Handicap

Un petit truc en moins

Chaque été, l’arrivée des vacanciers sur le séjour est souvent un moment de stress pour les animateurs-accompagnateurs.

Chaque année, des adultes en situation de handicap mental ou psychique sont dans l’obligation de quitter leurs foyers fermés l’été. Cinquante mille voyagent avec des organismes de vacances adaptées. Mais le manque de moyens de ces séjours met en péril leur sécurité et celle des animateurs.

Par Clara Lebarbey, Victoire Renard-Dewynter, Jules Rouiller
Illustrations : Lény Grange

Le succès qui cache la forêt. Avec ses 10,7 millions d’entrées en France, le dernier film d’Artus, Un petit truc en plus, a fait connaître les vacances adaptées pour personnes en situation de handicap. Cependant, le réalisateur ne fait qu’effleurer certains problèmes.

À la différence du foyer (cadre dans lequel s’inscrivent les vacances du film), les voyages sont majoritairement proposés par des organismes de vacances adaptées organisées (OVAO).

En 2023, ils sont 213 à bénéficier de cet agrément accordé par l’État. Leur mission : faire partir des groupes de plus de 3 personnes majeures en situation de handicap mental ou psychique, partout en France, au minimum cinq jours et généralement pendant les trois premières semaines d’août.

Cette période correspond à la fermeture des foyers d’hébergement et des établissements et services d’accompagnement par le travail (Esat) en France.

Ces personnes handicapées peuvent donc rester dans leur logement personnel (si elles en ont un), revenir dans leur famille (si elles en ont une) ou bien partir en voyage. « Elles doivent pouvoir partir en vacances comme les autres et sans discrimination », explique le sociologue spécialiste du tourisme adapté, Frédéric Reichhart.

Un p’tit truc en plus, film d’Artus, sorti le 1er mai 2024.

Les brochures des Ovao promettent des vacances joyeuses et des activités encadrées. C’est ce que pensent les familles des personnes handicapées lorsqu’elles réservent les séjours. Aujourd’hui, la carte postale ne correspond pas à la réalité.

Le flou juridique autour des VAO amène à une série de négligences : absence de vérification des lieux de séjour, faible encadrement et désintéressement de l’État.

Il aura fallu la mort de 11 personnes dans l’incendie de Wintzenheim, le 9 août 2023, pour que l’État s’intéresse de plus près à ces vacances. Elles concernent pourtant plus de 50 000 handicapés, selon le rapport de l’Igas. Paru le 2 juillet 2024, c’est la première fois qu’un recensement national est réalisé. Il propose 21 recommandations.

Réalisation : Clara Lebarbey/EPJT.

Pour que les personnes en situation de handicap partent en vacances, il faut des animateurs. Dans l’idéal, ces accompagnateurs seraient formés aux publics vulnérables et auraient l’habitude d’encadrer des adultes handicapés. Mais dans la réalité, c’est une autre affaire.

Pour les Ovao, trouver de la main d’œuvre est difficile. La plupart du personnel qualifié travaille en foyer et est en congé l’été. Alors ce sont souvent des jeunes étudiants qui prennent le relais, comme India Gastaldi.

C’est l’offre qui est venue à elle. En 2024, lors de sa dernière année d’étude en carrière sociale, l’université lui soumet une proposition d’emploi. Elle part deux semaines avec une association et ce « public adulte handicapé [qu’elle] ne connaît pas ».

Gilles Gassani, animateur et directeur de séjour VAO depuis trente ans.

Aucune qualification requise

Cécile Gaucher, étudiante à Tours, a découvert l’existence des VAO au détour d’un forum des métiers : « Je cherchais un job étudiant, très classique. Personne ne voulait me prendre. » Finalement elle s’engage pour trois semaines.

Malgré leurs expériences différentes, les deux jeunes femmes dénoncent le fait qu’aucune qualification soit requise pour travailler avec le public handicapé.

La majorité des Ovao demande le permis de conduire. Certains exigent un extrait du casier judiciaire. Mais on demande rarement plus aux candidats.

La plupart des animateurs ne connaissent ni l’univers du médico-social ni du handicap. « Beaucoup de personnes de ma fac ont fait ce job d’été, raconte Cécile Gaucher. Les organismes ne demandent ni expérience ni diplôme. Juste de la motivation. »

Les phases de recrutement sont réalisées, la plupart du temps, par téléphone.

