Loi logement et handicap

La roue de l'infortune

Trouver un logement accessible est devenu un parcours du combattant. Photo : J. Gerbault/EPJT

En France, ils sont plus de 12 millions à souffrir d’un handicap. Parmi les multiples difficultés qu’ils rencontrent, trouver un logement adapté est parfois la plus compliquée. En 2018, la loi Elan a encore marqué un recul des droits des personnes handicapées.

Par Jeanne Gerbault, Jules Liévin et Brice-Ledoux Saramalet

arie Crételle est une jeune mère qui se déplace en fauteuil roulant. Depuis trois ans, elle se démène pour trouver un toit, pour elle et sa fille. Difficulté supplémentaire : ses faibles revenus.
 

Pour elle, obtenir un logement accessible ressemble à un parcours du combattant : « J’enchaîne les locations, les sous-locations, les colocations, les nuitées en hôtel… Trouver un logement accessible avec mes revenus, c’est quasiment impossible. »

Cette recherche aux allures de casse-tête s’est encore complexifiée avec la promulgation récente de la loi « Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique  » dite loi Elan. Celle-ci, prévue pour remédier à la crise du logement que traverse actuellement la France, diminue néanmoins certains droits des personnes handicapées.

Ce que prévoit l’article 18 de cette loi, c’est tout simplement de ne plus rendre obligatoire l’accessibilité pour tous les nouveaux logements. Un logement accessible, c’est un logement qui permet à une personne handicapée d’y circuler sans difficulté. Avant la loi Elan, 100 % des nouveaux logements devaient être accessibles. Depuis sa promulgation, seuls 20 % devront l’être.

Alors que Marie Crételle avait déjà du mal à trouver un logement, la loi lui annonce que cette situation ne s’améliorera pas avec le temps. Avant d’être promulguée au Journal officiel, la loi Elan, notamment l’article 18 qui touche à l’accessibilité, a pourtant fait l’objet de vifs débats.

« Trouver un logement avec mes revenus, c’est quasiment impossible »

Marie Crételle

Margot, 22 ans, est étudiante en deuxième année de master de psychologie. Derrière ce grand sourire, qu’elle garde en permanence, se cache un fort tempérament. Si elle se déplace en fauteuil roulant, pas question de faire pitié. Elle clame, à qui veut bien l’entendre, que c’est à elle de s’adapter et non aux autres.

Cette adaptation, c’est parfois se priver purement et simplement de l’accès à certains endroits. La soirée entre étudiants, dans l’appartement d’un de ses amis mais situé à un deuxième étage sans ascenseur, Margot n’y participe tout simplement pas. Idem avec les réunion de famille, les dîners chez des amis. Avec la loi précédente, elle envisageait pourtant une amélioration progressive des choses.

En effet, depuis 2005 et jusqu’à la loi Elan, la législation imposait aux constructeurs l’accessibilité aux personnes handicapées dans tous les nouveaux logements. L’idée était qu’elles puissent être bien chez elles mais aussi chez leur famille et chez leurs amis : c’est le principe d’universalité.

En passant de 100 % à 20 % le taux de construction de nouveaux logements accessibles, l’article 18 de la loi Elan porte atteinte à ce principe d’universalité. Et c’est loin d’être le seul problème.

Pour n’importe qui, se loger dans certaines villes relève du parcours du combattant. Mais pour les handicapés, la tâche est encore plus complexe. Pour obtenir un logement accessible, qui leur offrirait la place nécessaire pour vivre décemment, ils entrent en concurrence avec des valides. Les logements accessibles ne leur sont pas réservés. Si bien que l’offre des agences immobilières est bien souvent nulle.

La loi Elan apporte cependant une nouveauté : 80 % des nouveaux logements devront être évolutifs. Cela signifie qu’une personne handicapée pourra, selon ses besoins, entreprendre des travaux pour rendre accessible son logement. Evidemment, les frais qu’elle évitait à l’époque du 100 %  accessible sont désormais à sa charge.

Depuis 2005 et jusqu’à la loi Elan, la législation imposait l’accessibilité dans tous les nouveaux logements

Ce sont des investissements supplémentaires pour une population dont la précarité est globalement plus élevée que celle du Français moyen. Sans oublier qu’un propriétaire sera souvent plus réticent à louer son logement à une personne handicapée qui voudra y faire des travaux.

L’augmentation constante du nombre de personnes à mobilité réduite rend incompréhensible cette baisse du taux d’accessibilité : « Qui dit vieillissement de la population dit perte d’autonomie. » Cependant, l’Association des paralysés de France (APF) est parfois restée en retrait.

Thierry (son prénom a été modifié) est correspondant accessibilité. Un titre barbare pour désigner les personnes en charge des projets d’aides aux personnes handicapées à l’échelle départementale. Il a travaillé et travaille encore régulièrement avec la délégation ministérielle à l’origine de la loi Elan.

