Patients sans frontières

Des prix bas et une qualité similaire à celle des États-Unis incitent de nombreux Américains à franchir la frontière avec le Mexique pour s’y faire soigner. Tijuana joue de sa proximité avec la Californie pour attirer toujours plus de patients. 

Par Taliane Elobo, à San Diego (Etats-Unis)

À Tijuana, au Mexique, les ouvriers s’affairent pour sortir de terre un projet faramineux. Accolé à la frontière avec les États-Unis, le New City Medical Plaza est un complexe hospitalier et hôtelier dédié exclusivement au tourisme médical. Il comprend une tour de 28 étages et un héliport à l’est, un hôtel de 150 chambres à l’ouest. Et, au milieu, une aire commerciale qui relie la tour à l’hôtel.

Si l’hôtel Quartz a ouvert ses portes le 4 octobre dernier, la tour médicale et la galerie commerciale devraient recevoir leurs premiers patients-clients courant 2020. Malgré l’enthousiasme des promoteurs, le projet a pris un peu de retard.

C’est dans la tour principale que les consultations et les opérations auront lieu. Environ 1 200 consultations sont espérées par jour grâce aux 200 cabinets de médecins. C’est peu dire que groupe mexicain Abadi, à qui l’on doit ce projet à 100 millions de dollars, a mis les moyens pour communiquer auprès des praticiens mexicains. Dès décembre 2018, 70 % de ces cabinets avaient trouvé un preneur. « Beaucoup de médecins mexicains veulent avoir une salle de consultation avec nous », se félicite Idannia Arce, responsable commerciale du groupe. Des médecins de Tijuana, mais aussi de Mexicali, de Querretaro, de Mexico, de Monterrey, de Guadalajara et de Puebla, les villes majeures du Mexique, font déjà partie de l’aventure…

Photo d’illustration. 

L’hôtel Quartz, haut de onze étages, fonctionne en complète symbiose avec la tour. Notamment, il propose « trente chambres de réveil. Autrement dit, nous proposerons de la chirurgie ambulatoire dans la tour médicale, ce qui ne nécessite pas beaucoup d’heures de récupération post-opératoire. Si le patient souhaite prolonger son séjour, il aura donc accès à ces chambres », explique Idannia Arce.

New City Medical Plaza est un projet unique en son genre. L’objectif est affiché : devenir le premier centre de tourisme médical du Mexique. Pour cela, il mise sur la modernité de ses équipements avec, entre autres, un centre de neurologie, des laboratoires, un service de radiologie et un autre de pathologie. Et cela paye.

Alors qu’il est toujours en construction, le complexe a été nommé « projet le plus remarquable » dans la catégorie « Tourisme médical » lors des Global Awards de Londres, en novembre 2017.

Restaurants, banques, garderie, magasins… Tous les services se trouvent au New City Medical Plaza pour rappeler aux patients qu’ils sont aussi en vacances. L’espace commercial est le vivier économique. C’est là que les patients-consommateurs, avec leur pouvoir d’achat supérieur à celui des autochtones, feront leurs achats. Ils n’auront même plus besoin de poireauter dans la salle d’attente du médecin. Grâce à une application mobile, ils seront avertis où qu’ils soient. « Ils pourront même se rendre dans l’aire commerciale boire un café », sourit Idannia Arce.

Si le groupe Abadi s’est lancé dans cette construction, c’est pour répondre à une demande déjà bien présente. « La ville de Tijuana a toujours attiré beaucoup de touristes américains, pour de la chirurgie plastique principalement. Nous voulons leur offrir une formule plus complète », explique Idannia Arce tout en marchant sur la terrasse en chantier.

La différence entre les frais engagés au Mexique et ceux qu’il faudrait débourser aux Etats-Unis va du simple au double. Par exemple, un pontage coronarien coute en moyenne 27 000 dollars au Mexique (un peu plus de 24 000 euros). Contre 123 000 dollars (110 800 euros) aux États-Unis. Il faut compter 6 500 dollars (5 800 euros) pour une rhinoplastie aux États-Unis et presque moitié moins au Mexique.

