L’ONU annonce que la terre sera peuplée de  deux tiers d’urbains d’ici 2030.  Alors même que les crises économiques et environnementales touchent de plein fouet les villes, un modèle de gestion essaye d’émerger : la smart city ou ville intelligente. Celle-ci allie technologie, écologie et démocratie participative.

Par Wilfried REDONNET et Théo SORROCHE

« Une quoi ? Une smart city ? Désolé, je ne sais pas ce que ça veut dire. » Voilà la réponse déconcertante d’une secrétaire de la mairie de Nantes. Pourtant, le chef-lieu de la Loire-Atlantique est la deuxième ville intelligente de France. Ce que confirme un rapport, datant de 2013, de la Commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie du Parlement européen. L’agglomération nantaise répond à quatre des six critères de la « smart city » telle que définie par Rudolf Giffinger. Cet enseignant-chercheur de l’université de Vienne (Autriche) a théorisé ce concept au milieu des années quatre-vingt dix. Or pour obtenir le label, il suffit de répondre à un seul des critères.

L’habitant intelligent doit participer

Les critères d’intelligence concernent cinq secteur différents :
– La mobilité qui suppose des transports écologiques et efficaces.
– L’environnement qui repose, lui, sur une protection de la biodiversité et une meilleure gestion des ressources naturelles.
– L’administration doit prévoir plus de démocratie.
– L’habitant. Il fait quoi pour être qualifié d’intelligent ? Eh bien il participe. « Pure démagogie, tempête Eliane, retraitée septuagénaire et Nantaise de longue date. Des assemblées de quartiers sont organisées par la mairie. Ils nous demandent notre avis, mais on n’a pas l’impression d’être écouté. »
– L’économie suppose un marché du travail flexible. Là encore, les critiques fusent. Ce critère est jugé  « fortement libéral » par Céline Colucci, déléguée générale des Interconnectés, première association ­nationale de diffusion des aménagements numériques pour les collectivités françaises.
– Les aménagements numériques comptent aussi comme critère. Critère qui d’ailleurs, avec celui de l’habitant, manque à Nantes pour être une smart city complète.
– Le mode de vie est le dernier pré-requis à l’obtention du label européen. Il dépend de la qualité des conditions sanitaires et de l’existence d’établissements culturels et d’enseignement.

Après la mairie, direction la communauté d’agglomérations Nantes Métropole, pour tenter de rencontrer Benoît Cuvelier, en charge du projet Nantes Smart City : « Désolé, nous ne communiquons pas directement sur le sujet. » La métropole a pourtant mis en place plusieurs objectifs destinés à améliorer la qualité de vie de ses citoyens. Mais pour Eliane, notre septuagénaire qui réside en centre ville, « la circulation est affreuse maintenant. Il faut se faufiler entre les sens interdits, ralentir, accélérer… » Ce qui aurait un coût écologique : « Les moteurs chauffent, ça pollue. »

« Ce label est une force d’attraction pour les entreprises »

Même si l’intelligence de Nantes est reconnue par l’Union européenne, elle reste inconnue de ses habitants. Trois jeunes étudiants en médecine avouent ne « même pas connaître ce terme ». Si la smart city ne bénéficie pas directement aux Nantais, elle sert de multiples intérêts économiques. Marie Le Saint, de la Chambre de commerce et de l’industrie de Nantes Saint-Nazaire ne dit pas autre chose : « Ce label (obtenu en 2014, NDLR) est une force d’attraction pour les entreprises. » Malgré son refus de ­communiquer, la collectivité ne compte pas s’arrêter là. Emmanuel Vauthier, journaliste à Presse Océan-Nantes tient une chronique régulière sur le projet : « C’est un axe sur lequel la ville va travailler dans les prochaines années. Nantes va continuer à se développer en tant que ville intelligente. »

Les nouvelles technologies, outil de la smart city

La smart city est aussi une ville dans laquelle la technologie prend une place prépondérante pour améliorer transports, énergie et ­démocratie locale. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) permettent l’interconnexion des personnes avec leur ville. A Nantes, l’ouverture des données publiques a permis de développer de nombreuses applications. Green Raid, par exemple, permet le partage de « bons plans » : aires de covoiturage, productions fermières, friperies… Rengo permet de connaître les disponibilités et les horaires de transport de la ville en temps réels. L’initiative « La Loire et nous » permet aux citoyens d’exprimer leur ressenti via les réseaux sociaux.

Les murs végétaux, exemples de la direction écologique prise par les smart cities. Photo : Wilfried Redonnet

Pour Antoine Picon, professeur à Harvard et auteur de Smart City : théorie et critique d’un idéal auto-réalisateur, l’un des buts de la ville intelligente est « d’ajouter une couche informationelle aux structures déjà en place ». Mais cette sur-information et son instantanéité peuvent aussi représenter un danger pour nos sociétés. Une sorte d’esclavage contemporain pour l’individu sans cesse accroché à son Smartphone. Même constat pour la géolocalisation permanente des ­citoyens, qui sert « la décongestion des transports et rend la ville plus agréable», insistait Nathalie Leboucher, directrice du projet Smart City d’Orange, dans une émission sur France Culture. Mais tout surveiller pose une véritable question de démocratie, qui pousse d’ailleurs à se demander où sont les limites des NTIC.