Il explique que la loi a enterré « un long travail de médiation entre architectes, promoteurs, constructeurs et associations  » qui avait conduit à la loi de 2005 et son impératif de 100  % de nouveaux logements accessibles.

APF France handicap est la plus importante association de défense et de représentation des personnes handicapées en France.

Thierry a aussi été choqué par le peu de concertations qu’il y a eu lors de l’élaboration de la loi Elan : « Il n’y a pas vraiment eu de discussions. Les acteurs de l’accessibilité n’ont pas eu leur mot à dire. » Ses mots traduisent une certaine impuissance face à un gouvernement qui aurait fait de l’accessibilité selon ses mots « le parent pauvre » du progrès social.

Thierry explique également le problème des grandes associations comme l’APF. Selon lui, il leur est difficile d’être trop critique envers le gouvernement. L’APF étant subventionnée par l’Etat, elle aurait pu voir ses aides réduites si elle avait trop milité contre la loi Elan.

Fabienne Jouvet, créatrice du réseau SansRien et elle-même handicapée, l’explique de façon imagée : « L’APF a le cul entre deux chaises.  » Elle ne jette pas la pierre à l’APF mais constate que le premier défenseur des droits des personnes handicapées a une marge de manœuvre limitée.

e changement de cap par rapport à la loi de 2005 s’explique principalement par la crise du logement que traverse la France. L’Etat veut construire plus et rend donc les réglementations de constructions moins contraignantes pour les constructeurs. C’est d’ailleurs le slogan de la loi Elan : « Construire plus, mieux et moins cher  ».

Un argumentaire partagé par les constructeurs qui étaient favorables à l’adoption de cette loi. « La surcharge des normes à l’accessibilité représente un coût supplémentaire  », reprend Jean-Charles du Bellay, chef de département à la direction technique de la Fédération française du bâtiment (FFB).

Un appartement accessible doit toujours proposer une douche à l’italienne. Mais l’installation de celle-ci est plus compliquée et plus chère qu’une douche traditionnelle. On peut penser que ces douches soient plébiscitées par la totalité des locataires potentiels.

Mais ce n’est pas le cas des couloirs trop larges, des WC trop grands qui obligent à faire des chambres et pièces de vie plus petites. En clair, ce qui convient aux personnes en fauteuil ne conviendra pas aux autres.

«  Il n’y a pas vraiment eu de discussions. Les acteurs de l’accessibilité n’ont pas eu leur mot à dire  »

Thierry

Les adaptations dans le logement d’une personnes en fauteuil.
Cet argument ne fait pas l’unanimité. Françoise Manière, ancienne présidente de l’Union nationale du syndicat des architectes (Unsfa) avance que « c’est un faux problème puisque les normes, comme les règlements, sont nécessaires à la qualité des bâtiments et à leur utilisation ». Pour elle, le problème viendrait surtout du logement accessible à tous lui-même.

 

« La multiplicité des handicaps ne permet pas un type de logement universel  », explique Cécile Bregeard, architecte et présidente d’un centre de recherche pour l’accessibilité universelle. Tous ne nécessitent pas la même adaptation en termes de construction. Un aveugle a besoin de couloirs étroits pour mieux se repérer. Tout le contraire d’une personne paralysée qui nécessitera de plus d’espace pour mouvoir son fauteuil.

Difficile équation pour la loi Elan. Conjuguer la demande croissante de logements à la nécessité de donner un accès universel aux habitations neuves est un calcul épineux. Les résultats de l’allègement des contraintes économiques comme clé de solution à la crise du logement sont difficilement perceptibles à court terme. Un cumul des handicaps s’esquisse dans les lignes de la loi et une certitude demeure.

Les difficultés pour les personnes handicapées sont multipliées. Des travaux sont à prévoir pour la mise en accessibilité de leur logement. Le temps de travaux et de financements restent à leur charge. Combiner droits universels et offre suffisante de logements  ? La loi Évolution du logement de l’aménagement et du numérique ne semble pas suivre cet Elan.

« La multiplicité des handicaps ne permet pas un type de logement universel »

Cécile Bregeard

Jeanne Gerbault

@JeanneGerbault
24 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
Passée par une école d’architecture.
Appétence pour le travail de l’image.
Se destine au journalisme audiovisuel.

Jules Liévin

@LievinJules
23 ans.
Étudiant en journalisme à L’EPJT.
Passé par le service des sports de la Nouvelle République.
Passionné par le sport et l’actualité internationale.

Brice-Ledoux Saramalet-Akama

28 ans.
Étudiant en journalisme à L’EPJT.
Passé par Radio Bangui FM.
Passionné par l’éducation et les faits de société.
Se destine au photo-reportage ou à la radio.