Aux Pays-Bas, environ une femme sur huit donne la vie chez elle. L’accouchement à domicile y est effectivement encouragé et très encadré. Il est rendu possible grâce à une solide organisation des soins obstétriques.
Par Anastasia Marcellin, à Utrecht (Pays-Bas)
C’est ici que mon fils est né. » Lydia désigne un coin de son salon, entre les deux fauteuils et la bibliothèque. « La sage-femme avait apporté un tabouret d’accouchement pour que ce soit plus confortable. »
Lydia, qui n’a souhaité être identifiée que par son prénom, sourit en se remémorant la naissance de son deuxième fils, en septembre dernier. Cette Néerlandaise de 31 ans a accouché chez elle, dans l’intimité de son foyer à de Meern, près d’Utrecht, entourée seulement de son mari et d’une sage-femme. « Après la naissance du bébé, nous n’avons pas eu à faire le trajet pour rentrer de l’hôpital. J’étais déjà chez moi, j’ai pu me laver dans ma propre douche, dormir dans mon propre lit… C’était pour moi le plus gros avantage de mon accouchement à la maison. »
Lydia n’est pas un cas isolé : comme elle, 12,7 % des femmes enceintes aux Pays-Bas accouchent chez elles, soit une femme sur huit (les données les plus récents datent de 2016). Un nombre qui fait figure d’exception dans le monde occidental où les taux d’accouchement à domicile tournent plutôt autour des 1 à 2 %.
Lydia, 31 ans, vit à 8 kilomètres de la maternité. Mais elle a préféré accoucher chez elle.
Chez les Néerlandais, la pratique est évidemment loin d’être majoritaire. Mais contrairement à la France, elle est acceptée socialement et médicalement.
« Je voulais accoucher à la maison parce que je pensais que c’était plus intime, plus relax, plus protégé, raconte Lydia. Effectivement, j’ai noté une différence par rapport à mon premier accouchement, qui a eu lieu à l’hôpital. Là bas, c’était plus intrusif, rien que dans le fait d’être dans un endroit inconnu. » Comme Lydia, La plupart des femmes qui font le choix d’accoucher chez elles se sentent plus en confiance et plus détendue qu’à l’hôpital. Elles sont dans leur environnement, plus libres de leurs mouvements.
Ank de Jonge, professeure associée en maïeutique à l’Amsterdam University Medical Center et sage-femme depuis 1994 a son explication : « L’accouchement est un procédé fort émotionnellement. Certains disent que c’est comme faire l’amour. Autant dire que pour cela, on préfère être chez soi dans l’intimité plutôt qu’à l’hôpital entouré d’inconnus. »
Liselotte Kweekel, conseillère en politique internationale à la KNOV, l’Organisation royale néerlandaise des sages-femmes et sage-femme depuis dix ans ne dit pas autre chose : « À la maison, la sage-femme est l’invitée de la femme enceinte, c’est elle qui doit demander où se trouvent les choses. Alors qu’à l’hôpital, c’est la femme qui est l’invitée, et elle sent qu’elle doit demander l’autorisation avant de faire quelque chose. »
Un accouchement à domicile nécessite un peu de préparation.
Des avantages psychologiques donc, mais aussi des bénéfices sur le plan médical que soulignent Ank de Jonge : « Le départ vers l’hôpital et le fait de se retrouver dans un endroit inconnu peut engendrer du stress. Or, avec le stress et l’adrénaline, le corps peut produire moins d’ocytocine. » Cette hormone, libérée en grande quantité lors de l’accouchement, permet de faciliter le travail et l’expulsion du fœtus. Un faible taux d’ocytocine signifie donc un travail plus long et plus difficile.
Le revers de la médaille peut être douloureux : la péridurale est impossible à la maison. Les sages-femmes qui ne sont pas habilitées à en administrer. « Nous pouvons seulement faire des injections à base d’eau dans le bas du dos pour soulager un peu la douleur, explique Liselotte Kweekel. Mais nous essayons d’aider la parturiente à se détendre, avec des bains, de la musique, des exercices de respiration… »
La sage-femme ajoute : « Les Néerlandais sont très terre à terre. Ici, la grossesse et l’accouchement ne sont pas vus comme une pathologie mais comme quelque chose de naturel, qui fait partie de la vie. En l’absence de risque particulier, il n’y a pas lieu de les surmédicaliser. » Une vision qui se retrouve largement dans l’organisation des soins entourant les femmes enceintes.
