Photo : Aurore Bayoud/EPJT
Perte de repères, conflits familiaux, séjours en prison, clochardisation… pour ceux qui ont succombé à la drogue, la pente est raide. Reprendre sa vie en main est un parcours long et compliqué. Rencontre avec ces anti-héros qui sont sortis de leur apathie et ont retrouvé goût à la vie.
Par Aurore Bayoud, Hugo Checinski et Thomas Desroches
5 heure du matin. J’ai encore rêvé d’elle, du groupe Il était une fois, résonne dans la chambre. Amel* éteint le réveil d’un geste, ouvre un œil, puis deux. Elle passe une main dans ses boucles brunes et s’étire. Elle a deux heures devant elle avant de s’en aller direction le boulot. Un petit-déjeuner, un peu de lecture, un brin de rangement… le matin, la quinquagénaire aime prendre son temps.
Penchée au-dessus du lavabo, elle corrige son rouge à lèvres vif. Un sourire à la glace, elle attrape son écharpe blanche et son duffle-coat et file en slalomant entre les cartons.
À quelques jours de son déménagement, Amel tente de mettre de l’ordre dans ses affaires. Cette après-midi, elle ira arpenter les boutiques de Paris à la recherche de nouveaux meubles.
Elle ferme la porte avec un petit sourire. Sa vie d’aujourd’hui, elle n’aurait jamais pu l’imaginer il y a dix ans. À l’époque, son quotidien se résume à gagner de l’argent pour se procurer sa drogue. D’abord serveuse, puis vendeuse, il lui est impossible de garder un emploi. Quand elle se retrouve sans revenu, elle multiplie les vols à l’étalage. « Avoir ma dope passait avant de manger et de me laver », se souvient-elle.
Son installation dans un HLM est un saut dans le vide pour Amel. Photo : Thomas Desroches/EPJT
Ce cercle vicieux l’emmène tout droit en prison. Durant ses deux mois de détention, elle fait le choix de se sevrer malgré la tentation des produits qui circulent entre les cellules. Elle recommencera à consommer le jour même de sa sortie.
Des tentatives, elle en a accumulées comme autant de cicatrices. Séjours en psychiatrie, centres de soins… elle est passée par tout un tas de structures. « J’ai même fait un enfant pour essayer de m’en sortir », en vain. Son premier garçon naît en manque. Amel n’a pas su rester éloignée de l’héroïne durant sa grossesse. Les rechutes, souvent provoquées par des mauvaises rencontres, deviennent à chaque fois plus infernales.
« J’ai souvent eu envie de mourir. À chaque fois, j’ai réussi à rebondir. Je ne sais pas ce qui m’a fait tenir, sans doute quelque chose de plus fort que moi et qui me guide. » Photo : Thomas Desroches/EPJT
Tout débute par une simple curiosité. À 19 ans, accompagnée d’un ami, Amel goûte à l’héroïne pour la première fois. Cette expérience exceptionnelle devient une habitude. Plus tard, elle prolonge sa dépendance avec la cocaïne, l’alcool, les médicaments… Un enfer qui durera trente ans.
« Me droguer me permettait d’enfouir tout ce que je ne voulais pas ressentir », raconte-t-elle. Face à un père violent et alcoolique, elle fait taire ses peines dans les produits et tente
d’échapper à l’insécurité de son cercle familial. Ses douze frères et sœurs sont tous devenus dépendants. Six y ont laissé la vie.
Depuis « un an et trente-huit jours », Amel est abstinente. Le déclic se fait en 2007, après une overdose qui la plonge quatre jours dans le coma. Devant son lit d’hôpital, le médecin est catégorique : si elle continue comme ça, elle ne se réveillera plus. Écœurée par cette souffrance, elle décide de reprendre son destin en mains de la drogue.
Dans la spirale de l’addiction, les histoires se suivent mais ne se ressemblent jamais. Pour Théo*, 23 ans et dépendant au cannabis, la prise de conscience arrive après des bouffées délirantes et le développement de psychoses.
Après des hallucinations à répétition, durant lesquelles le jeune homme se croit poursuivi par le Diable, il abdique. « Mon cerveau ne peut plus suivre, admet-il, les yeux rivés au sol. Le seul chemin qui s’offre à moi, c’est l’abstinence. »
Une minorité des usagers de drogue qui tentent un sevrage réussissent dès la première tentative. Photo : Thomas Desroches/EPJT
Sofia*, elle, s’était clochardisée dans son coquet appartement. Polytoxicomane depuis le lycée, elle était arrivée à un point de non-retour dans l’isolement. Alors, aujourd’hui, à 51 ans, elle savoure comme aucun autre le plaisir de jouer aux cartes avec d’autres.
