Photos : Maïlis Rey-Bethbeder, Amandine Sanchez et François Ventéjou / EPJT
Nouvelles formations, diplômes certifiés et contrôles inopinés ponctuent le parcours de l’agent de sécurité. Malgré une hausse des exigences, des ajustements sont nécessaires pour encadrer un métier en pleine mutation.
Par Maïlis Rey-Bethbeder, Amandine Sanchez et François Ventéjou
Vous n’avez pas le certificat de qualification professionnelle. Certains candidats étaient plus formés que vous, on les a pris eux. » La chargée de recrutement du zoo de Beauval nous annonce au téléphone sa décision. L’entreprise du Loir-et-Cher a organisé son forum de l’emploi annuel l’hiver dernier. Nous avions décidé de nous y rendre.
Le but était de nous faire recruter comme agent de sécurité, sans les diplômes requis. Faux CV en main, nous nous sommes assis face à l’un des sept recruteurs présents. Barman, serveur, réceptionniste, tous les professionnels postulent ici, au premier étage de l’hôtel Les Hauts de Beauval.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le métier d’agent nécessite une formation qui est très réglementée. Le secteur de la sécurité privée connaît un regain d’activité depuis une dizaine d’années, renforcé par le contexte ultrasécuritaire post attentat de 2015. En 2016, on comptait 167 800 salariés de la sécurité privée en France, soit une augmentation de 14,3 % par rapport à 2011.
Depuis 2012, le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps) est le gendarme de la profession. Organe
émanant du ministère de l’Intérieur, il doit contrôler et professionnaliser le secteur. Mais l’activité est loin d’être irréprochable.
Un métier mieux encadré
Pour intégrer la profession, les candidats doivent être diplômés, une obligation mise en place en 2008. Les formations comportent plusieurs modules parmi lesquels : attentat, gestion des risques, événementiel ou encore un exercice de ronde.
Lydie Jacquet-Mérand est chargée du développement de la filière sécurité au Groupement d’établissements publics (Greta) du Val de Loire. Ce dernier délivre le titre professionnel d’agent de sûreté et de sécurité privée. « Toutes les formations de sécurité dépendent d’arrêtés ministériels, explique-t-elle. Pour obtenir l’agrément, vous devez vous engager à respecter le contenu de l’arrêté et avoir le matériel nécessaire. »
Les postulants peuvent obtenir le titre professionnel d’agent de sécurité, délivré par des organismes comme le Greta, ou le certificat de qualification professionnelle agent de prévention sécurité (CQP-APS) proposé par les centres de formation privés.
Lionel Roggia, médium reconverti dans la sécurité privée, a passé le CQP-APS, un examen assez exigeant : « Il y a 98 questions avec 14 modules différents et un exercice de ronde. Il faut avoir un minimum de 12/20 sur chaque module pour être reçu. »
Le Cnaps intervient à plusieurs reprises dans la formation de l’agent. Ce dernier doit solliciter une demande préalable d’activité afin d’intégrer le cursus. Une enquête de moralité peut être menée pour s’assurer de l’intégrité de l’agent.
« Il ne faut pas avoir été condamné ni être connu de la justice, précise Lionel Roggia. L’enquête est effectuée dans votre ville de naissance et dans celle où vous vivez par les services de police et de gendarmerie. »
Depuis dix ans, la formation de l’agent, et donc le métier, ont bien évolué. Avant, on devenait agent quand « on n’avait pas de boulot ni de diplôme », se souvient David Paviza, instructeur à Atlantique Formation Conseil (AFC), dans la banlieue nantaise. Les candidats savaient à peine lire et écrire… »
Cette image d’agent peu qualifié et bon à rien colle encore à la profession. Florent Bietrix, agent depuis dix ans, subit
Florent Bietrix a dû passer le MAC pour renouveler sa carte professionnelle
quotidiennement ce mépris : « Entendre “vous ne servez à rien”, “vous passez toute la journée à marcher” ou “mais vous êtes qui?”, c’est dur. »
Depuis 2009, une carte professionnelle sanctionne le parcours de formation. Elle est obligatoire pour pouvoir trouver un emploi. Le Code de la sécurité intérieur est formel : un employeur qui recruterait une personne non qualifiée et qui ne détiendrait pas la carte risquerait deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.
