Photo : Sébastien Guerche/EPJT
Malgré les lois et les campagnes de sensibilisation, les travailleurs handicapés peinent à s’insérer dans le monde du travail. Grâce au réseau Différent et Compétent, ils peuvent passer une certification d’aptitude. C’est la reconnaissance de compétences. La pédagogie est efficace. Le diplôme, lui, reste symbolique.
Par Fabien Burgaud, Toinon Debenne, Sébastien Guerche, Esteban Pinel
Les Esat ont remplacé les CAT (centres d’aide par le travail), rebaptisés lors de la loi Handicap du 11 février 2005. On en trouve 1491 en France, pour environ 117 000 places. Ils accueillent des personnes inaptes à travailler en entreprise dite ordinaire. Une inaptitude encadrée : les travailleurs admis en Esat ont une capacité de travail inférieure à un tiers de celle d’une personne valide. Une fois admis, ils ont six mois pour s’insérer dans ce milieu professionnel adapté. Une commission statue, au terme de la période d’essai, sur leur intégration définitive.
Malgré des difficultés d’élocution, Jean-Pierre a été l’un des premiers travailleurs des Ateliers de l’Europe à obtenir sa reconnaissance de compétences. Photo Esteban Pinel/EPJT
Le bureau de Christian Audebrand donne sur l’atelier. À 52 ans, il est le moniteur du secteur conditionnement, qui compte 26 travailleurs. Mais il est aussi coordinateur du réseau Différent et Compétent (D&C) au sein de son établissement. Ce réseau a vu le jour en Bretagne, en 2001. Son objectif : « Développer la reconnaissance de compétences des personnes travaillant en Esat ainsi que dans les entreprises adaptées », explique le président-fondateur du réseau, Christian Guitton.
Les étapes du dispositif Différent et compétent.
D&C propose une certification de reconnaissance de compétences à ses travailleurs, sur la base du volontariat. « On pioche au fond des gens pour trouver leurs compétences. Car ils en ont, même s’ils n’en ont pas forcément conscience. Il faut les amener à se poser des questions », développe Christian Audebrand. L’initiative, lancée par quelques directeurs d’Esat bretons, a essaimé. Aujourd’hui, plus de 500 établissements adhèrent à l’association Différent et Compétent Réseau. Cela représente plus de 50 000 travailleurs. Et ils sont de plus en plus nombreux à faire cette reconnaissance des acquis de l’expérience (RAE) adaptée, conclue par la remise d’une attestation de compétences.
Mettre en valeur les compétences
C’est le cas d’Alain Forestier. Handicapé depuis la naissance, il a fait toute sa carrière à l’Esat Les ateliers de l’Europe. En trente et un ans, il a eu le temps d’apprendre les rudiments du métier de conditionneur. Il est une des petites mains les plus efficaces de l’atelier, d’où sortent 650 000 à 700 000 boites de henné prêtes à l’emploi, chaque année. Alain Forestier a 55 ans. Il est expérimenté. Il a pourtant décidé de franchir le pas et d’entamer sa reconnaissance de compétences. C’est son moniteur, Christian Audebrand, qui lui en a soufflé l’idée : « Alain fait partie des gens qui ne se mettent pas en avant. Il faut aller vers eux. »
Alain Forestier travaille dans le secteur conditionnement des Ateliers de l’Europe, à Tours. Photo : Esteban Pinel/EPJT
Lors de son rendez-vous annuel pour faire le point sur son projet personnel, Alain Forestier s’est vu présenter D&C. Une de ses collègues, Marie-Rose Ferger avait déjà tenté l’aventure lors de la mise en place du dispositif, à Tours, en 2010. Une initiative couronnée de succès, qui en a inspiré d’autres. « Ça m’a pris comme ça. J’ai voulu faire comme Marie-Rose. Elle m’a motivé. » Du bouche oreille, un peu ; un désir de reconnaissance, surtout : « Pour moi, c’est important d’avoir un diplôme. » Le premier de sa vie…
Mais le déclic vers la reconnaissance ne se fait pas « chez tout le monde, précise Christian Audebrand. Il est plus fréquent chez les jeunes. L’envie d’être reconnu est plus importante chez eux. Cela correspond à un mouvement de société ». Cette reconnaissance est aussi un vecteur d’intégration dans la société, ce à quoi aspirent des jeunes personnes en situation de handicap, « moins marquées physiquement » qu’auparavant, selon Christian Audebrand.
