Les drones sont entrés dans Paris. Dans la nuit du 23 au 24 février, on les a vus survoler l’ambassade américaine, la place de la Concorde et la tour Eiffel. La nuit suivante, on les a repérés dans le nord est de la capitale, puis près de la tour Montparnasse. De quoi affoler les rédactions et la police. Alors, assiste-t-on à la grande attaque des drones ? Pas vraiment si on en croit la Fédération professionnelle du drone civil (FPDC) interrogée par le parisien.fr. Elle penche en effet pour l’utilisation de drones de loisir et non de modèles professionnels. Ce qui n’est guère étonnant quand on sait que ces joujoux extra high-tech ont connu un franc succès à Noël. Les rayons des grandes surfaces leur ont fait la part belle au moment des fêtes.
Par Clarisse BOULAIN, Thomas CHATRIOT et Quentin RAILLARD
Nous avons voulu passer en revue les problèmes que pose un secteur au développement anarchique :
– Une réglementation stricte mais mal connue
– Vers une saturation du marché
– Trop de formations différentes
– Des images «pousse au crime»
– Pas d’Eldorado du drone
Une réglementation stricte mais mal connue
« Il peut voler jusqu’à 2 kilomètres de son point de départ et fait de très belles images. Par exemple lors des compétitions sportives en extérieur. » Kévin, vendeur à la Fnac de Tours, vante à ses clients les mérites du AR Drone 2.0 de Parrot . Mais ce qu’il oublie de préciser, C’est que ces exploits sont interdits. La loi ne permet pas à un drone de s’éloigner à plus de 150 mètres de son pilote ni de sortir de son champ de vision. Le survol d’une foule est également prohibé, pour des raisons de sécurité. Un drone, victime d’une panne, peut se transformer en projectile de plusieurs kilos soumis à la gravité. Il est également interdit de photographier un groupe de personnes sans leur accord, pour des questions de droit à l’image.
Ces règlementations sont le fait de la Direction générale de l’Aviation civile (DGAC) qui a dû adapter celles initialement prévues pour les hélicoptères et les ULM afin d’encadrer ce nouveau phénomène de société. Les drones désignent cette catégorie de robots télécommandés comprenant aussi bien des engins pilotés par des professionnels que des gadgets de loisir. Et c’est là tout le problème. Considérés comme des jouets, ces objets volants, du plus basique (un aéromodèle à quatre hélices) au plus complexe (un appareil muni d’une caméra et doté de fonctions automatisées), sont en vente libre en grande surface.
Si les professionnels sont au fait des lois qui encadrent leur utilisation, les simples amateurs sont peu voire pas informés. Une ignorance qui pourrait s’avérer problématique : le cabinet de conseil Deloitte prévoit que plus d’un million de drones civils seront utilisés dans le monde en 2015. Et la France représente le deuxième marché derrière les États-Unis.
La DGAC fait sept recommendations pour le bon usage des drones.
Vers une saturation du marché
L’image est une des raisons du succès commercial des drones. Prendre des vidéos spectaculaires depuis le ciel était jusqu’à présent la chasse gardée des hélicoptères. Nombre de pilotes amateurs et de professionnels ont rapidement flairé la poule aux œufs d’or. Les entreprises de prises de vues aériennes se sont multipliées dans toute la France en quelques années. Ainsi, 93 autorisations de vol ont été délivrées par la préfecture d’Indre-et-Loire en 2014 contre seulement 18 en 2012.
Cette autorisation est nécessaire pour survoler une agglomération. Elle est réservée aux professionnels enregistrés à la Chambre de commerce et d’industrie, qui doivent également être titulaires d’un brevet théorique de pilote. Sébastien Duveau, directeur de la société Une image à part remplit ces deux conditions. Photographe et vidéaste professionnel depuis plus de six ans, il a commencé à utiliser des drones en 2012 : « Le marché arrive à saturation tant les entreprises sont nombreuses. Pour se maintenir, une boîte doit donc proposer plus de services que la simple prise de vue aérienne. Pour moi, le drone n’est qu’un outil qui sert à raconter une histoire d’une certaine manière, je ne m’en sers pas systématiquement. »
Car on ne peut pas tout faire avec un drone. L’hélicoptère qui filme le Tour de France a de beaux jours devant lui. Contrairement aux petit robots volants, il est capable de voler sur de longues distances pendant plusieurs heures. Et peut embarquer une caméra pour filmer des paysages aussi bien que des gros plans.
Trop de formations différentes
L’arrivée des drones a tout de même apporté un nouveau souffle au monde de la photographie professionnelle en crise. Si Sébastien Duveau a choisi de s’associer à un pilote pour manœuvrer ses drones, beaucoup de photographes veulent se former au pilotage pour pouvoir ensuite travailler seuls. Ainsi, la demande de formation est largement supérieure à l’offre. Et ce, même s’il existe un grand nombre de centres de formation. Celles-ci sont souvent dispensées par des professionnels agréés par la DGAC, qui proposent cette activité en plus de celle de prise de vue aérienne.
Olivier Deneuvis, fondateur d’Aérofilms, société crée en 2009 dans la région lyonnaise, doute de la légitimité de certains à dispenser des formations. « Il y en a qui n’ont que très peu d’expérience dans le domaine. Il leur a suffi de valider quelques dizaines d’heures de vol pour que la DGAC les reconnaisse comme centre de formation. » Petit bémol, chaque formateur adapte son offre en fonction du minimum légal pour être reconnu centre de formation et ajoute des modules à la carte en fonction de ce qu’il estime nécessaire pour ses élèves. Et facture le tout à sa convenance. Résultat : il n’existe pas deux cursus de formation identiques.
