De plus en plus d’étudiants abandonnent la formation Meef, par perte de motivation ou de vocation. D’autres ne veulent même pas y prendre part. Photo : Thomas Lemoult-Emmler/EPJT
L’enseignement connaît une crise d’attractivité sans précédent et ce n’est pas la nouvelle réforme du master Meef qui va arranger les choses. Entre surcharge de travail et précarité financière, la réforme suscite la détresse des étudiants et la colère des formateurs.
Par Thomas Lemoult-Emmler et Louise Monard–Duval
J’ai été arrêté un mois et demi à cause d’un burn-out pendant mon stage », confie Mathieu*. Ancien étudiant en deuxième année de master , il a quitté l’Inspé de Strasbourg sans finir sa formation. Aujourd’hui dans un autre master, il dit avoir perdu la vocation pour l’enseignement, « dégoûté de la formation et de la profession ».
L’instabilité liée aux réformes consécutives de ces masters a engendré de nombreux burn-out étudiant. « En réalité, il faut plutôt parler de dépression, indique Mylène Royer, psychologue du SSE de l’Université de Tours. Un burn-out, c’est plutôt le fait de se consumer soi-même par le travail. » Les psychologues du SSE rencontrent de nombreux étudiants qui souffrent d’épuisement, de surmenage et de dépression.
En ce qui concerne les étudiants en Meef, leurs conditions de vie se détériorent. Ils subissent une grande précarité financière ainsi qu’un manque de soutien financier, notamment familial. Ce manque de soutien aboutit à l’isolement : les étudiants ont peu voire pas de vie sociale, trop pris par les programmes ultrachargés. Il implique aussi, parfois, la nécessité de trouver un travail alimentaire en plus du travail académique. Les conditions d’études sont rendues d’autant plus difficiles.
La nouvelle réforme est critiquée pour ses emplois du temps trop chargés, la nécessité de mobilité entre facultés, la précarité qu’elle engendre, etc. Ces mauvaises conditions de vie poussent souvent à des états dépressifs et à des abandons.
Les futurs enseignants craquent. Et cela se voit dans le nombre d’inscrits en Meef. En 2017-2018, on comptait 11 100 étudiants inscrits en deuxième année de master meef second degré. Pour 2022-2023, ils ne sont plus que 8 200, soit
L’organisation du M2 Meef : un programme beaucoup trop chargé. Infographie : Louise Monard–Duval/EPJT
environ 30 % de perte d’effectif en cinq ans.
A chaque rentrée, Frédérique Fouassier, coresponsable du master Meef anglais à l’Université de Tours, met en garde ses étudiants : « Psychologiquement, il faut être solide. Si vous êtes dans une période de votre vie où vous êtes un peu fragile, ne faites pas ce master. » Comme beaucoup d’autres formateurs, elle est consciente de la charge de travail, voire la surcharge, du master. « L’année dernière, nous avons eu deux dépressions et deux abandons. Ils coulent », soupire-t-elle.
La deuxième année de master Meef est au centre des débats. Avec le déplacement des concours en fin de master, elle exige en plus un mémoire, des cours théoriques et pratiques, validés par des partiels, sans compter les stages obligatoires.
« Le concours écrase trop les étudiants. Pour eux, c’est la catastrophe. Cela devient une source supplémentaire de stress », s’inquiète une formatrice de l’Inspé de Toulouse, sociologue de l’éducation. Sur Twitter, elle qualifie le master de « repoussoir absolu » et explique que la réforme participe à un « découragement massif » pour la profession.
Le programme du master Meef avant et après la réforme. Un volume visiblement alourdi (faites bouger le curseur de gauche à droite). Infographie : Thomas Lemoult-Emmler/EPJT
Les étudiants connaissent la difficulté de ce master. Leur motivation pour se lancer dans cette course d’obstacles baisse. Une réalité remarquée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. En juin 2020, il a publié une note flash sur le nombre d’inscrits en Inspé. La réforme n’a fait qu’empirer les choses car la situation n’était déjà pas bonne avant même sa mise en application. L’année 2021 étant particulière avec la crise du Covid et la mise en place de la réforme, les données sur cette année ne sont pas exploitables.
