Snapchat Discover

cap sur une audience plus jeune

Depuis septembre 2016, Paris Match, Le Monde et L’Équipe sont les trois titres de presse écrite à avoir intégré Snapchat. Une place de choix pour essayer de conquérir une audience qui leur échappe : les 15-25 ans. Produire du contenu natif nécessite cependant de s’adapter aux codes de la plateforme.

 

Par Mathilde Delacroix

Au troisième étage du bâtiment du groupe Lagardère, à Levallois-Perret, Marion Mertens, rédactrice en chef digitale de Paris Match, a réuni ses troupes pour une conférence de rédaction. Dans la petite salle vitrée, cinq jeunes de moins de 30 ans sont assis. Smartphone dans une main, comme un prolongement de leur bras et, dans l’autre, un stylo qui griffonne sur un carnet. Plus qu’une plateforme leur permettant d’échanger des photos et vidéos éphémères avec leurs amis, Snapchat est devenu le support sur lequel ils publient tous leurs articles.

Arrivée sur les écrans de smartphone en 2011, l’application au petit fantôme a bien grandi depuis. Ce qui n’était au départ que le projet de trois étudiants de l’université de Stanford – Evan Spiegel, Bobby Murphy et Reggie Brown – est aujourd’hui coté en bourse, à Wall Street depuis mars 2017. Aux Etats-Unis, la section Discover a été intégrée en janvier 2015 à l’application. Depuis septembre 2016, cette fonctionnalité est aussi testée en France. Elle permet aux utilisateurs de Snapchat d’avoir accès, gratuitement, à de l’information de qualité, créée par une poignée de médias du pays.

Ces contenus sont, comme tout ce qui passe par Snapchat, éphémères et disponibles seulement pour vingt-quatre heures. En France, huit médias ont été choisis : Le Monde, Paris Match, L’Équipe, Konbini, Cosmopolitan, Vice, Melty et Tastemade. Auxquels se sont ajoutés Society, L’Express, MTV, Vogue et La Crème du gaming. Des titres aux lignes éditoriales bien différentes afin d’éviter les doublons et permettre aux utilisateurs de lire des contenus divers et traités de manières différentes (lire plus loin). Pour avoir une place dans son 

espace premium, Snapchat a cependant posé ses conditions : les rédactions doivent publier, sept jours sur sept, une édition d’au moins dix « cartes » (pages de contenus) et constituer une équipe dédiée.

Les rédactions des médias concernés ont donc dû réorganiser leurs équipes, embaucher de nouvelles personnes. Elles ont surtout dû repenser leur manière de raconter l’information. Un défi pour tous, surtout pour Le Monde, Paris Match et L’Équipe, qui ont plus de mal que les autres médias présents sur Discover à séduire une audience jeune.

En intégrant l’espace premium proposé par Snapchat, l’enjeu principal pour les médias est avant tout de partir à la rencontre d’un public presque inconnu : la génération Z. Ces jeunes, nés à partir des années quatre-vingt-dix, sont un public volatile qui utilise les réseaux sociaux comme principale source d’information. Un public difficile à capter par les médias traditionnels. Si Snapchat n’est utilisé que par un Français sur cinq, ce sont plus de 60 % des 15-24 ans qui l’utilisent, selon Médiamétrie. L’application se classe ainsi en troisième position, derrière les deux géants, Facebook et YouTube, utilisés respectivement par 83 % et 75 % des 15-24 ans. Snapchat a été également l’application la plus téléchargée sur l’App Store en 2016.

Le graphisme, première préoccupation

Retour à Paris Match où la conférence de rédaction bat son plein. Les six personnes de l’équipe dédiée à Snapchat réfléchissent aux sujets qui composeront la prochaine édition publiée sur la plateforme. Des photos postées par Julia Roberts sur Instagram, une vidéo d’un chien qui fait le buzz sur Facebook… Les propositions tournent, pour la plupart, autour de sujet people ou décalés. « Des étudiants américains planchent sur un médicament qui serait capable de guérir la gueule de bois, propose Marion Mertens. Ça serait intéressant d’en faire un article plus long, c’est un sujet assez vendeur. Mais je ne sais pas comment on va pouvoir l’illustrer… »

