Photo d’ouverture : Flora Battesti/EPJT
Au fil du temps, les zoos sont devenus un des principaux outils de sauvegarde des espèces animalières sauvages. Mais ce sont aussi, et surtout, des entreprises qui doivent préserver leur activité économique. Pour séduire de nouveaux publics, ils doivent jongler entre les contraintes. Et quand la logique commerciale l’emporte,les dérives ne sont pas bien loin.
Par Flora BATTESTI, Aimie FACONNIER et Florian GAUTIER
Si complexe que les propritaires ou gérant des zoos sont bien peu disert. Si à la Boissière-du-Doré, Sébastien Laurent, le directeur, n’hésite pas à ouvrir ses portes pour en expliquer le fonctionnement de son parc et à mettre en avant les objectifs des zoos 2.0. Il est bien le seul à accueillir des journalistes sans sourciller. A La Flèche par exemple, se déroule l’émission de téléréalité « Une saison au zoo » qui met les soigneurs en vedette. Si tous les sujets y sont abordés, notamment ceux concernant la préservation des animaux ou la génétique, le parc refuse de communiquer.
A Beauval, qui se dit numéro un en France, le silence est aussi règle d’or. « Les zoos sont là pour rappeler aux personnes qu’il faut préserver la nature, les espèces, donc faire de la pédagogie, agir directement sur la protection in situ et ex situ. Ça ne sert à rien de chercher la polémique », affirme Matthieu Galand, ancien responsable de l’équipe de soigneurs avant d’ajouter : « Je vais arrêter ma conversation ici avec vous. Je pense avoir tout dit. » Nicolas Leroux, membre de l’équipe du fameux zoo de Beauval tient le même discours que son ancien collègue. Les zoos de Vincennes, de Cheptainville et de Thoiry ne seront pas plus bavards : refus catégorique pour les uns, silence radio pour les autres.
« Le but d’un zoo est d’assurer à long terme la survie de l’espèce en captivité. »
Sébastien Laurent
Au zoo de La Boissière-du-Doré, Sébastien Laurent s’en étonne. Il ne voit pas ce que ses confrères pourraient avoir à cacher. Dans son bureau exigu, où s’entassent documents, tableaux et photos d’animaux, il planifie la gestion du parc. Pour lui, « le but d’un zoo est d’assurer à long terme la survie de l’espèce en captivité ». En France, les parcs comme le sien, membres de l’Association française des parcs zoologiques (AfdPZ), cotisent et doivent soutenir des actions qui œuvrent pour la protection de la biodiversité. La Boissière-du-Doré reverse chaque année près de 25 000 euros à différents programmes grâce à l’argent récolté au stand maquillage et aux journées conservation.
« Dans les années quatre-vingt, le but était de stocker le maximum d’espèces dans le minimum de place. On avait des normes de 80 mètres carrés pour un couple de panthères », se rappelle Sébastien Laurent. Avant le XIXe siècle, les espèces exotiques sont regroupées dans des ménageries privées. Le bien-être des animaux n’est pas la préoccupation majeure des propriétaires, qui se consacrent uniquement au divertissement du public. Les bêtes sont arrachées à leur milieu naturel de façon anarchique. Pour les capturer, les propriétaires on recourt à des « capteurs ». « Des capteurs repentis ont estimé
qu’entre 15 et 30 % des animaux succombaient lors de la prise, en général. Ces chiffres pouvaient êtres plus élevés, 80 % pour les gibbons du Laos », précise Eric Baratay dans son ouvrage Belles et captives : une histoire des zoos du côté des bêtes. A cette mortalité s’ajoutait celle qui survenait pendant le transport ou la période d’adaptation de l’animal dans son nouveau milieu, ajoute l’auteur.
Mais à partir de l’entre-deux guerres, les scientifiques se rendent compte que la faune s’amenuise et les ménageries sont pointées du doigt. A l’échelle internationale, des politiques visent à protéger la biodiversité se mettent en place. Elles aboutissent à la création, en octobre 1948, de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN ). Les ménageries s’agrandissent et prennent alors le nom de parcs zoologiques.
