Photo : Margaux Dussaud/EPJT
Régulièrement remise en cause, la chasse reste intouchable en France. Confrontée à la baisse de ses effectifs, en but aux critiques d’opposants de plus en plus nombreux, elle se bat pour assurer son avenir. Elle a ainsi mis en place un lobbying décomplexé et une communication novatrice. Elle peut compter aussi sur le soutien du président qui voit là une occasion de renouer avec le monde rural. De quoi chasser les idées reçues.
Par Margaux Dussaud, Valériane Gouban et Charles Lemercier
À chaque nouvel accident, la chasse suscite l’émoi dans l’opinion publique et relance la polémique sur sa dangerosité. A l’ouverture de la chasse, en septembre dernier, un garçon de 13 ans a été tué accidentellement par son grand-père près de Luçon, en Vendée. Un mois plus tard, une retraitée a perdu la vie dans sa propriété au cours d’une battue en Aveyron. Plus de 400 personnes sont décédées depuis 1999 dans des accidents de chasse. Mais le nombre de morts a toutefois été divisé par deux environ en quinze ans.
A première vue, ces drames ne semblent pas fragiliser pas le second loisir national après le football. Pratiquée par 1,14 million de personnes, il reste indéboulonnable. Il pèse 2,1 milliards d’euros dans l’économie française. « Il ne faut pas voir que les chiffres mais la dimension sociale. Les chasseurs restent une organisation où il y a une grande solidarité, unique dans certains villages », soutient Jean Abarnou, directeur de la Fédération départementale d’Indre-et-Loire (FDC37). Pourtant, la chasse séduit de moins en moins. Car, quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que le nombre de pratiquants a été divisé par 2,5 en quarante ans.
Chasser le naturel, il revient au galop
La chasse est le deuxième loisir pratiqué en France en nombre d’adhérents. Photo : Margaux Dussaud/EPJT
Si cette baisse des effectifs inquiète particulièrement la Fédération nationale des chasseurs (FNC), la montée en puissance des antichasses la préoccupe tout autant. La défense de la cause animale est souvent au cœur des revendications des opposants. Leur fronde a été relancée en octobre dernier par la mise à mort d’un cerf dans un pavillon résidentiel lors d’une vénerie (chasse à courre) dans l’Oise.
L’animal traqué avait trouvé refuge dans le jardin d’une propriété privée. N’ayant pas voulu en sortir, il a été abattu sur ordre de la gendarmerie. Filmée par des membres d’un collectif contre la chasse, la scène a provoqué l’émoi des riverains puis celle des internautes. Vivier d’antichasses, les réseaux sociaux ont amplifié la réprobation contre les chasseurs. Le maître d’équipage, auteur de l’abattage du cerf, aurait reçu plus de 250 menaces de mort.
Une pétition contre la chasse à courre, lancée par la Fondation 30 millions d’amis, a déjà recueilli plus de 110 000 signatures. « Cher @N_Hulot, ne croyez-vous pas qu’il est temps d’abolir la chasse à courre ? » s’est insurgée sur Twitter Laurence Parisot, l’ex-patronne du Medef. Connu pour son opposition à la chasse, l’actuel ministre de la Transition écologique et solidaire a réaffirmé ses positions. « Cette chasse à courre qui prolonge l’agonie, qui met les animaux dans un état de panique doit nous pousser à nous questionner. Nous sommes en 2017, ces pratiques-là remontent à d’autres siècles ».
Les accidents de chasses, autour de 140 par saison, donnent corps aux antichasses. Pour se faire entendre, ils s’appuient sur Internet et les réseaux sociaux, ils organisent des manifestations. Et, pour les plus radicaux, des actions de sabotage. En juin dernier, une habitante de Tarbes a, par exemple, été convoquée au tribunal correctionnel pour avoir saboté un mirador de chasseurs sur la commune de Lansac (Gironde).
