Beaune-la-Rolande
Voyage dans la France périphériquePopulation vieillissante, logements parfois insalubres, disparition des petits commerces, montée de l’extrême droite… Au nord du Loiret, Beaune-la-Rolande partage les maux de nombreuses communes rurales de France.
Par Thomas Chatriot et Toinon Debenne
Photos : Thomas Chatriot/EPJT
Situé à l’entrée de la ville, dans la rue des Déportés, à l’emplacement même où fut construit un camp d’internement durant la Seconde Guerre mondiale (voir encadré), l’établissement de la petite commune du Loiret accueille 170 élèves de la quatrième à la terminale. Derrière le long portail noir et les murs beiges, les qualificatifs fusent : « C’est une ville de vieux », « petite », « perdue ».
Martin, 18 ans, arrivé à Beaune-la-Rolande il y a trois ans.
Pour ces jeunes, les mercredis se suivent et se ressemblent. Pour tromper l’ennui « on va au kebab, au lavoir ou au Super U », énumère l’un des lycéens. « Parfois on utilise les équipements sportifs de la ville, pour faire une partie de basket… », ajoute un autre. La ville n’est pas très attractive lorsqu’on a 17 ans. Martin, lui, en a 18. Son arrivée à Beaune, il y a trois ans, a représenté « un grand changement. Je suis originaire d’Ile-de-France. Je viens de la ville », insiste-t-il fièrement.
« Les lycéens viennent de toute la France pour suivre nos formations. De Normandie, de Bourgogne, souligne la documentaliste, Anne Guillard, en poste depuis quinze ans. Mais le combat est constant pour maintenir le nombre d’élèves. »
Dans la salle des professeurs, même son de cloche. On s’amuse durant la pause à imaginer un été dans la campagne beaunoise. « Passer des grandes vacances à Beaune, ça doit être long ! » s’exclame Lucie Norest, enseignante de français et d’anglais. « Quand j’étais enfant, on disait que c’était la loose d’habiter à Beaune-la-Rolande », poursuit la jeune femme, originaire du département.
Manque d’attractivité, population vieillissante, précarité, accès difficile aux services de santé, dynamisme en berne… La petite bourgade de 2 124 âmes souffre de maux communs à de nombreuses villes rurales de France.
Une ville marquée par l’histoire
« Vous avez vu le tableau de Frédéric Bazille à l’église ? » L’œuvre revient souvent dans les discussions lorsqu’il s’agit, pour les habitants, de parler de leur ville. La peinture, qui représente le mariage mystique de sainte Catherine, a fait le tour du monde. Mais que fait ce
tableau de renommée mondiale au cœur du Loiret ? Le peintre, un impressionniste du XIXe siècle, a trouvé la mort ici lors de la guerre de 1870 contre les Prussiens.
Nous sommes le 20 novembre 1870, le 10e corps prussien gagne du terrain et remonte vers Paris. Le 28 novembre, le gouvernement français lève à la hâte une armée de conscrits pour contrer l’avancée ennemie. Les soldats, très jeunes pour la plupart, marchent sur Beaune-la-Rolande la peur au ventre : l’armée prussienne est une des plus puissantes de l’époque. C’est un massacre. L’armée de la République est balayée. Frédéric Bazille tombe sur le champs de bataille. Son père fait alors don à la commune du fameux tableau et d’un monument érigé à l’endroit exact de la mort.
Soixante-dix ans plus tard, la ville est à nouveau atteinte par la marche de l’histoire et par l’un de ses épisodes les plus sombres : la déportation des juifs.
Au cours des années 1938-1939, un terrain est aménagé avec des sanitaires à la demande de Daladier, président du Conseil, en prévision de la guerre à venir, pour recevoir des prisonniers allemands. La défaite française en 1940 bouleverse cet objectif. Le camp est en effet réquisitionné par la Wermacht pour y parquer des prisonniers… français.
À partir de 1941, avec l’aide du gouvernement de Vichy, le camp et la gare de Beaune-la-Rolande sont utilisés comme zone de transit vers l’Allemagne. Les prisonniers français sont alors remplacés par des juifs étrangers de sexe masculin. En 1942, après la rafle du Vélodrome d’Hiver, on y voit arriver des familles entières pour de délester le camp de Drancy, alors saturé. Elles y resteront jusqu’à la décision d’Eichmann, haut fonctionnaire du IIIe Reich, de déporter également les enfants.
