médecines alternatives
les raisons du succèsPhotos EPJT
Selon le Conseil national de l’ordre des médecins, 40 % des Français auraient recours à des thérapies parallèles. Art-thérapie, homéopathie, ostéopathie, les médecines alternatives sont toujours plus nombreuses et rencontrent un véritable succès. Les raisons qui poussent les Français à se soigner autrement sont nombreuses et diverses.
Par Thomas Neumann, Charlène Torres et Emilie Veyssié
La salle de dessin est une petite pièce surchargée de mobilier et de matériel : des chariots remplis d’outils artistiques, des armoires renfermant des centaines d’œuvres plus ou moins récentes et, dans le coin de la pièce, un bureau qui croule sous les classeurs, la documentation et les plannings.
Les murs, à l’origine blancs et froids, sont couverts de dessins de toutes les couleurs, d’auteurs différents. Au centre de la table, un jeune femme a soigneusement disposé des méthodes de dessin et des livres de coloriage. Des pots de crayons de tout type (feutres, crayons de couleur, pastels…) sont dispersés entre les places. On se croirait dans un centre aéré quelques minutes avant l’arrivée des enfants un mercredi après-midi.
Pourtant, cette pièce se trouve dans l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de la commune d’Abilly. Et la jeune femme, Adeline Fusillier, est art-thérapeute, employée par l’établissement,
L'émergence des médecines alternatives
A l’Ehpad d’Abilly, le dessin est privilégié pendant les séances d’art-thérapie.
Au début de l’après-midi, habituellement, les pensionnaires finissent de manger, font une sieste ou regardent la télévision. Mais le jeudi, Adeline Fusillier, les entraîne dans une tout autre activité. « Toc toc. Isabelle ? C’est l’heure de la séance ! » annonce-t-elle.
Quelques chambres plus loin, après un temps d’attente, elle ouvre la porte pour héler Maryse. Celle-ci met du temps à montrer un signe de vie. « Ah oui, y a dessin ! » finit-elle par répondre. Après quelques minutes, elle sort enfin. Sur les six inscrits, seuls quatre pensionnaires assisteront à la séance. L’activité n’est pas obligatoire.
La séance d’art-thérapie commence. Chacun avance à son rythme. Adeline Fusillier fait surtout travailler le dessins à ses patients. Ils choisissent eux-mêmes outils et supports. « Ces séances leur font du bien. C’est un moment calme pendant lequel ils doivent se concentrer sur autre chose que leur routine, explique l’art-thérapeute. Ils ont des objectifs qui leur sont propres. Par exemple, Maryse utilise toujours la même couleur. Le but est qu’elle devienne assez autonome pour en choisir d’elle-même une autre. »
La différence avec un cours de dessin classique est qu’ici la réalisation est libre mais dans un cadre médical encadré. « On peut voir l’art-thérapie comme une sorte de catharsis mais l’objectif n’est pas de se concentrer sur les problèmes des patients. Il s’agit de se focaliser sur ce qui leur fait du bien. »
Au même titre que d’autres médecines alternatives et complémentaires (MAC), l’art-thérapie se développe. Complémentaire car elle ne doit être utilisée qu’en seconde intention, pour compléter un traitement mais en aucun cas le remplacer.
D’autres MAC sont en pleine expansion. Le Conseil national de l’ordre des médecins en reconnaît quatre : l’homéopathie, l’acupuncture, la médecine manuelle-ostéopathie et la mésothérapie. C’est-à-dire seules ces quatre-là peuvent faire l’objet de titres et mentions sur les plaques et les ordonnances.
Le Pr Bernard Debré, chirurgien urologue, reconnaît cette émergence et recommande à ses patients certaines MAC en complément de leur traitement. « Leur utilité va s’accroître. Elles deviendront des pratiques d’appoint pour la médecine allopathique. » Le fait est qu’elles ont le vent en poupe et séduisent toujours plus de patients. Et de médecins.
La pratique de l’art-thérapie s’étend dans les hôpitaux, les maisons de retraite ou dans des cabinets privés. Les hôpitaux ouvrent progressivement leurs portes aux MAC. Quelques exemples sont référencés sur le portail hôpital.fr, site lancé par la Fédération hospitalière de France : à l’hôpital de la Croix-Rousse à Lyon, l’homéopathie est utilisée pour atténuer la douleur en cas de cancer ou diminuer les effets secondaires des traitements des hépatites et du sida ; à l’hôpital Robert-Debré à Paris, les accouchements peuvent se faire sous hypnose.