Dans l’Union européenne, le mémoire est obligatoire pour qu’un master soit reconnu. En conséquence, en France, la plupart des masters incluent des unités d’enseignement de recherche, dont une préparation à la rédaction du mémoire.
La première année du master Meef est dédiée à la recherche et à la construction théorique du mémoire. La mise en pratique et la vérification de l’efficacité de l’outil se font en deuxième année. Mais pour les étudiants, l’utilité du mémoire est floue. « Normalement, le mémoire est un enseignement par les usages, un mélange entre recherche et mise en pratique devant des élèves », précise Marie*, étudiante en master Meef histoire-géographie dans l’académie de Versailles.
En réalité, les mémoires ne sont pas assez encadrés à cause de la pénurie de personnel. Une pénurie en partie liée à la baisse de la prime de tutorat. Les tuteurs ne veulent pas d’une charge de travail supplémentaire sans qu’elle soit payée à sa juste valeur. Florence Legendre, sociologue et formatrice à l’Inspé de Reims ajoute : « L’importance apportée à ce mémoire est différente selon les académies alors que les étudiants passent tous le même concours national et ont tous besoin de valider un master pour le passer. »
« En 2018, à l’Assemblée nationale, nous avons formé un groupe de travail sur le recrutement. M. Blanquer n‘a pas suivi nos recommandations »
Cécile Rilhac
De plus, la formation est trop lourde pour que les étudiants aient la possibilité de travailler le mémoire correctement. Dans la majorité des cas, celui-ci passe au second plan par rapport aux cours qui sont vraiment utiles pour les concours. Clara*, étudiante à Paris, en témoigne : « Le mémoire est bâclé parce que nous n’avons pas le temps de le rendre un qualitatif. »
Nathalie Sayac, directrice de l’Inspé de Normandie-Rouen-Le Havre, regrette ce manque de cadre pour le mémoire : « Les formateurs en Inspé se sont pourtant battus pour qu’il y ait de la recherche dans ce master. »
Dans le système avant la mise en place de la réforme, quand on passait le concours en première année, sa réussite octroyait un certain statut, celui de PEFS. Le salaire d’environ 1 500 euros net par mois pour un service de neuf heures permettait à ces nouveaux enseignants d’être, au mieux totalement autonomes financièrement, au moins d’être plus indépendant de l’aide familiale ou de celle des bourses. Ils étaient, en tout état de cause, à l’abri de la précarité.
Plus de statut ni de rémunération
La deuxième année de master restait une année chargée, notamment rythmée par l’écriture du mémoire. Mais le système protégeait les étudiants. Ils acquerraient plus de légitimité vis-à-vis des élèves, de leurs parents et du reste de l’équipe enseignante.
La formule était alors beaucoup plus claire. La première année était presque uniquement réservée à la préparation des concours des métiers de l’enseignement, tandis que la seconde année permettait de pratiquer en établissement, tout en se concentrant sur la formation pédagogique.
Aujourd’hui, les étudiants en deuxième année de master (M2) n’ont plus le statut de fonctionnaire-stagiaire ni la rémunération qui va avec. Conséquence : seuls les étudiants qui peuvent supporter financièrement cette année d’études peuvent suivre ce master.
La titularisation, elle, intervient l’année suivant la réussite au concours. Une sorte de troisième année déguisée où les néocontractuels qui ont obtenu un master Meef doivent, souvent sans accompagnement, enseigner directement à temps plein.
Cette décision du ministère de l’Éducation nationale de modifier la maquette du master Meef va à l’encontre des préconisations des parlementaires. Ceux-ci recommandaient un concours en fin de licence et un master entièrement consacré à la formation professionnelle. Cécile Rilhac, députée Renaissance du Val-d’Oise, explique : « En 2018, à l’Assemblée nationale, nous avons formé un groupe de travail sur le recrutement. M. Blanquer n’a pas suivi nos recommandations. »
Autres nouveautés notables de ce nouveau master, la mise en pratique professionnelle et la création de deux nouveaux statuts : Sopa et ECA.