« Aujourd’hui la tendance est au minimum d’espèces dans un maximum de place, souligne Sébastien Laurent. En témoigne les espaces que l’on présente chez nous, avec les girafes qui ont 3 hectares, les rhinocéros 5 hectares… On veut se rapprocher au mieux des grandes plaines africaines. » Lorsque le visiteur déambule dans le zoo de La Boissière-du-Doré, il n’est pas assuré de voir de près l’animal qu’il désire contempler. Les célèbres pandas roux se dissimulent en haut des arbres, à l’abri des curieux qui collent leur nez à la vitre. Si cet agencement peut agacer le public, il est nécessaire pour préserver la tranquillité des animaux.
Les bébés sont les stars des zoos et attirent le public. Photo : Aimie Faconnier/EPJT
C’est la convention de Washington de 1973 qui bouleverse véritablement les zoos, en imposant une série de réglementations strictes, en fonction du degré de vulnérabilité des espèces. Dorénavant, les parcs zoologiques ne peuvent plus se servir dans la nature comme bon leur semble et les espèces menacées ne peuvent plus être achetées. Les codes d’éthiques au sein des parcs zoologiques se développent, notamment sous l’égide de l’Association européenne des zoos et aquarium (EAZA), créée en 1988.
Elle permet d’accroître la coopération entre les zoos en donnant des directives concernant les aménagements et les soins à apporter aux animaux. Aujourd’hui, l’EAZA regroupe 320 institutions zoologiques de 35 pays européens et favorise le développement des programmes européens d’élevages (EEP), pour réguler la reproduction des espèces. Grâce à elle, les parcs s’autosuffisent et doivent même réguler la naissance de certains animaux.
L’étologue Émeline Lempereur apporte une précision quant aux devoirs des zoos : « Dans les parcs suivis par l’EAZA , on doit faire respecter les cinq libertés que possèdent les animaux : ils sont libres de soif, de faim et de nourriture impropre ; libres de désagréments corporels et thermiques ; libres de douleurs, de blessures et de maladies ; libres d’angoisse et de stress chronique ; libres de présenter leur comportement naturel. »
Si l’Eaza constate des dérives au sein de ses parcs zoologiques, elle a la possibilité d’en retirer les animaux et de les placer ailleurs comme, par
exemple, au Refuge de l’arche. Unique en France, cette structure, située en Mayenne, accueille des animaux sauvages ayant subi de mauvais traitements. Ils viennent le plus souvent de parcs zoologiques en liquidation judiciaire ou qui ont participé à un marché noir.
Cependant, l’Eaza ne précise pas explicitement ce que sont les conditions nécessaires au bien être des animaux. « Les zoos européens doivent détenir des animaux dans des conditions visant à satisfaire les besoins biologiques et de conservation des différentes espèces », préconise l’article 3 de la directive européenne du 29 mars 1999. « Trop vague », selon le gérant de La Boissière-du-Doré qui ajoute que cela « peut varier d’un pays à l’autre, selon les habitudes locales ». Ce que confirme une enquête de 2011 sur les zoos de l’Union européenne menée dans vingt et un pays européens par une ONG de défense des animaux, Born Free et présentée le 24 avril 2014 devant la Commission européenne de l’agriculture du Parlement européen.
« Il en résulte que des millions d’animaux sont gardés dans des conditions inacceptables », explique Daniel Turner, chargé de l’enquête. « Il est nécessaire d’établir des normes plus claires dans la directive européenne », déclare pour sa part Franck Scharfstetter, fondateur de Code Animal, autre ONG de défense des animaux sauvages qui a également pris part à l’enquête. Un nouveau rapport concernant cette fois une douzaine de zoos sortira début 2016.