Pour faire face à cette demande croissante, le monde médical recrute. Si aujourd’hui, les formations d’ostéopathie ou d’homéopathie sont bien installées, ce n’est pas tout à fait le cas de l’art-thérapie. A Tours, l’école de l’Association française de recherches et applications des techniques artistiques en pédagogie et médecine (l’Afratapem) est reconnue par l’Ordre des médecins et forme à l’art-thérapie un nombre toujours croissant d’infirmiers, de psychologues, d’assistants sociaux, etc. Elle organise même le congrès international d’art-thérapie.
Un succès et des résultats
L’objectif d’une séance d’art thérapie n’est pas la production en elle-même mais la démarche des patients.
Retour à l’Ehpad d’Abilly. Deux types de patients se côtoient. L’art-thérapeute travaille différemment avec les deux groupes. Les premiers sont très malades, principalement atteints d’Alzheimer. Adeline Fusillier constate que les séances les apaisent et leur permettent de se concentrer et de se recentrer sur eux-mêmes. Les résultats sont cependant plus visibles avec le deuxième groupe : les patients présentent des symptômes de démence légère et n’ont que des petits soucis de comportement.
Raymond suit depuis longtemps les séances d’Adeline Fusillier. Initialement, le suivi devait l’aider à ne pas se dissiper et à ne pas être violent envers les autres. Il présente des épisodes psychotiques très importants et son traitement lourd modifie sa perception des formes dans l’espace. Ses productions permettent de suivre son état. Avant, il dessinait avec précision, souvent en reproduisant le même schéma : une maison de campagne avec un grand jardin et une mare. Depuis qu’il est sous médicaments, ses dessins sont devenus irréguliers et la couleur noire prédomine.
L’art-thérapie a d’autres utilités. Elle soutient les patients atteints de maladies graves comme le cancer. Non seulement elle les aide à supporter les effets secondaires de leur traitement et les accompagne pendant leur rémission, mais elle leur permet aussi de se remotiver et d’être positif. d’abord réticent, le monde médical intègre progressivement ces pratiques dans ses prescriptions, pour le plus grand bien des patients.
Ghislaine Val souffre de douleurs lombaires et d’arthrose. Elle a fait le choix de se soigner par l’homéopathie, comme 56 % des Français. Une des raisons de ce choix, c’est qu’elle s’inquiète des effets secondaires des médicaments initialement prescrits. Notamment des risques d’infarctus ou de lésions vasculaires. Elle est loin d’être un cas unique : le Dr Costa-Fournel, néphrologue et acupunctrice, et le Dr Hadjadj, médecin du sport et diplômé de médecine manuelle et d’ostéopathie, ont fait le même constat : les demandes de consultation ont augmenté, notamment après des scandales sanitaires qui ont renforcé les peurs des patients.
Le Mediator, médicament recommandé contre le diabète de type 2 et utilisé comme coupe-faim, a été retiré de la vente en 2009. Irène Frachon, pneumologue à Brest, avait constaté des effets secondaires dangereux chez ses patients et ses rapports ont prouvé la toxicité du médicament. Cette affaire a fait la une des médias. Autres scandales : la Dépakine, un anti-épileptique qui provoque des malformations chez les fœtus des patientes ; la Diane 35, utilisée contre l’acné et de manière abusive comme contraceptif, accusée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Anses) d’avoir provoqué des décès et des cas d’invalidité permanente.
« Nous vivons dans une société très angoissante aujourd’hui, très loin des problèmes personnels des gens », constate le Dr Hadjadj. Lui considère le succès des médecines alternatives comme un besoin de se retrouver et d’être en accord avec soi-même. C’est pourquoi les patients se dirigent vers ces pratiques qui « se basent sur l’humain et considèrent la personne en globalité », complète Lyne Ernult-Boyrot. Elle dispense des soins ayurvédiques. Les massages qu’elle propose s’accompagnent de remèdes à base de plantes, disponibles chez des herboristes ou en magasins bio. « Pour éviter d’encrasser le corps », préconise-t-elle.
A la fin de la séance d’art-thérapie, les productions ne concurrencent pas un Monet. Mais les pensionnaires s’accordent à dire que ce moment leur fait du bien. Ils attendent la prochaine séance avec impatience. « On reviendra jeudi prochain, si on n’est pas mort » plaisante même Maryse.