Dans le contrat d’engagement éducatif (CEE) que signent les embauchés et qui n’est pas un contrat de travail, une formation d’une demi-journée à deux jours est souvent comprise. Organisée avant le grand départ, la sensibilisation se révèle insuffisante. « La plupart des formations se font hors-ligne, précise Christophe Itier, l’un des deux inspecteurs de l’Igas. Et aucun organisme s’assure réellement du bon suivi de la vidéo à distance. »

Clara Gombert, étudiante en sociologie à Pau, a passé deux étés en tant qu’animatrice avant de passer responsable de séjour. Elle n’a eu qu’une journée supplémentaire de formation pour ce nouveau poste.

Le métier s’apprend sur le tas. Les organismes comptent « sur l’esprit d’équipe et sur la capacité des responsables pour former les animateurs pendant le séjour », déclare Clara Gombert.

Cécile Gaucher, animatrice VAO en 2022.

Selon le sociologue Frédéric Reichhart, spécialiste des loisirs et du handicap, avant la création de l’agrément VAO en 2005, les animateurs « étaient des bénévoles militants, étudiants l’année, qui voulaient être infirmier ou éducateur ».

Aujourd’hui, moins de personnes s’engagent pour le handicap sur le long terme. « C’est une activité transitoire, un métier que l’on ne fait pas sur la durée », poursuit-il.

25 euros bruts par jour

Le manque de préparation, ajouté aux problèmes qui peuvent survenir lors des séjours, provoque un gros turnover dans les recrutements. Entre 2022 et 2023, 40 % des animateurs ont été renouvelés pour ces séjours agréés.

Au moment de recevoir leur salaire, les animateurs sont amers. « On reçoit 200 euros pour tout ce travail. Autant ne pas me les donner ! » fulmine Anne, étudiante en droit à Nanterre.

Plusieurs encadrants doivent même réclamer leur paye aux organismes quand ses derniers oublient de la leur envoyer. Au minimum, ils sont payés 25 euros bruts par jour car le contrat d’engagement éducatif n’impose pas d’être rémunéré au Smic.

Réalisation : Clara Lebarbey et Victoire Renard-Dewynter/EPJT.

Les animateurs ont le droit à deux jours de repos consécutifs par semaine. Pendant ce temps, des animateurs de liaison viennent parfois les remplacer.

Il se peut aussi que le nombre d’encadrants soit réduit pendant les temps de repos. « Nous étions à quarante-cinq minutes de route des autres séjours. Le temps que les animateurs de liaison se déplacent, nous continuions de travailler. Nos congés n’étaient pas respectés », se plaint Clara Gombert.

La recherche frénétique d’animateurs par les organismes s’accompagne de la promesse de passer des vacances au soleil. À l’arrivée, les encadrants déchantent.

Trois types de séjour sont proposés : bonne, moyenne et faible autonomie. Et pour faciliter le départ des vacanciers, de nombreux foyers oublient volontairement de mentionner les besoins de santé de chaque personne.

Anne, animatrice VAO depuis deux ans.

« Les organismes ne sont donc pas obligés de recruter des personnes diplômées », regrette Gilles Gassani.

« Je suis encore traumatisée »

Cette dérive provoque une surcharge de travail. « Au lieu d’être 3 ou 4 animateurs, on se retrouve à 2 animateurs pour 10 vacanciers. Les foyers favorisent l’insécurité de l’ensemble du groupe, s’insurge Cécile Gaucher. Nous étions débordés. Les vacanciers n’avaient pas l’autonomie annoncée. Je suis encore traumatisée. »​

Plusieurs associations tirent sur la corde pour que le coût de l’encadrement n’empiète pas sur le coût du séjour pour le vacancier. En moyenne, le prix pour partir en VAO s’élève à 1 350 euros la semaine et peut aller jusqu’à 7 000 euros en fonction de la modalité de la prise en charge de l’autonomie.

Le flux tendu de la demande pour partir en vacances conduit à des pratiques dangereuses. « Pour 18 vacanciers, nous étions seulement trois encadrants. De plus, nous nous sommes retrouvés dans un village vacances pas du tout adapté », se désole India Gastaldi.

Un ras-le-bol global se fait sentir chez les animateurs et l’impression de trahir les vacanciers sur la qualité des séjours proposés s’accentue.

Le don de médicaments par les animateurs peut compter une à deux heures de travail par jour.

Marie-Jeanne, en reconversion professionnelle. Animatrice VAO envoyé par France Travail, en 2023.

Ces failles pèsent sur les épaules des animateurs sans diplôme car le public dont ils s’occupent a besoin de soins privilégiés. La distribution des médicaments représente près de deux heures de travail par jour. « Les formations sont de qualités très hétérogènes, constate Christophe Itier. Le critère économique n’est pas le frein numéro 1. Le frein, c’est la volonté des associations elles-mêmes. Certaines ne veulent absolument pas appliquer les recommandations. »

La moindre inattention se paye cash. « Nous avons déjà donné des mauvais médicaments, reconnaît Clara Gombert. C’est le grand point de vigilance à avoir sur ces séjours. »

La santé fragile des vacanciers est un point trop peu abordé par les organismes. Et quand elle est expliquée, certains jeunes animateurs n’osent plus faire ce travail.

