Sans aucun équipement de sécurité, un jeune ferrailleur récupère la matière première d’un moteur de réfrigérateur
à l’aide d’une scie circulaire. Photo : Jane Coville/EPJT
Dans un bidonville de Yaoundé, la capitale camerounaise, des ferrailleurs démontent des déchets d’équipements électriques et électroniques. Importés illégalement d’Europe et d’Asie, ce matériel nourrit une filière informelle dont les conséquences sanitaires et environnementales sont désastreuses.
Par Laura Blairet et Jane Coville, Mathias Fleury à Yaoundé
Vêtu d’une chemise et d’un short déchiré, un jeune garçon en claquettes slalome entre des montagnes de déchets. Il évite les étincelles de la disqueuse utilisée par un autre ferrailleur, à peine plus âgé. Cette scène est quotidienne dans le quartier Pharmacie Elobi, au nord de Yaoundé (Cameroun). Il s’y dresse différents ateliers de fortune où sont traités des déchets électriques et électroniques (D3E).
Sur place, le bruit est permanent : les métaux s’entrechoquent lors de la pesée, les outils de découpe sont sans cesse sollicités… Le tout accompagné d’injonctions autoritaires que les jeunes travailleurs reçoivent de leurs aînés.
Plus de 77 000 tonnes de D3E circulent chaque année au Cameroun, d’après un rapport des Nations unies, le Global
E-Waste Monitor, paru en 2020. Les déchets que l’on retrouve à Yaoundé arrivent d’abord au port de Douala dans de grands containers. La plupart sont en provenance d’Asie ou d’Europe. Ils sont ensuite acheminés dans les rues insalubres d’un quartier appelé Pharmacie Elobi par camions.
La pesée est une étape obligatoire après le ramassage des matériaux. Seule une petite partie est valorisable après l’extraction. Cette fois-ci le butin pèse 27,4 kilos. Photo : Jane Coville/EPJT
À l’entrée, les appareils sont brûlés dans un puits de fonderie artisanal sans que les ferrailleurs ne se protègent des vapeurs dégagées. Une forte odeur de plastique et de métaux calcinés se propage. La seule protection dont disposent ces hommes sont de vieux gants usés en caoutchouc qu’ils s’échangent selon la tâche à accomplir.
Au centre du local, tout juste éclairé par une petite ampoule, trône une moto. Des adolescents montent dessus pour prendre une pause. Sa peinture rouge détonne au milieu des couleurs ocre et grise des murs en tôles et des déchets présents sur le sol. Elle sera probablement démontée, elle aussi. Les enfants observent les plus grands, entassés sur une banquette arrière de 4X4 déposée dans un coin.
L’atelier est composé exclusivement d’hommes. Ils vivent majoritairement sur place. Leur travail s’effectue en grande partie directement sur le sol de terre noircie, couvert de limaille de fer. Cambrés, accroupis, assis… Ils traitent les déchets avec d’autres composants récupérés. Sur un morceau de sac en résine de plastique, un jeune homme tente de dessouder le moteur-ventilateur d’un appareil électroménager. Il s’acharne dessus, multipliant les coups avec une barre de fer extraite d’une épave de voiture. À côté de lui, appuyé sur une batterie, un autre ferrailleur arrache à la main une carte mère d’un vieux bloc gras et poussiéreux.
Les ferrailleurs travaillent dans l’obscurité et la promiscuité à même le sol, sous la surveillance de leur chef. Photo : Jane Coville/EPJT
Les conséquences sanitaires et écologiques de ce mode de traitement sont multiples. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) comptabilise plus de mille substances nocives dans ces matériaux comme le plomb, le mercure ou le nickel. Leur extraction par le feu cause des effets néfastes sur les fonctions pulmonaires et respiratoires et accroît grandement le risque de maladies chroniques. Les D3E sont aussi composés de polluants organiques persistants (POP) qui contaminent les sols.
L’intérêt de ce travail informel est d’extraire les métaux précieux du matériel électrique et électronique (aluminium, cuivre ou or), afin de les revendre au poids. Le reste des composants, très toxiques pour la plupart, est abandonné à même le sol ou stocké à côté des lits des travailleurs.
Le chef d’atelier explique qu’une quinzaine d’enfants travaillent dès
leur 8 ans
Le chef d’atelier, liasse de billets de 5 000 francs CFA (un peu plus de 7,50 euros), pose fièrement dans un fauteuil en cuir récupéré sur une carcasse de voiture. Il explique qu’une quinzaine d’enfants travaillent dès leurs 8 ans. Dans l’encadrement d’une porte, une balance à crochet est installée. Les ferrailleurs y pèsent le fruit de leur labeur, lié par un morceau de tissu prêt à se déchirer au-dessus de leurs pieds
Pour lutter contre ces pratiques, des associations tentent de professionnaliser la gestion de ces déchets. C’est le cas de Solidarité technologique. L’organisation, qui avait pour objectif de professionnaliser et de former les acteurs informels évoqués précédemment, collecte puis reconditionne (ou recycle) 80 tonnes de D3E par an.
En attendant, ce sont les habitants d’Elobi qui payent les pots cassés. Aux premiers rangs desquels des enfants, recrutés dès leur plus jeune âge pour ce labeur toxique. Les locaux de déchets sont pleins et continuent d’être approvisionnés quotidiennement depuis Douala. La vague de déchets qui déferle sur Yaoundé n’est pas prête de s’arrêter.
Photos prises dans l’atelier des ferrailleurs. Réalisation : Jane Coville/EPJT
Laura Blairet
@lau3bl
23 ans
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
Passée par des magazines spécialisés, La Nouvelle République ainsi que Radio VL, Radio Campus et France Inter. Globe-trotteuse dans l’âme, elle se destine au journalisme international et est particulièrement intéressée par les sujets de société.
Jane Coville
@coville_jane
22 ans
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
Passée par Ouest-France, Le Parisien, La Nouvelle République et le Télégramme.
Intéressée par la géopolitique mais aussi par les sujets de société et par l’actualité sportive.
Se destine à la correspondance à l’étranger.
Mathias Fleury
@matfry83
24 ans
Étudiant en journalisme à l’EPJT.
Mec sympa.
Passé par La Nouvelle-République et Var-Matin.
Passionné de sport, de géopolitique et de politique française.