Une philosophie que partage Omar*. Ses quelques dents en moins et les cicatrices de son visage témoignent de son passé de dépendance. Un passé qu’il a rayé après un électrochoc salvateur. Né au Congo, il commence à consommer à 12 ans. A son arrivée en France, il s’isole et devient accro aux drogues dures.
Crack, héroïne, cocaïne, cannabis, alcool… « J’ai touché à
« Je préférais être à la rue plutôt que d’affronter le regard de ma famille. »
tout. » Mais après six peines de prison, il manque de se faire expulser du pays. « J’ai toujours fui le Congo, explique-t-il d’un ton calme. Je préférais être à la rue plutôt que d’affronter le regard de ma famille. Revenir là-bas, c’était retourner en enfer. »
Ces violentes prises de conscience ne sont que le début des Douze Travaux d’Hercule. Mais elles sont une étape nécessaire au rétablissement : « Si on ne veut pas, on ne peut pas », explique Amel.
Cependant, vouloir aller mieux ne suffit pas. « J’ai essayé d’arrêter des dizaines de fois. Mais, à mon époque, il n’y avait pas autant de structures qu’aujourd’hui », se souvient-elle. En France, les services d’aide aux consommateurs de drogues sont en effet nombreux et efficaces.
« Ici, j’ai réappris à vivre. Enfin, appris à vivre même. »
Au milieu des hauts immeubles d’Aubervilliers, une petite cour avec des fauteuils colorés et des plantes. Quelques personnes fument une cigarette à l’entrée. Des canapés confortables, des murs couverts d’affiches, une grande cantine sur la droite et des salles sur la gauche : on se croirait presque dans une colonie de vacances. Des livres et des jeux de société sont également à disposition des résidents de cette communauté thérapeutique (CT).
Ici, docteurs, assistantes sociales et psychologues œuvrent pour aider la quarantaine d’anciens usagers de drogue à se soigner. Le prix ? « Quinze pour cent des revenus. Et pour ceux qui n’en ont pas, tout est pris en charge. On donne 20 euros par semaine à ceux qui n’ont vraiment rien, en guise d’argent de poche », explique Susie Longbottom, cheffe de service.
Elle ajoute : « On ne veut pas les rendre dépendants de nous, alors ils ont le droit de sortir – s’ils le justifient. L’objectif, c’est que notre travail laisse durablement des traces, qu’ils puissent se retrouver un travail et une vie stable. » La communauté thérapeutique d’Aubervilliers propose en effet un des programmes les plus stricts. Ici, la seule solution, c’est l’abstinence. Usage du téléphone à horaires définis, sortie uniquement en groupe, ménage obligatoire, repas à heures fixes, inspections des chambres… « C’est chaud, soupire Théo, qui vient tout juste d’arriver. Mais il me fallait un cadre. »
Cela ne convient pas à tout le monde. Antoine* est resté pile un an au sein de la communauté. « Au début, j’avais l’impression que c’était une prison. Je pensais : “C’est pas des hommes en blouse blanche qui ont appris la vie dans des bouquins qui vont me soigner !” Mais comme j’avais déjà foiré une première cure, je me suis dit que pour guérir, ici, c’était parfait. »
Il détient pourtant un triste record : celui du plus court séjour avant une mise à pied. « J’ai appris que mon séjour était fini il y a deux semaines.
Les fouilles et les tests d’urine sont réguliers à la CT pour éviter que des résidents introduisent des produits. Photo : Thomas Desroches/EPJT
Selon l’équipe, j’ai pris ce que j’avais à prendre… »
La cheffe de service nous glissera plus tard que la décision aura été prise après de nouvelles prises de bec : « Avec lui, c’est une lutte en permanence… On ne peut pas le forcer à être ici. »
Mais dans « la majorité des cas », ce fonctionnement porte ses fruits. Aujourd’hui clean depuis trente-deux mois, Omar est le plus ancien résident de la CT : « Ici, j’ai réappris à vivre. Enfin, appris à vivre même. »
Je t’aide, tu m’aides, je m’aide
D’autres alternatives existent. Abdelka Boumansour est le directeur général adjoint du service addiction de l’association SOS Solidarités. Opposé à la CT dans le sens où cette dernière ne voit que l’abstinence comme échappatoire, il explique : « Ici, on ne considère pas la rechute comme un échec, mais comme une étape avant de trouver une solution durable. »
L’association développe ainsi d’autres initiatives, notamment les maisons relais. Celles-ci se calquent sur le système des chambres d’hôtes : un couple vit avec les résidents, dépendants ou dans une situation précaire. Ce logement adapté a été imaginé pour des personnes qui ont été un temps marginalisées et qui ont pu retrouver un peu d’autonomie. Les résidents partagent des espaces communs et peuvent ainsi s’entraider.
