Photo : libre de droit – Montage : Noé Poitevin/EPJT.
La France et la Corée du Nord n’entretiennent officiellement aucunes relations diplomatiques. Pourtant, de part et d’autre, des diplomates, des associations, des organisations et même une délégation nord-coréenne à Paris œuvrent pour un rapprochement. Et cela, dans des domaines jugés « peu risqués », comme la culture ou l’éducation.
Par Thomas Cuny, Pablo Menguy, Alizée Touami
Après une année 2017 sous haute tension entre Pyongyang et la communauté internationale, l’année 2018 s’annonce davantage clémente. Certains optimistes parlent de ces JO comme ceux « de la paix ». Si certains pays ont déjà salué ce rapprochement, Paris reste plutôt silencieux. Et pour cause. La France est le seul pays de l’Union européenne, avec l’Estonie, qui n’entretient pas de relations officielles avec la Corée du Nord.
« Il n’y a pas de relations diplomatiques entre la France et la Corée du Nord », confirme Agnès Romatet-Espagne, porte-parole du ministère français des Affaires étrangères. Pour elle, la raison en est simple. Il n’est pas possible de tisser de liens avec le régime de Kim Jong Un. Le dialogue reviendrait à « donner au Nord une légitimité que nous lui dénions ».
Une diplomatie très discrète
La délégation nord-coréenne, rue Asseline, à Paris. Photo : Alizée Touami/EPJT.
Le quai d’Orsay énonce officiellement trois exigences pour que des relations diplomatiques puissent être établies : le respect des droits de l’homme, un rapprochement avec la Corée du Sud et l’arrêt du programme nucléaire. Cette dernière condition est évidemment la plus importante, voire la seule qui compte réellement pour Paris. Or, depuis que Kim Jong Un a pris les rênes du pays, en 2011, c’est quasiment mission impossible.
« L’état d’esprit du quai d’Orsay n’est ni à l’ouverture ni à la mise en place d’une représentation diplomatique à Pyongyang. Nous avons néanmoins fait le choix d’ouvrir un bureau de coopération dans la capitale nord-coréenne, œuvrant principalement à des activités humanitaires et culturelles », poursuit la porte-parole du ministère.
Des relations existent pourtant, mais elles sont très discrètes. Elles se cantonnent surtout au domaine de la culture et de l’éducation. D’après une source proche de diplomates français en charge du dossier, organiser un réseau d’actions plus ou moins souterraines dans ces domaines est une stratégie pour Paris. Ainsi, tout en maintenant quelques liens culturels et éducatifs, la France peut se permettre de n’entretenir aucune relations officielles.
Rue Asseline, 14ᵉ arrondissement de Paris, au numéro 3. Le bâtiment ne se distingue pas des autres bâtisses du quartier. Enfin presque pas. Il affiche une plaque de bronze sur laquelle on peut lire : « Délégation générale de la République démocratique de Corée en République française. »
La délégation générale est l’échelon le plus bas de la représentation d’un pays à l’étranger. Elle se situe en dessous du consulat, lui-même en dessous de l’ambassade. Trois diplomates nord-coréens y travaillent. L’un d’eux, Chang Gwon Jong, est conseiller auprès de la délégation générale. Les deux autres sont membres de la délégation permanente auprès de l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). Maniant un très bon français, il affirme « travailler avec des diplomates français pour rétablir des relations officielles ».
Une coopération dans tous les domaines
Agnès Romatet-Espagne, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, réfute quant à elle, tout lien entre le quai d’Orsay et la délégation nord-coréenne à Paris. Mais il ne faut pas se méprendre. Cette dernière joue un rôle non négligeable depuis son inauguration, en 1984.
Chang Gwon Jong précise que la coopération s’étend à tous les domaines, même si la culture est l’élément essentiel. Il est sollicité par le ministère nord-coréen des Affaires étrangères pour organiser des rencontres avec le ministère français. Parfois, c’est la délégation qui en prend l’initiative. L’un de ses objectifs est de donner une meilleure image du pays. Quand on lui demande pourquoi la France est l’un des seuls pays européens à ne pas entretenir de relations officielles avec Pyongyang, il répond tout net : « Demandez au quai d’Orsay. »
À l’intérieur de la délégation, un panneau avec des photos à la gloire du régime. Nous n’avons pas été autorisés à prendre d’autres photos. Photo : Alizée Touami/EPJT.
