Mineurs non accompagnés

L’Église au service de son prochain

Le Père Thomas discute avec un jeune originaire du Cameroun, à Strasbourg le 22 octobre 2023. (Photo : Axel Monnier/EPJT)

Depuis l’hiver 2016, le Centre Bernanos de Strasbourg, foyer d’étudiants dirigé par un curé, accueille une trentaine de mineurs isolés étrangers. Le Père Thomas s’attelle à subvenir à leurs besoins pendant qu’ils saisissent les recours juridiques auxquels ils ont droit.

Par Axel Monnier

À l’extérieur du centre Bernanos de Strasbourg, seuls les chants de la messe traversent les murs et brisent le silence. Le père Thomas, maître des lieux, conseille un jeune homme. « Père Thomas, j’ai un problème. Vous savez, j’ai mal aux dents. Ici et là. J’ai pris du paracétamol hier soir », explique le jeune. L’homme de foi lui répond : « Prends-en maintenant, tu as le droit à trois par jours. Demain, tu vas chez le dentiste. Quand ça tire d’un côté, ça fait mal de l’autre. »

En cette matinée de dimanche d’octobre, le lieu est calme. Quelques bancs en bois massif décorent ce qui s’apparente à l’intérieur de n’importe quel bâtiment administratif. Pourtant, quelques jours plus tôt, une dépêche de l’AFP, qui mentionnait le centre, a fait défiler les journalistes. Une conséquence de l’arrivée de réfugiés sur l’île de Lampedusa en Italie.

Un garçon originaire du Cameroun traîne sur son téléphone. « Je suis avec un journaliste », l’informa le religieux. « Ah ! encore ? » rétorque l’autre en riant. Si la presse s’intéresse, c’est que le père Thomas accueille des personnes qui cherchent à obtenir le statut de mineurs non accompagnés (MNA). Ces jeunes n’ont pas la nationalité française ni aucun tuteur légal. Si ce statut leur est reconnu, alors l’État doit leur venir en aide.

Mais tous ici se sont vus refuser la reconnaissance de minorité par le conseil départemental du Bas-Rhin. En attendant d’accéder aux recours qui leur sont ouverts, ils sont logés dans des dortoirs et accompagnés par le prêtre et 200 bénévoles. Depuis près de sept ans, la paroisse universitaire de l’Esplanade accueille ainsi une trentaine de mineurs étrangers venus de tous horizons.

Schéma de la procédure de reconnaissance de minorité. Réalisé par Axel Monnier/EPJT

C’est le père Thomas qui est à l’initiative de ce lieu. « Un jour, une personne est venue frapper à ma porte. Je l’ai accueilli très simplement et d’autres sont arrivés », raconte-t-il. Tous ici sont en situation régulière. « Il existe des recours, alors ils sont là le temps de pouvoir les saisir. Si la justice oblige l’État à reconnaitre qu’ils sont mineurs, alors c’est le conseil départemental qui les prend en charge », explique le père Thomas.

Ses mots sont durs contre les pouvoirs publics. « Nous recevons une fille de 16 ans, enceinte. Ce n’est pas à nous de gérer cela. Quand les Ukrainiens sont arrivés, ils ont tous eu leur titre de séjour. Nous n’en avons jamais vu ici. C’est à deux vitesses », s’indigne-t-il. Si la loi force l’État à soutenir les personnes présumées mineures, une fois que leur reconnaissance est refusée, plus rien ne l’y oblige.

Selon le prêtre, le lieu est unique en France, car l’accueil est intégral : logement, douche, nourriture, aide juridique, sorties culturelles et, surtout, scolarisation. Ils étaient 19 370 MNA en France en 2023 à avoir été confiés aux conseils départementaux, selon le ministère de la Justice. Dans le Bas-Rhin, département de Strasbourg, on en compte 327, soit près de 2 % des MNA du pays.

Infographie : Axel Monnier/EPJT

« Certains journalistes se sont très mal comportés. Ils sont entré dans des pièces où les jeunes ne voulaient pas. Ils les ont prix en photo contre leur gré. Tous ici viennent de pays où règne la violence. Ils sont traumatisés, ils ont peur de témoigner et de se montrer », explique le père Thomas. Alors, pour se protéger, la plupart mentent sur leur histoire et leurs prénoms.

Le silence des lieux est régulièrement brisé par la tondeuse d’un inconnu qui coiffe un des adolescents. « Bonjour, vous allez bien ? Est-ce que vous pouvez couper les cheveux en bas s’il vous plaît ? Pas au milieu du hall ? », demande le prêtre. Les deux jeunes s’exécutent.

L’homme de foi nous amène au sous-sol. Ici, des salles de classe sont à disposition des jeunes et des associations. « J’aimerais tellement pouvoir les transformer en plus de dortoir. Mais ça demande des fonds », se désole-t-il. Un couloir aux murs verts délavés se prolonge vers d’autres salles. « Il n’y a rien d’autre à voir. » Un garçon sort d’une pièce, torse nu, serviette et gel douche à la main. Il murmure un « bonjour » timide.

Dimanche, c’est jour de repos. La plupart des mineurs ne se réveilleront qu’en début de l’après-midi. Une messe leur sera dédiée le soir-même. La plupart sont de foi musulmane mais le père Thomas n’en a que faire.

Axel Monnier

@AxelMonnier6
21 ans.
Journaliste en formation à l’EPJT.
Passé par Paris-Normandie, France 3 Bourgogne et Ouest-France.
Passionné par la géopolitique, les pays de l’Est et l’image.
Aimerait traiter de l’actualité internationale et des conflits.