Ces maison relais sont de vrais leviers d’insertion sociale, grâce à l’interaction qu’elles impliquent entre les résidents. Pourtant, elles sont encore trop peu développées. Dans toute la France, il n’y a que 8 470 places… Un
« problème foncier, selon Abdelka Boumansour. On aimerait bien multiplier les maisons relais mais c’est compliqué de trouver des logements avec des loyers accessibles. D’autant que les résidents sont souvent sans ressource… »
La réussite de ces modèles tient à la vie en communauté : le groupe devient un moteur du
rétablissement. Se confronter aux histoires des autres permet de s’identifier, de se rendre compte qu’on n’est « pas seuls dans ce cas-là ». De plus, conseiller un pair permet d’inscrire son rétablissement dans la durée.
Le Caarud : des seringues et de l’écoute
Mégane*, elle, a trouvé sa propre communauté dans un Caarud, un centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogues. Ces centres se veulent lieux de vie pour des usagers souvent isolés.
C’est mission réussie pour le Caarud de Tours. Des canapés, des livres, des jeux de société ; il n’y a peut-être que les miettes de tabac et le panier rempli de préservatifs sur la table basse qui différent d’un salon classique. Dans le hall, trois chiens attendent, attachés. Mégane se sert une tasse de café à ras-bord : « Ça aussi, c’est un peu ma drogue », rigole-t-elle.
« Au début, je ne prenais pas d’héro, mais quand j’ai vu que je pouvais avoir du matos clean… »
Au Caarud, on ne parle pas d’abstinence mais de RDR : « réduction des risques ». On y trouve donc du matériel pour tout type de consommation : des injecteurs, des « roule-ta-paille », des seringues, des cups… Tout est gratuit, emballé et prêt à l’usage. « Notre but, c’est que les consommateurs ne chopent pas de saloperies. »
Justement, Mégane a commencé à fréquenter ce centre parce qu’elle venait chercher du « matos » pour son compagnon, héroïnomane. « Au début, je ne prenais pas d’héro, mais quand j’ai vu que je pouvais avoir du matos clean… »
La trentenaire n’est donc pas abstinente : elle veut gérer sa consommation. Alors, pour éviter de dépasser ses limites, elle prend sa coke en plug anal. Grâce à cela, elle peut réguler sa consommation : « Comme ça, je n’en prends pas en soirée : je n’ai pas envie de me retrouver le cul à l’air devant tout le monde ! Et puis le sniffer, bof… Les effets sont quand même beaucoup moins intéressants. »
Après un passage de cinq mois dans la rue, sept tentatives de suicide, deux ans de violence conjugale et une consommation « problématique » de médicaments, de cocaïne et de cannabis, elle a eu la chance d’être suivie par son médecin traitant et sa psychologue. Ils lui ont permis de remonter la pente.
Johnny*, Sabrina* et Julie* sont les trois salariés de la structure. Cigarette à la main, ils le reconnaissent à demi-mot : « La seule chose qu’on demande à nos bénévoles, c’est de ne pas être mis au courant quand ils consomment dans nos locaux. Ils peuvent prendre des pauses et “aller aux toilettes”, on ne veut rien savoir. Mais pour eux comme pour nous, c’est mieux s’ils ne sont pas à cran… Sinon, l’action devient très vite pénible pour tout le monde. C’est ça, la RDR ! »
Le Caarud de Tours ouvre ses portes pour tous les dépendants qui souhaitent faire une partie de cartes ou discuter de leur situation avec les bénévoles. Enfin, seulement s’ils en ont envie… « S’ils veulent parler avec nous, on prend un café. Mais s’ils ne veulent que du matos, on ne va pas les obliger à nous raconter
leur vie. »
Le miracle des Narcotiques anonymes
Dans le 11e arrondissement de Paris, une réunion va commencer. Dans une grande salle, une cinquantaine de chaises est disposée face à une estrade. Beaucoup d’hommes s’installent, un peu moins de femmes. Tout le monde se salue joyeusement. Dans l’assemblée, le Lacoste côtoie le Nike et les comptables se mélangent avec les instits. Nous sommes à une réunion des Narcotiques anonymes (NA).