Alors, que se cache-t-il vraiment derrière ce terme ­générique d’ intelligence ? La smart city n’est-elle que le titre marketing d’une réalité de bon sens ou représente-elle une utopie futuriste ? Dans son livre, Antoine Picon rappelle que « le numérique n’est pas immatériel et les serveurs, câbles et antennes présentent un fort impact sur l’environnement. Les NTIC consomment déjà près de 10 % de la production d’électricité mondiale ».

 

Le numérique au service de la démocratie

Membre du collectif Open Data Touraine, ancien chef d’entreprise et père de famille, l’informaticien Cyrille Giquello milite pour une libéralisation des données publiques. Au nom de la démocratie.

« L’Open Data c’est un outil de la démocratie ouverte  », affirme Cyrille Giquello. A 45 ans, cet ingénieur en informatique ne fait pourtant pas parti de ce qu’on appelle la génération Y ou des digitales natives. Malgré son allure de savant fou – cheveux en batailles, lunettes carrées et tabac à rouler –, il est avant tout un homme engagé. Son combat : la libéralisation des données publiques, l’Open Data, dans le jargon numérique.

Pour Cyrille Giquello, l’Open Data doit encourager la participation politique des citoyens. Photo : Wilfried Redonnet.

« Ce terme récent est apparu lors du premier mandat d’Obama, explique Cyrille Giquello, lorsque le président américain a lancé l’Open government, la démocratie ouverte. » Une notion qui rappelle étrangement le principe de la gouvernance intelligente, un des six critères de la smart city. « Je surveille les nouvelles villes intelligentes, confirme l’informaticien. Les idées sont bonnes, mais leur application par les élus est beaucoup trop technocrate. La smart city c’est beaucoup d’opérations marketing sans continuité. »

Des données peu utilisables

L’open data, en plein essor en France depuis 2010, vise à rendre accessibles à tous les citoyens les données publiques. Mais le processus va plus loin. « Le principal problème avec les collectivités aujourd’hui, c’est que les données sont accessibles, mais ne sont pas utilisables librement, à cause des conditions générales d’utilisation. Prenez l’exemple des menus de cantine. Ils sont sur le site de la mairie, mais on ne peut utiliser ces données, ne serait-ce que pour les rendre plus accessibles sur une application ou un autre site », regrette l’informaticien.

Comment s’est-il intéressé à l’open data ? « J’avais déjà la compétence technique avec mon master en informatique. Devenu père, j’ai commencé à m’intéresser à l’avenir de mes enfants (il en a trois, NDLR), à la démocratie et à la République. Je travaille à l’usage de l’informatique pour la société. »

Des échanges houleux avec les élus

Il croit aux armes telle que le lobbying pour faire avancer la cause des données libres. Il a donc lancé une pétition en ligne en 2011 pour faire pression sur les 37 conseillers généraux d’Indre-et-Loire et engager le mouvement. Les échanges sont parfois houleux, confie-t-il. Il évoque notamment Thibaut Coulon, adjoint au maire de Tours sur les technologies du numérique. Contacté, ce dernier n’a pas souhaité répondre.

La pétition a recueilli 167 signatures. La grande majorité des signataires travaillent dans l’informatique ou le numérique. Mais on trouve aussi quelques hommes et femmes politiques, comme Julien Miquel, président des jeunes démocrates d’Indre-et-Loire ou Christophe Rossignol, conseiller régional EELV. Insuffisant pour Cyrille Giquello, qui continue à intervenir régulièrement auprès des élus locaux. « Les élus nous ont dit oui pour l’ouverture des données, mais ils organisent ce projet entre eux, sans faire participer les citoyens. Les collectivités doivent libérer juridiquement les données, puis nous nous chargerons d’organiser la mobilisation de la société civile pour les traiter. » L’ingénieur informatique se voit déjà organiser des évènements autour de l’Open Data. « Une mobilisation pluridisciplinaire, avec des informaticiens, des étudiants, des journalistes… »

Restaurer l’intérêt politique

Cyrille Giquello se demande aussi pourquoi l’État ne met pas en place la libéralisation des donnés publiques. La réponse est peut-être à chercher du côté de la gouvernance. « Lorsque ces données ne sont pas accessibles, c’est plus facile de diriger pour les élus, ce sont un peu des chefs », explique Cyrille Giquello. Lui en a fait l’expérience. Après avoir dirigé deux entreprises seul, il est désormais membre de la coopérative Artefacts. Celle-ci rassemble des artistes en tout genre. Il explique la différence : « Quand on est seul aux commandes, on prend les décisions, parfois mauvaises. Alors que quand c’est un collectif qui dirige, plus personne n’est un légume. » L’homme est « entier, même un peu casse cou » avoue Stephane Caillaud, coprésident du Cré-sol, réseau d’économie solidaire en région Centre, qui a souvent travaillé avec lui. Depuis qu’ils se côtoient, les deux hommes partagent « une vision commune du numérique pour Tours ».