Une conférence de rédaction normale, ou presque. Chaque fois qu’un sujet est abordé, la question de son illustration vient dans la foulée. Snapchat a beaucoup modifié le rapport des journalistes à l’image. « Aujourd’hui, ils ne doivent pas seulement écrire des articles mais aussi penser à comment intégrer des éléments visuels et/ou graphiques », explique Delphine Soulas, journaliste spécialiste de Snapchat pour strategies.fr. S’il n’y a pas d’images pour illustrer un article, même si l’idée est intéressante, les journalistes font alors le choix de ne pas le diffuser. « L’image, c’est l’essence même de Snapchat. » Emmanuel Alix, directeur du pôle numérique de L’Équipe, est catégorique. « Une animation réussie, c’est ce qui va faire que les lecteurs vont vouloir approfondir un sujet ou aller au bout de l’édition. »

De nouvelles compétences dans les rédactions : les motion designers

D’ailleurs, les rédactions ont toutes fait appel à des compétences qu’elles n’avaient pas, ou peu, auparavant : les motion designers. Chez Paris Match, L’Équipe ou Le Monde, ils représentent souvent plus de la moitié des équipes dédiées à Snapchat Discover. A la fois artistes et techniciens, les motion designers se glissent à la place des utilisateurs de Snapchat et s’approprient les codes de la plateforme et des réseaux sociaux. Sarah Androuin, motion designer chez Paris Match, est absorbée par son écran. Elle anime des paquets de chips aux couleurs criardes sur un fond coloré pour illustrer un article sur la pénurie de chips au Japon. « Les utilisateurs aiment les sujets décalés, explique-t-elle. Et les animations doivent l’être aussi, être très rythmées et colorées, pour taper dans l’œil des lecteurs. »

A gauche, Sarah Androuin en train de créer un snap en motion design.
A droite, le résultat. Photo et capture Mathilde Delacroix/EPJT

En veille permanente sur les contenus produits par les autres médias, les motion designers puisent leur inspiration directement sur les réseaux sociaux. Si avoir une équipe constituée de jeunes de moins de 30 ans est un avantage, faire évoluer les graphismes en même temps que les attentes des utilisateurs est un exercice périlleux. « A 28 ans, je me sens déjà vieille par rapport aux utilisateurs de Snapchat et j’ai parfois l’impression d’être en décalage avec les animations que je conçois », glisse Sarah. Alors quand créer un snap prend au moins une heure et que chaque édition en compte au moins dix, la solution la plus rapide est souvent de « réutiliser au maximum les animations qui fonctionnent bien ».

Sur Discover, « recycler » est le maître mot des équipes pour gagner du temps et optimiser l’investissement. « Les articles publiés sur Snapchat par L’Équipe ne sont pas des contenus originaux, faits exclusivement pour la plateforme, dévoile Emmanuel Alix. Ce sont des sujets qui ont déjà été publiés sur le web ou le print. Mais on les réécrit en adaptant le ton pour donner un regard décalé sur le sport. » Un article de quelques lignes sur le web pourra par exemple être transformé en deux cartes. A Paris Match aussi, les contenus du magazine, reportages ou photos, mais aussi des dépêches susceptibles d’intéresser les utilisateurs de Snapchat, sont réutilisés.

Si Paris Match recycle certaine de ses productions Web ou Print sur Discover, il lui arrive aussi de privilégier le fantôme. L’annonce de la séparation des deux jeunes peoples a été développé sur Snapchat et juste mentionnée sous un diaporama pour le Web. Capture d’écran EPJT

Quand Paris Match, L’Equipe ou Le Monde renvoient l’image d’une publication « sérieuse », diffuser des contenus décalés sur Snapchat, n’est-ce pas courir le risque de perdre son identité éditoriale ? « Même si on s’adresse à un public plus jeune, il faut tout faire pour garder l’identité du Monde, tout en étant plus pédagogique et ludique dans la manière de donner l’information. C’est un vrai exercice de style », confirme Jean-Guillaume Santi, responsable de Snapchat Discover au Monde.

Mais pour Emmanuel Alix, le côté décalé n’est pas forcément hors ligne éditoriale puisqu’il est déjà présent sur le site de L’Équipe, à travers la rubrique #What the fuck. « Un média se doit d’aller chercher d’autres publics pour se renouveler, et pour capter ces nouveaux lecteurs il faut savoir les intéresser et leur parler différemment sans pour autant baisser en qualité et en exigence éditoriale. Il ne faut donc pas faire n’importe quoi », avertit Delphine Soulas.

De Trump au congé paternité en passant par les balles de lumière au dessus de la Russie, pour traiter des informations sur Snapchat, Le Monde veut garder son identité tout en étant pédagogique et ludique. Capture d’écran EPJT.