Histoire d’une formation. Timeline : Thomas Lemoult-Emmler/EPJT
Les rémunérations sont différentes. Un étudiant Sopa gagne 126 euros net par mois. « De l’argent de poche », concède une formatrice de l’Inspé de Toulouse. Encore faut-il le recevoir ! À Tours, en décembre, les étudiants attendaient toujours que l’administration leur transmette la convention de stage qui permet le début des versements. Pour les ECA, leurs six heures hebdomadaires en établissement sont gratifiées à hauteur de 750 euros net. Cent vingt-six ou 750 euros : loin, très loin de la rémunération à laquelle pouvait prétendre un fonctionnaire-stagiaire.
Sur les 10 800 contrats ECA proposés à l’échelle nationale pour 18 647 étudiants en M2 Meef, seulement 6 400 ont été pourvus. Ces milliers de postes vacants s’expliquent notamment par la difficulté de concilier le travail demandé par le master avec, en parallèle, le fait d’assurer six heures d’enseignement à des élèves.
Personne ne voulait de cette réforme
Le ministère de l’Éducation nationale justifie la réforme par la nécessité de professionnaliser le master et d’en finir avec des concours jugés trop disciplinaires.
Pour les acteurs de terrain, elle n’a aucune raison d’être : « Personne n’a compris l’intérêt de cette réforme et personne n’en voulait, précise Frédérique Fouassier. Nous, formateurs et enseignants, savions que les étudiants seraient dans une situation plus précaire et qu’ils seraient surmenés. Nous l’avons dit et redit au ministère qui n’a rien voulu entendre. »
Les pouvoirs publics semblent également avoir pris la mesure des problèmes engendrés par la réforme. Dans un rapport sur la question de la formation et du recrutement des enseignants, publié en février 2023, la Cour des comptes note, elle aussi, la « surcharge de travail contre-productive pour les étudiants » qu’apporte la nouvelle maquette.
Alain Frugière, directeur de l’Inspé de Paris et directeur du réseau des Inspé. Photo : Christophe Lahais.
« Depuis 2022, les concours évaluent plus de compétences didactiques, c’est-à-dire la mise en pratique des savoirs théoriques de l’enseignement. […] Les candidats avec une expérience de terrain peuvent répondre correctement aux questions liées à des situations professionnelles concrètes, explique Alain Frugière, directeur de l’Inspé de Paris et président du réseau des Inspé. La réforme part d’une refonte du concours qui se veut professionnalisant, avec une mise en avant de l’expérience professionnelle. » Cette adaptation du concours et de la formation vers plus de professionnalisation et de pratique en situation réelle se traduit par une hausse du nombre d’heures de stage.
Certains directeurs d’Inspé encouragent les étudiants à choisir le statut ECA. Leur argument : ils vont ainsi acquérir une
expérience de terrain qui les préparera mieux au nouveau concours. En réalité, la motivation des étudiants quand ils choisissent ce statut est surtout pécuniaire.
« Dans tous les cas, je devais travailler [alors] autant que ce soit en lien avec mes études », justifie Clara quant à son choix de devenir ECA. Elle nuance : « Nous avons plein de livres, de savoirs et de méthodologies à assimiler. C’est compliqué et c’est encore plus dur en tant que contractuel alternant, vu le travail demandé. »
Marie a entendu un autre son de cloche : « Les formateurs nous ont conseillé de choisir Sopa parce que la masse de travail est moins lourde. » Nathalie Sayac n’est pas d’accord : « Sopa c’est essentiellement de l’observation, c’est très long et c’est une perte de temps pour les concours. » De toute façon, financièrement, les étudiants précaires n’ont guère le choix.
Un nombre d’inscrits aux concours des métiers de l’enseignement en diminution. Infographie : Louise Monard–Duval/EPJT.
Dans les deux cas, ils doivent consacrer de nombreuses heures à la préparation des cours qu’ils vont suivre ou délivrer. Le statut ECA ajoute, en plus, la pression de donner cours en autonomie. Une pression parfois difficile à gérer pour des étudiants âgés de 20 ans à peine. Notamment quand ils enseignent à des classes qui passent des examens. En philosophie, par exemple, discipline exclusivement dispensée en terminale, un étudiant contractuel alternant prépare les lycéens à l’épreuve du baccalauréat. Une sacrée responsabilité.
