Le sport amateur sur la touche

Pour le club de rugby de Tours, il est de plus en plus difficile d’équilibrer le budget. Photo : Tanguy Homery/EPJT

À cinq ans des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, le sport amateur français s’essouffle. Financements en baisse, contrats supprimés, les petits clubs sont dans le rouge. L’Agence nationale du sport, mise en place à partir d’avril 2019, ambitionne de résoudre les problèmes.

Par Paul Abran, Tanguy Homery et Chloé Rebaudo

En entrant dans le gymnase, le froid est saisissant. Sur les deux courts du club de tennis de Montlouis-sur-Loire (Indre-et-Loire), une quinzaine de jeunes joueurs s’entraînent sans répit pour se réchauffer. Clément, leur coach, passe d’un groupe à l’autre pour les conseiller. Régulièrement, les balles viennent s’écraser avec fracas contre la vitre du bureau du président.

Serge Stocker observe avec attention les joueurs auxquels il tient : « En un an, on a gagné six adhérents. C’est énorme dans le contexte actuel. » Car, depuis quelques années, les finances du club fonctionnent à flux tendu. Auparavant aidé par l’État et le département, « aujourd’hui il n’y a plus rien ». Heureusement, les bénévoles répondent encore présent pour faire fonctionner la structure.

« Je n’ai rien à envier à mes autres potes entraîneurs », assure Clément pour qui la bonne ambiance entre les adhérents est une motivation importante. « Le président est derrière moi, il me soutient dans tous les projets que je veux entreprendre. » Si le président semble réussir à garder la tête hors de l’eau, il craint que le bénévolat ne puisse garantir la stabilité du club. « Revenez dans dix ans quand ça aura explosé. »

Un budget qui s’essouffle

Les adhérents du club d’athlétisme A3T à Tours profitent d’une piste quasi-neuve et de nombreux entraîneurs. Photo : Chloé Rebaudo/EPJT

Voté en lecture définitive le 20 décembre 2018 à l’Assemblée nationale, le projet de loi de finances (PLF) qui prévoit le budget de l’État pour 2019 fait polémique. Entre 2018 et 2019, l’enveloppe consacrée à la « promotion du sport pour le plus grand nombre » a baissé de 30 %. Le gouvernement espère tout de même atteindre 3 millions de pratiquants supplémentaires d’ici 2022.

Moins de budget mais plus de pratiquants, les acteurs du mouvement sportif s’interrogent. L’économiste du sport Jean-François Bourg, notamment, s’inquiète de l’avenir du sport amateur : « Je ne comprends pas le désengagement de l’État alors que le sport est le premier mouvement social en France. » Le budget de l’État diminue, les contrats aidés sont progressivement supprimés depuis 2016 et les collectivités territoriales sont encouragées à faire des économies. Résultat, le sport amateur souffre.

Au ministère des Sports, la baisse du budget alloué au sport pour tous s’explique par un transfert de fonds non utilisés en 2018 dû à une surévaluation des cotisations salariales prévues pour les arbitres. Toutefois, elle n’a pas empêché d’augmenter la part consacrée au «développement du sport de haut niveau ». Celle-ci augmente de 10 % par rapport à 2018, passant de 209 à 230 millions d’euros.

Serge Stocker, président, et clément Debackere, entraîneur de l’AS Montlouis Tennis, lors de l’entraînement des plus jeunes. Photo ; Tanguy Homery/EPJT.

Une augmentation qui permettrait de mieux organiser les jeux Olympiques de Paris en 2024. Au-delà du résultat sportif de la France aux JO, le Comité national sportif et olympique (CNOSF) mise sur l’héritage de l’événement. « Nous souhaitons faire de la France une nation de culture sportive », explique Bernard Amsalem, vice-président du CNOSF.

Pour cela, il s’appuie sur les chiffres du baromètre national des pratiques sportives publié par le ministère des Sports le 17 janvier 2019. D’après l’enquête menée à l’été 2018, 52 % des Français ont une pratique sportive régulière quand un quart de la population souhaite exercer une nouvelle activité.