Pourtant, les zoos ne se privent jamais de mettre en avant leur rôle de protecteurs de la faune sauvage. Sur son site Internet, le zoo de Beauval y consacre une page entière :
« L’association Beauval Nature a été créée pour mettre en œuvre, développer et soutenir des actions de conservation pour la préservation de la biodiversité mondiale, ainsi que des programmes de recherche scientifique permettant de mieux connaître les animaux et de les protéger efficacement. » Et d’inviter l’internaute à parrainer un animal moyennant monnaie sonnante et trébuchante. De nombreuses espèces sont ainsi soutenues. Ce sont souvent les plus « glamours », celles qui rencontrent le plus de succès lors des visites : pandas roux, lions, tigres, koala, gorille… Mais les autres ?
« Les batraciens, une espèce en danger, auraient bien besoin de ce programme de conservation. Mais ils ne sont pas forcément dans les zoos, fait remarquer Franck Scharfstetter. Les gens n’ont pas envie de les voir. » Ce qu’ils viennent admirer, ce sont les espèces sauvages qu’ils auraient, sinon, peu de chance de voir près de chez eux. Leurs animaux préférés ? Les bébés. Difficile pour les parcs animaliers de résister à la tentation de mettre ceux-ci en avant, que ce soit sur le matériel de communication (affiches, dépliants…) ou dans le parc lui-même. « Nous nous battons au sein de l’Association française des parcs zoologiques pour ne pas mettre en avant les nouveaux-nés, reconnaît Sébastien Laurent. Pourtant, nous exhibons nos bébés panthères des neiges. » Certains vont plus loin et favorisent les naissances pour attirer le public, prenant ainsi le risque de ce que les experts appellent la surpopulation. Parfois, ces bébés deviennent encombrants. Leur fin est alors dramatique comme celle de Marius, le girafon de Copenhague (Danemark), ou celle du lion du zoo d’Odense (Danemark) qui ont été euthanasiés.
« Les zoos ne sont pas la SPA », justifiait Colomba de la Panouse, la directrice du parc zoologique de Thoiry dans les colonnes du Monde après la mort du girafon en février 2014. Pour le directeur du parc de La Boissière-Du-Doré, « les zoos deviennent très bons voire trop bons techniquement. Reproduire des espèces est devenu très facile compte tenu de la nette amélioration des conditions de captivité. C’est à nous de nous conformer aux programmes de l’Eaza. » Celle-ci, grâce à ses registres, note toutes les pertes et les naissances et accorde aux différents parcs la possibilité d’avoir des naissances. « En ce moment, les zoos préfèrent limiter les naissances et privilégient la stérilisation. »
Préserver la survie des espèces n’est pas la seule contrainte des zoos. Ils doivent s’assurer du bien-être de l’animal, de sa sécurité et de celle du public. « La direction départementale de la Cohésion sociale et de la protection des populations nous contrôle presque tous les ans », confirme Sébastien Laurent. Et ce parfois à l’improviste et en compagnie de vétérinaires enquêteurs. La DDSPP procède à la vérification des enclos, scrute les faits et gestes des soigneurs et contrôle les registres des naissances et des décès.
Entre la préservation des animaux, la surveillance de la génétique, la sécurité des animaux et du public, les zoos ont beaucoup évolué. Les objectifs progressent. C’est ce travail qu’aimerait souligner l’éthologue Émeline Empereur : « Les gens vont être sensibles à l’euthanasie de certains animaux, mais ne retiennent pas les messages passés au sein des parcs zoologiques à propos de la disparition de toutes les espèces, du changement climatique, de la pollution… L’euthanasie de certains individus va peut-être protéger des maladies certaines espèces dans dix, vingt ou trente ans. Le grand problème actuellement, c’est que nous nous trouvons dans une société de surconsommation et que nous ne pensons pas à demain. »
Les animaux sauvages enfermés peuvent avoir des comportements anormaux. Dessin : Aimie Faconnier/EPJT
Les programmes d’élevage en captivité, seul système institutionnalisé en Europe, ont beau élaborer des règles contraignantes, ils ne peuvent assurer le risque zéro en ce qui concerne les dérives génétiques. « C’est aussi le cas pour certaines espèces en milieu naturel, à cause de la déforestation », remarque Émeline Lempereur. Malgré les cahiers de suivi et les arbres généalogiques qui recensent toutes les espèces et tous les individus, les réseaux d’échanges auxquels appartiennent les zoos ne parviennent pas à brasser suffisamment les gènes de leurs pensionnaires.