Tenter l’aventure
A Tours, l’Esat Les ateliers de l’Europe a adopté le dispositif courant 2010. Frédéric Chavelet en est alors le directeur depuis un an. Sollicité par un collègue, il se rend à une réunion d’information sur le réseau D&C dans le Loiret. « Le dynamisme régional m’a interpellé », souligne-t-il. Séduit, il décide de tenter l’aventure, non sans difficultés : « Cela a été plutôt difficile à mettre en place du côté des équipes », confirme-t-il. Une résistance qui s’explique notamment par le volet médico-social de D&C, comme le résume Julien Nauleau, moniteur d’atelier en formation. « Le dispositif fait bouger les lignes. De technicien, le moniteur est de plus en plus éducateur. Cela suppose plus de remise en question. C’est plus fatigant. » Pourtant, petit à petit, un nouveau mode de fonctionnement s’instaure au sein de l’Esat.
Christian Audebrand est satisfait de voir grandir D&C à Tours Nord. « Si je devais conseiller à un directeur d’Esat d’adhérer à D&C, je lui dirais que cela l’aiderait à se remettre en cause, cela changerait sa vision du monde et révélerait des talents dans son établissement. » Le dispositif n’a été présenté que tardivement aux travailleurs : cinq ans après son adoption par l’Esat. Mais ils sont de plus en plus nombreux à vouloir se lancer. Il y a désormais de l’attente pour démarrer la reconnaissance de compétences. Sept à dix travailleurs la passent chaque année, encadrés par quatorze moniteurs.
Alain Forestier, sur le podium du parc des expositions de Chartres, le 10 novembre 2015 (capture d’écran).
Des dizaines de minibus blancs arrivent un par un sur le parking du parc des expositions du Chartres. La salle a été réservée pour l’occasion. En ce 10 novembre, les Esat de la région Centre sont invités pour une cérémonie de remise des attestations de reconnaissance de compétences, comme il en existe depuis la création du réseau en 2001. « Depuis quelques années, on valorise l’événement, raconte un responsable. Cette reconnaissance représente vraiment quelque chose pour les travailleurs. Donc aujourd’hui, c’est leur récompense. » Aujourd’hui, justement, 120 attestations sont remises à autant de travailleurs handicapés. Et ce pour des compétences diverses comme « tondre une pelouse », « tailler une haie » ou encore « emballer des produits ».
Pendant deux heures, ils se succèdent sur le podium pour recevoir le précieux sésame, sous les applaudissements du public constitué des autres travailleurs, de chefs d’établissement, de moniteurs, de tuteurs et parfois des membres des familles. Cette dernière présence est importante pour les travailleurs, confirme Ivy Lofargne, une accompagnatrice des Ateliers de l’Europe : « Le handicap peut créer des situations d’isolement. Il peut même être causé par des situations de famille difficiles. Donc, quand le travailleur peut maintenir des liens familiaux, c’est un vrai soutien pour lui. »
L’après-midi se poursuit dans une ambiance festive. Une vidéo va même faire se lever l’assistance : un Esat a réalisé un petit film sur son quotidien. On y voit les travailleurs dans leurs activités, très variées selon les métiers. Chacun prend une pose amusante, le sourire est de rigueur. Avec en fond sonore, un morceau du rappeur Black M qui garantit l’ambiance. Seule ombre au tableau, « l’éclairage de la salle est un peu jaunâtre. Les photos ne sont pas très jolies », si on en croit Christian Audebrand. Mais il en faudra plus pour contrarier le moniteur d’atelier, qui a prévu une seconde fête avec les travailleurs, à Tours cette fois-ci. Alain Forestier, son attestation fièrement et fermement calée sous le bras, sera de la partie.
Un processus long et exigent
La cérémonie est « la partie émergée de l’iceberg », assure Christian Audebrand. Accompagner le travailleur vers une reconnaissance de compétences est un travail de longue haleine. En Loire-Atlantique, près de Nantes, ils sont douze – sans compter les encadrants – à travailler au grand air. La ferme de la Chauffetière, sur la commune du Pellerin, héberge un centre équestre géré par Sésame Services, un Esat qui accueille des personnes autistes. Depuis 2014, le centre équestre adhère à Différent et compétent. Un des seuls en France dans ce cas. « Le référentiel métier de soigneur équin existait chez D&C. On l’a mis en place assez rapidement pour le poney club », explique Thierry Morin, le directeur de l’établissement.
