Au cœur de Paris, la soirée du rallye Cheverny bat son plein, rythmant le calme de la nuit. Photo : Élise Gilles/EPJT
Théo TOUCHADu palais de Tokyo au salon du Louvre, en passant par l’Elysée-Montmartre, nombreux sont les lieux parisiens qui accueillant des rallyes dansants. La péniche Le Quai en fait également partie. L’embarcation plonge les lycéens dans un univers de luxe et d’abondance.
Par Elise Gilles et Théo TOUCHAIS
« Ce soir c’est un petit rallye »
Sur la péniche Le Quai, un peu à l’écart des autres, il est impossible d’entrer sans être invité : trois vigiles bloquent l’entrée. Ils veillent à ce que chaque arrivant présente son carton d’invitation et sa carte d’identité et n’hésitent pas à fouiller les sacs à la recherche d’alcool ou de stupéfiants.
Les invités sont accueillis sous la verrière du ponton où se retrouvent également les fumeurs. Deux jeunes hommes prennent immédiatement en charge sacs et manteaux. Pour entrer, le pointage est essentiel. Il permet de lister les personnes présentes et de savoir qui manque à l’appel. Une dernière étape est inévitable avant de profiter enfin de la soirée : se présenter en bonne et due forme aux quatre familles qui reçoivent. Cette marque de politesse est une tradition, gage de respect et signe de gratitude pour l’invitation.
À l’intérieur du bateau, les adultes occupent l’espace plus confortable qui leur est réservé. Ils profitent de la soirée tout en surveillant les lycéens, encore peu nombreux sur la piste de danse. Sur l’estrade, un photomaton est pour conserver un souvenir de l’événement. L’ambiance est encore timide en ce début de soirée.
Les invités, pour la plupart des habitués, se retrouvent entre amis. Tous se sont mis sur leur trente-et-un : les garçons sont vêtus d’un costume et d’une chemise claire avec une cravate sombre. Les jeunes filles arborent des robes de soirée, plus somptueuses les unes que les autres. L’élégance est de rigueur : le port des talons est obligatoire, tout comme le maquillage. Tous ont sorti leurs plus beaux bijoux : montres luxueuses et colliers en or complètent des tenues déjà sophistiquées.
Les deux DJ tentent de réchauffer l’ambiance. Le personnel, lui, est déjà en action. Les serveurs parcourent la salle, plateaux garnis à la main, en évitant de bousculer les invités. Un des photographes est sollicité par un jeune : « Hé, chef ! Prends-moi en photo ! » ordonne-t-il.
Les buffets sont sans cesse réapprovisionnés : mini-hamburgers, tartelettes, toasts au saumon ou au foie gras, feuilletés ou sushis accompagnent les coupes de champagnes et les mojitos servis par les barmans.
et cultivent le mystère. Chaque rallye est organisé par une association ou une entreprise autour d’une thématique (châteaux, oiseaux, famille royale) et d’une tranche d’âge. Ils se déclinent ensuite en journées, soirées, activités aux frais des familles, et ce tout au long de l’année.
Un milieu de codes et d’argent
Pour entrer dans un rallye, il faut obligatoirement connaître quelqu’un qui fait déjà partie du réseau et se soumettre à quelques obligations. La plupart font signer une charte comportant des règles de bienséance : répondre aux invitations, se présenter aux parents qui reçoivent, remercier l’hôte en partant. Deux règles sont communes à tous : les hommes doivent inviter les femmes à danser et ces dernières sont obligées d’accepter. Il faut aussi s’habiller de manière distinguée.
Il y a aussi des exigences économiques à respecter. L’inscription au rallye coûte une centaine d’euros en moyenne. Être un garçon ou une fille importe beaucoup lorsque l’on entre dans ce monde. Le budget dépensé est beaucoup plus important pour les femmes. Selon la tradition, ce sont elles qui doivent recevoir et donc organiser les soirées dansantes. Cela représente « une charge de 3 000 à 10 000 euros en général », indique Mme Lanquet, membre du rallye Cheverny.
Dès l’âge de 8 ans, les familles inscrivent leurs enfants aux rallyes pour ne pas se retrouver sur liste d’attente. Le cycle démarre à 12 ans en moyenne pour les filles contre une ou deux années de plus pour les garçons. Pendant deux ans, les collégiens enchaînent les sorties culturelles, sportives et les loisirs dans des groupes non mixtes. L’année suivante, ils se retrouvent pour des jeux de cartes, de casino et du billard.
Garçons et filles consacrent ensuite leur quatrième année à des cours de « rock » une fois par mois, au cours desquels ils apprennent aussi à danser la valse et le madison. C’est à ces occasions que les familles des garçons reçoivent. Ils finissent leur cycle de rallyes par des soirées dansantes, organisées deux fois par mois pendant tout leur lycée, voire pendant un an en études supérieures. Il existe même des soirées mondaines pour les trentenaires célibataires qui souhaitent trouver un conjoint du même milieu social.
Ces jeunes, tous en classe de première ou de terminale, ont l’habitude de se retrouver dans ce type de lieux. Charlotte, membre du rallye, n’est pas impressionnée par cette réception. « Pour moi, ce soir, c’est un petit rallye. J’ai déjà assisté à des soirées dans des châteaux avec plus de 700 personnes », confie-t-elle. Pourtant, l’organisation d’un tel événement n’est pas accessible à tous : « Pour l’organisation de ce rallye, nous devons être aux alentours de 4 000 euros », calcule Mme Lanquet.
Pour les habitués du milieu, le rallye est un cercle ouvert puisqu’ils y rencontrent de nouvelles personnes au-delà de leur établissement scolaire et de leur quartier. « Avant, ces événements étaient un moyen de rencontrer des personnes de son rang. Aujourd’hui, c’est juste une occasion de faire la fête, explique Mme Lanquet. Nous tenons à faire plaisir à nos enfants, qu’ils s’amusent. » De nombreux cris et rires couvrent parfois la musique et témoignent de l’ambiance. Dans l’espace fumeur, trois Luxembourgeoises discutent à l’écart du groupe. Conviées par l’une des familles, elles sont venues spécialement pour l’occasion. Elles avouent pourtant se sentir mal à l’aise : « On rencontre toujours les mêmes personnes, les gens ne se mélangent pas. En réalité, ils se rassemblent surtout entre eux. »
Les millefeuilles, les mousses et les macarons ont remplacé les petits fours. La soirée bat son plein. Il est presque 2 heures du matin lorsque les DJ lancent le signal de fin de soirée : Les lacs du Connemara de Michel Sardou. Les jeunes, habitués à terminer leurs soirées de la sorte, se prennent tous dans les bras en chantant avant de quitter les lieux et de s’engouffrer dans leur Uber. –