L’association fonctionne comme un groupe de parole entièrement géré par d’anciens drogués. Elle est présente dans 129 pays et prône l’abstinence totale. Organisés tous les jours et dans différentes villes de France, les rassemblements prennent place dans des locaux loués à des organisations publiques ou religieuses. Les réunions voient leurs effectifs varier selon les endroits et les horaires de la journée, allant d’une quinzaine à une quarantaine de personnes. Dès leur arrivée, les membres s’enlacent pour se saluer. Les modérateurs s’installent sur la scène.
En 2012, les quatre premières drogues consommées par les participants NA étaient l’alcool, le cannabis, l’héroïne et les médicaments. Photo : Thomas Desroches/EPJT
Lorsque la séance commence, l’assemblée cesse de discuter et l’atmosphère se tend sensiblement. A haute voix, un volontaire entame la lecture des étapes NA, des règles NA ou des traditions NA. Ensuite, tout le monde est invité à réagir à la pensée du jour et chacun lève la main pour prendre la parole.
Balayant avec indifférence les caricatures, chaque participant se présente avec le même rituel :
« Bonjour, Laurent, dépendant » auquel vient répondre un « Bonjour Laurent » collectif.
Pour s’exprimer, les NA ont quatre minutes, montre en main, et certains, coupés au milieu d’une phrase, sont obligés de rendre la parole. Dans les récits, aucun produit ne doit pas être explicitement nommé. C’est la règle. Une manière de ne pas attiser la tentation…
Parfois, des applaudissements viennent couvrir la voix de ceux qui partagent leur durée d’abstinence. Mais au fil des histoires, quelques larmes rappellent que la lutte est encore loin d’être gagnée… D’autres, au contraire, font part de bonnes nouvelles et détendent l’atmosphère, qui en a parfois bien besoin.
A la fin, tout le monde se prend par la taille, comme une équipe de rugby. Une prière, invoquant une force supérieure, sonne le glas de la réunion. Les participants ont le sourire et semblent plus lumineux qu’en entrant, comme prêts à affronter une nouvelle journée d’abstinence.
Raphaël*, membre depuis quatre ans, fait partie de ceux qui ont trouvé une porte de sortie grâce à l’association. Dépendant depuis l’âge de 13 ans, il a tout essayé pour se soigner. Sans succès. Selon lui, le partage et l’abstinence collective des NA font toute la différence. Ils sont nombreux à vouer un culte à ce groupe de parole. Comme des miraculés, ils sont persuadés de lui devoir la vie.
Le groupe permet également de sortir de l’isolement et de se sociabiliser. Un effet positif que perçoit Maxime Ruby, chef de service au Csapa Pierre-Nicole (Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie), sur certains de ses résidents : « Ils s’ouvrent davantage et s’expriment plus facilement. » Malgré tout, il reste sceptique quant à la dimension spirituelle de l’association.
Le logement d’Amel se situe tout près d’un lieu de réunion NA.
Photos : Thomas Desroches/EPJT
Amel se rend deux à trois fois par semaine aux NA depuis quinze ans. C’est elle qui est chargée d’ouvrir la salle, de préparer l’arrivée des autres membres et de modérer la rencontre. Ce rôle est accessible à tous car il n’existe aucune hiérarchie au sein des Narcotiques anonymes.
Tous les matins, elle lit la pensée du jour des NA. Ce recueil de 365 réflexions, écrit pour et par eux, accompagne ces derniers dans un « processus de transformation ». Consciencieuse, Amel commence donc chaque journée par cette lecture rituelle, puis elle médite pendant quelques minutes.
La spiritualité est omniprésente chez les Narcotiques anonymes. Selon eux, le rétablissement est possible grâce à « une puissance supérieure ». Dans les douze étapes du rétablissement définies par le groupe, on note : « Nous avons cherché par la prière et la méditation à améliorer notre contact conscient avec Dieu, tel que nous Le concevons, le priant seulement pour connaître sa volonté à notre égard et pour obtenir la force de l’exécuter. »
La comparaison avec une secte religieuse est tentante… Mais l’organisation se protège des raccourcis et l’expression « tel que nous le concevons » est soulignée. Cette notion de libre interprétation de la spiritualité est dite et répétée à l’envi et chacun a sa propre définition de la foi.