« Notre système d’obstétrique est unique, remarque Liselotte Kweekel. Les sages-femmes y ont une place très importante, elles ont toujours eu le droit d’intervenir médicalement et de prendre en charge le suivi de grossesse et les accouchements. »
Les sages-femmes néerlandaises bénéficient d’une grande autonomie. La plupart d’entre elles exercent en cabinets libéraux (verloskundigepraktijk), qu’elles partagent le plus souvent à 4 ou 5. Qualifiées de « sages-femmes de premiers soins », elles sont habilitées à suivre les grossesses non pathologiques et à assister les accouchements physiologiques, qu’ils aient lieu à domicile ou à l’hôpital.
Environ 85 % des femmes enceintes se rendent dans un cabinet libéral pour leur première consultation. Si tout se passe bien, elles y effectuent tout leur suivi de grossesse. Dans la plupart des cas, elles rencontrent toutes les professionnelles du cabinet, pour être sûres d’avoir rencontré au moins une fois la sage-femme de garde le jour de leur accouchement. Certaines femmes enceintes peuvent même ne jamais voir d’obstétricien.
En revanche, au moindre risque ou à la moindre complication, les sages-femmes de premiers soins redirigent la femme enceinte vers les sages-femmes cliniques. Ces dernières exercent à l’hôpital, auprès d’obstétriciens, de médecins et d’infirmières. Elles sont les seules habilitées à suivre des grossesses pathologiques. L’accouchement a alors forcément lieu à l’hôpital.
Du côté financier, l’accouchement à domicile est entièrement pris en charge par l’assurance maladie, obligatoire pour tous aux Pays-Bas. « Si la femme veut accoucher à l’hôpital sans aucune raison médicale, elle doit payer un supplément, environ 300 euros, indique Lydia. Ce supplément est généralement pris en charge par les mutuelles. » Mais dès qu’une raison médicale pousse à accoucher à l’hôpital, l’accouchement est entièrement pris en charge par l’assurance maladie. Le souhait d’avoir une péridurale en fait partie.
La décision de transférer une femme enceinte vers l’hôpital peut être prise à tous les stades de la grossesse ou de l’accouchement. Ainsi, « pour le premier enfant, le taux de transfert vers les hôpitaux est proche des 60 % », indique Ank de Jonge. Le chiffre est élevé, mais la plupart des transferts visent à prévenir l’incident. La sage-femme précise : « Seul 1,9 % des transferts sont réalisés en urgence. »
Lors de son premier accouchement, il y a trois ans, Lydia a été transférée : « Je voulais déjà donner naissance à la maison. J’avais commencé le travail chez moi. Mais il y avait du [simple_tooltip content=’premières selles du fœtus, qui peuvent parfois survenir avant la naissance’]méconium[/simple_tooltip] dans le liquide amniotique. » Une complication qui n’est pas forcément grave mais sur laquelle les médecins souhaiter garder un œil. En effet, si la progression du travail est trop lente, comme ce fut le cas pour Lydia, le méconium accroit le risque d’infection pour le bébé. Le transfert à l’hôpital est donc nécessaire.
« Au cours des dernières décennies, le taux d’accouchement à domicile a chuté aux Pays-Bas »
La présence de méconium dans le liquide amniotique fait partie des principales causes de transfert en cours de travail (8,8 % des transferts). La raison la plus fréquente est une progression trop lente du travail et/ou l’administration d’une péridurale, les deux étant souvent liés (16,3 % des transferts). Enfin, l’absence de contractions dans les vingt-qautre heures suivant la rupture de la poche des eaux constitue le troisième motif le plus fréquent de transferts (4,1 %).
Cela n’a pas empêché Lydia de retenter l’expérience lors son deuxième accouchement : « Je n’étais pas vraiment inquiète d’éventuelles complications, se remémore-t-elle. La sage-femme était un peu préoccupée par rapport à mon poids. Je pesais 105 kilos à la fin de ma grossesse. Cela aurait pu être un problème en cas d’hémorragie ou pour n’importe quelle raison qui aurait nécessité un transfert en ambulance. »
Liselotte Kweekel exerce comme sage-femme depuis dix ans.
La thèse d’Ank de Jonge portait sur les positions d’accouchement.
En effet, le protocole précise que les ambulanciers n’ont pas le droit de porter des personnes pesant plus de 100 kilos. Lydia préfère en rire : « Je me suis dit qu’une fois le bébé et le placenta sortis, ça ferait bien 5 kilos en moins. » Finalement, tout s’est bien passé et la jeune femme a pu rester chez elle.
Mais les éventuels risques et complications effrayent nombre de futurs parents. Au cours des dernières décennies, le taux d’accouchement à domicile a chuté aux Pays-Bas. Dans les années soixante-dix, environ 70 % des femmes donnaient naissance chez elle. En 2002, ce taux s’était réduit de plus de moitié, aux alentours de 29 %. Aujourd’hui, elles ne sont plus que 12,7 % à faire ce choix.
