Harry Potter

Les moldus en sont mordus

Photo EPJT

Harry Potter fait plus que jamais partie de l’actualité. La toute première de la pièce de théâtre, Harry Potter and the Cursed Child (en français Harry Potter et l’enfant maudit). Les fans de la saga Potter n’ont pas attendu l’arrivée du jeune sorcier sur les planches pour perpétuer ses aventures. Ils débordent d’imagination, jusqu’à adapter son univers dans la réalité.

Par Alice Gendreau, Anna Lefour et Alexis Paumard

Fan ou pas du sorcier à lunettes, on se rappelle tous de son sport préféré : le quidditch (prononcez « kouiditche »). Qui n’a jamais rêvé de chevaucher un balais volant comme Harry Potter ? D’attraper le Vif d’or sous les hourras de la foule ?

Aujourd’hui, c’est possible. Le sport préféré des sorciers a été revisité et adapté par des moldus (personnes dépourvues de pouvoirs magiques dans les livres de J. K. Rowling). Sans magie mais toujours avec des balais. En France, la Fédération du quidditch français (FQF) a même été fondée en octobre 2014. Celle-ci a pour vocation de soutenir les équipes françaises dans leur développement. Elle les représente également à l’international, auprès des fédérations étrangères et de l’International quidditch association (IQA).

Dans plusieurs villes de France des équipes ont vu le jour, comme celle des Magyars à Pintes à Tours. Héloïse et Yann, à l’origine de sa création, ont enfourché leurs balais pour organiser les premiers entraînements, le 16 avril 2016. « L’équipe de Nantes est venue pour nous coacher, commente Héloïse. Cela m’a conforté dans mon envie de jouer au quidditch et de créer une bonne équipe sur Tours. Maintenant que nous avons une base, les choses sérieuses vont pouvoir commencer. »

Parmi les membres de cette nouvelle équipe, Aiko, 19 ans. Originaire de Blois, elle a découvert Harry Potter à l’âge de 14 ans. Le monde des sorciers l’a immédiatement fascinée : « J’ai lu chaque tome trois fois. En ce moment, je les relis en anglais. » Elle a découvert le quidditch moldu à l’occasion du Bal des sorciers. Cet événement, organisé chaque année par l’association Magical Events, réunit de nombreux fans autour d’activités sur le thème d’Harry Potter.

En 2015, il avait lieu au château de Blois et avait attiré plus de 230 personnes. Pour l’occasion, tous les participants s’étaient déguisés. Aiko avait fabriqué elle-même sa tenue d’élève de Serpentard. « J’ai trouvé un tutoriel sur Internet pour fabriquer une cape de sorcier. J’ai acheté des tissus noir et vert (couleurs de Serpentard, NDLR) et j’ai cousu. » Sur place, elle a acheté une cravate et une écharpe aux couleurs de sa maison préférée. Une façon pour elle de vivre pleinement une passion que son entourage a « parfois du mal à comprendre ».

C’est en ligne que les fans se retrouvent

Aiko s’adonne également au « role play » (ou jeu de rôle) sur Internet. C’est une pratique qui permet à des passionnés d’une œuvre d’incarner des personnages, que ce soit un protagoniste de leur fiction préférée ou un personnage inventé par leurs soins. La jeune femme participe depuis quelques années à un role play Harry Potter : « Le but est de créer un profil Facebook selon les attributs de notre personnage : âge, sexe, maison à laquelle il appartient, caractère… Ensuite quelqu’un poste un morceau d’histoire qu’une autre personne va enrichir et ainsi de suite, jusqu’au dénouement du récit », expose-t-elle.

C’est en ligne que les fans se retrouvent, échangent mais surtout entretiennent le mythe du jeune héros à la cicatrice en forme d’éclair. Pour faire vivre ou revivre les aventures de l’apprenti sorcier, rien de tel que de s’approprier son univers et de réécrire son histoire : bienvenue dans le monde de la fanfiction.

Apparue en même temps que des sagas tels que Star Trek, Le Prisonnier ou encore Star Wars, ces courts romans ont d’abord été d’abord publiés dans des « fanzines ».

« La fanfiction a une dimension thérapeutique que je ne connaissais pas »

Sébastien François, sociologue

Internet a rapidement globalisé le concept et a surtout permis de le propager dans les communautés de fans. Le principe : choisir un lieu, une temporalité et des personnages issus d’une saga puis inventer un récit avec des éléments de l’œuvre originale.