On se souvient de la triste expérience menée sur les chevaux de Przewalski. L’actuelle population a été reconstituée à partir de treize reproducteurs captifs et souffre de graves malformations. Pour Éric Baratay, spécialiste de l’histoire animale, ces reconstitutions sont illusoires : on crée d’autres espèces, voisines, cousines, mais divergentes. Difficile alors d’imaginer les réintroduire dans leur région d’origine. De toute façon, « la réintroduction n’est pas une fin en soi, complète Sébastien Laurent. Il faut déjà savoir où on peut les réintroduire et s’assurer que cela fonctionne. »
Pour tuer le temps, Radjik, le tigre blanc de La Boissière-du-Doré, tourne en rond dans son enclos vitré, la gueule ouverte, l’air hébété. Le félin marche de façon répétitive, sans but. C’est un signe de stéréotypie, un comportement lié, entre autres, à l’enfermement. Il apparaît lorsque l’animal est en souffrance ou stressé. « Dans la plupart des parcs, vétérinaires et soigneurs s’activent pour répondre au mieux au bien-être de leurs pensionnaires, explique Émeline Lempereur. Mais parfois il existe un problème de gestion des individus. »
La jeune femme, spécialiste du comportement animal, connaît bien le phénomène : « La stéréotypie est un comportement répétitif, sans but ni fonction évidents. Elle n’existe donc pas en milieu naturel. C’est le résultat d’un stress ou d’un mal être. Par exemple, vous allez avoir un individu qui va répéter sans cesse un comportement incompréhensible (automutilation notamment, NDLR). Cependant, il faut savoir que lorsqu’une stéréotypie est ancrée chez un individu, il est quasiment impossible de l’éliminer. Si cela devient excessif, il faut faire en sorte que cela diminue, mais ne surtout pas empêcher l’animal de le faire car cela le soulage et peut lui apporter une forme de bien-être. »
La couleur des tigres blancs leur vient d’une mutation génétique. Photo : Florian Gautier/EPJT
La stéréotypie peut également être liée à des problèmes génétiques. C’est sans doute le cas de Radjik. Si les zoos adoptaient une réelle logique de transparence scientifique, les tigres blancs seraient beaucoup moins nombreux. Leur couleur est due à une mutation génétique. Naturelle à la base mais concernant peu d’individus, elle a été multipliée dans les zoos par la reproduction entre spécimens proches. On en arrive à une situation absurde : les tigres blancs font partie des échanges européens majeurs alors que leur espèce n’est en rien menacée. Radjick a été accueilli à La Boissière-du-Doré en 2009 grâce au programme européen des espèces menacées. Son directeur ne souhaite désormais plus participer aux échanges de tigres.
Pour sauver une espèce, on en arrive à la mettre en danger. Ce que reconnaît Émeline Lempereur : « La consanguinité peut elle-même être le point de départ de la disparition d’une espèce. » Mais comment éviter de jouer les apprentis sorciers ? Pour Frank Scharfstetter, il ne peut y avoir de demi-mesure : « Il faut privilégier les sanctuaires in-situ, de grandes réserves naturelles protégées, et non perpétuer ce système de conserverie que sont les zoos. » Car si les conditions de vie de animaux en captivité se sont améliorées, les va-et-vient de Radjick démontrent qu’il reste encore beaucoup à faire. Star des panneaux publicitaires, il est la preuve que l’enjeu financier prend encore trop souvent le pas sur la conservation des espèces.