La présence des médias traditionnels sur Snapchat induit des changements dans leur manière de travailler mais, paradoxalement, publier du contenu sur Discover les ramène aussi à des pratiques fondamentales du journalisme de presse. « La temporalité est proche de celle d’un média traditionnel papier », commente Jean-Guillaume Santi. En effet, les éditions Discover du Monde et de L’Équipe sont publiées tous les jours à 17 heures quand celle de Paris Match est actualisée à 6 heures le matin. Les équipes ont donc, comme dans la rédaction d’un titre papier, la pression du bouclage et la satisfaction d’un produit terminé en fin de journée.

Par ailleurs, les snaps de chaque média sont également construits et réfléchis de la même manière que les pages d’un journal, avec une « une », dont le principal objectif est d’être incitative et de piquer la curiosité du lecteur, mais aussi un sommaire. « Comme dans un journal traditionnel, on réfléchit au déroulé de notre édition pour créer un enchaînement logique, en soignant particulièrement l’ouverture et le contenu de fin », ajoute Emmanuel Alix (L’Équipe).

Les médias ont également le choix de traiter l’information dans des formats différents, en utilisant deux types de « cartes » : le « top snap », où l’information est racontée brièvement en une seule carte, et le « bottom snap », où l’information est donnée de manière plus complète (voir illustrations ci-dessous).

Top snap…

Le top snap, à gauche (Le Monde), est l’équivalent d’une brève. L’information est donnée en une seule carte grâce à des animations (textes, images, gif, emojis…) qui durent 8 secondes et se répètent.

…ou bottom snap ?

Le bottom snap, à droite (Society), se compose d’une carte « d’appel », qui doit donner envie au lecteur
de glisser son pouce vers le haut pour avoir accès à un article plus complet. Les articles ne sont pas animés, mais peuvent être ponctués de photos ou vidéos.

Une pratique bien loin, donc, de ce qui se passe sur le Web où « les articles sont publiés pêle mêle et les lecteurs ont l’embarras du choix dans ce qu’ils vont pouvoir lire », pointe Marion Mertens. Si l’arrivée des médias sur Discover a modifié certaines de leurs pratiques, « au fond, le métier de journaliste reste le même : donner une information vérifiée, fiable, l’expliquer de la façon la plus claire possible pour son lecteur et la mettre en contexte », nuance Delphine Soulas.

« Montrer que L’Équipe n’est pas une marque ringarde et que ce n’est pas seulement le journal du père ou du grand-père »

Emmanuel Alix, directeur du pôle numérique de L’Équipe

Les médias qui ont intégré Discover ont, dès le début, dû déployer de gros investissements pour créer des équipes dédiées sans savoir quels seraient les retours. L’enjeu premier, revendiqué par les médias, est avant tout celui de l’audience. Snapchat est la plateforme qui parle aux jeunes, ce que les médias ont, eux, plus de mal à faire. Être visible sur Discover est donc « un moyen de mettre le titre dans la main des 15-25 ans et leur faire découvrir notre savoir-faire », résume Jean-Guillaume Santi.

Pour Emmanuel Alix, cela signifie aussi rajeunir l’image du média, « montrer que L’Équipe n’est pas une marque ringarde et que ce n’est pas seulement le journal du père ou du grand-père ». Delphine Soulas de compléter : « Ils espèrent ainsi créer une habitude de lecture de la marque, un réflexe qui se poursuivra quand les lecteurs auront grandi et qui pourra se transformer en abonnement payant. »

Une conquête qui a un frein : Snapchat est une plateforme très « fermée » dont l’objectif est de garder l’utilisateur le plus longtemps possible sur l’application. « L’hypertextualité est complètement absente. La seule interaction possible est de faire une capture d’écran pour l’envoyer à ses amis », expliquent Leticia Barros Soares et Julliane Brita Dos Santos, autrices de Snapchat : un regard sur la production de contenus dans Discover. Il est donc impossible pour les médias de rediriger les lecteurs sur leur site et ainsi gagner de l’audience sur le Web. « Même en ancrant le titre du journal dans la tête des plus jeunes, cela ne signifie pas qu’ils vont aller l’acheter. Mais nous devons quand même gagner notre vie… Et ça se fait grâce à la pub », résume Emmanuel Alix.

