La triste histoire de Fritz l’éléphant
Cette photographie de la mort de Fritz est devenue une carte postale. Photo : Marc Sautot
Au musée des Beaux-Arts de Tours se cache un monument insolite : la dépouille empaillée d’un éléphant. Né en Asie, passé par l’Allemagne et l’Amérique, c’est à Tours qu’il est mort. La ville lui rend hommage.
Par Justine Noel
L’arrivée des éléphants dans les zoos au début du XIXe siècle attirent les publics qui ont un goût prononcé pour l’exotisme. L’intérêt manifeste pour cette nature exotique accompagne une société en plein essor industriel.
De fait, le développement des transports publics favorise l’accès au divertissement à tout type de public. Dans le même temps, la hausse du niveau de vie des Français accompagne les prémices d’une politique du temps libres menée par la IIIe République française. Comme le souligne Alain Corbin, on assiste à « l’avènement du loisir de masse ». Et notre éléphant va en être victime.
L’affiche vante les mérites du spectacle « colossal » sur le thème de l’Égypte ancienne et les performances des 1 250 artistes. Photo : DR.
Le cirque Barnum et Bailey – du nom des deux hommes d’affaires à sa tête – n’était pas une petite entreprise. Les spectacles The Greatest Show on Earth (le meilleur show du monde) mobilisaient par moins de 1 000 employés, l’acheminement de 67 wagons transportant plus de 300 artistes.
Né en Asie en 1870, l’éléphant Fritz a sans doute mené une vie heureuse et sereine jusqu’au jour où il est capturé et arraché à sa mère qui est assassinée. Carl Hagenbeck, un marchand d’animaux sauvages le récupère pour des représentations circassiennes. Il est ensuite acheté par Barnum et Bailey et rejoint le cirque aux États-Unis. Maintenant adulte, Fritz mesure 3 mètres de haut, pèse aux alentours de 5 tonnes, ses belles défenses mesurent 1,50 mètre. Il fait la fierté de ses propriétaires pendant quinze ans.
À l’époque, les conditions de transport des animaux sont très mauvaises : enfermés dans les wagons, ils manquent de place, subissent de longs
jours de trajet, la fatigue, les changement de soigneurs d’un équipage à un autre… Or les éléphants sont des mammifères très fragiles. Sans les soins constants apportés par les cornacs jour et nuit, très peu survivent.
En 1897, le cirque commence une tournée en Europe. Il arrive à Tours en juin 1902. La série de spectacles terminée, la troupe se prépare à partir vers la ville suivante, Saumur.
La tournée du cirque en Europe s’effectue en train. Elle devait durer cinq ans. Photo : Princeton University Library
Il existe nombre de rumeurs au sujet de la mort de Fritz : ingestion d’une cigarette, tué par balle. En réalité, à la fin de la représentation à 21 h 45, alors que la troupe traverse la ville pour se diriger vers la gare, des centaines de spectateurs, qui n’ont pas encore vu les animaux, se massent autour d’eux. Accompagné de seize autres éléphants, Fritz , cerné par la foule, montre des signes d’énervement.
« L’éléphant est témoin de l’Âge d’or du cirque et de toutes ses horreurs »
Camille Ménager, réalisatrice
Rue de Léon-Boyer, il devient furieux, se dresse sur ses pattes arrière, détache ses liens de ses congénères et affole les Tourangeaux qui l’entourent. La direction du cirque prend alors la décision de l’abattre. Après plus de deux heures, les cornacs lui passent des cordes autour du coup et l’étranglent. Fritz rend son dernier soupir sur la place Nicolas-Frumeaud le 11 juin 1902.
À la demande du public, la ville de Tours cherche à conserver la dépouille de l’animal. Le cirque fait alors don de l’animal à la municipalité. Après l’équarrissage (technique consistant à retirer la peau, les os des animaux morts), la dépouille passe huit longs mois entre les mains d’Anatole Sautot et son fils, des taxidermistes nantais de réputation nationale.
Le squelette est reconstitué par les directeurs de l’opération Monsieur Sautot (à droite) et son contre maître. Photo : DR.
C’est en bateau, en remontant la Loire, que le pachyderme fait son retour à Tours.
Fritz est installé au musée d’histoire naturelle, alors situé rue Nationale. Les bombardements allemands des 18 et 19 juin 1940 déclenchent un incendie qui ne laisse que sa peau tannée, tenu par une structure en bois.
Retapé après-guerre, Fritz trouve refuge au musée des Beaux-Arts de Tours où l’on peut toujours l’admirer dans sa cage de verre. En 1977, il est à nouveau restauré par le taxidermiste Bernard Boisselier. Puis, en 1991, il subit une nouvelle rénovation, cette fois-ci avec du gel protecteur.
Le 4 octobre 2020, journée mondiale dédiée à la défense des droits des animaux, la municipalité de Tours décide de donner le nom de Fritz au jardin de la place Nicolas-Frumeaud, lieu de sa mort. Fritz devient alors l’emblème de la défense du bien-être animal qu’il aura si peu connu.
Renseignements pratiques : Musée des Beaux-Arts, 18, place François-Sicard 37000 Tours. Ouvert tous les jours, sauf le mardi. Lundi : de 9 h 30 à 18 heures. Du mercredi au dimanche : de 9 heures à 18 heures.
Le documentaire, La Tragique histoire de Fritz l’éléphant est disponible sur Arte jusqu’au 10 avril 2025.