Il faudra attendre le 15 juillet 1943 pour la fermeture du camp, un an avant la libération de la commune le 21 août 1944.
L’habitat précaire
A la sortie n° 6 de l’autoroute A19, les champs s’étendent à perte de vue. Au loin, on aperçoit la flèche imposante du clocher de l’église Saint-Martin. A près de 20 kilomètres de Pithiviers et 30 kilomètres de Montargis, en plein milieu du Gâtinais, l’accès à Beaune-la-Rolande se mérite.
Depuis les années cinquante, le train n’y passe plus. Restent alors deux solutions pour celui qui souhaite s’y rendre. Prendre sa voiture et emprunter les longues lignes droites à travers les plaines du Loiret ou utiliser le réseau de bus mis en place par le conseil général, au départ d’Orléans, de Montargis ou de Pithiviers toutes les quarante minutes. Pourtant, « si c’est une ville où l’on passe, on ne s’y arrête pas », affirme un de ses habitants.
Outre le problème du transport se pose celui de l’habitat. A quelques pas du lycée agricole, dans les bureaux de la communauté de communes du Beaunois, on s’occupe de la gestion de l’Opah. Comprenez l’Opération programmée de l’amélioration de l’habitat, lancée par l’Etat en 2015. L’objectif ? Favoriser l’adaptation des logements au vieillissement et au handicap, lutter contre l’habitat dégradé et contre la précarité énergétique et ce d’ici à 2018.
Alexis Caussignac, chargé de l’Opération programmée de l’amélioration de l’habitat.
« Certaines personnes n’ont pas de salle de bain, ou n’ont pas d’isolation, explique Alexis Caussignac, chargé de l’urbanisme et de l’habitat à la communauté de communes du Beaunois. J’ai rencontré des personnes qui ne se chauffaient qu’à la cheminée. Beaucoup de gens sont concernés par le mal-logement. » Une partie de la population vit dans la précarité, avec peu de ressources, notamment chez les plus âgés. « Certaines personnes vivent dans des conditions que l’on n’imagine plus. Avec des toilettes dans la cour, par exemple », constate également la directrice déléguée du centre hospitalier de la ville, Béatrice Cornefert.
La santé sous tension
A quelques centaines de mètres de là, rue Frédéric-Bazille, tout près de l’église et de la mairie, les engins de chantier orange décorent la cour d’honneur de l’hôpital Paul-Cabanis. Les gravas côtoient le buste du médecin, ancien maire et député de la ville.
Dans les couloirs déjà rénovés du bâtiment, on croise surtout des patients du troisième âge. « Le centre hospitalier est un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) à plus de 90 % », explique Béatrice Cornefert. A l’instar de celle du centre hospitalier, la population de Beaune-la-Rolande est assez âgée.
Béatrice Cornefert, directrice déléguée du centre hospitalier de Beaune-la-Rolande.
Autre point de crispation pour l’établissement, comme pour l’ensemble des habitants : la désertification médicale. La situation semble pour l’instant sous contrôle, mais on sait le territoire sous tension. « Les médecins sont encore jeunes à Beaune… 55 ans, c’est encore jeune », plaisante Béatrice Cornefert, qui déplore le manque de gériatres et de généralistes dans le Loiret. Pour tenter de pallier ce problème, une maison de santé a ouvert ses portes en octobre. Financée en partie par la région, elle a permis à plusieurs praticiens de se regrouper sous le même toit. Reste à savoir si d’autres souhaiteront se joindre à l’équipe.
Petits commerces en voie d’extinction
Vendredi, c’est jour de marché sur la place principale, en plein bourg. A l’endroit même où se trouvait une halle trône désormais une sculpture contemporaine, aux formes géométriques, construite en 1992 selon les plans d’un habitant de la ville, le sculpteur Lebreton. A côté, les étals sont peu nombreux. Tout juste trouve-t-on trois fromagers, un boucher, un vendeur de fruits et légumes, un marchand de vêtements et un de chaussures.
