pas hospitalisées après l’accouchement nous inquiète », explique Madeleine, sage-femme. Mais les raisons sont aussi économiques. « Si nous participons à l’expérimentation, nous devenons indépendants, ajoute-t-elle. On devra donc payer tout notre matériel, les frais d’assurance, les locaux et les prestations de service alors que la maternité nous fournit actuellement tout ce dont nous avons besoin. Ce ne sera pas facile pour les établissements de l’expérimentation de tout assumer. »
Un dernier problème risque de voir le jour : celui des assureurs. Avec l’arrivée des maisons de naissance, ils vont être dans l’obligation de proposer des contrats aux sages-femmes, comme indiqué dans le cahier des charges. Mais ils tardent à communiquer leurs tarifs. « Ils ont encore beaucoup de mal à accepter l’idée que les sages-femmes puissent réaliser un accouchement, seules, en toute sécurité, même dans une maison de naissance, regrette-t-on du côté de l’ordre des sages-femmes. Contactée, l’assurance La Médicale de France n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. « Nous attendons d’avoir une posture officielle, argumente la chargée de communication. Pour le moment, c’est trop tôt pour en parler. » Les sages-femmes ont prévenu : si les tarifs s’avèrent trop élevés, les maisons de naissances pourraient bien ne jamais voir le jour.