Le principal point de discorde entre les deux parties porte sur l’utilité de la chasse. La régulation de la biodiversité ferait la légitimité des chasseurs. Un argument pour l’interdire pour les opposants. « Nous avons un amour immodéré des animaux mais tuer, c’est normal, assume Willy Schraen, président de la FNC. Nous avons une réelle fonction dans l’écosystème mais les opposants ne supportent pas qu’on puisse éprouver du plaisir à donner la mort. » Madline Reynaud, directrice de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) conteste l’argument de la régulation : « La nature peut trouver son équilibre toute seule si les chasseurs arrêtent de jouer un rôle de “gestionnaire de la nature”. »
Les scientifiques peinent à trancher le débat. « Certaines espèces gênent l’activité humaine comme les oiseaux dans les aéroports. Mais, on pourrait dire qu’il n’y a pas besoin de la chasse pour réguler les espèces car les populations sont capables de vivre dans un certain équilibre », explique Jean-Dominique Lebreton, bionaturaliste et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique. (CNRS)
« Les problèmes ne vont pas se résoudre par magie si l’homme arrête de chasser, oppose Dominique Vollet, ingénieur au ministère de l’Agriculture et auteur de nombreux textes sur la chasse. D’autant que, bien gérée, la chasse est plutôt positive. Du fait de la baisse du nombre de chasseurs, des espèces (sangliers, chevreuil, cerf) abondent et ont un impact très négatif sur la biodiversité forestière. » Trop peu chassé, le sanglier pullule dans certaines régions et on en retrouve même à la périphérie des villes. En France, comme à l’étranger.
« Nous sommes dans un problème d’équilibre. L’agriculture moderne et l’aménagement du territoire ont provoqué la chute du petit gibier sédentaire. Il faut par exemple maintenir la chasse du renard, comme d’autres espèces dites nuisibles, pour rééquilibrer », avance Willy Schraen. Les torts sont donc partagés. « Nous avons aussi une part de responsabilité, admet le président de la FNC. Les chasseurs se sont rabattus sur le grand gibier. Celui-ci n’est pas sensible aux pesticides. » Les relations politiques entre les syndicats agricoles et la FNC sont tendues. Depuis 1976, les chasseurs doivent en effet indemniser les dégâts du gibier sur les cultures, à hauteur de 50 millions d’euros par an en moyenne.
La chasse aux politiques
Willy Schraen (à droite), président de la FNC, modernise la communication des chasseurs, ici en interview sur Facebook Live.
Face à cette contestation, les chasseurs, déjà confortablement installés dans le paysage, veulent maintenir leur influence. En 1994, la FNC s’est attaché les services d’un des meilleurs lobbyistes professionnels pour peser en politique : Thierry Coste.
« Le lobbying, c’est influencer le gouvernement, le parlement et les médias pour défendre les intérêts des chasseurs », détaille cet homme providentiel. Cette influence a pris un nouvel élan avec l’arrivée de Willy Schraen à la présidence de la Fédération en 2016. « Quand je l’ai rencontré la première fois, je lui ai dit : “Maintenant, nous allons faire du vrai lobbying.” »
Décomplexée, la pratique de Thierry Coste porte ses fruits. Celui qui se présente comme l’ancienne « plume de Nicolas Sarkozy et de François Hollande » sur les questions de chasse et de ruralité est désormais conseiller d’Emmanuel Macron. Avant les législatives, il lui a fait signer 30 propositions pour la chasse afin de sensibiliser les nouveaux députés, plutôt urbains, du renouvellement.
La FNC va soumettre un projet de loi au président de la République à l’automne 2018. Maintenir toutes les pratiques même en présence d’espèces protégées est un exemple de ces mesures. Également signées par Les Républicains. « Tout ne passera pas et il n’y a rien de révolutionnaire », nuance Jean Abarnou.
Mais ce n’est pas tout. Emmanuel Macron a envoyé de nombreux signes favorables aux chasseurs. Il n’a de cesse de répéter son attachement à la pratique. Lors de son week-end à Chambord, mi-décembre, le président de la République a rencontré les chasseurs après une battue. Une première depuis quarante ans. Le chef de l’Etat fait de la chasse, comme ses prédécesseurs, un outil diplomatique. Le domaine national de Chambord en est le premier théâtre comme le montre Le Journal du Dimanche. Emmanuel Macron utilise aussi la chasse pour implanter La République en marche (LERM) dans l’électorat rural qu’il a du mal à conquérir. Il casse ainsi son image technocratique. France Inter a enquêté à ce sujet.