Le référentiel métier pour « soigneur équidé » est un document détaillé de 16 pages.. Photo : Esteban Pinel/EPJT
Un référentiel métier est en quelque sorte une décomposition des tâches. Un dossier de plusieurs pages qui, détaille Thierry Morin, « revient à la base des métiers » et récapitule très précisément les savoir-faire que doivent acquérir les travailleurs. C’est là-dessus que se base Différent et compétent. C’est aussi en partant de ces référentiels que les moniteurs doivent former les travailleurs.
« On harmonise, reprend le directeur. Tout D&C est régi par les mêmes référentiels. On identifie ce que les personnes savent faire, ce qu’elles ne savent pas faire et quelles compétences elles peuvent développer. » C’est ainsi que, au centre équestre, il faut savoir décrire la couleur de la robe des chevaux, différencier un poney d’un double poney, mais aussi nettoyer les box, apprendre à panser un animal, déceler un comportement inhabituel, etc.
Le centre équestre fonctionne comme un poney club normal. Les travailleurs sont certes encadrés par deux monitrices (trois une fois par semaine), mais ils doivent tendre vers l’autonomie, tout en développant leurs compétences. L’organisation est le facteur clé de la réussite. Le matin, l’équipe se répartit en petits groupes pour gérer les tâches de base, comme le nettoyage des box ou le brossage des chevaux par exemple. « Pendant deux mois, ils font la même chose le matin et, après, ils changent », explique l’une des monitrices.
Un système de pictogrammes très simples guide les travailleurs. « Il faut penser à ceux qui ne savent pas lire », souligne Catherine Garnier, la coordinatrice médico-sociale de l’Esat. Au sein du groupe, les expérimentés (certains travaillent au centre équestre depuis dix ans) prodiguent leurs conseils aux débutants. L’entraide est importante, y compris pour remotiver ceux qui rechignent un peu à la mise en route. L’après-midi, c’est à la carte (selon les besoins du centre évidemment).
Le dispositif de l’Esat a permis à David Huchet de se relancer. Sébastien Guerche/EPJT
Tant et si bien que chacun touche un peu à tout, avec une exigence de qualité, ainsi qu’un accompagnement assez personnalisé. Thierry Morin, le directeur, veille à l’organisation de la structure : « On limite à 12 le nombre de travailleurs au poney club, car soigneur équin est un métier particulier. La proximité avec les animaux s’apprend, même si les travailleurs, ici, sont passionnés. » Il y a désormais une liste d’attente pour entrer au centre équestre qui « manque de place », reconnaît Thierry Morin. Reste que la clientèle du poney club n’est pas extensible à l’infini, de même qu’il y a peu de moniteurs d’atelier spécialisés dans cette branche. Mais D&C a permis une petite révolution dans l’Esat : une des toutes premières travailleuses à passer sa reconnaissance de compétences au centre est devenue monitrice. De quoi donner quelques idées aux autres.
Obtenir un diplôme, un souhait profond
Différent et compétent veut donner aux travailleurs la possibilité d’évoluer. Ils sont 75 % à n’avoir aucun diplôme. Les filières technologiques (CAP par exemple) sont souvent hors de portée car trop complexes. « Il y a beaucoup de gens qui rêvent d’un petit bout de diplôme et qui s’en approchent, constate Magdeleine Grison, la directrice nationale du réseau. Nous, nous nous battons à leur côté. » Dans les 25 % de diplômés, certains sont arrivés en Esat à la suite d’accidents de la vie ou de douloureuses épreuves sur lesquelles ils ne s’épanchent pas, ou très peu.
Au Pellerin, c’est le cas de David Huchet. Quand cet ancien paysagiste dans les travaux publics a été admis en Esat, il a « tout de suite voulu venir au centre équestre ». Il le reconnaît lui-même, les débuts n’ont pas été faciles, loin du « monde ordinaire » qu’il a connu. Le dispositif lui a, en quelque sorte, permis de se relancer. « Je me répétais : on va être fort, on va y arriver. Il faut être patient. » Six mois de formation plus tard, il a décroché sa reconnaissance de compétences, en même temps que Laurence Ruesche.
Cette dernière travaillait dans les cuisines de Sésames Services depuis cinq ans lorsque le centre équestre a ouvert, en 1999. « J’ai levé la main pour y aller », se souvient-elle avec un plaisir non dissimulé. La vie en plein air, les chevaux, l’intérêt pour les métiers en lien avec l’animal… tout lui faisait envie. La passion s’entend dans sa voix. Mais pour y arriver, Laurence Ruesche a dû travailler dur pour faire valider ses acquis. “Le dossier est difficile à réaliser. Et passer devant le jury était très stressant”, confie-t-elle. Les travailleurs doivent connaître leur poste, et démontrer leur capacité à expliquer en quoi leur travail consiste.