Pour pallier ce problème, la DGAC planche avec l’aide des entreprises sur la mise au point d’un brevet d’état de pilotage spécifiquement dédié aux drones. Une certification qui ne serait plus basée sur le brevet d’ULM.
Adrien, son drone et la loi par asjtours
Des images «pousse au crime»
Afin de ne plus être pris de court par des vols interdits, EDF et l’armée sollicitent les professionnels lors d’exercices de simulation d’intrusion de drones sur des sites sensibles. La tâche est ardue : la petite taille des drones les fait passer pour des oiseaux sur les radars, si toutefois ils apparaissent sur les écrans. Certes, ils sont susceptibles d’être abattus aux abords des sites militaires mais leur agilité les rend difficiles à viser. Une autre solution consisterait à brouiller leur signal radio mais les pilotes peuvent aisément protéger leur fréquence, voire en changer. Et un drone intercepté en plein vol risque de retomber, devenant alors un projectile incontrôlable. Troisième solution que les autorités ont révéle à l’occasion de la dernière invasion de drones sur Paris, le drone attrap-drone : il faudra encore tester leur efficacité.
Autant de paramètres à prendre en compte pour espérer faire respecter la loi dans l’espace aérien. Olivier Deneuvis d’Aérofilms reste dubitatif quant à la fermeté des pouvoirs publics vis-à-vis des pilotes voyous : « D’un côté, ils disent vouloir combattre les intrusions de drones et de l’autre, les sanctions envers ceux qui font n’importe quoi sont trop légères. » Si légères que pour obtenir de belles images, certains pilotes font fi de la loi et des mesures de sécurité. Une concurrence déloyale pour les exploitants qui jouent le jeu et refusent les demandes de leurs clients lorsqu’elles sortent du cadre de la loi. « L’image est un pousse-au-crime. Certains sont prêts à faire n’importe quoi pour que leurs vidéos fassent le buzz », résume Olivier.
Pas d’Eldorado du drone
Le monde du drone professionnel se divise en deux catégories. Celle des passionnés d’images, pour qui le drone est un outil et celle des passionnés de modélisme et de mécanique, qui veulent faire progresser la technologie. Sébastien Mexmain est de ceux-ci. Bricoleur passionné, il construit ses propres drones depuis 2007. L’année dernière, il a monté l’entreprise Visadrone pour vivre de sa passion. Comme bien d’autres, il propose de la prise de vue aérienne. Mais lui travaille surtout pour l’industrie, dans le suivi de chantiers ou la topographie. « Tout reste encore à découvrir dans l’univers du drone. Les améliorations technologiques vont ouvrir toujours plus de possibilités et d’applications. »
La Fédération professionnelle du drone civil estime que 80 % des exploitants font de la prise de vue. D’ici deux ans, ils pourraient n’être plus que 40 %. Les moins solides risquent ainsi de mettre la clé sous la porte alors que des opérateurs spécialisés vont arriver sur le marché. Au lieu de la prise de vue, ceux-ci proposeront de la captation et du traitement de données. Détecter quelle parcelle d’un champ a besoin d’eau et à quelle dose, est ainsi l’une des applications à l’étude sur les drones civils qui seront utilisés dans les années, voire les mois à venir.
On observe un paradoxe entre un marché saturé et les opportunités à venir. Tous les professionnels s’accordent à dire que se lancer dans l’aventure du drone civil aujourd’hui est voué à l’échec, mais voient un avenir radieux pour leur entreprise dont les carnets de commande sont bien remplis. Peut-être que ce discours masque la crainte de voir arriver davantage de concurrents chaque fois qu’un exploitant arrive sur le marché. Une chose est sûre, le secteur ne laisse pas de place aux amateurs. « Beaucoup pensent qu’il suffit d’un drone acheté en grande surface pour s’improviser professionnel de la prise de vue aérienne, avec la promesse de gagner beaucoup d’argent très vite, résume Sébastien Duveau. Mais il faut avoir prévu un business plan solide et posséder de bonnes connaissances en image et en mécanique. Et surtout, avoir un bon réseau pour trouver des clients. »
Si on peut parler de marché prometteur, il ne faut donc pas voir dans les drones un Eldorado.
Le marché arrivant à saturation, les start-up du drone doivent se démarquer : proposer de nouveaux services pour ne pas mettre la clé sous la porte. Antoine Machon et Antoine Lagarde, les patrons de Drone Contrast, on fait de cette nécessité leur stratégie commerciale. Les deux chefs d’entreprise, âgés tout juste de 25 ans, livrent les ingrédients de leur réussite.
Cette formation se fait en double-commande, comme à l’auto-école. Ainsi, les instructeurs ont la main sur le drone de leur élève en cas de problème. Pour valoriserleurs connaissances techniques, les deux jeunes ingénieurs proposent à leur clients d’améliorer des drones vendus dans le commerce. Ceux-ci peuvent alors effectuer des tâches bien précises comme par exemple, la prise de vue en caméra thermique, utilisée dans le BTP.
Le fournisseur principal de Drone Contrast est le constructeur chinois DJI. Leurs drones sont programmés pour ne pas dépasser un rayon de 100 mètres autour du point de décollage conformément à la loi, et leur vitesse maximum de oscille entre 60 et 70 kilomètres/heure.
Les deux entrepreneurs ciblent une clientèle haut de gamme. Il leur était donc indispensable d’acheter du matériel pointu dès le départ. « À la création de la boîte, nous avions déjà investi plusieurs milliers d’euros. C’est comme la bourse, il faut prendre des risques pour réussir. » Et après ? La machine Drone Contrast semble bien lancée, et les deux jeunes patrons envisagent d’embaucher un salarié. En plus du stagiaire de leur ancienne école.