Les fanfictions sur Harry Potter sont parmi les plus répandues. Dans le monde, on compte environ 170 000 auteurs sur ce thème. Elles représentent un lieux où chacun peut s’exprimer, s’émanciper. Il est possible d’y affirmer sa personnalité par la créativité et de s’évader un instant de la réalité.

Sébastien François, sociologue, a étudié ces communautés. « Il y a un collectif qui fonctionne avec des échanges. Les auteurs proposent les fictions, ils attendent des retours de leurs lecteurs. Cela crée du lien social », explique-t-il avant d’ajouter que pour certains elles sont un véritable exutoire. En suivant les conversations sur les forums, le sociologue a pu assister à des débats sur des sujets très graves, tel que la violence ou encore le viol. « La fanfiction a une dimension thérapeutique que je ne connaissais pas », reconnaît-il. Selon ses observations, les membres de ces communautés s’encouragent ou au contraire se critiquent vivement. Dans tous les cas, « les liens, même virtuels, sont très forts ».

Un phénomène qui rassemble

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Dans le monde entier, la saga Harry Potter crée du lien social. Aux Etats-Unis, l’association Harry Potter Alliance, aussi appelée HPA, a été créée en 2005. Son but : engager des actions et organiser des événements pour défendre, entre autres, l’égalité, les droits de l’homme ou encore l’alphabétisation. Elle promeut également le « pouvoir de la communauté » (en d’autres termes l’entraide) si cher à J. K. Rowling. Elle possède des antennes, appelées chapitres, dans le monde entier.

L’association compte aujourd’hui des milliers de volontaires et engage des actions de grande envergure. Par exemple, grâce à leur campagne Accio Books, ils ont permis de fonder des bibliothèques dans plusieurs pays comme le Rwanda ou l’Angleterre.

Localisation des chapitres de la Harry Potter Alliance dans le monde

En France, un chapitre a vu le jour en 2013. Flora Dalbies est l’une de ses créatrices : « Je suivais la HPA depuis pas mal de temps. Je voulais faire comme eux : faire des bonnes actions avec des gens qui aimaient les même choses que moi », explique la jeune femme.

Avec deux amis, Audrey et « Zodd », elle lance un groupe Facebook pour sonder leurs amis qui, comme eux, sont fans d’Harry Potter. Les personnes contactées sont enthousiastes. « On a essayé de faire plusieurs meetings avant de créer l’asso, mais personne ou presque ne venait. On a eu de la visibilité grâce notamment à un article dans la Gazette du sorcier, mais tout le monde disait “ouais, c’est une bonne idée, je vous soutiens”, sans forcément s’impliquer. »

Le chapitre, nommé la Beauxbâtons Academy (BBA), est bien fondé. Son nom est une référence à l’école de sorcellerie française mentionnée dans le quatrième tome de la saga. Elle fédère vingt-deux membres actifs et quatre-vingts personnes éparpillées sur tout le territoire, qui suivent les actions sur leur page Facebook.

Mais l’association s’est vite essoufflée : « Nous avons participé aux deux grandes actions de la HPA (mentionnées ci-dessus, NDLR), indique Flora Dalbies. Mais, aujourd’hui, il n’y a plus d’activités. La présidente est partie vivre à Londres puis en Corée. Mais ce n’est pas la seule raison. Très vite, les partiels, les projets professionnels ont pris le dessus. Aujourd’hui, j’espère toujours que des gens reprendront l’asso car c’est quand même dommage que ça se soit fini ainsi. »

Même si certaines initiatives n’ont pas duré, d’autres sont, au contraire, en plein essor. Côté quidditch, plusieurs fédérations ont vu le jour dans le monde. En France, une quarantaine d’équipes sont en développement. Les adeptes sont de plus en plus nombreux.

Photographies et montage Anna Lefour. EPJT 2016.

Le nombre de joueurs de quidditch, ou quidkids, croît chaque année : « La fédération compte environ 350 joueurs réguliers et près de 700 occasionnels. Sur les réseaux sociaux, la communauté quidditch dépasse les 2 000 personnes », déclare Baptiste Julien Blandet, président de la fédération française.

Dix d’entre elles convoitent le titre de champions de France. Le week-end du 20 février, c’est l’équipe des Titans de Paris qui a remporté le titre face aux Frog de Paris. Les autres équipes en lice étaient les Hermines de Rennes, les Golden Owls de Dijon, les Black Snitches de Lille, les Crookshanks de Lyon, les Eléphants de Nantes, les Screwts de Rouen ou encore le Toulouse quidditch.