Au Mexique, c’est désormais dans l’industrie du tourisme médical qu’il faut investir. Avec 1,2 million de touristes médicaux par an, le pays est devenu la deuxième destination du secteur. Juste derrière la Thaïlande.

L’industrie représentait plus de 4 milliards de dollars (3,6 milliards d’euros) en 2017 pour le Mexique. Et cela devrait continuer d’évoluer à la hausse car le marché du tourisme médical dans le monde se développe. Ce dernier devrait passer de 56 milliards de dollars en 2018 à plus de 136 milliards en 2030, selon une étude de Wise Guy Reports (de 50,4 à 122,4 milliards d’euros).

Dans son article « La caravane dont vous n’avez pas entendu parler », Mark Provost constate qu’en 2018, entre 20 000 et 60 000 personnes, venues du Mexique ou d’autres pays d’Amérique centrale, ont traversé la frontière chaque mois pour trouver refuge aux États-Unis. Soit, en moyenne, entre 645 et 1 935 par jour.

Mais selon le maire de Los Algodones, petite ville mexicaine frontalière avec la Californie et l’Arizona, jusqu’à   000 Américains par jour se rendent dans son village. Autrement dit, cinq fois plus d’Américains traversent la frontière pour se soigner à Los Algodones que de Latino-américains dans l’autre sens.

La petite ville mexicaine est d’ailleurs surnommée « Molaire City ». En effet, on y compte 350 cabinets dentaires. Les patients américains peuvent espérer y faire une économie allant jusqu’à 75nbsp;%.

Si le tourisme médical va bon train, c’est parce qu’une couverture sociale est devenue un luxe aux États-Unis. Plus de 28,5 millions d’Américains n’avaient aucune assurance en 2017, soit près de 9 % de la population, selon le Bureau du recensement américain. Et, plus d’un quart de la population n’a pas d’assurance dentaire. La communauté hispanique est la plus touchée par le problème. Environ 16 % d’entre eux n’avaient aucune couverture en 2017.

Pourtant, selon Glenn Cohen, professeur de droit et directeur du Centre Petrie-Flom pour la législation concernant la santé, la biotechnologie et la bioéthique à la Harvard Law School, le tourisme médical entre les États-Unis et le Mexique n’est pas nouveau. « L’acteur Steve McQueen, par exemple, est mort dans une clinique mexicaine, explique-t-il. Il y a différentes motivations au tourisme médical. Il y a la raison financière et il y a la proximité. Ce sont souvent ceux qui vivent près de la frontière qui sont concernés. Et les expatriés qui retournent dans leur pays d’origine. »

«La prise en charge n’était pas la meilleure »

Magdalena Lopez, patiente

Magdalena Lopez appartient à cette dernière catégorie. Elle est née au Mexique mais toute sa vie est à San Diego. Pourtant, quand il a fallu choisir la clinique pour un opération de chirurgie plastique, c’est vers le Mexique, et précisément à Tijuana, que cette mère de quatre enfants s’est tournée. Magdalena Lopez bénéficie de l’Obamacare, un programme de santé américain visant à rendre les soins accessibles aux faibles revenus. Mais ce programme n’inclut pas la chirurgie esthétique.

La première fois que Magdalena se rend dans le petit établissement nommé Jaxiola Clinica, c’est le jour-même de son opération. « À l’intérieur de la salle de consultation, tout était très beau. Par contre, de l’extérieur, cela faisait très – trop – simple. Je pense que la prise en charge n’était pas la meilleure non plus. J’ai été dans un hôpital aux États-Unis où le service et la qualité étaient bien meilleurs. » Toutefois, Magdalena se dit satisfaite du résultat.

Carlos Zavala, directeur des opérations à Tijuana. Photo: T.E.

Carlos Zavala est directeur des opérations pour Angeles Health International, une branche du groupe hospitalier et hôtelier Angeles situé au Mexique. Le groupe possède un hôpital à Tijuana, ouvert il y a treize ans, et où travaille l’homme d’affaires.