Jean-Luc Riffon, vendeur de fruits et légumes, travaille sur le marché de Beaune-la-Rolande depuis plus de trente ans.
Devant le stand de Jean-Luc Riffon, le vendeur de fruits et légumes, on regrette le temps où le poissonnier venait jusqu’à Beaune et celui où les étals débordaient dans les rues alentour… « Ça va bientôt faire quarante ans que je viens sur ce marché, souligne le commerçant. Avant, on comptait quatre rangées de commerces. J’en fais d’autres à côté d’Orléans : c’est le jour et la nuit. » D’année en année, l’envergure du marché se réduit comme peau de chagrin. « Ça se perd, confirme Anne-Marie Patout tout en vendant ses fromages. C’est un marché qui meurt à petit feu. »
Cécile habite Beaune-la-Rolande depuis près de soixante-dix ans.
Cécile, 90 ans, habite à Beaune depuis 1947. « Quand je suis arrivée, c’était commerçant. Il y avait trois bouchers, deux charcutiers, et même des vendeurs de blouses », s’exclame-t-elle, tout en désignant les quatre coins de la place. « Depuis que Super U est arrivé, tout s’est perdu », se désole-t-elle.
Le marchand de blouses tout comme le vendeur de chaussures ont déserté la place et les rues adjacentes. Reste une boulangerie, une supérette, deux bars et quelques commerces de proximité. Beaune-la-Rolande n’a pas perdu d’habitants (elle en a même régulièrement gagné quelques dizaines depuis les années cinquante), mais elle a, semble-t-il, perdu de sa superbe.
L’histoire d’un nom
Beaune-la-Rolande. Le nom interpelle. Pourquoi Rolande ? Pour comprendre d’où vient cet ajout, il faut remonter au début du XIXe siècle et trouver une réponse… auprès des services postaux. À l’époque, les facteurs confondaient souvent la ville de Beaune dans le Loiret et son homonyme en Côte-d’Or.
Pour remédier à ces erreurs d’aiguillage, le conseil municipal de Beaune, parfois appelée Beaune-en-Gâtinois, adresse une demande au roi Louis XVIII afin de changer le nom de la commune. C’est ainsi qu’est repris le nom d’un notable du Moyen-Âge, Roland, à l’époque propriétaire d’une immense demeure au sein de la ville.
Pour l’anecdote, la Rolande, un petit ruisseau en contrebas tient depuis son nom de ce même personnage. Bon nombre de publications avancent le fait que c’est ce cours d’eau qui aurait donné son nom à la commune, ce qui est faux. Dans ce cas, la ville se serait plutôt appelée Beaune-sur-Rolande.
Emploi en berne et séduction du FN
Depuis vingt-et-un ans, Claude Renucci est à la tête de la municipalité de Beaune.
Dans le bureau du maire, Claude Renucci, les tableaux représentant des personnages illustres de la ville ornent les murs. Originaire de Corse et arrivé à Beaune en 1982 pour y exercer son métier de notaire, il est premier magistrat (Les Républicains) depuis vingt-et-un ans. « Il n’y a pas beaucoup de création d’emplois, confie-t-il. Nous avons quelques industries, avec des sociétés comme Micro Contrôle, une entreprise de mécanique de précision, dans la zone industrielle. Mais les plus grands pourvoyeurs d’emplois restent l’hôpital et le Super U. » Le nombre d’agriculteurs, lui aussi, a baissé. Comme partout en France, les petites exploitations de 30 à 40 hectares ont laissé place à de plus de grandes surfaces.
Les enseignes Mr. Bricolage et Super U font partie des plus importants pourvoyeurs d’emplois de la commune.
Dans ce contexte, de nombreux jeunes quittent le territoire. « Ils partent à Orléans ou à Tours pour les études. Et ils ne reviennent pas car il n’y a pas d’offres d’emploi », regrette le maire. La proximité avec la région parisienne n’est pas forcément salutaire. Beaucoup habitent la ville et travaillent ailleurs, à Paris ou en banlieue.