Pour lutter contre ces recrutements illégaux, les entreprises sont, elles aussi, soumises à des contrôles inopinés dans leurs locaux. Le Cnaps peut vérifier les cartes professionnelles des agents, leur contrat de travail et la conformité de leur tenue. Ce durcissement peut dissuader des entrepreneurs.
Avant la création du Cnaps, des entreprises s’étaient lancées dans le domaine de la sécurité privée en espérant profiter de l’expansion du marché. « Aujourd’hui, on trouve de moins en moins de petites boîtes qui se créent ou se défont du jour au lendemain parce que le Cnaps est là pour contrôler », témoigne Patrick Obligis, directeur de SPO Sécurité à Blois.
Retour au zoo. « Vous n’avez pas de formation d’agent de sécurité ? » nous demande le recruteur. Devant notre réponse négative, il hausse les épaules et nous assure que « ce n’est pas grave ».
Visiblement, ce recruteur n’est pas très au fait de la réglementation. Quoi qu’il en soit, il nous annonce qu’il nous tiendra informés de l’issue de la rencontre sous cinq semaines. Contacté après coup, le parc zoologique n’a pas souhaité réagir quant à sa méthode de recrutement des agents de sécurité. « En quoi cela vous regarde ? » rétorque notre interlocutrice au téléphone.
La formation continue
Depuis le 1er janvier 2018, la formation initiale n’est plus l’unique cheval de bataille du Cnaps. Ce dernier a mis en place un stage de maintien et d’actualisation des compétences, MAC pour faire court.
À suivre tous les cinq ans, cette formation est obligatoire pour le renouvellement de la carte professionnelle. « C’est en voulant la renouveler que je me suis rendu compte, sur le site du Cnaps, qu’il fallait faire cette formation », raconte Cyril, avec sa voix posée.
Cette mise à niveau vise à mieux former les agents et à les informer sur les évolutions du métier. Dans son centre de formation, à Saint-Herblain, AFC propose le certificat de qualification professionnelle mais aussi le MAC. Cette entreprise de la banlieue nantaise est agréée par le Cnaps depuis janvier 2017.
Une petite sonnette dans la tête
Face à l’instructeur, David Paviza, il y a Eric, Jean-Claude, Cyril… Ils sont neuf à être venus pour passer leur MAC. « Je ne vais pas faire de vous des experts en antiterrorisme, mais je veux que vous ayez une petite sonnette dans la tête qui vous alerte, si besoin il y a », explique le formateur.
Sur des tables disposées en U, les stagiaires débutent par un questionnaire à réponses courtes du Cnaps. « Expliquez rapidement les conditions de la légitime défense », « En cas d’attentat, comment est-ce que le gouvernement français vous demande d’agir ? »
Il ne s’agit pas d’un examen. Les réponses doivent permettre au formateur de faire un état des lieux de leurs connaissances. « Je m’en sers pour en discuter après, explique David Paviza. Quand je vois certaines réponses, je me dis qu’il y a du boulot. »
Cette première journée est axée sur l’antiterrorisme. « Quelles sont les cibles potentielles et pourquoi ? », lance le formateur aux agents. « Les grands rassemblements de foule », rétorque Éric. « L’attaque doit avoir un aspect psychologique », estime le moustachu Jean-Claude.
Le MAC a permis au Cnaps de mettre en place une sensibilisation au risque terroriste. « C’est l’extrême du travail de l’agent de sécurité, précise Cyril. Lors de la formation, on nous donne les chemins à suivre mais ce serait compliqué de penser à tout et d’appliquer ce que l’on a appris si des
terroristes viennent et tirent sur tout ce qui bouge. »
David Paviza enseigne aussi aux agents comment reconnaître le matériel des terroristes et à réagir en cas d’attaque. « Les 3 C, insiste-t-il. Courir, se cacher et combattre si vous en avez la possibilité. » « Mais combattre avec quels moyens ? », interroge Sébastien.