Soutenue par les nombreux élus chasseurs, surtout les maires, la cause cynégétique n’a pas forcément besoin du lobbying de la FNC. C’était en tout cas très vrai dans la précédente législature : le groupe d’études sur la chasse à l’Assemblée nationale était le premier en nombre de membres. « Il est devenu une sorte d’institution mais n’a pas d’existence statutaire. Il y a eu des tensions avec les chasseurs car la tendance écologiste prenait le dessus », relativise Claude de Ganay, député LR, ancien membre du groupe et, bien sûr, chasseur.
Le renouvellement de l’Assemblée nationale en 2017, avec l’arrivée de jeunes députés urbains, non chasseurs, n’est pas un frein pour Thierry Coste. Il mise sur leur fidélité à Emmanuel Macron et espère l’entrée de 150 à 200 membres dans le groupe d’études. Le chef d’orchestre de la FNC rappelle que si seuls LREM et LR ont signé les 30 propositions, des candidats frontistes ou communistes, notamment, peuvent rejoindre le groupe individuellement.
Le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot, est dans le viseur des hommes en kaki. « Il pourrait être dangereux s’il s’exprimait seul dans le gouvernement mais il ne l’est pas. Le président la République a pris des engagements », se réjouit le redoutable lobbyiste. « La Fondation Hulot et toutes les ONG font du lobbying. Tout le monde. Mais nous, nous l’assumons », martèle-t-il.
La FNC affirme donc ne pas craindre les antichasses. « Nous sommes considérés comme l’un des lobbys les plus organisés. Il y a des gagnants et des perdants », poursuit le Thierry Coste. Dans le camps adverse, on déplore une violence verbale. « Le lobby s’en prend aux personnes, il insulte et discrédite », déplore Gérard Charollois, président de Convention vie et nature, un mouvement d’écologie radicale, présenté comme le diable par les chasseurs. « Le lobby a un poids excessif sur l’appareil d’Etat. Les élus sont la courroie de transmission de la chasse car ils sont sensibles aux 20 000 adhérents de chaque département », poursuit-il.
L’électorat des chasseurs, estimé à environ 3 millions de voix, a un poids considérable. Leur volonté, globalement celle des ruraux, peut donc peser dans les décisions. Il reste disputé et n’est incompatible ni avec la gauche ni avec l’écologie. L’Association nationale pour une chasse écologiquement responsable, fondée en 1989, en est la preuve. Majoritairement à gauche dans les années quatre-vingt-dix, elle s’est rapprochée d'une droite allant de Chasse pêche nature et traditions (CPNT), né en 1989, jusqu’au Front National. Celui-ci recueille aujourd’hui 40 % de leurs voix. L’apogée du vote chasseur a quinze ans. Jean Saint-Josse, cofondateur du CPNT, avait glané 4,23 % des voix à la présidentielle de 2002, soit 1,2 million de personnes. Sa campagne avait été dirigée par Thierry Coste.
Chasser les idées reçues
La chasse peut se pratiquer en famille. La FNC multiplie les actions pour attirer plus de jeunes et de femmes parmi ses adhérents. Photo : Margaux Dussaud/EPJT
La Fédération nationale des chasseurs ne se contente pas d’enrayer la baisse de ses effectifs. elle cherche aussi à inverser la tendance. Et, dans cette bataille, les jeunesLa Fédération nationale des chasseurs ne se contente pas et, surtout, les femmes sont particulièrement visés. Mais aussi, et cela peut paraître plus étonnant, les écolos. La fédération organise une formation à l'environnement. Battre ses ennemis sur leur propre terrain.
« J’ai acheté une caméra GoPro et je fais du montage », sourit Jean Abarnou, retraité et communiquant autodidacte. Les chasseurs ont pris le virage des réseaux sociaux avec succès. Leur communication aiguisée a pour but de chasser les idées reçues et d’attirer des jeunes. Ceux âgés de 16 à 24 ans ne représentent que 5 % des chasseurs, selon une étude Bipe de 2015 pour la FNC.
Une web TV a donc été lancée en 2013. Elle totalise plus de 880 000 vues. Chasseur de France propose de tout, du journal télévisé sur l’actualité cynégétique aux recettes de cuisine. De quoi attirer un public varié. « Nous ne sommes pas à la hauteur de nos ambitions », assure pourtant Willy Schraen.