Pour Antoine, il s’agit d’une puissance intérieure qui l’aide à garder le cap. Mais dans son cas, la religion pose également un cadre et une discipline bienvenus : « Le dimanche, cela me donne une raison de m’habiller proprement, de me raser et me laver. » Pour lui, les règles sont vitales car, sans elles, il n’arrive pas à se contraindre lui-même malgré sa volonté de s’en sortir.
« Nous avons cherché par la prière et la méditation à améliorer notre contact conscient avec Dieu, tel que nous Le concevons, Le priant seulement pour connaître Sa volonté à notre égard et pour obtenir la force de l’exécuter. »
« Mourir sobre »
La foi peut donc aider à se rétablir et ne pas rechuter. Mais on peut aussi y trouver « une raison de vivre ». C’est le cas de Sofia. Elle est chrétienne mais adhère à certaines philosophies bouddhistes, comme « accepter la mort et la vie ». Elle y puise une motivation à la sobriété. Avec sa surprenante franchise, elle résume : « Je ne suis pas capable de me suicider alors autant vivre dignement et mourir sobre. »
Comme d’autres anciens toxicomanes, son rétablissement a été l’occasion d’étudier les textes sacrés. Critique, elle a appris à déconstruire les écrits et à ne pas les prendre au premier degré. « Mais je suis en quête de bonnes énergies et la foi en est remplie. »
Cette philosophie, Sofia l’a découverte essentiellement dans les livres. Ceux-là même qu’elle avait délaissés au profit de la drogue. Ils ont réapparu dans sa vie, avec un appétit renouvelé, lors de son rétablissement.
Certains poètes du XIXe siècle avaient besoin de drogue pour écrire. Aujourd’hui, c’est en la laissant derrière eux que d’anciens toxicomanes ont (re)découvert la littérature. Photo : Aurore Bayoud/EPJT
Même redécouverte pour Théo : aujourd’hui il lit quatre livres par mois, notamment sur le développement personnel. En ce moment, ce sont Les Cinq Accords toltèques qui l’occupent, un code de conduite qui permet d’appréhender le monde sereinement, de façon juste et plus saine.
Après un mois et demi dans la communauté thérapeutique, il a déjà envie de participer aux ateliers sportifs proposés par la structure. Pourquoi pas la boxe thaï ?
Au Csapa Epice, les ateliers équithérapie et slam sont plébiscités. Comme on le devine, ces loisirs permettent d’avoir une occupation, une discipline et, tout simplement, de s’évader. Rien d’original mais la plupart des anciens consommateurs de drogue n’ont pas fait de sport ni n’ont eu d’activité culturelle depuis belle lurette.
Mais, parfois, cela va bien au-delà d’un passe-temps. Pour Antoine, par exemple, c’est tout un rêve de carrière que lui a apporté l’atelier théâtre de la communauté thérapeutique d’Aubervilliers. Le jeune homme se rêve acteur, même s’il reste prudent et s’impose de rester « raisonnable ».
Veux-tu être mon ami dans l’abstinence ?
Antoine a rencontré sa première petite copine un jour où celle-ci n’avait plus de cannabis : des amis lui avaient conseillé de se renseigner auprès de lui pour s’en procurer. Ils commencent alors à se voir régulièrement pour fumer et, très vite, ils s’initient ensemble à d’autres produits.
La dégringolade classique de « deux ados mal dans leurs peaux » qui s’entraînent l’un et l’autre vers le fond… Des années de consommation plus tard, Antoine l’a bien compris : pour lui, un verre d’alcool en entraîne un deuxième, puis un pétard, puis une ligne de coke, puis un carton de LSD…
Le problème, c’est que « si j’invite une fille au bar et qu’elle commande de l’alcool, je ne veux pas paraître pour un pauvre type qui boit de la grenadine… » C’est pour cela qu’il a choisi l’abstinence mais aussi de nouveaux amis.
Comment faire pour rester amis avec ses “potes de consommation” ? Parfois, le plus simple est de tourner la page, de tout recommencer. Photo : Thomas Desroches/EPJT
Au Csapa Epice, les ateliers équithérapie et slam sont plébiscités. Comme on le devine, ces loisirs permettent d’avoir une occupation, une discipline et, tout simplement, de s’évader. Rien d’original, mais la plupart des anciens usagers de drogue n’ont pas fait de sport ni n’ont eu d’activité culturelle depuis belle lurette.