Cyrille Giquello assure que l’ouverture des données publiques permettra de restaurer l’intérêt politique de la population. « L’intelligence, c’est comprendre son environnement. Et pour atteindre cet objectif, il faut être informé. » Il n’oublie pas l’importance de l’éducation et « de renouveler une politique dont trop de gens se désintéressent ».

 

« Le numérique permet de reconnecter à la vie locale »

L’application Tours in My Pocket permet de retrouver rapidement toute l’actualité de l’agglomération tourangelle et de la Touraine à partir de brèves, de liens, de podcasts, de vidéos ou de blogs. Le point avec son créateur, Julien Lavergne.

Quel est votre parcours ?

Julien Lavergne. Je suis originaire de Touraine. J’ai d’abord suivi des études d’informatique avant de devenir enseignant-chercheur, mais j’ai vite arrêté. J’en avais fais le tour. Je me suis alors tourné vers le secteur privé pour découvrir de nouvelles choses. J’aime relever de nouveaux défis. J’ai quitté Tours en mars dernier pour Toulouse. Aujourd’hui je suis développeur-opérateur dans le privé. Je travaille notamment dans le cloud-computing (ensemble des infrastructures dans laquelle la puissance de calcul et le stockage sont gérés par des serveurs distants auxquels les usagers se connectent via une liaison Internet sécurisée, NDLR). Aujourd’hui je suis à un poste qui me donne des responsabilités et dans lequel je dois être force de proposition et inventif. A côté de mon travail, j’ai commencé à développer, à partir de 2011, l’application Tours in My Pocket ou TiMP.

Comment s’est lancé le projet Tours in My Pocket ?

J. L. Je suis un passsioné des informations locales depuis toujours. Avec le développement du Web tourangeau (association de promotion de la ville de Tours, NDLR) en 2008, je me suis lancé dans le projet Tours in My Pocket. Ça a commencé par un compte Twitter programmé pour reprendre les tweets des habitants locaux comprenant des liens. J’ai ensuite développé le même concept en application sur l’iPhone, puis sous Android. Cela a pris plusieurs mois, car créer une application sur Apple ou Android est un travail vraiment différent.

Quel est l’objectif de cette création ?

J. L. Je voulais amener le plus d’informations possible dans la poche de chacun. C’était une initiative qui me tenait à cœur sur le plan personnel. Je tenais vraiment à le développer dans la région. Le lancement a été une belle aventure avec beaucoup de rencontres enrichissantes.

Croyez vous au concept de smart city ?

J. L. Je ne maîtrise pas totalement la notion, mais oui, j’y crois.

La démocratie participative est l’un des 6 critères nécessaire pour obtenir le label de Smart city. Tours in My Pocket permet-elle  au citoyen de participer au débat public ?

J. L. Sans aucun doute. Chacun peut avoir accès à l’information et, par la suite, les gens ont le choix de débattre. Je dirai même que, dans ce cas de figure, le numérique permet de se reconnecter au réel, à la vie locale. Après, si Tours in My Pocket permet au citoyen de se renseigner, c’est à chaque utilisateur de faire vivre le débat, de réagir. Ainsi, oui, la démocratie participative est l’un des buts du projet et notamment de la page Twitter de Tours in My Pocket.

Est-ce qu’ouvrir les données au public de façon plus claire était l’un des objectifs phares ?

J. L. Tout à fait car les citoyens ont ainsi toutes les informations à portée de main. Cela leur permet d’être au courant de ce qui se passe via plusieurs supports techniques (podcasts, articles…etc., NDLR).

L’appli Tours in My Pocket

Une application comme celle ci est-elle essentielle dans la ville d’aujourd’hui et de demain ?

J. L. C’est certain. Je le vois bien à Toulouse où plusieurs application du même type existent déjà. Elles sont même davantage actives que TiMP. Tours est une ville qui manque encore de dynamisme, mais elle est sur la rampe de lancement avec Tours Tech et la cantine numérique de Tours notamment.

Avez-vous un nouveau projet d’application ?

J. L. Des projets, j’en ai beaucoup. Mais le temps manque puisque je fais ça uniquement sur mon temps libre. Je n’ai même pas assez de temps pour redynamiser Tours in My Pocket qui est un peu en jachère actuellement. Mais s’il faut donner mon projet principal, ce serait de créer un Tours in My Pocket plus global, s’étendant à plusieurs villes.