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Les enfants gâtés et les parents débordés nourrissent un marché juteux. Tout une économie s’organise autour des goûters d’anniversaire. Les birthday planners abondent. Ces agences organisent de A à Z la fête du bambin. Enquête au pays des bonbecs et des paillettes.
Par Thomas Desroches, Alice Kachaner, Axel Nadeau
Au salon, une comédienne s’affaire pour peaufiner les derniers détails de son animation : ballons, guirlandes, pyramide de bonbons, baguette magique, gobelets personnalisés… Sandrine est efficace, elle fait ce métier depuis quinze ans. Il lui reste peu de temps pour brancher sa sono et troquer sa salopette noire pour un costume de fée bleue à tutu. Au menu du jour, Black M, Soprano, Kids United. C’est la troisième année que les parents de Roxane ont recours aux services d’un birthday planner, une société spécialisée dans l’organisation de goûters d’anniversaires pour enfants.
Le goût de la fête
Alice Kachaner/EPJT
L’agence prend tout en charge : décoration, animation, spectacle de marionnettes mais aussi goodies, ces cadeaux qu’on distribue à la fin de la journée aux petits invités.
« Nos clients travaillent énormément, ils veulent faire plaisir à leurs enfants et se décharger de cette tâche qui, il faut l’avouer, est un peu stressante », explique Valérie Gombert, fondatrice de la société Difadom à Boulogne-Billancourt.
Mais la tranquillité a un prix : il faut compter entre 170 et 450 euros pour des prestations classiques chez un birthday planner.
Un budget largement au-dessus de la moyenne nationale. Selon une étude menée par Junior City, les parents dépensent un peu plus de 80 euros, soit 10 euros par personne pour organiser l’anniversaire de leur enfant. Seulement 16 % des parents ont déclaré avoir dépensé plus de 150 euros.
La part du gâteau
John Haddad – Johnny pour les intimes – organise des goûters d’anniversaires depuis vingt-deux ans. Assis derrière le comptoir de sa boutique d’articles de fêtes, entre perruques à paillettes et canons à confettis, cet ancien animateur du Club Med a vu le marché évoluer.
En 1996, quand il crée Aussitôt-fête, seules trois autres sociétés proposent d’organiser des fêtes d’anniversaire en région parisienne. Aujourd’hui, John doit faire face à une soixantaine d’agences concurrentes, sans compter les animateurs de centres de loisirs et les comédiens qui montent leur propre affaire.
« Tous les mois, des petites jeunettes ouvrent leur agence. Mais il y en a autant qui ouvrent et qui ferment », confirme Valérie Gombert.
Si ces prestations étaient auparavant réservées aux catégories socio-professionnelles supérieures, elles tendent à se démocratiser pour toucher les classes moyennes.
« Certains se saignent pour offrir ça à leur enfants », atteste John. Françoise Armandin est une adepte de cette formule, qui permet de marquer le coup sans pour autant avoir à gérer une dizaine d’enfants dans son appartement. Maman de deux garçons de 9 et 11 ans, elle n’envisage pas de ne pas célébrer l’anniversaire de ses fils et met un point d’honneur à se renouveler : « Tous les ans, nous nous réunissons pour savoir ce que nous allons bien pouvoir organiser. Il faut que ce soit à leur image. »
Cette année, c’était patinoire. Pour ses 12 ans, Mathis, l’aîné, rêve d’une virée en montgolfière dans le parc de Javel à Paris.
Les birthday planners ne sont pas les seuls à se positionner sur ce marché juteux. Les milieux urbains offrent en effet toute une gamme d’anniversaires en extérieur: bowlings, patinoires, piscines, ou encore musées veulent aussi leur part du gâteau.
Les parcs d’attraction en intérieur Royal Kids sont un poids lourd sur le marché. Avec leurs 64 parcs franchisés ils organisent 42 000 anniversaires d’enfants chaque année, surtout pour les enfants de 4 à 8 ans. Fort de ces 25 % de croissance annuelle, la franchise espèrent atteindre les 75 parcs d’ici fin 2018.
McDonald’s attire principalement les enfants de 7 et 8 ans avec une vingtaine d’anniversaires par restaurant et par mois. Les garçons de 9 à 12 ans qui passent leur anniversaire à l’extérieur préfèrent le Laser Games. Il est choisi par 16 % d’entre-eux.