Les annonceurs 
en ligne de mire

Car derrière la conquête d’une nouvelle audience se cache un autre enjeu : la recherche de nouveaux annonceurs. Les utilisateurs qui consomment les snaps créés par les rédactions le font de manière totalement gratuite, ils n’ont rien à payer pour télécharger l’application ni pour avoir accès à son contenu.

Donc tous les trois snaps, les médias ont la possibilité de vendre des espaces publicitaires. Ces revenus sont ensuite partagés, de manière égale, entre le média et Snapchat. Les annonceurs ont petit à petit, eux aussi, intégrés la plateforme dans leur plan média, apportant ainsi des revenus supplémentaires. Au bout de sept mois de présence sur Discover, un seul média a rentabilisé son investissement : L’Équipe, avec 4 millions de lecteurs sur l’application chaque mois.

Quant à savoir si Snapchat résistera ou deviendra obsolète sitôt une autre application sortie, cela ne semble pas inquiéter les responsables des éditions Discover qui restent lucides. « On tâtonne, on fait des tests. Pour nous, Snapchat est une sorte de lab’ dans lequel on peut expérimenter de nouveaux moyens de raconter l’information », souligne Jean-Guillaume Santi  du Monde. « Même si l’application s’arrête un jour, on aura toujours ces compétences là et on pourra les adapter ailleurs… », complète Emmanuel Alix.

Un savoir-faire acquis sur l’application qui pourra toujours être utilisée pour d’autres. Capture d’écran EPJT

Depuis l’arrivée de Discover en France, le temps passé sur l’application a été multiplié par trois

A la fin de l’histoire, le grand gagnant, c’est Snapchat. Depuis l’arrivée de Discover en France, le temps passé sur l’application a été multiplié par trois et les utilisateurs sont deux fois plus nombreux à en lire les contenus, révèle le quotidien Les Échos. Si Facebook ou Twitter acceptent d’héberger le contenu de tous ceux qui s’y inscrivent, avec Discover, Snapchat est davantage dans une logique d’éditeur. A la manière d’un kiosque numérique, l’application n’accorde une place dans son espace qu’à ceux qui respectent les règles qu’il a imposées. « C’est la garantie d’avoir des contenus de grande qualité et donc d’attirer des utilisateurs nouveaux, un peu plus âgés, comme les 25-35 ans, qui aujourd’hui portent la croissance de Snapchat », détaille Delphine Soulas.

A l’heure où le mobile est devenu « la nouvelle voie d’accès à l’information », ces puissantes entreprises que sont Facebook, Google, Twitter ou Snapchat, concentrent « le marché de l’attention et les recettes publicitaires et exercent une influence sur des médias contraints d’adapter leurs pratiques » pour correspondre aux exigences de ces plateformes et de leurs utilisateurs. « La production de contenus natifs (Stories, Snapchat Discover, Instant Articles de Facebook, Apple News…, NDLR) est presque devenue aussi conséquente que celle de contenus ‘‘propriétaires’’, redirigeant vers le site ou l’application originale », analyse Gautier Roos, directeur de la prospective chez France Télévision, dans un article sur Méta-média.

Des « liaisons dangereuses » qui rendent les médias de plus en plus dépendants de ces plateformes et de l’audience qu’elles génèrent.

 

« Snapchat propose un format révolutionnaire pour la publicité »

 

Les revenus publicitaires sont un des éléments qui rendent Snapchat Discover attractif pour les médias. Mais qu’en est-il pour les annonceurs ? L’agence KR Média gère le budget média de grandes marques comme Guerlain, Louis Vuitton ou Sephora, toutes présentes sur l’application la plus plebiscitée des 15-25 ans…

 

Guillaume Pfeiffer est 
responsable de la cellule achat sur les réseaux sociaux, KR Média.

KR Media est une des seules agences médias en France à inciter ses clients à diffuser de la publicité sur Snapchat. Quel est l’intérêt pour les marques d’être présentes sur cette plateforme ?
Guillaume Pfeiffer. On a choisi de proposer à nos clients d’aller sur Snapchat d’abord pour le côté innovation. De nombreuses marques veulent être perçues comme innovantes, donc elles veulent aller sur ce genre de plateformes. Le deuxième élément, c’est l’audience. Sur Snapchat, 90% des utilisateurs ont entre 15 et 30 ans. C’est exactement l’audience que des marques comme Sephora ou Guerlain vont chercher : des femmes jeunes mais capables d’aller en magasin acheter leurs produits.