De nombreux tournois nationaux et internationaux s’organisent chaque année, auxquels ces équipes participent activement. Mi-janvier par exemple, un tournoi amateur, la BouiBoui Cup, avait lieu à Vincennes.« Nous ne sommes pas là pour faire des exploits et faire nos preuves. C’est un tournoi amical avec une ambiance bon enfant », précise Harry, l’organisateur du tournoi et joueur de quidditch au sein de l’équipe des Frog.

Les sélections de chaque pays se donneront également rendez-vous dès le 30 juillet prochain à Francfort, en Allemagne, pour la Coupe du monde.

Le quidditch n’est évidemment pas le seul lieu de rencontres sont les conventions. La plus célèbre, le Comiccon de San Diego (Californie, États-Unis). En France, les fans peuvent se retrouver à la Japan Expo de Paris.

Ces rendez-vous sont l’occasion d’observer une tendance qui s’est démocratisée dans le monde des fans, et pas seulement chez les fans d’Harry Potter : le cosplay. Le terme est une contraction de « costume play », soit « jouer à se déguiser ». Passionnés de jeux vidéo, de comics, de mangas, de super-héros et de fictions en tout genre y participent et font tout pour ressembler à leur héro préféré. Du maquillage au costume en passant par la coiffure, ils fabriquent tout, pour des résultats parfois très convaincants.

Aurore Gallarino, spécialiste des fans studies ou études centrées sur le comportement des fans, révèle que leurs rencontres sont très codées. « Ils s’assurent avant toute chose qu’ils partagent bien les mêmes références au sujet d’Harry Potter, relate-t-elle. Lorsque j’ai voulu m’approcher de leur cercle fermé, ils m’ont posé beaucoup de questions sur l’univers magique avant de m’accorder leur confiance. »

Autre vecteur de rencontres : les communautés virtuelles. Elles donnent parfois naissance à de véritables sociabilités dans la vraie vie ou IRL (In Real Life, « dans la vraie vie ») comme disent les internautes.

Des rivalités fraternelles

Photo EPJT

D’après Aurore Gallarino, il existe plusieurs catégories de fans : ceux qui préfèrent les livres, ceux qui ont seulement vu les films ou encore ceux qui ont lu et vu les aventures de l’apprenti sorcier. Des disparités internes existent aussi au sein des communautés de fans. « Comme dans Harry Potter, les fans s’identifient plus à une maison qu’à une autre », dévoile Aurore Gallarino.

Le blason de Poudlard réunit les emblèmes de chaque maison. Source : Wikipédia.

Dans l’œuvre de J. K. Rowling, il existe quatre « maisons » d’appartenance dans l’école de magie Poudlard, des fraternités en quelque sorte : Gryffondor, Serpentard, Serdaigle et Poufsouffle. Dans les livres, les apprentis sorciers revendiquent leur appartenance à leur maison respective. Les fans font de même : les rivalités se retrouvent dans les communautés.

Ici, l’intérêt porté pour l’univers Harry Potter est comparable à la passion des supporters de foot pour leur club favori. « La majorité des fans préfère d’ailleurs la maison Serpentard », plaisante Aurore Gallarino. C’est le cas d’Aiko. De par son caractère, elle se sent appartenir à cette maison. D’ailleurs, la plupart de avatars qu’elle a créés pour le role play appartiennent à cette maison.

Il est également fréquent qu’une communauté s’identifie à un personnage et à ses valeurs. Pour Harry Potter, le phénomène est très répandu. Il existe depuis l’apparition du héros dans la culture populaire, dans les années quatre-vingt-dix.

Pourquoi une telle dévotion de la part des fans ? Éric Auriacombe, pédopsychiatre, a son avis sur la question : les lecteurs d’Harry Potter ont grandi en même temps que leur héros. « Le sorcier grandit d’un an à chaque roman, les lecteurs ont eu 11 ans en même temps que lui puis sont devenus adultes au même moment », développe le pédopsychiatre. 

Et inversement. Pour lui, cet aspect est prédominant. Selon Aurore Gallarino, Harry Potter est le doudou qui a accompagné les jeunes fans dans les différentes étapes de leur vie, jusqu’au passage à l’âge de raison.

La mixité est un critère obligatoire au quidditch : une équipe non mixte ne peut pas participer à un tournoi

L’univers magique est devenu un phénomène de société. Certaines valeurs, telle que la solidarité et la défense des droits de l’Homme, se sont rapidement répandues grâce à une forte médiatisation.