Certains sont cependant beaucoup moins favorables à l’avancée des relations entre les deux pays. C’est notamment le cas de Patrick Maurus. Cet ancien diplomate, ancien professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) et fondateur de l’association franco-coréenne Tangun, reste très sceptique sur les activités du quai d’Orsay.
Selon lui, Paris n’a aucune envie d’améliorer les relations entre les deux pays. Il tire cette conclusion du fait de « l’absence » de diplomates compétents sur ce dossier. « Quasiment aucun ne parle très bien coréen. Il suffit de voir pourquoi. Le concours d’entrée au quai d’Orsay ne propose pas la langue coréenne. Il y a pourtant beaucoup d’étudiants qui parlent très bien cette langue et qui connaissent la culture de ce pays. Mais ayant peur de se retrouver au chômage, ils préfèrent changer de voie », explique-t-il.
La culture, pierre angulaire des relations
L’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville. Des Nord-Coréens ont étudié ici. Photo libre de droit. Photo : Libre de droit.
Plusieurs associations œuvrent cependant pour un rapprochement entre les deux pays. C’est le cas de l’Association d’amitié franco-coréenne (AAFC) qui milite pour un rapprochement culturel via la jeunesse.
Ainsi, en février 2015, après un passage en Angleterre, une troupe de jeunes sourds nord-coréens, accompagné d’une commission nord-coréenne, a présenté, à Paris, une représentation de Blanche-Neige et les sept nains. Version Grimm et non version Disney bien entendu.
Sa venue a permis de préparer de nouvelles relations sur le long terme, dans les domaines sportifs, éducatifs et culturels. C’est ainsi qu’en 2015, une lutteuse nord-coréenne a remporté, à Paris, une médaille de bronze lors d’un tournoi. Jong Chang Gwon, le diplomate nord-coréen rencontré à la délégation, aimerait, quant à lui, envoyer des « vocalistes [sic] » français chanter à Pyongyang.
Il existe également des groupes d’études et de contact sur la Corée du Nord à l’Assemblée nationale et au Sénat. Le groupe du Sénat encourage les activités réciproques entre les deux pays en organisant des échanges entre diplomates et chercheurs nord-coréens. Le dernier remonte à 2012. Ils ont également reçu la délégation nord-coréenne. Mais comme le précise Romain Godet, administrateur principal de la commission des affaires économiques et secrétaire de ce groupe : « Nous ne sommes pas pro nord-coréens. »
Des notes et des communiqués à destination du ministère des Affaires étrangères sont rédigés après certaines crises, mais le « quai d’Orsay considère assez peu la diplomatie parlementaire », déplore Romain Godet. Ils ne disposent pas de financements publics. Une importance à relativiser, donc.
Développer des relations culturelles, c’est bien. Mais ce n’est pas suffisant. Les deux pays utilisent aussi l’éducation pour esquisser un rapprochement. Mais sur ce sujet déjà plus sensible, le quai d’Orsay a des exigences.
Un des étudiants disparaît des écrans radar
Les Français ne souhaitent pas que les Nord-Coréens viennent étudier des sciences dures, comme la physique ou les mathématiques. Le risque qu’ils utilisent leur apprentissage à des fins militaires et notamment nucléaires dans leur pays est trop élevé. Après moult négociations, c’est donc des étudiants en architecture qui viennent prendre place sur les bancs scolaires parisiens. Notons que c’est le régime nord-coréen qui finance la scolarité des étudiants, la France ayant refusé de les prendre en charge.
L’architecture est considérée par la France comme une science « douce ». C’est pour cela que des Nord-Coréens ont pu venir étudier cette discipline. Photo : Alizée Touami/EPJT
De 2002 à 2009, dix étudiants se sont donc installés dans l’Hexagone. Après un apprentissage intensif du français, ils sont envoyés dans les écoles nationales d’architecture de Paris-Belleville, de la Villette et de Versailles. Durant leur séjour, ils ont été « supervisés » ou « surveillés » – cela dépend du discours – par un diplomate nord-coréen qui les accompagnait au quotidien. La Corée du Nord étant satisfaite de l’échange, l’expérience a été renouvelée de 2011 à 2017.