Avant l’ouverture de la section Discover en France, les marques pouvaient déjà acheter de la publicité sur Snapchat. La présence de médias a-t-elle changé les choses pour les annonceurs ?
G. P. Sur Discover, les annonceurs viennent chercher une « caution de marque ». C’est-à-dire qu’ils savent que les contenus proposés par les médias sont sans risque pour leur image. Leurs publicités sont diffusées dans un espace premium où les utilisateurs sont attentifs à ce qu’ils voient. Au contraire, dans le cas de publicités diffusées entre les stories (publications personnelles des utilisateurs, NDLR), les marques ne connaissent pas le contenu qui précède leur publicité. Si, par exemple, ce sont des images pornographiques ou violentes, cela va discréditer l’image de la marque. C’est d’ailleurs pour cela qu’une publicité diffusée sur Discover coûte deux fois plus cher, 8 euros les 1 000 vues, contre 4 euros pour les publicités à l’intérieur des stories.

Les annonceurs peuvent-ils choisir le média dans l’édition duquel ils veulent diffuser leurs publicités ?
G. P. Il y a deux manières d’acheter la publicité. Soit directement auprès de Snapchat, soit auprès des médias. Dans le premier cas, la marque peut demander à Snapchat de cibler davantage les femmes, les hommes ou une catégorie spécifique d’âge. En fonction, Snapchat diffusera la publicité sur l’édition Discover d’un média qui capte la cible demandée par l’annonceur. La marque peut aussi acheter son espace de pub directement à un média. Beaucoup demandent de voir leurs publicités exclusivement diffusées sur les éditions Discover du Monde, parce que c’est le média qui a l’audience la plus aisée. D’autres préfèrent apparaître dans les éditions de Melty, parce que c’est un média qui s’adresse particulièrement aux jeunes.

« Les jeunes sont une cible très difficile à atteindre en publicité. Ils connaissent la pub, savent la reconnaître même quand elle est cachée »

 

Snapchat propose un format très différent de la publicité que l’on connaît actuellement. Ce sont donc autant de contraintes pour les annonceurs…
G. P. Le format vertical imposé par Snapchat a souvent été un frein créatif pour les marques qui ont plus l’habitude du format horizontal de la télévision. Pourtant, de plus en plus, la publicité verticale se développe, que ce soit sur les mobiles mais aussi avec la multiplication des écrans verticaux dans la rue, les aéroports ou les centres commerciaux. Snapchat propose un format révolutionnaire pour la publicité. A la télévision, une pub va durer trente ou quarante secondes et le nom de la marque est généralement dévoilé à la fin. Sur Snapchat, la publicité ne fait pas plus de dix secondes et l’utilisateur a le pouvoir de la zapper immédiatement, d’une simple pression sur l’écran. La publicité doit donc très rapidement faire passer son message et séduire l’utilisateur.

Les médias viennent sur Snapchat parce qu’ils ont du mal à capter une audience jeune sur leurs supports traditionnels. La publicité a-t-elle, elle aussi, du mal à toucher un public jeune ?
G. P. Les jeunes sont une cible très difficile à atteindre en publicité. Ils connaissent la pub, savent la reconnaître même quand elle est cachée et comprennent comment elle fonctionne. Pour qu’ils la reçoivent de manière positive, il faut savoir se différencier de ce qui se fait déjà. Par exemple, les marques peuvent être présentes sur Snapchat grâce à des filtres que les utilisateurs peuvent ajouter à leurs photos. Dans ce cas là, ils jouent avec la marque, se déforment le visage grâce à ce filtre et ainsi, ils n’ont pas l’impression que c’est de la publicité. Ils ne la subissent pas. Face au ras-le-bol grandissant des usagers envers la pub, on voit, et on verra, apparaître de plus en plus la publicité native, qui s’intègre au site en adoptant ses codes et qui est mieux perçue par les usagers.

Le Journalisme numérique

« À l’ère des réseaux sociaux, des smartphones et du big data, les rédactions ne cherchent pas seulement
des reporters accomplis, mais aussi des virtuoses du Web. » Directrice adjointe de l’école de journalisme
de Sciences Po Paris, Alice Antheaume analyse comment le numérique en général et l’information
sur mobile ont bouleversé le journalisme.
Antheaume Alice, Le journalisme numérique. Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), « Nouveaux Débats », 2016, 208 pages.

Malaise dans la publicité

Raphaël Roy, entrepreneur dans les nouvelles technologies et conseiller en stratégie, diagnostique les maux des annonceurs. Une « crise identitaire » selon lui, qui pousse la publicité à se réinventer, voire à se déguiser parfois. Comme c’est le cas avec la publicité native sur Snapchat.
Roy Raphaël, « Malaise dans la publicité », Le Débat, vol. 189, no. 2, 2016, pp. 184-192.