En 2014, l’association Harry Potter Alliance a par exemple gagné un combat significatif. Elle a obtenu de la Warner Bros que toutes les friandises dérivées de la saga Harry Potter, notamment les chocogrenouilles, soient réalisées avec du chocolat 100 % issu du commerce équitable.

En effet, en 2010, l’association a lancé sa campagne Not in Harry Potter’s Name (« Pas au nom d’Harry Potter »). En tout, 400 000 personnes ont signé la pétition de l’association qui exigeaient que le chocolat utilisé pour les friandises ne provienne pas du travail des enfants.

Les slashs entre Harry et Severus Rogue sont assez répandus. Source : Wikipédia

« Au sein des communautés virtuelles, les minorités, notamment sexuelles (LGBT), sont représentées et acceptées avec beaucoup de tolérance », constate le sociologue Sébastien François.

En effet, les écrivains de fanfictions rédigent ce que l’on appelle des slashs : une histoire d’amour homosexuelle entre deux hommes, qui n’existe pas dans l’œuvre originale. L’équivalent féminin s’appelle femslash. Cette pratique est courante et généralement bien acceptée. Les seules critiques des lecteurs concernent le récit et non la sexualité des personnages.

Sébastien François ajoute même qu’il y a « une approche féministe » dans l’écriture de fanfiction. Il parle même d’une prise de pouvoir par les femmes dans les fandoms (communautés informelles liée par un intérêt tel qu’une passion commune pour une œuvre). Les membres du fandom d’Harry Potter ont entre 12 et 30 ans et sont majoritairement des femmes.

Proportion des auteurs de fanfictions par genre : 90 % sont femmes. Source : Sébastien François

Dans la saga, parmi les principaux protagonistes on trouve des sorcières puissantes, comme Hermione Granger, Bellatrix Lestrange ou encore Minerva McGonagall. Ce sont de véritables héroïnes auxquelles les jeunes filles peuvent s’identifier.

La mixité constitue d’ailleurs une composante obligatoire du quidditch. Les équipes, constituées au maximum de sept joueurs, doivent absolument être composées d’au moins cinq filles et deux garçons ou deux garçons et cinq filles.

Sébastien François ajoute même qu’il y a « une approche féministe » dans l’écriture de fanfiction. Il parle même d’une prise de pouvoir par les femmes dans les fandoms (communautés informelles liée par un intérêt tel qu’une passion commune pour une œuvre). Les membres du fandom d’Harry Potter ont entre 12 et 30 ans et sont majoritairement des femmes.

Dans la saga, parmi les principaux protagonistes on trouve des sorcières puissantes, comme Hermione Granger, Bellatrix Lestrange ou encore Minerva McGonagall. Ce sont de véritables héroïnes auxquelles les jeunes filles peuvent s’identifier.

La mixité constitue d’ailleurs une composante obligatoire du quidditch. Les équipes, constituées au maximum de sept joueurs, doivent absolument être composées d’au moins cinq filles et deux garçons ou deux garçons et cinq filles. Une équipe non mixte ne peut pas participer à un tournoi. À part le badminton ou l’équitation, il n’existe presque pas de disciplines sportives acceptant la mixité en compétition.

Baptiste Julien Blandet pense d’ailleurs que le quidditch serait en avance sur son temps en matière d’égalité des genres. « Vue l’évolution actuelle de la société actuelle, un sport qui impose que des femmes et des hommes jouent ensemble devrait être rapidement reconnu », expose-t-il. Mais c’est à cause de cette clause de mixité des équipes que les institutions officielles ne considèrent pas le quidditch comme un véritable sport, outre le fait qu’il ne soit pas encore très répandu. Les équipes n’ont donc qu’un statut d’association.

Deux études, une américaine et une italienne, tendent à prouver que les jeunes ayant lu Harry Potter seraient plus tolérants et ouverts d’esprit que leur camarades. Une forme ultime d’influence de la saga sur le monde réel.

Mais selon Jean-Claude Milner, linguiste et philosophe français et auteur d’un ouvrage sur les messages politique dans la saga, Harry Potter présente d’autres valeurs positives, par exemple le goût pour la transgression des règles. Le linguiste suggère d’ailleurs que la saga ferait un très bon roman d’apprentissage à l’école. En France, des cours d’analyse du roman sont même dispensés à Sciences Po Paris. Alors, à quand Harry Potter dans les programmes scolaires ?    ❏