« Il y a eu beaucoup d’attention médiatique autour de la mort périnatale récemment. Certains médias se sont montrés très critiques envers l’accouchement à domicile », fait remarquer Liselotte Kweekel. En effet, en 2008, le pays a rétrogradé dans les statistiques européennes de mortalité périnatale. Mais des recherches ont démontré que les accouchements à domicile n’étaient pas à incriminer. Ils sont aussi sûrs que ceux en hôpital.
« La société fait peur aux femmes, regrette Ank de Jonge. On les culpabilise en leur disant que leur enfant va mourir si elles prennent des risques. Avec un tel discours, c’est facile de pousser à la surmédicalisation. » La peur de l’incident est grande, autant du côté des femmes enceintes que des sages-femmes. Ainsi, les transferts vers l’hôpital sont de plus en plus fréquents et surviennent de plus en plus tôt au cours de la grossesse et de l’accouchement.
Si le nombre d’accouchement à domicile est en baisse c’est aussi pour des raisons structurelles. Comme en France, lau Pays-Bas on ferme les petites maternité dans les zones rurales. Or, les protocoles encadrant l’accouchement à domicile exigent qu’un hôpital soit situé à moins de quarante-cinq minutes, au cas où il faudrait transférer la parturiente en cours de travail.
Si l’hôpital est trop loin, les sages-femmes préfèrent orienter la femme enceinte vers un accouchement médicalisé dès le début de sa grossesse. Ainsi, aux premières contractions, elle pourra se mettre en route, réduisant les risques d’être transférée lors de la dilation complète ou lors de la poussée. Mais les Pays-Bas sont un petit pays très plat et bien organisé. Les risques sur la route ne sont pas ceux que l’on connaît en France.
« On ne peut pas imposer aux femmes d’accoucher à l’hôpital. Mais on ne peut pas non plus leur imposer d’accoucher à domicile »
Liselotte Kweekel
« C’est un cercle vicieux, se désole Liselotte Kweekel. Les élèves sages-femmes voient de moins en moins d’accouchement à domicile pendant leur cursus, parce que nous en avons de moins en moins. Du coup, à la fin de leurs études, elles se sentent moins à l’aise avec ça et sont donc moins enclines à en pratiquer. Ce qui entraine donc une baisse des accouchements à domicile. »
Or, une fois le processus de médicalisation trop engagé, il est pratiquement impossible de revenir en arrière. La France est l’un des exemples les plus frappants en la matière. Le taux d’accouchement à domicile plafonne à 0,4 %. Pour les rares femmes qui le souhaitent, accoucher chez soi relève souvent du parcours du combattant. Et les sages-femmes françaises qui assistent ces femmes frôlent parfois l’illégalité car elles exercent sans assurance. Les risques étant considérés comme très élevés, le prix de ces assurance est prohibitif pour la plupart d’entre elles.
Donner les bonnes informations
Pour lutter contre l’engrenage de la surmédicalisation, les sages-femmes néerlandaises informent et rassurent les futurs parents autant qu’elles le peuvent. « Donner les bonnes informations est essentiel, souligne Ank de Jonge. La femme doit pouvoir choisir en connaissance de causes. »
Car la peur s’invite souvent au moment de choisir le lieu d’accouchement. « Pour le premier, mon mari aurait préféré une naissance à l’hôpital dès le début, raconte Lydia. Parce que si ça se passe mal, le personnel médical est déjà sur place. Mais finalement il m’a dit que c’est moi qui allait accoucher et que ça devait donc être ma décision. »
« On ne peut pas imposer aux femmes d’accoucher à l’hôpital, affirme Liselotte Kweekel. Mais on ne peut pas non plus leur imposer d’accoucher à domicile. Certaines se sentiront plus en sécurité en milieu hospitalier, d’autres dans leur foyer. »
Loin de militer pour une hausse des accouchements à domicile, les sages-femmes se battent surtout pour que les futures mères aient réellement le choix. Liselotte Kweekel en est convaincue : « Choisir son lieu d’accouchement est un droit humain. »
Anastasia Marcellin
@AnaMarcellin
23 ans
Effectue sa licence de journalisme, spécialité presse
écrite à Utrecht (Pays-Bas) et à Aarhus (Danemark).
S’intéresse à l’actualité internationale et aux questions de genre.
Passée par Courrier International et Ouest-France Lorient.
Passionnée de voyages, espère poser ses valises en Amérique latine prochainement.