Grâce à ses bons résultats, l’A3T est un club qui se porte bien. Une exception dans un contexte de financements en baisse pour le sport amateur. Photo : Chloé Rebaudo/EPJT

Pour y arriver, l’engagement financier de l’État doit concerner l’ensemble de la population et pas seulement le sport d’élite. C’est pourquoi le CNOSF a lancé une pétition contre la baisse des moyens dans le sport français le 21 septembre 2018. Après deux baisses budgétaires consécutives et la suppression de 1 600 postes techniques au sein du ministère des Sports, la démission de la ministre Laura Flessel, le 4 septembre, a été l’événement de trop.

Régis Juanico, député et vice-président du groupe de travail « Organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024 » à l’Assemblée nationale, tempère dans un tweet cité par 20 minutes :

Et malgré les rumeurs concernant la situation fiscale de l’ex ministre, il confirmera sa position au journal, le 5 septembre 2018. « Je maintiens que sa démission est liée à des raisons de moyens. Elle était prise en tenaille entre des objectifs extrêmement ambitieux fixés par le président de la République (augmentation du nombre de pratiquants, 80 médailles aux JO) et la faiblesse des moyens mis à sa disposition. »

Pour les petits clubs, les jeux Olympiques semblent loin tandis que les besoins financiers sont urgents. Eric Thomas, président de l’Association française de football amateur (Affa), affirme qu’en France, 4 000 clubs de football ont été contraints de mettre la clé sous la porte ces quatre dernières années, faute de moyens. La situation des petites structures, il la connaît bien lui qui fut président du club de football de Montlouis-sur-Loire, près de Tours.

Au Comité d’organisation des jeux Olympiques (Cojo), le président et ancien champion olympique Tony Estanguet tente de rassurer les acteurs du mouvement associatif sportif. Il partage l’inquiétude des clubs quant au désengagement de l’État mais assure tout de même que les JO auront un héritage propice au développement du sport pour tous. Avec, notamment, de nouvelles infrastructures et une demande de pratique accrue à l’issue de l’événement. Mais, pour le moment, les clubs doivent se serrer les coudes et trouver des solutions à court terme pour ne pas finir dans le rouge.

Garder la tête hors de l’eau

Situé sur les bords du Cher à Tours, le TAC a besoin d’un budget conséquent pour assurer son fonctionnement. Photo : Tanguy Homery/EPJT

La part des fonds que reçoivent les clubs est de plus en plus réduite. Quatre acteurs se partagent le financement du sport amateur. Les collectivités territoriales en sont les principaux financeurs avec 13 milliards d’euros versés aux clubs chaque année.

En comparaison, l’État a une part bien moindre puisqu’il donne environ 850 millions d’euros, ce qui représente un peu moins de 1 % du PIB français.

Les entreprises privées, elles, investissent entre 3,5 et 3,7 milliards d’euros. Quant aux fédérations, leurs budgets dépendaient du Centre national pour le développement du sport (CNDS), une entité publique rattachée au ministère des Sports. Une entité qui a disparu.

Quel que soit le sport, l’entretien du matériel est un véritable problème financier. Photos : Paul Abran/EPJT

Ces subventions ne sont pas suffisantes et les clubs doivent s’en remettre aux cotisations des adhérents pour équilibrer leur budget. Des cotisations qui représentent parfois la moitié de leur budget.

À l’AS Montlouis tennis (Indre-et-Loire) cette année, 27 000 euros proviennent des inscriptions. Les six nouveaux joueurs inscrits cette saison ce sont 1 000 euros supplémentaires, de quoi réjouir Serge Stocker, le président. D’autant que la structure a perdu ses financements liés au CDOS (comité départemental olympique et sportif) et au CNDS.

Pour continuer de proposer des entraînements aux adhérents, la structure de Montlouis s’est associée à trois autres clubs afin de partager le salaire d’un entraîneur (30 000 euros l’année). Ils ont ainsi formé le Gevet ou Groupement d’employeurs du Vouvrillon et de l’est tourangeau.