Mais parfois, cela va bien au-delà d’un passe-temps. Pour Antoine par exemple, c’est tout un rêve de carrière que lui a apporté l’atelier théâtre de la communauté thérapeutique d’Aubervilliers. Le jeune homme se rêve acteur, même si il reste prudent et s’impose de rester « raisonnable ».
Veux-tu être mon ami dans l’abstinence ?
Antoine rencontre sa première petite copine un jour où celle-ci n’a plus de cannabis : des amis lui ont conseillé de se renseigner auprès de lui pour s’en procurer. Ils commencent alors à se voir régulièrement pour fumer et, très vite, ils s’initient ensemble à d’autres produits. La dégringolade classique de « deux ados mal dans leurs peaux » qui s’entraînent l’un et l’autre vers le fond…
Des années de consommation plus tard, Antoine l’a bien compris : pour lui, un verre d’alcool en entraîne un deuxième, puis un pétard, puis une ligne de coke, puis un carton de LSD… Le problème, c’est que « si j’invite une fille au bar et qu’elle commande de l’alcool, je ne veux pas passer pour un pauvre type qui boit de la grenadine… » C’est pour cela qu’il a choisi l’abstinence ; mais aussi de nouveaux amis.
Pour beaucoup d’usagers de drogue, un rétablissement passe par de nouvelles amitiés. Pour des raisons évidentes, il n’est pas conseillé de continuer à voir les personnes avec qui on avait l’habitude de consommer. Comme d’anciens démons qu’il vaut mieux chasser pour espérer sortir de l’enfer.
Omar en est sorti, mais ces anciennes fréquentations ne sont jamais loin. QG de ses années de conso, tout le 18e arrondissement de Paris le connaît. Il a la réputation du mec qu’il ne faut pas chercher, un bagarreur. « J’étais mort de trouille alors je me suis forgé cette image de
gros dur… »
Aujourd’hui, quand il va dans ce quartier, c’est pour se rendre aux réunions NA. Très souvent, il aperçoit ses anciennes fréquentations. « Moi j’y vais avec d’autres personnes, pour d’autres raisons. Mais eux, ils sont toujours là, à se traîner. Rien n’a changé pour eux. Maintenant, on ne se dit plus rien. De toute façon, on n’avait en commun que la conso… »
« Il rêve d’une vie de voyou et nous voit dealer de la drogue ensemble… J’ai beau lui dire non, émotionnellement, je suis quand même embarqué dans ses conneries. »
Théo, lui, a déjà tiré un trait sur ses « potes de conso » : « Je veux mettre toutes les chances de mon côté. » Il compte désormais sur ses « potes de rétablissement », dont Antoine. Mais le jeune homme de 23 ans, aux yeux bleu très clair, utilise aussi Tinder pour faire des rencontres.
En cachette du moins, car ce n’est pas du tout encouragé par l’équipe de la communauté thérapeutique… Celle-ci s’inquiète du risque de déplacer la dépendance sur les relations affectives et le sexe. Un risque avéré mais, pour Théo, cette application est simplement un « moyen de rencontrer des gens sobres ».
Lui que son grand frère « n’a pas aidé ». Ce dernier l’a entraîné dans la drogue et continue aujourd’hui de l’inclure dans ses projets illicites : « Il rêve d’une vie de voyou et nous voit dealer de la drogue ensemble… J’ai beau lui dire non, émotionnellement, je
suis quand même embarqué dans ses conneries. » Au cours de son séjour à la communauté thérapeutique, il espère apprendre à être assez fort pour résister à son aîné et à prendre ses distances : « Pour ma santé, je ne peux pas le côtoyer. »
Même triste réalité pour Sofia. « J’ai appris à composer sans ma famille. Eux aussi sont névrotiques », ajoute-t-elle dans un éclat de rire. Alors ses piliers sont désormais ses nouveaux amis de rétablissement.
Quand nous l’avons rencontrée, elle était sur le point de laisser derrière elle sa chambre à la communauté thérapeutique pour emménager dans un appartement à Aubervilliers. Mais elle ne doutait pas qu’elle continuerait de rendre visite à tous ceux qu’elle a rencontrés lors de son séjour dans la communauté thérapeutique : « C’est comme quand on quitte la maison à 18 ans : on peut toujours revenir de temps en temps pour prendre le goûter. »
Ces indispensables nouveaux amis, Amel les a rencontrés aux réunions de Narcotiques anonymes. En effet, cette organisation est le point de départ de nombreuses amitiés.
