Sylvie Benzoni-Gavage

La boss des maths

Sylvie Benzoni-Gavage dans son bureau de l’Institut Henri-Poincaré (Paris 5e). Sur son tableau, elle a laissé inscrites des théories mathématiques qu’elle a formulées depuis quelque temps. Photo : Rhaïs Koko/EPJT

Sylvie Benzoni-Gavage est la première femme à la direction du centre de recherches mathématiques Institut Henri-Poincaré. Un parcours de vie dirigé par son amour pour cette discipline, sa pensée profonde, ses théories.

Par Rhaïs KOKO

Dans la vie de tous les jours, les maths c’est une sorte de nourriture pour l’esprit. C’est une façon de raisonner et de construire des univers absolument incroyables dans sa tête », tel est le mantra de Sylvie Benzoni-Gavage. Cette quinquagénaire a réussi à se hisser à la direction du prestigieux Institut Henri-Poincaré (IHP).  Dans ce haut lieu du savoir, rattaché au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), les mathématiques sont discutées et étudiées.

A la tête de l’IHP, se sont succédé de nombreux hommes dont le mathématicien et ancien député, Cédric Villani. Cependant, en 2018, au bout de quatre-vingt-dix ans d’existence, l’institut accueille, en la personne de Sylvie Benzoni-Gavage, sa première directrice.

Et c’est naturellement qu’elle est devenue également directrice de la maison Poincaré, le premier musée des mathématiques de France qui a ouvert ses portes le 30 septembre 2023 dans une extension de l’institut. Le musée cible en priorité les jeunes car ils sont « l’avenir de la société, affirme Sylvie Benzoni-Gavage. Aujourd’hui, les maths ne sont malheureusement pas une culture largement partagée ».

Au premier abord, aucun héritage culturel ni familial ne lie Sylvie Benzoni-Gavage aux mathématiques. C’est simplement une histoire d’amour. Pas de coup de foudre pour autant, seulement un lien évident. À l’école, elle commence surtout à aimer les maths lorsqu’on lui enseigne l’algèbre. « Les petits calculs et les pourcentages, ce ne sont pas mes maths », sourit-elle.

Elle souhaite devenir professeure de mathématiques. Ses parents, tout deux bacheliers et techniciens administratifs, l’encouragent à viser plus haut. Son père la pousse à être professeure des universités. Elle effectue une prépa scientifique puis intègre l’École nationale supérieure. Ses parents montent en grade et deviennent ingénieurs, « mais c’est vrai que ma mère aurait bien aimé être prof de maths », confie finalement Sylvie Benzoni-Gavage.

Représentation des femmes dans les trois disciplines de la section Mathématiques à l’université, en comparant les maîtresses de conférences et les professeures en % (2020) Infographie : Rhaïs Koko/EPJT.

Cette matheuse aime la difficulté. Elle se dit dotée d’un caractère persévérant, « certains parlent d’acharnement ». Son amie, Clotilde Fermanian Kammerer, elle aussi mathématicienne, dit que lorsqu’elle passe à l’action, Sylvie Benzoni-Gavage « met une énergie et une volonté impressionnantes ». Une détermination tous azimuts que lont voit même dans sa posture – elle se tient alors droite – ainsi que dans son regard qui ne lâche pas une seule fois son interlocuteur.

Dans un jeu pour enfant, Sylvie Benzoni-Gavage jouerait certainement plus avec les carrés qu’avec les cercles : le carré pourrait définir sa personne ; un rond lui serait antinomique. Les mathématiques sont des éléments de langage différents à la langue parlée. Dans ce langage, il n’y a pas de « définitions circulaires », telles que Sylvie Benzoni-Gavage les définit. « Dans le dictionnaire, le terme “amoureux” signifie « qui éprouve de l’amour, relève-t-elle. Tandis qu’en maths, schématiquement, il n’y a que des briques qui permettent de construire un immense édifice de réponses. Cette dimension n’est pas circulaire, elle est infinie et c’est satisfaisant. »

Des stéréotypes qui ont la vie dure

Mais le monde des mathématiques est loin d’être parfait, il manque. Les femmes y occupent la portion congrue. Elles sont sous-représentées. En France, il n’y a que 7 % de femmes professeures et 14 % de femmes maîtresses de conférences pour les mathématiques fondamentales, d’après l’association Femmes et mathématiques. « C’est dû à de gros stéréotypes qui ont la vie dure, précise Sylvie Benzoni-Gavage. Il n’est pas rare que je me trouve dans un groupe de 10 personnes et que je sois la seule femme. »

Une mathématicienne, Eugenia Cheng, que Sylvie Benzoni-Gavage apprécie, propose une explication pour cet état de fait. Avec deux mots fabriqués : ingressive et congressive. Le premier renvoie à la part de compétition dans le monde des mathématiques, le second à la part de cohésion. Eugenia Cheng estime que depuis toujours, le domaine des mathématiques est traité à tort de façon ingressive. À l’école, l’enseignement se concentre sur les résultats, les règles, la résolution de problèmes, le calcul des réponses.

Par contre, au niveau de la recherche, les mathématiques sont beaucoup plus progressistes. Sont établis entre autres des travaux de processus, d’investigation, de découverte de relations et de construction de structures. « Le message d’Eugenia Cheng est de dire que s’il n’y a pas assez de femmes en maths, c’est peut-être parce qu’il faut changer le monde des maths en le rendant plus congressive, conclut Sylvie Benzoni-Gavage. On gagnerait à le rendre plus coopératif. »

Rhaïs Koko

23 ans
Étudiant en journalisme à l’EPJT.
Intéressé par les sujets de société et de culture.
Passé par Le Parisien.
Aimerait devenir journaliste en PQR (presse quotidienne régionale).