Mais faute de moyens, seuls deux clubs font encore partie de ce groupement : Montlouis-sur-Loire et Saint-Martin-le-Beau. Le premier, qui compte le plus grand nombre d’adhérents, prend désormais en charge 87 % du salaire de l’entraîneur. Et en fin de saison, le constat est souvent le même. Les comptes sont tout juste à l’équilibre, avec un manque de 500 euros.

Pour soutenir les associations, la région Indre-et-Loire a mis en place un dispositif d’aide. Le Cap’Asso a pour objectif de soutenir sur trois ans un projet, sportif ou non. Jusqu’en décembre 2018, pouvaient s’ajouter les aides du CNDS, régressives sur quatre ans.

Pour en bénéficier, il fallait répondre à divers critères sociaux établis par l’administration publique tels que : être dans un territoire en développement ou dans des quartiers prioritaires de la ville (QPV)… Mais les critères pouvaient changer tous les ans.

Les moyens du CNDS provenaient notamment de différentes taxes sur la Française des jeux (FDJ) ou sur les droits payés par les chaînes télévisées pour obtenir les retransmissions d’évènements sportifs (taxe Buffet).

L’Andes regroupe les élus en charge des sports de l’Hexagone et d’Outre-mer. Elle leur permet d’échanger sur les politiques sportives des villes et de représenter les intérêts des collectivités locales auprès de l’Etat et du mouvement sportif.

Plusieurs acteurs ont suggéré de modifier ce système de prélèvement afin que davantage d’argent revienne au sport amateur. L’Association nationale des élus en charge du sport (Andes) et le CNOSF veulent déplafonner ces taxes.

En effet, actuellement, la taxe sur la FDJ s’élève à 1,8 % sur chaque achat. « Or, sur chaque acte, seulement 1 % est redistribué au sport pour tous, le reste allant à l’État », s’insurge Bernard Amsalem. Lui souhaite que l’intégralité de la taxe revienne au sport amateur.

Mais seuls 10 % des clubs sollicitaient le CNDS. Le ministère des Sports a donc décidé de supprimer ce service à compter du 31 décembre 2018 pour laisser place à l’Agence nationale du sport.

L’agence qui va tout sauver

Photo : Chloé Rebaudo/EPJT

La nouvelle agence devait être mise en place en mars. Mais son lancement a finalement été repoussé au 15 avril. Elle doit placer tous les financeurs du sport au même niveau : État, fédérations et collectivités territoriales. Ces trois entités devront décider, avec les financeurs privés, la répartition des moyens alloués au sport.

Pour sa première année de fonctionnement, l’agence est censée bénéficier d’un budget de 350 millions d’euros. « C’est bien pour démarrer », estime Bernard Amsalem qui participe à la création de l’agence.

Le budget de l’agence provient en grande partie des fonds qui étaient alloués au CNDS. « L’agence aura deux piliers : un bras sur le haut niveau, qui va disposer de 90 millions et un bras sur le développement [les financements en direction du sport amateur, NDLR] qui va disposer à peu près de 260 millions », détaille le président du CNOSF, Denis Masseglia.

Ces planches ont été réalisées dans le cadre d’un partenariat entre l’Ecole publique de journalisme de Tours et l’Académie Brassart-Delcourt, à Paris.

Si les bienfaits de l’agence sont régulièrement mis en avant par le ministère des Sports et le CNOSF, les délais posent questions. « 2019 sera une année de transition, prévient Denis Masseglia, on ne peut pas transformer un système vieux de soixante ans en une seule année. »

Cette transition interroge sur les moyens dont pourront disposer les clubs en 2019 : la suppression du CNDS étant déjà effective, d’où proviendront les moyens financiers ? Une critique que le président du CNOSF ne souhaite pas entendre : « Il y avait 10 % des clubs qui émargeaient au CNDS et d’un coup le CNDS devient la solution miracle. »

« Le CNDS avait l’avantage de contrôler les crédits », explique Régis Juanico. Les clubs devaient répondre à des critères sociaux pour toucher des fonds publics. Pour le député encarté à Génération.s, « les luttes sociales de l’Etat, ce sont des questions qui ne sont pas gérées par les fédérations ».