Carlos Zavala voit les micro-cliniques comme celle où s’est rendue Magdalena d’un mauvais œil. « Avant, dans nos meilleures années, nous avions l’habitude d’opérer entre 2 500 et 3 000 patients étrangers par an, rien qu’à l’hôpital de Tijuana. Ce n’est plus le cas.» 

La concurrence s’est accentuée avec l’ouverture de petits cabinets tirant les prix des opérations chirurgicales vers le bas. Le nombre de patients-touristes opérés a chuté entre 800 et 1 000 par an pour l’hôpital Angeles. « Ce n’était plus viable pour nous, pour un hôpital de cette taille. Eux, ce sont des cliniques avec peu de personnel. Ici, nous embauchons 500 personnes. »

« Ceux qui viennent au Mexique ne se préoccupent pas de l’apparence de l’hôpital. Ils se préoccupent principalement du prix », regrette Carlos Zavala. Car la qualité il l’a, assure-t-il. « Ici, tout est récent. Nous nous fournissons auprès de Johnson & Johnson », une entreprise pharmaceutique américaine mondialement connue. « Notre équipement est à la pointe de la technologie grâce au robot Da Vinci, poursuit-il. Une machine à près de 1,5 million de dollars que l’hôpital Angeles est, pour l’heure, le seul à posséder dans l’État de la Basse-Californie. »

Le directeur des opérations, qui auparavant travaillait pour une mutuelle transfrontalière située en Californie, a bien compris qu’il y avait un marché naissant avec les expatriés comme Magdalena. C’est pourquoi il souhaiterait que les hôpitaux Angeles intègrent les réseaux des compagnies d’assurance américaines.

Pour lui, le calcul est vite fait : « Disons qu’une compagnie d’assurance a 10 millions d’assurés. Parmi eux 5 % sont des Mexicains vivant aux États-Unis. Si on leur dit : “Désormais, vous pouvez vous rendre à Hospital Angeles à Tijuana pour tous vos soins et opérations.” Si seulement 5 % le font, cela représente toujours 25 000 personnes. Soit plus de 2 000 patients par mois… Nous n’aurions même pas la capacité pour les recevoir. Malheureusement, ces compagnies sont vraiment difficiles à faire bouger, ce sont des Titanic. »

Aux Etats-Unis, on peut attendre jusqu’à six mois pour obtenir une consultation.

Dr Cleysa Hermosillo Ladez

Médecin généraliste à l'hôpital Angeles

Photos : Taliane Elobo/EPJT

Nous sommes vraiment près de la frontière et la qualité de nos soins est similaire à celle aux Etats-Unis.

Dr Juan Antonio López Corvalá

Chirurgien laparoscopie à l'hôpital Angeles

Environ un quart de mes patients viennent des Etats-Unis.

Dr Jorge Luna Guerra

Médecin cardiovasculaire à l'hôpital Angeles

Du côté américain de la frontière, le tourisme médical est loin d’inquiéter. Mark Land est infirmier psychiatrique. Il a décidé de manifester, début décembre, dans les rues de San Diego. Avec une cinquantaine de ses collègues, ils réclament plus de moyens au consortium américain de professionnels de la santé, Kaiser Permanente. Des moyens pour mieux soigner. Ils ne se sentent pas menacés par le tourisme médical, ce n’est pas le genre de soins que leurs patients voudraient faire à l’étranger. Eux se préoccupent davantage de ce qui se passe à l’intérieur du pays.

À quelques mètres au-dessus de la manifestation, au deuxième étage d’une tour sans âme, Paul Hegyi observe les mouvements de la rue en contrebas sans pour autant apercevoir les manifestants. La quarantaine grisonnante, des yeux bleus très vifs, le directeur général de la San Diego County Medical Society, une organisation à but non lucratif créée en 1870,  travaille à San Diego avec les patients et les médecins.

Le mot d’ordre de son organisation est : « Médecins unis pour un San Diego en bonne santé. » Pour lui, cela se traduit par une volonté de défendre et d’agir pour les droits des médecins. Un exercice plutôt facile pour cet ancien lobbyiste pour la California Medical Association.