En politique, à Beaune, les traditions sont bien ancrées. Depuis des décennies, on vote pour la droite « traditionnelle » à chaque scrutin. Mais lors des élections régionales de décembre 2015, les habitants ont choisi de porter en tête le Front national, avec une bonne longueur d’avance. Le candidat frontiste, Philippe Loiseau, a recueilli plus de 42 % des suffrages au premier comme au second tour. Un score bien plus élevé que celui de la moyenne régionale (30 %). Les idées défendues par le parti d’extrême droite semblent avoir trouvé un certaine écho dans la commune. Charles de Gevigney, représentant du FN 45, l’explique simplement. « Dans les villes, ceux qui sont opposés à nos idées sont plus présents que dans les campagnes. »
Les attaques du 13 novembre ont sans doute pesé dans l’isoloir. « Les gens ont peur et ne sortent plus depuis les attentats »
Pour Sylvain Crépon, sociologue spécialisé dans l’étude du Front national, « il faut bien analyser que le sous-prolétariat du monde rural n’est pas le monde paysan. Il s’agit au contraire d’un électorat ouvrier qui a souvent été chassé des villes ou de la proche périphérie par les prix de l’immobilier. C’est très net parmi les primo-accédants à la propriété qui ont quitté la banlieue et arrivent dans les zones rurales avec le réflexe de vote FN développé au contact de l’insécurité », analyse-t-il dans La Croix.
Les attaques du 13 novembre ont sans doute pesé dans l’isoloir. « Les gens ont peur et ne sortent plus depuis les attentats », affirme un commerçant. Pourtant, les faits-divers de Beaune sont bien moins nombreux et quelque peu différents de ceux de Paris. « Il y a quelque temps, on a eu un voyeur. Il accrochait des slips et des soutiens-gorge, la nuit, au grillage du centre hospitalier », raconte la directrice déléguée de l’hôpital. Le maire n’explique pas cette recrudescence du vote frontiste. « Ici, on ne fait pas de politique. On a d’autres choses à faire, assure-t-il. Il y a sûrement des socialistes dans mon équipe. »
Emploi en berne et séduction du FN
Si le déclin paraît inéluctable, quelques habitants motivés tentent de redynamiser Beaune par le biais culturel ou économique. Un jeudi par mois, la place du marché revêt les couleurs du septième art. Alors que le cinéma le plus proche est à Pithiviers, un camion – le Cinémobile – offre trois séances aux habitants. Beaune-la-Rolande n’a pas dit son dernier mot.
Patchwork, broderie, scrabble, tarot… Les associations ne manquent pas. On en recense plus de vingt. La ville abrite aussi onze clubs de sport en tout genre. Au lycée agricole aussi, on souhaite faire bouger les lignes. « Une de nos missions est d’animer le territoire », explique Anne Guillard, assise au milieu du centre de documentation. Nous menons donc des partenariats avec l’école primaire. Les lycéens participent aussi aux journées du terroir. Certains ont également rénové le lavoir de la ville. »
L’histoire propre à la ville amène parfois les élèves à quitter le Loiret. « Ils sont allées à l’Unesco, par exemple. » Et malgré la situation géographique de la bourgade, le lycée parvient à attirer des intervenants du monde entier : Allemands, Polonais, Tchèques y viennent. Et aussi des Chinois… Dans la salle de conférences, un cinéaste de la province du Hunnan échange avec les lycéens. Il est question de films, mais aussi de préférences culinaires et de culture… Un moyen pour les jeunes de s’ouvrir au monde sans quitter Beaune-la-Rolande.
Timothé Huck est responsable des Jardins de la voix romaine, un réseau d’insertion.
Si les nouveautés sont parfois difficiles à mettre en place, elles finissent souvent par s’imposer. « Au début, les gens, notamment les politiques, étaient un peu dubitatifs », explique Timothé Huck, responsable des Jardins de la voix romaine, un réseau d’insertion. Il y a cinq ans, la structure de maraîchage bio s’est installée le long de l’autoroute, sur les terres laissées à l’abandon par Vinci. Si le démarrage n’a pas été simple, les Jardins exploitent désormais 7 hectares et emploient une vingtaine de salariés. « On est un peu de Ovnis, mais on est de moins en moins seuls. Les politiques s’engagent à nos côtés, déclare le maraîcher. Les gens sont bousculés. La population augmente. Une nouvelle génération arrive. La ville frémit. »