Parce qu’elles ne représentent que 2 % des effectifs, les femmes sont également une cible privilégiée de la FNC. Avec succès selon WIlly Schraen : « L’an passé, 10 % de ceux qui voulaient passer le permis de chasse étaient des femmes. » La communication novatrice mise en œuvre ces dernières années semblent donc porter ses fruits.
En face, les antichasses semblent moins organisés et moins bien structurés. Mais la bataille fait rage. « Grâce aux réseaux sociaux, nous luttons contre la désinformation prochasse d’autant que la couverture médiatique est en leur faveur », explique Jean-Paul Peronnet, secrétaire général de Convention vie et nature.
La bataille entre « pro » et « anti » se déplace jusque dans le référencement des sites web sur Google. « Nous allumons des contre-feux. Quand on tape “chasse le dimanche”, c’est l’opération “Un dimanche à la chasse” qui arrive en tête et non la demande de l’arrêt de chasser le dimanche », se réjouit Jean Abarnou.
Un dimanche à la chasse ? C'est une des dernières trouvailles de la FNC à destination des amoureux de la nature. L'opération ouvre gratuitement la pratique au grand public. Elle s’inscrit dans une découverte de la nature et d'une sensibilisation à la protection de l’environnement. « Nous vivions cachés depuis cinquante ans à cause des antichasses et c’était une erreur, reconnaît Willy Schraen. A présent, la communication sert à la transparence. En nous ouvrant, nous nous sommes aperçus qu’il y avait une meilleure acceptation et qu’on attirait la jeunesse. »
La Fédération nationale des chasseurs finance également des actions d’éducation à la nature, en particulier pour les scolaires. Elle a dépensé 1,1 million d’euros en 2015 pour toucher 500 000 personnes. La FNC a ainsi lancé un site web, Ekolien. « Notre action nous permet d’être reconnus. Les chasseurs agissent plus qu’ils ne communiquent », explique Guy Guédon, président de la commission éducation à la nature à la FNC dans une vidéo de la web TV.
On l’a vu, les chasseurs se veulent des gardiens de la biodiversité. Sur la base d’une étude qu’elle a commandée, la FNC vante les services rendus par les chasseurs à la nature et à la société. « Les services environnementaux », notamment l’aménagement des milieux naturels comme le replantage de haies, s’élèveraient à 460 millions d’euros par an. « Ils le font à titre de propagande », s’insurge Gérard Charollois.
« Nous avons un vrai discours sur la politique environnementale qui va plus loin que l’éducation à la nature. Nous sommes contre les pesticides ou le glyphosate et pour davantage d’espaces naturels », rétorque Thierry Coste. Ce qui n’arrange pas les discussions avec les agriculteurs et les forestiers. « Le travail de la FNC, ce n’est pas juste “touche pas à ma chasse”, poursuit le lobbyiste. Nous devons convaincre les non chasseurs que nous avons une utilité, qu’il y a des règles et que nous sommes plus écologistes que beaucoup d’autres écologistes. L’éducation à la nature s’inscrit dans une logique totale. »
Mettre la société au tableau de chasse
La chasse ne fait plus l'unanimité dans la société française. Noémie Le Page/EPJT
Malgré l’importance des moyens déployés par la FNC pour conserver et étendre son influence, la chasse reste associée à une image négative dans la société. Illustré dans le débat public par les sondages, le rejet de la pratique est palpable. Un sondage Ifop dévoilé par Le Monde montre que 84 % des Français sont opposés à la chasse à courre. En 2016, ils étaient même 79 % à vouloir l'interdiction des fusils le dimanche.
Le sujet du partage de la nature reste cependant sensible. Plus de 70 % des Français ne se sentent pas en sécurité quand ils se baladent dans la nature. Un constat qui montre, malgré toutes les opérations de séduction, une relative impuissance de la FNC. Ultime tentative, celle-ci a signé une charte avec le président des randonneurs de France. « Les efforts vont dans les deux sens », rappelle Willy Schraen.
Si, pour le moment, le lobbying assure l'avenir de la chasse, du moins dans la législation, l’évolution des mœurs (protection des animaux, véganisme, armes etc.) risque cependant de fragiliser son empire.