Extrait du dossier d’un travailleur de l’Esat Les ateliers de l’Europe, à Tours. Il explique comment faire des frites. Photo : Esteban Pinel/EPJT
D’où l’importance d’un accompagnement pédagogique par les moniteurs d’atelier. À Tours, Christian Audebrand passe l’essentiel de son temps avec les ouvriers. “On n’est pas copains, on n’est pas collègues, mais c’est mon rôle de les accompagner”, précise celui qui a une certaine idée de l’encadrement. “Les moniteurs sont contents d’aller en formation et d’échanger avec d’autres collègues. Les travailleurs, eux, se sentent valorisés. Cela renforce l’estime de soi.” D&C attache beaucoup d’importance au “retour d’expérience”, comme le désigne Thierry Morin. “On se réunit régulièrement, on échange, et on revient dans nos centres avec des idées et de nouvelles méthodes.” Mettre en avant les compétences des travailleurs passe aussi par un gros travail de l’ombre des moniteurs, à condition que ceux-ci jouent le jeu de la remise en question permanente. Des psychologues visitent d’ailleurs les Esat pour dialoguer avec les moniteurs. Une autre disposition de Différent et compétent.
Un dispositif coûteux
Toutefois, le réseau et la reconnaissance ont un coût. Il faut payer une cotisation. L’association La Source (entité à laquelle appartient l’Esat de Tours-Nord) verse environ 100€ par an à la délégation régionale de Différent et Compétent. La cotisation pour chaque travailleur est de 5€. Il faut ajouter à cela les dépenses liées au fonctionnement du dispositif dans les Esat : formation des moniteurs et jury notamment. Thierry Morin a conscience de cette réalité économique : “D&C coûte plus cher, c’est certain. Il faut faire des choix. À Sésames Services, on prend dans le budget production (c’est à dire la part du budget qui relève des activités commerciales de l’Esat).”
Alors que le dispositif s’étend partout en France et que les demandes des travailleurs se multiplient, la question financière pourrait être un frein à l’extension de D&C dans les prochaines années. Mais, pour le moment, les Esat plaident pour son développement et tâchent de gérer au mieux l’afflux de projets de reconnaissance de compétences. “On explique aux nouveaux travailleurs de ne pas aller trop vite, de bien réfléchir à leur projet, et d’attendre leur tour”, assure Christian Audebrand, le coordinateur de D&C aux Ateliers de l’Europe.
Laurence, fière de son diplome obtenu grâce à son travail au centre équestre. Photo : Sébastien Guerche/EPJT
Obtenir une reconnaissance n’est pourtant pas synonyme de passeport pour l’emploi dans la société, le “monde ordinaire”, comme on dit dans les Esat. Loin de là. L’aspect symbolique est même plus important pour le travailleur. En France, on dénombre 2,9 millions de personnes handicapées. Et leur taux de chômage avoisine les 20%, quand il est d’environ de 10% pour l’ensemble de la population active française. Même si la reconnaissance atteste des capacités réelles d’un travailleur sur une tâche, il lui est difficile de s’insérer dans le monde professionnel. La marche demeure haute.
Le conditionnement demande de la minutie, que les travailleurs acquièrent au fil de l’expérience. Photo : Esteban Pinel/EPJT
Pourtant, une loi promulguée en 2005, intitulée “égalité des droits et des chances”, oblige les entreprises de plus de 20 salariés à embaucher 6% de personnes en situation de handicap au sein de leur effectif. A défaut, l’Etat peut infliger une amende à l’entreprise en question. Onze ans après la promulgation de la loi, la fonction publique atteint les 6% requis, contre 3% seulement du côté du privé.
Un bilan mitigé qui ne surprend pas Catherine Garnier, coordinatrice médico-sociale de l’Esat de La Montagne en Loire-Atlantique : “Aujourd’hui entre les textes, et la réalité, il y a un grand écart malheureusement. C’est un travail du travailleur, des équipes, des entreprises… C’est vers un projet global de société qu’on doit aller”.
Un monde du travail ordinaire complexe
Dans les Esat, le rythme est adapté et la différence est admise. C’est nettement moins le cas en entreprise. « Il ne s’agit pas que des apprentissages techniques, mais aussi du savoir-être, qui peut faire défaut, poursuit Catherine Garnier. Qu’est-ce qu’on accepte comme différence de l’autre et comment on prépare tous les collaborateurs à accueillir une personne en situation de handicap ? Ce n’est pas que l’affaire du chef d’entreprise, ce doit être l’affaire de tout le personnel ».