Mais tout ne s’est pas passé comme prévu. En 2014, un des étudiants disparaît des écrans radar en
pleine année scolaire. Benoît Quennedey, président particulièrement bien informé de l’Association d’amitié franco-coréenne, pense qu’il aurait fait défection pour demander l’asile en France, même si le quai d’Orsay indique ne pas avoir d’informations à ce sujet.
Les conséquences sont multiples et, d’après Laurent Salomon, professeur d’architecture, certains étudiants seraient même rentrés plus tôt que prévu en Corée du Nord. « L’homme qui les accompagnait leur a donné deux semaines pour plier bagages. Ils n’ont même pas pu passer leur soutenance de fin d’études. Je pense qu’il avait peur qu’ils prennent la fuite avant le retour à Pyongyang. »
Cet épisode reste flou et les avis divergents quant au devenir des autres jeunes nord-coréens. Toujours est-il que des discussions seraient en cours pour une troisième « fournée » d’apprentis architectes dans les années à venir.
Le Secours populaire organise depuis quelques années le voyage en France d’enfants nord-coréens
On l’aura compris, la culture et l’éducation représentent la majeure partie des échanges. Mais en France, les associations jouent également un rôle non négligeable. Pour s’en rendre compte, rendez-vous à Gravelines, dans le département du Nord, où se tient chaque année un événement international. La section locale du Secours populaire, en partenariat avec les scouts Éclaireurs de France, organise un village international Copains du monde.
L’objectif est de « mettre en avant les valeurs de solidarité et de fraternité des associations qui, dans un même élan, entendent accueillir ces enfants venant d’horizons divers et variés », indique le site internet de l’événement. De la musique, de la danse et des compétitions sportives sont au programme.
Des enfants nord-coréens se sont rendus dans le nord de la France à trois reprises, entre 2011 et 2016. En moyenne, c’est un groupe de dix personnes avec six ou sept adolescents, âgés de 15-16 ans, et deux ou trois accompagnateurs.
Ce partenariat a été mis en place suite aux différentes actions que mène déjà le Secours populaire en Corée du Nord, notamment lors de catastrophes naturelles. Hélène Lee, responsable
Les enfants nord-coréens à Gravelines en 2013. Photo : Copain du Monde
Asie de l’association, va elle-même dans les établissements scolaires afin de sélectionner, en fonction de ce que décide le régime, les enfants qui seront du voyage. Le quai d’Orsay délivre alors un visa et permet ainsi leur entrée sur le territoire français.
Un beau projet mais qui a aussi connu quelques couacs. Non pas sur l’organisation elle-même mais sur les participants. Réunir de nombreuses nationalités pose quelques problèmes diplomatiques. L’été dernier, des jeunes Américains et Nord-Coréens devaient faire le déplacement mais ni les uns ni les autres ne sont venus en raison des relations tendues entre les deux pays. Contacté, Christian Hogard, organisateur et responsable du Secours populaire, a confirmé cette information.
Il confirme également que Patrick Kanner, alors ministre de la Jeunesse et des Sports ( – ), a rendu visite au village éphémère de ces enfants du monde. « On ne diffuse pas de photos qui peuvent compromettre un ministre, un préfet ou un sous-préfet. On ne fait pas de faute diplomatique », précise-t-il.
Ces Français en Corée du Nord
Un avion de la compagnie nationale nord-coréenne, Air Koryo. Photo libre de droit
Il serait naïf de croire que les relations entre la France et la Corée du Nord sont unilatérales. En effet, des Français sont bien présents en Corée du Nord. Certains sont de passage, touristes ou universitaires. D’autres s’y sont établis à plus long terme.
Nous sommes en 2009. Le président de l’époque, Kim Jong Il, est vieillissant et les relations entre l’Occident et la Corée du Nord paraissent traverser une période de relative détente. Nicolas Sarkozy, alors président de la République, souhaite profiter de ce climat pour créer de nouveaux liens avec les Coréens. Il missionne le député socialiste et ex-ministre de la Culture, Jack Lang, pour prendre la température sur le terrain. Ce dernier propose donc d’ouvrir un bureau français de coopération, qui a pour objectif d’établir une présence culturelle française à Pyongyang. C’est chose faite en 2011.
