Photos : captures d’écran fournies par Carmina
L’arrivée d’Internet a fait s’effondrer les murs et les frontières entre les producteurs de contenus et les spectateurs. En ce qui concerne le porno, ce changement de paradigme a parfois eu des effets dévastateurs. Mais la situation pourrait bien être reprise en main par les millenials.
Par Justine Brichard, Hugo Checinski, Bastien Lion
Il est 21 h 45 (heure française) quand August Ames, pornstar canadienne au sommet de sa gloire, pousse un coup de gueule sur Twitter. Nous sommes au début du mois de décembre, la jeune femme est, comme à son habitude, très active sur le réseau social. C’est déjà son seizième tweet de la journée. « À celle qui me remplace pour la scène de demain : tu vas tourner avec un mec qui fait du porno gay », expose-t-elle à ses centaines de milliers d’abonnés.
En quelques minutes, la situation s’envenime. Les accusations d’homophobie pleuvent, avec plus ou moins de violence. Des acteurs de films gay se joignent à la vindicte. Pendant les heures et la journée qui suivent, Mercedes Grabowski – son véritable nom – se défend d’une quelconque discrimination. Elle met en avant des questions de précaution médicale, rappelle qu’elle est elle-même bisexuelle. Elle reçoit le soutien de certaines de ses collègues, mais rien n’y fait. Le 5 décembre, elle poste ce message, on ne peut plus clair :
fuck y’all
— August Ames (@AugustAmesxxx) 5 décembre 2017
Deux jours plus tard, les médias américains annoncent la nouvelle : August Ames s’est pendue dans sa demeure californienne. Elle avait 23 ans. Tout un symbole.
Ce genre de situation, personne n’aurait pu l’endurer ni même l’envisager il y a quelques années. Brigitte Lahaie, Tabatha Cash, Clara Morgane… ces vedettes du X n’ont eu que très rarement l’occasion d’interagir avec leur public. Aujourd’hui, acteurs et actrices ne sont plus seulement des protagonistes de films pour adultes, ce sont des personnages publics susceptibles de rassembler tout une communauté sur les réseaux sociaux. Leurs écarts, leurs prises de parole, leurs engagements sont aussi visibles et analysables que ceux d’une star du football ou d’un homme politique.
Les actrices sont devenues de véritables communicantes. Elles n’ont plus à s’afficher en couverture des grands magazines dédiés pour être reconnues. Mais, en contrepartie, elles doivent faire leur personal branding. Pas toujours facile, du coup, d’affronter les commentaires accusateurs des internautes quand on est une femme dont le métier consiste à dévoiler son intimité.
« On entend 500 fois par jour qu’on est une sale pute »
« D’un côté, c’est très bien car elles ne sont plus dépendante de tel journaliste à sucer, constate Ovidie, ancienne actrice X devenue réalisatrice et documentariste. Mais elles doivent être en permanence sur les réseaux sociaux et communiquent constamment avec les fans. Aujourd’hui, on entend 50 fois par jour qu’on est la plus belle mais aussi 500 fois par jour qu’on est une sale pute. Il y a plein de nanas pas prête pour ça. Personne ne peut l’accepter. » Sans compter les innombrables commentaires dégradants directement adressés aux actrices sous leurs vidéos…
Les réseaux sociaux ont également amené leur lot de mauvaises surprises. Le porno a tardé à être protégé comme le sont les autres domaines culturels. Encore aujourd’hui, il peut exister des dizaines de comptes Twitter ou Facebook pour une seule actrice sans que la principale intéressée soit au courant. Avec, à la clé, des situations problématiques pouvant aller jusqu’à l’usurpation d’identité et l’abus de confiance de jeunes femmes désireuses de se lancer. Pornstar française mondialement connue, Liza del Sierra a fait les frais de ce type de méthode.
« On est dans une période où il faut absolument protéger les gens qui veulent essayer, préconise l’actrice. J’ai dû menacer Facebook de procès pour qu’ils aillent chercher les mecs en question. Au final, ils ont fermé tous les comptes à mon nom et m’en ont ouvert un officiel et certifié pour contrôler ça. Ils ont compris qu’il s’agissait de situations dangereuses. »
Reprendre le contrôle
Mais Internet n’a pas été qu’une calamité pour le monde de la pornographie. De plus en plus de jeunes femmes et d’hommes, ayant grandi avec le web, font grâce à lui leurs premiers pas dans le X. Ces nouvelles têtes sont susceptibles de réinventer les pratiques et de reprendre le contrôle de ce métier tant chamboulé par la révolution numérique. C’est dans ce contexte qu’ont explosé les camgirls.
Journaliste pour le Tag Parfait, média français de référence sur le porno, Carmina s’est lancée dans le business des camgirls par hasard, en 2014, à l’occasion d’un article sur le sujet. Elle a très vite pris goût à cet univers. « C’est vraiment très rigolo en fait, la plupart des gens sont adorables. Tu reçois plein de compliments, ça fait du bien à l’ego », explique-t-elle. Depuis, elle tient un blog en forme de journal de bord sur le sujet.
Comme elle, de nombreuses jeunes femmes ont découvert une façon différente de produire du porno en devenant camgirl. Un « véritable métier » qui prend du temps mais qui peut vite rapporter si l’on en comprend les codes. Selon Carmina, certaines camgirls américaines peuvent gagner jusqu’à 10 000 dollars (environ 8 500 euros) par mois grâce à cette activité.
Si aujourd’hui les camgirls ont le vent en poupe, la réputation du métier depuis sa propagation dans les années 2014-2015 n’est pas toujours impeccable. Avant d’être un outil d’émancipation et de reprise en main de leur image, la webcam a été un instrument supplémentaire d’exploitation de jeunes femmes sans ressources.
C’est en tout cas ce que montre Ovidie dans son documentaire Pornocratie, sorti en 2017. En Roumanie, elle filme ce qu’elle décrit comme « le nouveau prolétariat du sexe » : des filles travaillant par dizaines dans des maisons dédiées aux camgirls. Un job peu gratifiant mais souvent mieux payé que la plupart des professions d’appoint. Pour ces femmes, étudiantes, sans emploi, parfois issues d’une famille nombreuse, c’est une aubaine, l’occasion de réaliser ses projets d’avenir. Quitte à travailler jusqu’à dix heures par jour devant la caméra.
Pour Carmina, les dérives du métier de camgirl ne diffèrent pas de celles que l’on peut voir dans les autres métiers. « Oui c’est un métier difficile pour beaucoup de filles. Mais je compare ça à un job chez McDonald’s par exemple. C’est de l’exploitation, mais c’est un moyen de gagner des sous le temps de trouver mieux », considère-t-elle.
Ovidie est beaucoup plus pessimiste : « Ce sont des nanas qui n’ont pas d’autres choix que de se goder devant des crevards parce qu’elles n’ont pas d’autres reconversions possibles sur le moment. C’est très décourageant, la perspective d’avenir est hardcore. »