Quand la médecine s’empare de l’hypnose
L’hypnose occupe une place de plus en plus importante en médecine. Elle est en effet utilisée pour le sevrage du tabac comme pour les anesthésies. Une pratique qui présente de nombreux avantages et remet l’humain au cœur du soin.
Par Ėmilie Mette, Albin Mouton, Clément Piot (textes et photos)
Il est 9 heures, Michel pousse la porte d’entrée de l’hôpital. Il se fait opérer pour la première fois. Son rendez-vous n’est que dans trente minutes mais, déjà, le stress s’est emparé de lui. La salle d’attente est bondée. Ici se croisent histoires et vies différentes. Du jeune couple essayant de calmer son bébé à l’adolescent les yeux rivés sur son téléphone en passant par la personne âgée habituée des lieux : tous attendent qu’un médecin les reçoive. Rien qui n’aide Michel à se relaxer ni à oublier la raison de sa présence.
L’accueil du patient
Rez-de-chausée. Michel s’est plongé dans un état de transe spontanée. « C’est un état d’hyper focalisation où les idées ne circulent plus et lors duquel nous ne recevons pas toutes les informations communiquées », analyse Laurianne Bordenave, médecin anesthésiste au centre Gustave-Roussy de Paris. Cet état de transe spontanée, chacun l’expérimente quotidiennement. Dans le train, en voiture, en rêvassant au travail… « Le cerveau bascule de manière spontanée dans un état de conscience modifiée : une transe hypnotique, précise Aurore Marcou, médecin anesthésiste spécialisée en oncologie à l’institut Curie de Paris. C’est cet état où l’on arrive à suffisamment se concentrer pour faire abstraction de tout ce qui se passe autour. »
Dans la salle d’attente, Michel ne se rend pas compte que son cerveau expérimente les effets d’une transe hypnotique. Le premier contact avec le médecin sera fondamental pour lui. Il faut « être présent et attentif au patient lorsqu’il arrive », explique la Dre Bordenave. Le concept de résonnance entre le soignant et le soigné prend alors tout son sens : « Quand nous sommes détendus, les gens se calent sur nous et l’ambiance s’adoucit : le calme et la tranquillité, c’est contagieux », constate-t-elle.
Schéma des différentes étapes d’un état hypnotique. cliquez sur les numéro pour en savoir plus.
En hypnose, les termes choisis déterminent la prochaine réaction, le prochain mouvement du patient. Un ton lent et apaisant permet au médecin de garder le malade dans une zone de confort, nécessaire au bon déroulement du soin. Les tournures de phrases doivent être positives pour éviter un effet nocebo. Par exemple, si l’on vous demande « Avez-vous mal ? », vous répondrez très souvent par oui, la question ayant biaisé la réaction de votre cerveau. En revanche, si la question est « Comment vous sentez-vous ? », votre réponse sera plus ouverte et donc plus proche de la vérité.
Le langage non-verbal est tout aussi important. Le patient peut se crisper ou voir son stress exacerbé à cause d’un mauvais geste, d’une mauvaise posture. L’attention portée aux langages verbal et non-verbal facilite le travail des praticiens.
Maîtriser la douleur
Premier étage. Ici, médecins généralistes, dentistes, gynécologues et psychologues reçoivent en consultation. L’hypnose médicale se démocratise et entre dans tous les cabinets. C’est qu’elle simplifie vaccinations et poses de perfusions. Elle aide à calmer les douleurs que l’on peut ressentir suite aux soins médicaux et permet aux praticiens de détendre leurs patients lorsque le soin ou l’examen est particulièrement invasif.
Atteint de bélonéphobie, ou phobie des aiguilles, Léo est pris d’une crise de panique chaque fois qu’il en voit une. Il n’y a pas si longtemps, à la vue d’une seringue, il hurlait, se débattait, devenant même parfois violent envers le corps médical. Il lui fallait des heures pour se calmer. Grâce à l’hypnose, le médecin le plonge dans son imaginaire. Ainsi, l’enfant se détend et la vaccination se passe sans douleur.
Une utilisation de l’hypnose bénéfique pour le patient comme pour le praticien. Lors des vaccins et des poses de perfusions, les malades sont moins nerveux, moins agités. L’intervention est alors plus rapide.
Le médecin peut emmener mentalement son patient dans un lieu où celui-ci se sent bien ou lui rappeler un souvenir agréable
Cette pratique permet également d’atténuer les douleurs iatrogènes, celles provoquées par des soins, des examens ou des traitements. Une piqûre, par exemple, peut provoquer un engourdissement du bras ou l’apparition d’un bleu. Grâce à l’hypnose, cette sensation d’engourdissement disparaît.
Elle aide également les patients souffrant de douleurs chroniques ou aigües à contrôler leurs pics algiques (douloureux). Guidé par la voix du médecin, la personne en état hypnotique peut parvenir à moduler, à atténuer, voire même à faire disparaître une sensation douloureuse. Les méthodes sont nombreuses et doivent s’adapter à chaque personne. Par exemple, le médecin peut emmener mentalement son patient dans un lieu où celui-ci se sent bien ou lui rappeler un souvenir agréable. Il peut ensuite lui suggérer l’apparition d’un bouton modulant la douleur.