Une critique que ne peut accepter Bernard Amsalem, ancien président de la Fédération française d’athlétisme : « Nous avons été les premiers à mettre en place des actions dans les quartiers sensibles ». Et de citer le dispositif Urban athlé.

Peu importe les difficultés rencontrées, un but procure toujours la même joie aux amateurs. Photo : Chloé Rebaudo/EPJT

Mais, sur le terrain, les dirigeants de club se plaignent des fédérations. Guy Bessay, président d’un club d’athlétisme à Tours, regrette le prix trop élevé des licences. En plus de la cotisation qui revient aux clubs, les adhérents doivent payer 60 euros pour financer la FFA.

Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), association loi de 1901, est à la fois le représentant du mouvement sportif français auprès des pouvoirs publics, en particulier du ministère chargé des sports, et le représentant en France du Comité international olympique. (Wikipedia)

Problème : « Les plus jeunes payent alors que la fédération ne fait rien pour eux, elle ne leur organise pas de compétitions. »

Au club de tennis de Montlouis-sur-Loire, on critique la déconnexion de la fédération par rapport au terrain. « Si un jeune veut jouer au niveau européen, tous les frais sont à la charge de la famille » affirme Serge Stocker.

Éric Thomas, le président de l’Affa, explique cette situation par un manque de démocratie au sein des fédérations « toutes puissantes ». Selon lui, il faudrait que les représentants des clubs amateurs aient leur mot à dire dans les décisions nationales.

Une proposition de loi déposée le 23 janvier 2019 par les députés Aude Amadou et Pierre-Alain Raphan va dans ce sens : limite du nombre de mandats, mise en place du vote en ligne, transparence des décisions… La proposition de loi souhaite « rapprocher les adhérents de la vie démocratique fédérale » et « renforcer la transparence et l’éthique des dirigeants ».

Bernard Amsalem, auteur d’un rapport sur le sujet pour le ministère des Sports, propose que les fédérations ne soient plus des associations mais des sociétés coopératives d’intérêt collectif. « Aujourd’hui, plusieurs fédérations sont intéressées par ce statut car il permettrait d’associer les usagers à la gouvernance. »

Les lycéens de la section sport du lycée Grandmont de Tours s’entraînent plusieurs fois par semaine. Peu à peu, ils se spécialisent dans certaines disciplines.

L’Association Française de Football Amateur (AFFA) a pour objectifs de défendre le football amateur notamment en proposant des initiatives pour améliorer le jeu et l’esprit sportif, imaginer une gouvernance plus démocratique du football, organiser une meilleure représentation du foot d’en bas pour obtenir les moyens nécessaires à notre action de service public…

Dans les prochaines semaines, les débats autour de l’agence nationale du sport seront nombreux. Maintenant qu’une date de lancement a été fixée au 15 avril, c’est le fonctionnement précis de l’agence qui doit être déterminé. Et pour le moment, peu d’informations ont été communiquées à ce propos.

Même André Bahon, ancien responsable du CNDS en Indre-et-Loire et futur fonctionnaire de l’agence, affirme n’être « pas plus informé que la presse ». Pas de doute : les clubs vont encore devoir patienter.

Paul Abran

@abran_paul
21 ans
En première année de journalisme à l’EPJT.
Passé par Le Parisien et L’Equipe. Rédacteur pour Badzine (média web d’actualité sur le badminton). Se destine au journalisme de sport.

Tanguy Homery

@tanguy_homery
21 ans
En première année de journalisme à l’EPJT.
Stage à France Culture et à DataGueule, passé par différentes radios locales bretonnes. Se destine au journalisme radio. Sa prédilection : les sujets de société.

Chloé Rebaudo

@RebaudoChloe
22 ans
En première année de journalisme à l’EPJT. Passée par Europe 1 Sports et AFP Sports, rédactrice pour We Sport FR. Souhaite commenter les arrêts pleine lucarne.