Tout comme Mark Land, il ne voit pas d’inconvénients au tourisme médical. « Ce n’est pas un problème que les médecins avec lesquels je travaille ont souligné, note-t-il. Effectivement j’ai entendu parler du fait que des Américains se rendaient à Tijuana pour se faire soigner mais je n’en sais pas beaucoup plus. Je ne sais pas combien de personnes cela représente. » Circulez, il n’y a rien à voir.

Paul Heigy, ancien lobbyiste du secteur médical.
Photo : Taliane Elobo/EPJT

Le Pr Glenn Cohen relativise le nombre de touristes médicaux. « Ce n’est pas un phénomène en soi et cela n’a aucun effet sur le système de santé américain de manière générale. » Pour lui, s’il y a une question à se poser, elle est ailleurs : « Est-ce que cela bénéficie à l’économie mexicaine ? Est-ce que le tourisme médical rend plus facile ou au contraire plus difficile l’accès aux médecins des habitants de Tijuana ? » Lui-même n’a pas de réponse. En tout état de cause, pour lui, le problème, si problème il y a, n’est pas américain.

De l’autre côté, à NewCity Medical Plaza, tout est fait pour que les patients américains n’aient pas le mal du pays. « Depuis la tour médicale, on aura une vue panoramique sur San Diego, comme si on y était », se réjouit Idannia Arce.

Pour le meilleur ami de l’homme aussi

Claire Newick profite de la proximité avec la frontière mexicaine pour faire du tourisme médical. Cependant, ce n’est pas pour sa santé personnelle qu’elle se rend à Tijuana mais plutôt pour celle de sa fidèle compagne, Minnie.

Claire Newick est ravie des soins prodigués par le Dr. Gilberto Lopez. Photo: Taliane Elobo/EPJT

Âgée de 61 ans, Claire avance d’un pas assuré. Elle porte ses cheveux blonds coupés au carré avec une frange. Elle parle fort avec sa voix rauque, sans doute usée par la cigarette. Elle est grande mais son chien, lui, est tout petit, et encore plus à ses côtés. Avec ses lunettes de soleil et son chapeau, Mme Newick incarne le style de vie californien qu’on imagine c’est-à-dire décontracté.

Elle se souvient de son premier rendez-vous avec le vétérinaire Gilberto Lopez. « Quand je me suis rendue à la clinique, c’était très propre, c’était petit mais le vétérinaire parlait un anglais parfait », explique-t-elle. « La chose qui m’a le plus plus surprise à propos de ce voyage c’est qu’il a passé une heure avec moi. Nous avons parlé des allergies, de ce que nous pouvions faire. Il était tellement gentil et à l’écoute. Contrairement aux vétérinaires, ici, à San Diego, qui enchaînent les patients toutes les quinze minutes. Il a pris le temps de répondre à mes questions. »

Le coût total des soins de Minnie s’élève à 60 dollars, une somme dérisoire selon la propriétaire de la chienne. « Ici, tu paies 49 dollars seulement pour un examen et 39 de plus pour un certificat, qui est juste un bout de papier où il y a marqué que le chien a été vacciné et qu’il est en bonne santé pour voyager. »

À Tijuana, ce certificat lui a été donné sans surcoût. Selon elle, les prix à San Diego sont excessifs : « J’ai travaillé avec des vétérinaires donc je sais combien les vaccins coutent. »

Contacté par téléphone, le Dr. Lopez, qui exerce depuis trente ans à Tijuana, explique que ses patients sont surtout des Américains. « Environ 75% viennent des États-Unis, principalement du sud de la Californie, d’Arizona et même de Washington. J’essaye d’être le meilleur dans ce que je fais et je pense que les gens voient cette passion. »

Taliane Elobo

@TalianeElb
22 ans
A réalisé sa licence télévision en mobilité à la San Diego State University, en Californie
Passée par France 2 Washington, TV Rennes, Le Courrier de l’Ouest à Angers et Presse-Océan à Nantes.
S’intéresse aux sujets de société. Aime sortir de sa zone de confort en voyageant. Ce qui compte, c’est de faire des découvertes.