À terme, le patient pourra même contrôler ses pics algiques seul grâce à un apprentissage de l’autohypnose. Cette méthode, qui peut sembler peu conventionnelle, permet une diminution de la consommation de médicaments antalgiques. Les effets secondaires, comme les nausées, les vomissements ou les bouffées de chaleur, sont alors moins importants, voire inexistants.
Photo de fond : Ana Boyrie
L’enjeu pour le soignant est de comprendre son patient, son état de conscience, pour aller le chercher là où il est et l’emmener en état de transe hypnotique. Pour cela, le Dr Marc Galy, médecin anesthésiste à l’hôpital Saint-Joseph de Paris, utilise une simple feuille blanche. « Le patient y griffonne ce qu’il veut, explique l’anesthésiste. Chacun crée sa propre expérience. » Si certains praticiens aiment raconter des histoires à leurs malades et les emmener par l’imaginaire dans des endroits paradisiaques, le Dr Galy préfère « les choses les plus simples possibles ». Il leur demande, par exemple, de se concentrer sur leur couverture chauffante.
Pour les troubles du sommeil ou les addictions, les soins s’effectuent sur le long terme. L’hypnose peut être une alternative ou un complément à la psychanalyse. « Certains patients viennent après avoir été suivis pendant des années et me disent “j’ai compris plein de choses, mais je n’ai rien résolu” », raconte le Dr Jean-Marc Benhaiem, fondateur du Centre d’hypnose médicale. Cette méthode n’est pas dans la recherche des causes ou des explications mais dans l’action.
Là où les thérapies se focalisent sur le passé, l’hypnose, elle, se concentre sur le présent. « Ce qui est intéressant c’est que l’on ne s’immobilise pas, explique le Dr Benhaiem. Si on va dans le passé, on ne s’y installe pas définitivement, on circule un peu entre tous les temps. » Le médecin s’adapte à chaque personnalité pour changer le regard que le patient porte sur sa souffrance. Ce dernier devient acteur et peut ainsi résoudre son problème sans forcément avoir besoin de le comprendre.
Un nouveau domaine de recherche
Photo : Clinical Center, National Institutes of Health
Deuxième étage. Des neurologues observent les images cérébrales (PET scan, IRM fonctionnel…) d’une jeune femme. Ils lui demandent d’évoquer un souvenir et comparent l’activité de son cerveau en état de conscience normale et en état de transe hypnotique. Le but ? Comprendre l’action de l’hypnose sur le cerveau. Car si son efficacité est constatée, son fonctionnement est encore mal compris. C’est pourquoi, depuis une vingtaine d’années, certains chercheurs en ont fait leur objet d’étude.
En 2000, le psychologue américain Stephen Kosslyn observait que l’on était capable, en état hypnotique, d’activer ou de désactiver certaines zones du cerveau indépendamment des stimuli sensoriels. Par exemple, si le médecin suggère au patient l’idée de la couleur rouge, le lobe occipital, une des zones impliquées dans la perception visuelle, s’active. « Les yeux, les nerfs peuvent ne pas voir de couleurs. Mais à partir du moment où on active notre cerveau pour qu’il les voie, on va activer les zones qui correspondent au contenu de l’hypnose », explique la Dre Marcou.
L’hypnose n’atténue pas la douleur mais permet de moduler le ressenti du patient
S’il est possible d’agir sur les aires sensorielles sous hypnose, on peut également agir sur les zones liées à la perception douloureuse. La douleur est un phénomène complexe à plusieurs composantes : sensori-descriminative (la nature de la douleur, sa localisation, sa durée), émotive (l’impression désagréable qui peut aller jusqu’à l’angoisse et à l’anxiété), comportementale (réactions verbales et non-verbales) et cognitive (la représentation que le patient se fait de la douleur de par son histoire, son expérience, sa culture).
Les médicaments antalgiques n’ont d’effets que sur la composante sensori-descriminative, alors que l’hypnose, elle, agit sur les trois autres. Lorsque le message douloureux arrive au cerveau, « il active des zones qui correspondent à la sensorialité mais aussi à la compréhension de la douleur, explique la Dre Marcou. Cela active beaucoup de zones en trop ». L’une d’elles, le cortex cingulaire antérieur, est notamment lié aux émotions et à la perception subjective de la douleur (composantes émotive et cognitive).
En agissant sur ces zones, l’hypnose n’atténue pas la douleur mais permet de moduler le ressenti du patient : « On peut cantonner le signal à la stimulation pour que les zones relevant de la peur et de l’anxiété n’aggravent pas le signal en s’activant », précise la Dre Marcou. Pour cela le médecin va proposer au patient en état hypnotique de diminuer lui-même sa douleur en lui suggérant, par exemple, une sensation de froid, de chaleur, de douceur selon l’individu.