« J’ai tout de suite fui »

« Quand l’association nous a indiqué que l’on pouvait avoir des morts dans nos séjours, j’ai tout de suite fui », explique Sarah, étudiante à Lille. Les animateurs-accompagnateurs sont 12 % à se désister avant le début du séjour et près de 3 % pendant.

Les problèmes de comportement des vacanciers peuvent bloquer le déroulement des séjours. Dans ce cas, les animateurs ont la possibilité d’appeler les foyers pour demander un rapatriement.

Mais les établissements, démunis de leurs aides-soignants en congé, ne souhaitent pas rouvrir pour accueillir les personnes handicapées la nuit. Alors, l’augmentation du traitement de santé de ces vacanciers peut être une solution proposée par le foyer en accord avec le médecin.

« Une fois, j’ai fait un signalement, se rappelle Gilles Gassani. Le foyer ne voulait pas rapatrier la vacancière. Quelques jours plus tard, je reçois une vidéo d’une de mes collègues, sur un autre séjour. Sur l’image, ma vacancière était là, shootée aux médicaments. Elle n’avait plus d’expression. »

Des numéros pour leur prénom

Gilles Gassani a été témoin d’autres formes de violence notamment dans la relation de certains animateurs non diplômés avec les vacanciers. Sur un séjour, une encadrante alcoolique a fini par tyranniser des personnes handicapées. « Elle se moquait d’eux, les secouait et leur criait dessus », décrit-il. Là encore, l’Ovao en a été informé. Il s’est contenté d’envoyer cette animatrice sur un autre séjour, la même semaine.

Cette maltraitance peut aussi être verbale. « Quand je suis arrivée, les animateurs appelaient les vacanciers par des numéros et non par leur prénom », indique India Gastaldi.

Clara Gombert, animatrice puis responsable VAO depuis trois ans.

À ces problèmes d’encadrement s’ajoutent le transport quotidien des vacanciers en voiture et la propreté du gîte. Des tâches qui épuisent les animateurs. Le sommeil est difficile à trouver. Les rondes de nuit se multiplient. La fatigue, engendrée par une saison estivale éprouvante, entraîne des situations dangereuses.

Les obligations de travail (suivi des dossiers, trésorerie, santé) des animateurs ne leur permettent pas d’être entièrement disponible pour les vacanciers qui ont pourtant payé pour. « Pendant un séjour, je me suis endormi au volant. Une vacancière a crié pour me réveiller », se souvient Gilles Gassani.

Deux contrôles par département

Il existe des difficultés supplémentaires. Les adultes handicapés racontent peu leur séjour. « Ma fille ne verbalise pas. On ne sait pas réellement comment se sont passées ses vacances. Je suis longtemps resté dubitatif quant à certains séjours », confirme Alain Dupré, administrateur de l’Unapei.

La législation qui encadre les VAO « doit garantir le droit aux vacances, tout en veillant à la sécurité et au bien-être des vacanciers », affirme Frédéric Reichhart. Or, l’encadrement juridique des vacances se révèle insuffisant.

India Gastaldi, animatrice VAO en 2024.

Après avoir autorisé le séjour, la direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETS-PP) du lieu de vacances, mobilise des agents de contrôle qui interviennent pendant une demi-journée pour veiller à la sécurité et au bien-être des vacanciers.

Le bon fonctionnement des séjours est aujourd’hui totalement dépendant de l’organisation générale des organismes, de l’encadrement, des publics et des aléas de la vie en communauté. Le contrôle de l’État est dès lors essentiel pour vérifier la qualité de chaque séjour.

Mais le manque de moyens humains empêche d’assurer un contrôle suffisant sur l’ensemble des VAO. Selon l’Igas, seuls deux contrôles en moyenne par département ont été effectués durant les été 2021 et 2022. Alors que près de 5 000 voyages sont organisés en France chaque année.

Source : Rapport de l’Igas « Vacances organisées pour adultes handicapés : état des lieux et amélioration ». Réalisation : Clara Lebarbey et Victoire Renard-Dewynter/EPJT.

Alain Dupré, administrateur Unapei et CNLTA. Père d’une personne adulte en situation de handicap mental.

La majorité des séjours (80 %) se déroule l’été et 64 % se concentrent dans les régions Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes, Pays de la Loire et Nouvelle-Aquitaine. Les effectifs départementaux ne permettent pas d’absorber l’arrivée massive des vacanciers.