Mais la force des NA réside avant tout dans les relations parrains/filleuls. Elles apportent énormément à ceux qui en bénéficient. Luc*, lors de la prise de parole qui célébrait ses deux ans d’abstinence, est longuement revenu sur l’aide que lui a fournie Pietro*, son parrain. « Il m’imposait des règles, comme de l’appeler chaque jour et, de cette façon, il a apporté une présence solide dans ma vie. » Et effectivement, les deux hommes, par d’émouvantes empoignades, témoignent d’une amitié qui s’est fortifiée au fil d’épreuves inracontables.
« Ça m’arrivait d’arriver stone au boulot. Je ne sais pas comment j’ai fait pour ne pas être viré… » Luc a réussi à conserver son travail dans l’informatique malgré sa consommation.
Tous n’y sont pas parvenus. Les professionnels qui accompagnent les ex ou actuels usagers de drogue dans la réduction de leurs problèmes proposent alors une réinsertion par l’emploi. « Leur offrir une
Pour trouver un boulot, Amel avait du reprendre des études. Photo : Thomas Desroches/EPJT
insertion professionnelle durable est indispensable pour une intégration réussie », recommande ainsi l’association Drogues et Société.
Amel est aujourd’hui en mi-temps thérapeutique comme agente d’accueil à la mairie de Paris. Elle en parle timidement, en savourant l’effet que produit la phrase dans sa bouche. Ce travail, ça a été d’abord un contrat aidé déniché grâce au Csapa Pierre-Nicole.
Csapa, Caarud, CT et associations diverses et variées, beaucoup de structures ont fait de l’insertion par l’emploi leur cheval de bataille. Chacune a sa méthode et ses propositions. Cela va du chantier d’insertion (des contrats pouvant aller jusqu’à un an, rémunérés au minimum au Smic) à la recherche de postes, en passant par des ateliers de préparation aux entretiens d’embauche ou encore des stages en entreprise.
Mais la réinsertion professionnelle passe aussi par de l’aide dans les démarches auprès de Pôle emploi ou des propositions de formation. Ainsi, le pôle Addictions du groupe SOS Solidarités affirme respecter « l’obligation d’information mais aussi l’obligation d’orientation », en tachant de rediriger chaque individu vers la structure la plus adaptée.
Le travail, c’est la santé
Et puis parfois, l’accompagnement consiste simplement à redonner suffisamment de confiance pour croire en ses objectifs. En effet, l’exclusion amène souvent les ex-toxicos à croire qu’ils n’ont ni les compétences ni les capacités à entrer ou à revenir dans le monde du travail.
Comme un bel exemple de réorientation réussie, Sofia est conquise par sa nouvelle vie d’étudiante. Avoir un boulot ou une formation en sortant de la communauté thérapeutique lui semblait essentiel. C’est chose faite : elle a passé le concours pour apprendre le métier de moniteur-éducateur, « sans trop y croire », et l’a obtenu.
Les cours ont démarré en septembre et se termineront en 2020. « Retourner à l’école à 51 ans, ça me semblait fou ! » C’est la région qui paie sa formation car Sofia touche le RSA et a décroché une bourse.
A la communauté thérapeutique d’Aubervilliers, on tâche avant tout de poser des limites objectives à la réalisation d’un projet. Autrement dit, un résident qui expose son rêve de devenir cosmonaute sera certainement amené à réenvisager son plan de carrière…
Bruno* a vu s’écrire bon nombre de parcours du combattant. Il est counselor dans la communauté thérapeutique d’Aubervilliers, c’est-à-dire qu’il est un accompagnant psychologique. C’est le personnel de la structure qui est venu chercher cet ancien héroïnomane pour qu’il aide les résidents. « Grâce à mon expérience et à mon temps d’abstinence, je peux filer un coup de main. On m’écoute car je ne sors pas de nulle part : mon savoir, je ne le tire pas des bouquins, mais de ma propre vie. »
Avoir une activité pour occuper son présent et regarder vers l’avenir. Photo : Thomas Desroches/EPJT
Pas d’activité salariée ni de formation pour Mégane, mais un engagement bénévole à plein temps. Qui convient très bien à cette hyperactive devenue bipolaire avec la drogue : « Tant que je ne serai pas reconnue travailleuse handicapée, Pôle emploi ira se faire foutre. »
Elle se rend donc au Caarud de Tours presque tous les jours de la semaine depuis un an et demi pour se rendre utile auprès des consommateurs. Passée de militante (consommatrice qui donne de son temps bénévolement) à volontaire,
elle s’est présenté pour être élue au conseil de région de l’association Aides, qui gère le Caarud de la ville.