Sous la pression des industries du numérique

Sur Snapchat, médias et annonceurs espèrent conquérir les plus jeunes, un public qui leur échappe souvent. Sophie Jehel, maître de conférence en science de l’information communication, analyse comment les enfants sont devenues les cibles des entreprises médiatiques, dès leur plus tendre enfance.
Jehel Sophie, « Les pratiques des jeunes sous la pression des industries du numérique », Le Journal des psychologues, vol. 331, no. 9, 2015, pp. 28-33.

Et aussi…

Le Monde vs Konbini : un même sujet, 
deux traitements différents

Parler aux utilisateurs de Snapchat demande aux journalistes d’adapter leur langage et les sujets qu’ils choisissent. Derrière ce ton plus décalé la ligne éditoriale de chaque média subsiste grâce à un dosage bien réfléchi entre information et divertissement.

Entre les deux tours de l’élection présidentielle, Le Monde et Konbini ont tous les deux publié sur Snapchat Discover une édition spéciale dédiée aux résultats du premier tour. Un même sujet, abordé de deux façons totalement différentes, dans le respect de leur ligne éditoriale respective.

Konbini a imaginé une édition avec des contenus totalement décalés. Elle commence ainsi : « Un Français sur cinq serait prêt à s’expatrier en fonction du résultat de la présidentielle », suivi par un article qui détaille les résultats donnés par cette étude.
Le sujet d’ouverture choisi par Konbini est le plus « sérieux » de son édition, puisque tous les snaps qui suivent sont décalés et humoristiques, directement à destination des jeunes utilisateurs. La seconde carte est un article qui regroupe les réactions les plus drôles des internautes sur Twitter, après les résultats du premier tour. Les suivantes sont dans le même esprit : un article sur les hommes politiques dont on sait qu’ils écoutent du rap et un autre sur les « pires délires des dictateurs », pour terminer avec un article intitulé « Weed et politique, qui est pour, qui est contre ? ».

 

Traitement présidentielle
Konbini fait de l’information originale et décalée sa marque de fabrique. Que ce soit sur Snapchat ou sur son site Internet, le divertisssement et les contenus insolites occupent la place centrale.

L’édition du Monde publiée sur Discover entre les deux tours est à l’image des différents supports du titre : beaucoup plus riche en informations qu’en divertissement. Le sujet est traité en partant des résultats du premier tour de l’élection, les « enjeux d’un duel Macron, Le Pen ». L’édition reprend également les réactions des principaux candidats après les résultats, et évoque les chiffres de l’abstention. Contrairement à Konbini, qui, pour cette édition spéciale a utilisé les bottom snaps à de nombreuses reprises, Le Monde a surtout eu recours aux top snaps, en développant les informations principales en quelques points. De longs portraits de chacun des deux candidats restants ont aussi été publiés.

Par ailleurs, on remarque également à quel point l’aspect visuel est très différent d’un média à un autre. En effet, pour séduire les utilisateurs de Snapchat, Konbini réutilise tous les codes utilisés sur les réseaux sociaux : couleurs vives, photomontages, ponctués par des émojis utilisés sur chaque carte. Au contraire, Le Monde a plutôt recours à des contenus plus sobres et épurés mais très travaillés, avec, par exemple, une bannière se répétant sur chaque snap, des fondus de couleurs, des infographies ou encore des dessins.

Sur Discover, comme sur leur site Internet ou édition papier, chaque média possède son propre univers graphique. Chacun parvient également à conserver sa ligne éditoriale, malgré les contraintes posées par la plateforme et les attentes d’un public très jeune.

Cependant, pour Konbini et les autres médias présents sur Snapchat, comme Vice, Melty, Cosmopolitan et Tastemade, qui s’adressent déjà à un public jeune, parler aux utilisateurs de Snapchat semble beaucoup plus évident et naturel que pour les titres de presse traditionnels que ce sont L’Équipe, Le Monde et Paris Match. Ces derniers courent davantage le risque de trahir leur identité éditoriale en choisissant des sujets qui plaisent aux jeunes ou en adoptant un ton plus pédagogique, décalé ou humoristique. Néanmoins, cela leur permet de rajeunir leur image et de réaffirmer leur présence auprès des utilisateurs de Snapchat.

Traitement présidentielle