L’hypnose au bloc
Photo : David Darrault
Troisième étage. Allongé sur son lit, un patient se réveille après une opération : « J’ai gagné Roland-Garros ! » Nicolas, 8 ans, vient de battre Sébastien Grosjean sur la mythique terre battue d’Auteuil. Accompagné par les mots de Patrick Richard, médecin anesthésiste à l’hôpital Trousseau de Paris, il s’est fait retirer un ganglion du cou alors qu’il se trouvait sous hypnose.
Les suggestions de son anesthésiste l’ont ramené dans un environnement familier : le tennis. « L’enfant était absorbé dans son imaginaire, il était acteur de son propre jeu vidéo, décrypte le Dr Richard. Par l’imagination, il reconstruit une situation connue et la revit comme si c’était vrai. » Comme Nicolas, des milliers de personnes sont opérées et soignées efficacement chaque année grâce à l’hypnose médicale.
Au bloc, « la vraie question n’est pas de savoir si l’on opère avec ou sans hypnose, assure le Dr Galy, mais bien de savoir si l’on utilise une anesthésie générale ou non ». L’anesthésie générale (AG) est un coma pharmacologique (perte de conscience induite par des médicaments) qui comporte certains risques. Elle agit sur toutes les fonctions vitales du corps (respiratoire, cardiovasculaire et cognitive). Cela peut provoquer des complications au réveil, comme une moins bonne respiration, de l’hypotension, des troubles de la mémoire ou une désorientation.
En 2014, Alama Kanté, chanteuse guinéenne, a été opérée d’une tumeur de la gorge. L’opération sous hypnose était la seule solution pour qu’elle ne perde pas sa voix.
Avec l’hypnose en complément d’une anesthésie locorégionale (ALR), les patients restent éveillés et aucune des grandes fonctions vitales n’est touchée. « Une ALR a moins de retentissement sur l’organisme, elle comporte donc moins de risques, notamment pour les patients les plus fragiles », explique la Dre Marcou.
Pendant une opération sous ALR, une hypnose couplée à une sédation permet de réduire les risques d’effets secondaires et d’économiser sur le temps de réveil. « Mais dans tout ce qui est intervention sur les organes profonds (cœur, poumon ou tube digestif, NDLR) ce n’est absolument pas indiqué, précise-t-elle. On a besoin de décontraction musculaire donc il nous faut des curares (médicaments anesthésiques qui bloquent la transmission entre les nerfs et les muscles, NDLR). » Selon le Dr Benhaiem, « les patients ressortent de leur opération reconnaissants, ils disent qu’on a changé leur vie ».
L’utilisation de l’hypnose au bloc a aussi un effet positif sur le praticien et sur toutes les personnes présentes lors de l’intervention chirurgicale. Bruno Falissard, auteur, avec Juliette Gueguen, Caroline Barry et Christine Hassler, d’un rapport évaluant l’efficacité de l’hypnose médicale, le constate : « Certaines infirmières de salle d’opération disent que, quand l’anesthésiste hypnotise le patient, tout le monde se sent mieux. » L’ambiance est plus positive, le travail du chirurgien devient plus facile et il gagne du temps.
Une formation à développer
Changement de décor. Il est 10 heures et nous avons quitté l’hôpital. Des praticiens s’affairent dans l’amphithéâtre du pavillon Georges-Heuyer de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Tous viennent se former à l’hypnose médicale.
Si cette pratique a montré ses effets bénéfiques sur le patient, elle reste marginale et peu enseignée dans les facultés de médecine, comme le regrette le Dr Benhaiem : « Je crois qu’il serait bien de sensibiliser les futurs médecins, de leur faire entendre que l’hypnose fait partie de la médecine. Je vais tous les ans enseigner une heure à Paris pour expliquer ce qu’est l’hypnose, c’est très peu. »
En 2001, il crée le premier diplôme universitaire (DU) d’hypnose médicale à la Pitié-Salpêtrière, berceau historique de l’hypnose en France. Tous les ans, environ 150 praticiens (anesthésistes, médecins généralistes, sages-femmes…) se retrouvent onze fois, entre octobre et juin, pour se former. À chaque session, les conférences de spécialistes se succèdent. Entre cours magistraux et séances pratiques, les médecins travaillent ensemble et partagent leurs premières expériences.
Lors des formations, différents exercices sont proposés aux médecins. Ici, la suggestibilité du patient est testée.
L’hypnose, comme de nombreuses médecines alternatives (aromathérapie, sophrologie…), n’est pas reconnue par le Conseil national de l’ordre des médecins. Et pour cause : il est impossible de distinguer les bonnes des mauvaises formations. L’hypnothérapie est un domaine subtil et, contrairement aux médicaments, on ne peut pas tester cette méthode. « Ça échappe à l’entendement pour beaucoup de gens, y compris les autorités médicales », explique Éric Alauzet, député du Doubs et médecin acupuncteur. Avant d’ajouter : « L’Ordre des médecins est une institution très officielle qui pense être garante d’une crédibilité de la médecine et qui ne veut pas trop s’aventurer. »
Dix-huit heures, fin de formation. Les praticiens quittent peu à peu l’amphithéâtre. Chacun retourne dans son établissement afin de mettre en pratique ce qu’il a appris pour, c’est ce qu’ils espèrent, participer au développement de l’hypnose médicale.