Les contrôles peuvent eux-même être bancals puisqu’aucune grille nationale n’aide les inspecteurs sur le terrain. Les départements ou les régions s’organisent séparément.

Une inspection sur trois est effectuée sans aucune fiche de contrôle. À noter également qu’aucune visite n’est prévue pour les séjours à l’étranger car aucune déclaration préalable n’est requise.

Il n’existe, de plus, aucune obligation de signaler à la préfecture les accidents et les problèmes qui surviennent pendant les séjours. Par conséquent, aucun suivi ni retour d’information n’est transmis à la DDETS-PP.

La peur des nouvelles lois

Depuis le 9 août 2023, les agents départementaux semblent sensibilisés et ont effectué deux fois plus de contrôles durant le reste de l’été. Ces efforts tendent à se poursuivre. Des Ovao, adhérents au Conseil national des loisirs et du tourisme adapté (CNLTA), ont remarqué, lors du bilan de l’été 2024, « un nombre de contrôles plus élevé mais toujours variable selon les départements », déclare Pascaline Martineau, déléguée générale du CNLTA.

Pour pallier le manque de cadre national, certaines structures travaillent sur la qualité des séjours. C’est le cas du CNLTA qui effectue des visites pour ses 35 adhérents. « Nous n’avons pas de pouvoir juridique, mais cela permet, à l’aide d’une fiche, d’identifier les problèmes », témoigne Alain Dupré, habilité par le CNLTA à effectuer ces contrôles. En 2024, une trentaine de lieux a été visité par ce réseau.

Frédéric Reichhart, sociologue spécialiste du tourisme adapté.

Les organismes adhérents au CNLTA doivent signer une charte qualité qui garantit la qualité du séjour. C’est un moyen supplémentaire d’assurer le bien-être des vacanciers.

Le CNLTA, réseau majeur dans l’univers des VAO, craint que de nouvelles lois entraînent une surcharge administrative pour les associations. Cela pourrait se répercuter sur le prix des séjours.

Depuis avril 2024, une plateforme, nommée SI-VAO, permet aux hébergeurs et aux OVAO de déposer leurs dossiers afin que l’organisation des séjours soit plus simple.

Portraits d’India Gastaldi, de Cécile Gaucher, de Gilles Gassani, de Clara Gombert, animateurs VAO. Photos : Jules Rouiller/EPJT. Illustration : Lény Grange.

La philosophie des Ovao est bonne. Mais avec des moyens réduits, ces semaines se transforment en cauchemar, pour les animateurs comme pour les vacanciers. Et les familles qui vident leurs comptes en banques pour leurs enfants sont loin d’être totalement informées.

« Accompagner ces personnes, cela ne s’improvise pas », s’insurge Frédéric Reichhart. « L’État ne s’y intéresse pas car le tourisme adapté ne rapporte pas à la société. Quand il pense handicap, il se tourne d’abord vers l’éducation et le travail. »

D’un autre côté, les Ovao ne souhaitent pas l’ajout de normes qui pèserait davantage sur leur fonctionnement. Fadila Khattabi, ex-ministre déléguée chargée des Personnes âgées et des Personnes handicapées, n’a pas répondu à nos nombreuses sollicitations.

Le rapport de l’Igas sur les VAO a été commandé après l’incendie de Wintzenheim, durant l’été 2023. Depuis, presque deux ans sont passés et rien n’a changé. Et quand l’ex-premier ministre, Michel Barnier, a composé son gouvernement le 21 septembre 2024, il n’a même pas nommé de ministre chargé des Personnes handicapées.

Par conséquent, il subsiste de sérieuses interrogations sur le sort qui sera réservé à l’état des lieux de l’Igas sur les VAO. Car l’intérêt pour les personnes en situation de handicap mental ou psychique n’a jamais été au centre des débats parlementaires.

Alain Dupré, administrateur Unapei et CNLTA. Père d’une personne adulte en situation de handicap mental.

Clara Lebarbey

@claralbrb
23 ans.
Journaliste en formation à l’EPJT et alternante à Ouest-France à Saint-Lô et Avranches.
Passée par La Manche Libre.
Passionnée par l’histoire, la politique et les sujets littéraires et sociétaux.

Victoire Renard-Dewynter

@VictoireRenard1
22 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
Passée par La République des Pyrénées, Sciences et Vie Junior et Ciel & espace.
Se destine au journalisme spécialisé dans les sujets sociétaux et environnementaux.

Jules Rouiller

@jules_rllr
21 ans.
Étudiant en journalisme à l’EPJT
Alternant au service des sports de Ouest-France à Angers.
Passé par La Nouvelle République.
Passionné par le sport et la musique.