Depuis cette date, les résultats sont mitigés. L’archéologue censée faire partie du bureau vit en fait à Séoul (Corée du Sud) et n’est présente que quelques jours dans l’année à Pyongyang. Quant au lecteur de français, son rôle est très limité : promouvoir la langue française dans le pays n’est pas chose aisée. En effet, l’apprentissage du français est en grande partie abandonné au profit de l’anglais.
Le degré de pertinence de ce bureau varie en fonction de nos interlocuteurs. Agnès Romatet-Espagne, la porte parole du Quai d’Orsay, justifie sa présence comme la seule possible, au vu de
l’état des relations entre les deux pays. Le linguiste Patrick Maurus a des mots bien plus durs : « C’est le néant total. Ce bureau est là pour dire que la France essaie de faire un effort de son côté. Mais la vérité, c’est que notre pays ne fait pas grand-chose. »
Ce n’est pas dit clairement mais ce bureau fait office d’ambassade non-officielle pour la France. Elle permet, du moins, de garder un œil sur les Français de passage en Corée du Nord.
« La majorité des touristes se rendent en Corée du Nord au moment du marathon de Pyongyang »
Car oui, des Français ordinaires en Corée du Nord, il y en a. Et ce, d’abord grâce aux agences de voyage. Des compagnies organisent ainsi des périples pour des touristes et des étudiants. Toutes les catégories sont représentées, des personnes en manque d’aventure à l’étudiant en coréen passionné. La plupart des agences souhaitent offrir un regard différent sur la situation en Corée du Nord.
D’autres s’engagent beaucoup plus en faveur du régime. C’est le cas de l’agence Noko RedStar, qui a organisé le voyage à Pyongyang de l’humoriste Dieudonné et d’Alain Soral, le fondateur du site d’extrême droite Égalité et Réconciliation. Mais son responsable, Nils Bollo, a refusé de répondre à nos questions.
De façon plus globale, la majorité des touristes se rendent en Corée du Nord au moment du marathon annuel de Pyongyang. Patrick Maurus, avec son association Tangun, envoie lui aussi tous les ans touristes et étudiants dans le pays. « Bien sûr, une certaine rigueur est demandée. Les touristes ne peuvent pas faire n’importe quoi. Mais beaucoup d’éléments sont de l’ordre du fantasme quand on pense à la Corée du Nord », explique-il.
Patrick Maurus. Ancien diplomate et ancien professeur à l’Inalco. Photo : Alizée Touami/EPJT.
Reste que les associations française présentes sur le territoire nord-coréen sont plutôt rares. Six sont autorisées, « sous couverture de la Commission européenne », indique l’une d’entre elles. Première urgence internationale est l’une des organisations qui agit en République populaire de Corée.
Contactés à plusieurs reprises, ses responsables n’ont pas souhaité s’exprimer et nous ont redirigés vers leur site internet. On y apprend que l’ONG intervient depuis 2002, notamment dans le domaine de la santé. « La mission apporte son soutien aux structures médicales afin de répondre aux besoins des populations. Première urgence déploie également un projet d’appui à l’université d’agriculture de Haeju [qui] assure la formation de leurs ressources humaines techniques et administratives et mène des travaux sur l’agriculture et l’élevage. » Triangle génération humanitaire agit également sur place, dans les mêmes domaines.
Pour se rendre en Corée, vous avez besoin d’un visa délivré par la délégation, rue Asseline. Ici, le passeport de Patrick Maurus. Photo : Alizée Touami/EPJT.
Le Secours populaire intervient pour sa part dans ce pays depuis 1999, mais de manière ponctuelle. « Une nécessité lorsqu’on sait que les Nord-Coréens souffrent de pénuries alimentaires et régulièrement de catastrophes naturelles, telles que des inondations », peut-on lire sur son site internet. L’association apporte des aides alimentaires ou financières pour la construction d’écoles par exemple.
Tout en restant restreintes, les initiatives pour un rapprochement entre les deux pays existent donc bel et bien. Une multitude d’acteurs s’activent des deux côtés pour renforcer ces liens.
Après ce constat, et en observant cette situation géopolitique particulièrement tendue, il est légitime de se demander pourquoi la France n’adopterait pas une attitude plus souple, afin d’engager un dialogue construit avec la Corée du Nord.
Mais la réponse de la porte parole du quai d’Orsay est claire : « On perdrait toute crédibilité, il ne faut surtout pas lâcher. La diplomatie, c’est du bluff ! »