En clair, si certains autistes ou psychotiques peuvent faire parfaitement leur travail, ils ne s’intègrent pas pour autant dans l’entreprise. D’autant plus que le personnel ne fait pas toujours les efforts en ce sens.
Les réalités du monde ordinaire contrastent avec celles des Esat. David Huchet, qui a connu les deux univers, confirme. « Rentrer en Esat peut être difficile, mais en sortir également. En Esat, il n’y a pas d’exigence de rentabilité. C’est plus agréable. Le rythme des entreprises est difficile à suivre.»
C’est encore plus vrai dans le plus privé, où la rentabilité est un objectif plus clairement affirmé. « Le monde du travail ordinaire est complexe. Et la compétition fait qu’il faut être un bon ouvrier, sans failles. Or les personnes que l’on accueille ici sont des personnes vulnérables », reprend Catherine Garnier.
Frédéric Chavelet (à gauche) et des travailleurs de l’Esat Les ateliers de l’Europe, à Tours, à l’occasion du repas de Noël 2015. Photo : Sébastien Guerche/EPJT
« L’objectif est de sortir de l’Esat une fois la reconnaissance en poche, rappelle Frédéric Chavelet, le directeur de l’Esat Les ateliers de l’Europe à Tours. Mais dans les faits, c’est assez limité. » Il se remémore le parcours de quelques travailleurs. Celui de cette femme, par exemple, qui travaillait en menuiserie, et qui, douée pour la plonge, a fini par être recrutée en CDI dans une petite structure. Ou ce jeune homme qui a fait un stage de plusieurs mois, l’an passé, dans un service de restauration privé. Des cas rares néanmoins, et qui rappellent que souvent, les travailleurs handicapés restent dans les établissements spécialisés.
Pour autant, plusieurs chemins s’offrent aux travailleurs une fois la reconnaissance en proche. Alain Forestier, par exemple, va poursuivre tranquillement sa carrière aux Ateliers de l’Europe. Son attestation en poche, il ne va pas chercher à quitter l’Esat, ni à se lancer dans une autre reconnaissance. Magdeleine Grison apprécie aussi ce genre de profil : “On a vu des gens âgés qui accrochent le diplôme dans la salle à manger en se disant “Moi, dans ma vie, j’ai été ouvrier de travaux paysagers, je peux être fier” ». Certains, les jeunes travailleurs notamment, font valider de nouveaux acquis, et essayent de développer leurs compétences. D’autres entament une formation. Toujours avec le même entrain pour la reconnaissance.
« Si on ne met pas en valeur la compétence, on détruit la personne »
Christian Guitton, co-fondateur
de Différent et compétent
Photo : Toinon Debenne/EPJT
Le dispositif apporte de la confiance aux travailleurs, qui ont souvent fait face à une sorte de plafond de verre, scolairement, socialement, et professionnellement. “Grâce à cette confiance, les travailleurs peuvent vouloir apprendre à lire, passer leur permis, voire tenter un CAP”, indique Christian Guitton, le co-fondateur et président de Différent et compétent. “Ou alors, complète Magdeleine Grison, on peut avoir des projets de vie, des reconversions, avec plus d’autonomie. Ça va vraiment au-delà du travail”.
Le modèle D&C, né d’initiatives locales en Bretagne, commence en tout cas à attirer l’attention du milieu de l’insertion professionnelle. L’Éducation nationale, par exemple, “commence à s’y mettre”, témoigne Thierry Morin, directeur de l’Esat Sésame Services, en Loire-Atlantique. “D&C est un outil qui répond aux besoins”, poursuit-il, convaincu de la pertinence des réflexions autour du référentiel métier.
Décomposer les métiers, identifier les savoir-faire, accompagner, développer l’autonomie… Autant de pistes pour la formation professionnelle plus “classique”. Pour celle des handicapés physiques également. Différent et compétent, qui gère des personnes diminuées mentalement, réfléchit à accueillir de nouvelles formes de handicap. Depuis 12 ans, le réseau a délivré 8500 reconnaissances de compétences. “C’est grâce à nos utopies que nous en sommes là, affirme Magdeleine Grison. Et la directrice du réseau ajoute : “on peut aller beaucoup plus loin tous ensemble. On doit avoir à l’idée de changer le monde.” Laurence, Alain, David et les autres ne sont que les premiers d’une longue série.