Dans les faits, la professionnalisation, via le statut ECA, n’est pas simple. Selon l’académie, le lieu d’étude et la discipline, la possibilité d’être ECA n’existe pas toujours. Certaines académies ont pu donner un poste à tous les étudiants qui demandaient ce statut. D’autres ont rencontré des difficultés pour remplir leurs quotas ou n’ont même pas pu en proposer.
À Lille par exemple, aucun contrat ECA n’a été proposé aux étudiants de M2 histoire-géographie. Ceux-là sont donc contraints d’être Sopa. Concrètement, ils sont forcés de contracter un prêt ou de trouver un emploi alimentaire en parallèle si leurs parents ne peuvent pas financer leurs études. C’est aussi le cas dans d’autres académies, comme pour Marie, qui travaille dans une bibliothèque.
« Les étudiants sont utilisés comme main d’œuvre »
Pour le ministère de l’Éducation nationale, dirigé par Jean-Michel Blanquer de 2017 à 2022, les économies budgétaires que la réforme apporte sont non négligeables. Remplacez les 1 850 euros bruts mensuels des milliers de fonctionnaires-stagiaires M2 par une majorité d’étudiants à 126 euros ajoutés aux 850 euros brut des ECA et calculez.
Sur une année, cela représente un joli pactole. La Cour des comptes estime, dans son rapport de février 2023, à 400 millions d’euros les économies faites grâce aux étudiants contractuels. Contacté, l’ex-ministre de l’Éducation nationale n’a pas souhaité répondre à nos questions.
La réforme du master Meef « allonge les études et l’investissement financier demandé aux étudiants, en particulier les plus modestes », conclut même le rapport de la Cour des comptes.
L’insécurité financière créée par la réforme ajoute une pression psychologique. Quand il n’est pas possible de vivre dans des conditions correctes, il n’est pas non plus possible d’étudier de manière adéquate. Ce poids, c’est ce qui pousse certains étudiants à devenir directement contractuels à la fin de leur licence. Ils s’accordent ainsi de la stabilité financière et mentale.
La préprofessionnalisation proposée comme solution. Vidéo : Louise Monard–Duval/EPJT et Thomas Lemoult-Emmler/EPJT
La réforme révèle et incite à un changement du système de recrutement des enseignants : la contractualisation. De 2016 à 2021, le nombre de personnels-enseignants non titulaires a augmenté de *20 %. « Au lieu de recruter du personnel, les étudiants sont utilisés comme main d’œuvre, quitte à ce qu’ils n’aient pas leur concours à la fin. Le ministère les a bien utilisés pour que, derrière, ils restent contractuels. C’est scandaleux », s’insurge Émilie Ghoole, syndicaliste du Snes-FSU de Lille et professeure documentaliste.
La contractualisation de la profession d’enseignant n’est pas une exception dans l’Union européenne. Le réseau Eurydice, organisme des systèmes éducatifs de la Commission européenne, compte 31 pays. Quatorze d’entre eux utilisent déjà un système où les professeurs sont contractuels. Les établissements sont leurs employeurs, à l’inverse du système français où les académies recrutent à la suite d’un concours.
L’ex-ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, avait hérité d’une réforme écrite et mise en place par son prédécesseur. Il aurait pris connaissance des limites de celle-ci et semblait ouvert au dialogue avant d’être remplacé par Gabriel Attal, en août 2023. Les acteurs du secteur voudraient voir la situation s’améliorer.
Syndicats, formateurs, enseignants, tous avertissent des risques systémiques d’une telle réforme. Avec la contractualisation, le service public est une nouvelle fois attaqué. Elle fragilise une profession déjà en perte d’attractivité. Hier, l’hôpital, aujourd’hui l’école, quel secteur public se verra demain menacé par la privatisation ?
(*) Certains prénoms ont été changés.
Thomas Lemoult-Emmler
@thomas_emmler
23 ans
Étudiant en journalisme à l’EPJT.
Anciennement enseignant d’éducation musicale.
Passé par Le Maine Libre.
Aime la musique, le sport et tout ce qui concerne l’outre-Rhin.
Louise Monard–Duval
@_LouiseMD
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23 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT. Toujours en voyage. Passée par Ouest-France.
Passionnée par la Corée du Sud. Se destine à y être correspondante.