Stress et paillettes
Bénédicte prend part à la fête de sa petite fille. Alice Kachaner/EPJT
Ce sont encore les mères qui prennent le plus souvent en charge l’organisation du royal birthday. Les pères, quant à eux, « représentent à peine 10 % de mes clients », témoigne John Haddad.
Siham, la maman de Stella, a fait appel à Etoile des Rêves, un birthday planner du 16e arrondissement de Paris, pour les 8 ans de sa fille. « L’important, c’est que Stella s’éclate et qu’elle garde de beaux souvenirs », précise-t-elle, téléphone portable à la main pour immortaliser cette journée d’exception.
Pas de pression pour elle, la boum de Stella se déroule dans les locaux du prestataire. Tandis que sa fille danse avec ses copines et une comédienne, Siham découpe le gâteau qu’elle a apporté elle-même. Si la maman n’a pas pris la formule la plus onéreuse qui comprenait le goûter, elle aura quand même dépensé 350 euros uniquement pour la location de la salle.
Certains parents en arrivent à redouter ce moment de fête. Françoise avoue être soulagée quand la période des anniversaires est passée : « C’est toujours un mélange de plaisir et d’inquiétude. »
Et ce n’est pas la sociologue Régine Sirota qui la contredira. Dans son ouvrage, Les Civilités de l’enfance contemporaine, l’anniversaire ou le déchiffrage d’une configuration, elle explique que face à une « parentalisation de moins en moins évidente » l’anniversaire est devenu un « rite d’intégration sociale qu’il s’agit de réussir< ».
Le stress des parents est entretenu par la pression sociale et la publication de nombreux articles prescripteurs sur le sujet. Ainsi voit-on fleurir, dans la presse et sur divers blogs, les tables de la Loi de la fête parfaite : « Dix conseils pour réussir le goûter d’anniversaire de votre enfant » (L’Express, 28/05/2015), « Six idées pour organiser le premier anniversaire de bébé sans se ruiner » (drolesdemum.com), « Fêtes d’anniversaires : les erreurs à éviter » (magicmaman.com).
Caroline Rapin, maman de trois garçons qui vit dans le 16e arrondissement de Paris, a choisi de faire appel à des birthday planners suite à une expérience d’anniversaire particulièrement stressante : « Il me restait plus d’une heure sur le planning et je n’avais plus d’activité à leur proposer ! Dans la panique, je cherchais sur mon téléphone, des idées pour combler le temps. »
Une situation qui a sans doute inspiré les créatrices du blog My Little Day. Gabriella Toscan du Plantier et Dorothée Monestier, qui posent volontiers dans Point de vue, ont créé leur start-up en 2010.
L’objectif : venir en aide aux parents branchés et débordés qui souhaitent célébrer l’anniversaire de leur progéniture dans l’élégance et le raffinement. Leur blog propose des articles de décoration mais aussi des idées d’activités et des déroulés types de goûters d’anniversaire, avec le détail de la journée par demi-heure. Un art de vivre pour ces deux entrepreneuses et leurs clientes.
« Les mamans sont fières quand elles font une belle décoration, elles peuvent la montrer à leur entourage et sur les réseaux sociaux ». C’est un vrai enjeu pour certaines », explique Alicia, leur collaboratrice.
Pour le sociologue Claude Martin, auteur de Être un bon parent, une injonction contemporaine, cette obsession de l’anniversaire parfait résulte d’un changement profond de la société. Les parents ayant aujourd’hui moins de temps à accorder à leur enfant, ils chercheraient à se déculpabiliser en leur offrant un anniversaire hors normes.
Car l’enfant n’a jamais autant été au centre de toutes les attentions. L’anniversaire devient l’illustration de cette valorisation : « On célèbre le petit roi aux pieds duquel on vient déposer des cadeaux », explique Jean-Pierre Le Goff, philosophe et sociologue.
Dans le cas des familles les plus aisées, l’anniversaire peut prendre des proportions énormes. Julie Lucie est marionnettiste pour Luciole spectacles. Lorsqu’elle travaillait à Monaco, elle était souvent sollicitée pour des anniversaires hors du commun. « Certains nous ont demandé des gros animaux, c’était tout juste s’il ne fallait pas qu’on ramène un tigre », plaisante-t-elle.