« Heureusement que j’ai le Caarud pour faire quelque chose de ma vie, pour me sortir et m’enlever le nez de Candy Crush ! J’ai vraiment l’impression de faire quelque chose d’utile et comme ça je ne reste pas chez moi à me faire chier et à avoir envie de consommer. » Aujourd’hui, elle touche le RSA, habite avec son copain et vis avec son fils le temps de son stage.
Au-delà de la rémunération, un travail, c’est une occupation. Mais trouver ou retrouver un travail quand on est un ancien drogué, c’est se heurter aux préjugés.
Johnny est salarié au Caarud de Tours. Mais en tant qu’ancien responsable en magasin, il sait ce contre quoi se battent les ex-toxicomanes. Lui-même le reconnaît : « Je n’aurais jamais embauché un drogué comme vendeur ! On a une image à tenir. »
« Je n’aurais jamais embauché un drogué comme vendeur ! On a une image à tenir. »
Ailleurs, le discours est différent : « On ne se présente pas à un entretien d’embauche en claironnant qu’on est un ancien tox ! » objecte Frédéric Menneret, directeur de Drogues et société. Ainsi, tant que ce n’est pas écrit « Je suis un ancien drogué » sur un visage, exit les jugements préjudiciables.
D’ailleurs, avoir un travail est une condition nécessaire pour obtenir les clés d’un appartement thérapeutique. Les appartements thérapeutiques (AT) sont « la dernière étape avant un retour à la vie en autonomie. »
« Il y a dix ans, je n’aurais pas pu imaginer la vie que j’ai aujourd’hui. J’étais persuadée que je n’arriverais jamais à m’en sortir, que ça faisait partie de ma vie. C’était comme ça et pas autrement. » Photo : Thomas Desroches/EPJT
Certaines associations comme Aurore ou la Croix-Rouge possèdent des parcs immobiliers et les mettent à disposition des anciens drogués qui arrivent à la fin de leur parcours de soins. Le graal pour 300 euros de loyer…
Des rêves à rattraper
Dans le cas de la Croix-Rouge, il faut remplir trois critères : avoir une activité, avoir une rémunération et être bien engagé dans le rétablissement. Les candidats envoient une lettre de motivation et, selon les places disponibles, peuvent décrocher les clés d’un AT. Pendant deux ans (ou moins), ils vont alors réapprendre à vivre seuls, à entretenir un logement, à faire les courses. « La vie de Monsieur et Madame Tout-le-monde en somme. » Seule différence : la visite hebdomadaire d’un éducateur.
La vie en AT a été une étape compliquée à gérer pour Amel, sans cesse harcelée par ses pires ennemis : la solitude et l’ennui. Les professionnels du Csapa Pierre-Nicole lui ont alors proposé de passer par un hébergement de transition, une structure médicale pour renforcer un sevrage. Elle y a passé quelque temps et c’est à ce moment que sa demande de relogement a été acceptée.
Aujourd’hui, Amel envisage sa sortie de l’établissement Pierre-Nicole comme un saut vers l’inconnu. L’avenir qui se dessine devant elle l’effraie. Mais, courageuse, elle vit au jour le jour. Son passé, elle préfère ne plus y penser. Exit les cachets et les seringues, ils ne ressurgissent qu’en cauchemar.
Prochaine étape : réaliser son rêve. Un voyage en Tunisie, le pays de ses origines. Après son déménagement, elle compte économiser pour visiter la région avec ses enfants. « Si je suis encore vivante, c’est qu’il me reste des choses à faire. »
(*) Les prénoms ont été modifiés.
Aurore Bayoud
@a_bayoud
En licence pro spécialité TV
Hugo Checinski
@hugo_checinski
23 ans.
Licence professionnelle radio
Passionné de radio et de long format.
Passé par France Culture, France Bleu Perigord, 37degrés et l’Espace podcasts du groupe Ouest-France
Aimerait se lancer dans la production de reportage long-format à l’étranger. Est présentement au Mexique
Thomas DesrocheS
Ecrit pour Grazia et Madame Figaro