En théorie, la seule arme des agents de sécurité est la communication. La menace terroriste modifie la déontologie du métier. Tout objet peut alors devenir une arme de défense pour ces citoyens, gardiens de la sécurité d’autrui.
Après la théorie vient la pratique. Le lendemain, la matinée est dédiée à la gestion des conflits. Une mise en situation où Mohamed, agent en formation, joue le rôle du fauteur de troubles. Un à un, les participants du MAC se succèdent pour gérer le conflit de la meilleure façon possible.
Tout n’est pas parfait. « Je n’ai pas l’habitude de gérer des individus perturbateurs », avoue Sébastien, peu à l’aise dans l’exercice. David Paviza insiste sur l’importance de garder son calme, même quand la situation s’envenime : « Vous n’êtes pas des guerriers ! » Des guerriers non, mais des agents au fait des dernières exigences du secteur, oui.
Après cette mise à jour des acquis, la carte de l’agent est automatiquement renouvelée, aucune validation des nouvelles connaissances n’est demandée. « L’agent de sécurité qui vient et passe trois jours assis sur sa chaise à ne rien écouter aura aussi son MAC, déplore David Paviza. Je trouve que le Cnaps devrait être encore plus dur dans le contenu de cette formation. »
Des efforts restent à faire
La mise en place du Cnaps ne suffit pas pour faire appliquer la loi. L’organe de contrôle du secteur ne parvient pas à endiguer les abus.
« Il doit y avoir un agent sur deux qui est compétent. Parfois, dans les magasins, certains se promènent les mains dans les poches ou discutent avec un collègue. » Dans le supermarché où il travaille, Florent Bietrix a pu le constater maintes fois.
Une impression d’indolence que confirme la Cour des comptes dans son rapport de 2018 sur le secteur de la sécurité privée. Elle a notamment relevé des manquements lors de l’organisation de l’Euro 2016, comme une « insuffisante qualité des palpations », des « agents dépourvus d’autorisation professionnelle » ou encore un non-respect du nombre d’agents de sécurité présents sur la manifestation.
Florent Bietrix se souvient d’une affaire d’interpellation pour un vol de canette en 2009 : « Des agents de sécurité ont plaqué un garçon au sol parce qu’il était agité. » Le jeune homme de 25 ans est mort asphyxié.
Le secteur de la sécurité privée n’échappe pas à l’ubérisation, conséquence directe d’un besoin important en agents. Des plateformes numériques ont émergé, proposant des prestations à moindre coût. Le problème, c’est que cette course aux tarifs toujours plus bas, entraîne immanquablement des négligences.
Si quelque chose ne va pas, le Cnaps peut fermer l’entreprise du jour au lendemain
La Cour des comptes a également pointé un manque de communication et de coopération entre sécurité publique et privée. Depuis la loi du 30 octobre 2017, les agents de sécurité peuvent être mobilisés aux côtés des policiers et des gendarmes dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. « Le lendemain du 13 novembre 2015 (attentats au Bataclan et au Stade de France, NDLR), je couvrais un salon. On m’a demandé le double d’agents dès 8 heures du matin », se souvient David Paviza.
La Cour des comptes estime par ailleurs que la profession devrait mettre en place un code de bonne conduite. Dans son rapport, elle signale, entre autres : « Un individu a pu obtenir une carte professionnelle alors que les recherches faisaient apparaître 31 mentions pour des faits variés (violences, infractions à la législation sur les stupéfiants, violences sur agent de la force publique, délit de fuite, agression sexuelle). » L’institution souhaite que le secteur soit davantage encadré.
Pourtant, toujours selon la Cour des comptes, seules 17 procédures disciplinaires ont été engagées à l’encontre des agents en 2016. Ils ne seraient que rarement sanctionnés. Le Cnaps se concentre surtout sur les entreprises, leurs dirigeants et les associés. La société de Patrick Obligis a été contrôlée il y a trois ans : « Le Cnaps rend le rapport juste après le contrôle. Si quelque chose ne va pas, il peut ordonner la fermeture de l’entreprise du jour au lendemain. »