Elle se souvient de l’anniversaire d’une fillette de 8 ans pour laquelle le café de Paris, lieu chic de la principauté, avait été privatisé. La maman avait choisi le thème du cirque et donc commandé un gâteau en forme de chapiteau, payé un DJ déguisé en clown… « La mère était vraiment pénible, peste Julie. Nous avions interdiction de ranger avant le départ du public. »
Dans le Grand Hôtel de Bordeaux on trouve des anniversaires proposés par la société Plume et Caramel sur le thème de Marie-Antoinette. Au programme, pendant presque trois heures : des costumes somptueux créés par la maison de couture pour jeune fille Mademoiselle P Paris, des maquilleurs et des coiffeurs à disposition, des pâtisseries et des macarons aux goûters… Une prestation facturée 950 euros.
Tout le monde dit happy birthday
Fée Sandrine jamais en panne d’inspiration. Alice Kachaner/ EPJT
L’émission américaine My Sweet 16, lancée en 2005 par la chaîne MTV, s’est emparée du phénomène de l’anniversaire. Le programme met en scène des familles fortunées pendant l’organisation des 16 ans de leur adolescent. Trônes en or, voitures de luxe, villas avec piscine… Rien n’est trop beau pour l’enfant roi.
Au Mexique, on marque le passage à l’âge adulte des jeunes fille avec la Quinceanera. Cet événement, qui marque l’anniversaire des 15 ans, est considéré comme tout aussi important qu’un mariage. La journée commence par une messe.
Toute la journée, les jeunes filles paradent. Et, le soir, lors du bal, elles sont présentées à des prétendants, de deux à quinze jeunes garçons qui doivent partager une danse avec elles. Les princesses d’un soir sont ensuite couronnées d’un diadème, plus ou moins orné selon les bourses.
Si l’anniversaire tient aujourd’hui un rôle prépondérant dans nos sociétés, il n’en a pas toujours été ainsi. Au Moyen Âge, il avait une tout autre signification. Dans le catholicisme, l’ « anniversarum » désignait la commémoration de la mort. Pour les grands auteurs chrétiens de l’époque, la date de naissance n’avait aucune importance. Le mérite d’une vie ne pouvait être jugé qu’à la mort d’une personne.
Sous l’influence de l’humanisme et du protestantisme, les auteurs commencent à privilégier la vie. Les nobles s’offrent alors des cadeaux le jour de l’anniversaire et le jeune Louis XIII insiste pour qu’on lui chante le Te Deum, qui consiste à louer Dieu, le jour de sa naissance.
Stop à la surenchère
Beaucoup de parents préfèrent cependant la sobriété aux fêtes clé en main proposées par les agences. C’est le cas du journaliste François-Xavier Maigre. Ce papa de trois enfants a publié dans La Croix une tribune intitulée « Survivre à un goûter d’anniversaire ».
Récemment, il a fait appel à un jeune scout pour l’anniversaire d’un de ses enfants et s’est alors senti très coupable : « J’ai l’impression que l’on marchande nos môme. On pourrait tout de même dégager du temps, quitte à ce que ça ne soit pas parfait. »
«Si on est constamment gavé, on ne désire plus rien»
Boris Cyrulnik
Un constat partagé par Isabelle Turcot, comédienne pour la compagnie Enfet’anime. Elle reste dubitative face aux raisons qui poussent les parents à faire appel aux birthday planners. « À mon époque on allait jouer dans le jardin, on se créait des histoires » objecte-t-elle.
Le psychiatre Boris Cyrulnik abonde dans ce sens. Il parle d’enfants fatigués par des sollicitations incessantes. « On ne peut désirer que ce qui manque, déplore-t-il. Si on est constamment gavé, on ne désire plus rien ».
À l’anniversaire de Roxane, Sandrine maquille rapidement quelques enfants. Un peu de rouge aux lèvres, des paillettes et des arabesques au coin des yeux… Tout son programme est chronométré à la seconde près : « Il faut garder un œil sur tout, toujours recentrer le groupe. Les enfants ont tendance à se disperser, c’est très dur de capter leur attention. » Car certaines petites têtes blondes aimeraient parfois échapper aux regards des adultes.
Mais la comédienne annonce déjà la fin de la pause bonbons et boissons. Les yeux ronds comme des billes de Dragibus, les enfants s’éloignent à regret du buffet acidulé. « Je suis toujours la plus pressée pour retourner faire des activités », s’exclame Sandrine en reprenant sa baguette magique.